L'apparition de l'"éloquence" dans cette série aux ouvrages très inégaux, mais dont certains sont d'une qualité rare, était une nécessité. Dans un monde où l'insulte, voire la violence, menace de remplacer l'argumentation et le débat dans les cercles les plus variés et les plus élevés de notre république, il est temps de redonner ses lettres de noblesse à l'art de convaincre par la parole.
Il fut un temps pas si lointain où la classe de première des lycées, qui se clôturait par l'examen de la première partie du baccalauréat, s'appelait "classe de rhétorique".
Et on pouvait penser qu'un "
dictionnaire amoureux de l'éloquence" constituerait une pierre essentielle dans la reconstruction d'un univers où le débat argumenté retrouverait sa place.
La déception est à la hauteur de ces attentes.
À vrai dire, la lecture de la trop brève introduction soulève déjà quelques interrogations, préparant le lecteur à ce qu'il découvrira dans le livre, à savoir l'abandon total à un relativisme bien dans l'air du temps. Face à une "éloquence intellectuellement, universitairement, et donc socialement validée", Madame Levesque a découvert, à l'occasion d'une mutation dans un établissement de Seine-Saint-Denis, une autre forme d'éloquence, celle de ses élèves, qui lui font découvrir "l'étendue de sa propre ignorance lexicale". Alors, bien entendu, il lui est "difficile de faire l'impasse sur les fondations antiques de l'éloquence", et elle ne cache pas son regret sur ce point, mais il est bien plus important encore de "dresser le portrait de certains de ses élèves", qui "incarnent des visages de l'éloquence".
Le résultat est que, si le lecteur se voit offrir une entrée de trois pages sur Quintilien, qui dit l'essentiel, mais laisse tout de même un peu sur sa faim, il découvre avec délice, et en près de quatre pages, la nature de l'éloquence de "Momo", avec des citations bien plus longues que celles qui auraient pu illustrer l'article sur "
Cicéron" (un peu plus de trois pages pour celui qui est donné par l'auteur, à juste titre, comme "indépassable"!), où on ne trouve guère que les quelques paroles initiales de la première catilinaire, et aucun développement sur "O tempora, O Mores" cité en VO sans aucune autre explicitatioin, alors que, dans la harangue du Consul, cela suit un paragraphe qui, non seulement constitue un sommet de l'art oratoire, mais a des résonances évidentes dans notre temps et dans la situation politique de notre pays aujourd'hui. Mais le lecteur qui l'ignore n'en saura toujours rien.
Quant'à l'
Académie Française, la première entrée du dictionnaire, son sort est réglé en une ligne et demie chargées du plus profond mépris.
Triste époque, où des universitaires du niveau de Madame Levesque, dont la bibliographie est riche de dizaines d'articles et d'ouvrages, sont pris par le tourbillon destructeur d'un relativisme qui flatte à tort la bonne conscience de ceux qui le professent ; car loin de constituer une reconnaissance pour ceux qui n'ont pas "les codes", cette mise au même niveau de toute forme d'expression ne fait que les empêcher de les acquérir, au contraire de l'ambition qui était celle de nos regrettés "hussards de la République".