Le plus marquant dans ce généreux ouvrage, est, comme le précise l'auteur lui-même, le parti pris d'évoquer et d'analyser
Flaubert en parlant de lui comme de son ami. Cette touche personnelle et intime, rend l'ensemble du dictionnaire extrêmement touchant, authentique, et donne une dimension plus profonde, comme si à présent, l'auteur était plus digne, plus qualifié pour appréhender la vie de
Flaubert.
Le plus choquant en revanche à mes yeux, c'est que la volonté du principal intéressé n'ait pas été respectée.
Flaubert avait pris l'habitude de brûler ses échanges épistolaires car il ne voulait surtout pas que ses écrits personnels puissent être lus après sa mort. L'ironie de la situation est troublante. Mais
Régis Jauffret use de ces précieux documents très respectueusement et s'attelle avec bienveillance à son décryptage. Il souhaite avant tout montrer la facette la plus humble, la plus naturelle, la plus humaine possible de
Flaubert. Nulle idée de "génie" ou de "dieu de la littérature" avec ses caprices et autres excentricités, souvent associées aux plus grands artistes. Jauffret préfère nous dépeindre
Flaubert dans son bain, au gré de ses réflexions et de ses plus simples moments de détente, comme tout un chacun. Aucune vantardise hasardeuse ou mise en avant prétentieuse. On découvre Gustave et non plus le grand écrivain
Flaubert.
L'auteur nous capte dès la toute première page, car il nous raconte
Flaubert comme il nous lirait un conte ou l'histoire passionnante d'un aventurier. On partage ses amourettes, ses mots doux, jusqu'à ses désirs de galipettes et autres gaudrioles. On découvre également des facettes bien peu reluisantes, voire même honteuses, qui ne le rendent évidemment que plus accessible et plus quelconque. Certaines révélations ne peuvent nous empêcher de ressentir de la déception, du dégoût. On dit qu'il ne faut surtout pas rencontrer nos idoles, ne pas apprendre à les connaître au-delà de leur talent qui nous a tant séduit, par crainte d'être affreusement déçu, voire écoeuré. Monsieur
Flaubert n'aura pas fait figure d'exception. Son manque de compassion à maints égards aura marqué pour beaucoup, l'idée que l'on se faisait de lui.
Le plus curieux peut-être, c'est que
Flaubert était sans cesse contradictoire. Ses opinions, ses dires, tout finissait par s'inverser et ses actes ne correspondaient que bien peu à ses paroles. Il semblait parfois qu'il n'était pas parvenu à se connaître lui-même. Il reste de lui qu'il était un être complexe, hanté par certaines idées, certaines pensées qui ne le quittèrent jamais. Sa famille, ses proches, ont joué tour à tour un rôle décisif tout au long de sa courte vie. Si seulement il avait vécu un siècle plus tard, nous aurions pu profiter de son talent bien plus longtemps, et lui, aurait peut-être pu exorciser ses démons et vivre plus détaché et plus serein.
Régis Jauffret excelle avec cet ouvrage. Les passages où il ajoute ses pensées et ses anecdotes personnelles sont irrésistibles. J'ai lu plusieurs des Dictionnaires amoureux, et celui-ci est de loin mon favori !
Je convie tous les amoureux de
Flaubert ainsi que ceux qui ne l'ont pas encore lu à dévorer ces pages. C'est drôle, touchant, surprenant et passionnant.