Les ours se suivent et ne se ressemblent pas. La dernière fois qu'il en fut question ici, avec
Joy Sorman ("
La peau de l'ours"), je laissais peser sur nous une prunelle mélancolique du fond de la fosse. Quel sort de somnoler et tourner en rond par-delà les grilles et les douves ! D'autant que l'animal tiendrait assez de l'homme pour y songer et désespérer. À moins – me revient le poétique "Monsieur l'ours" de
Luc Baba – que ne se cache dedans un amuseur de fonction qui, le soir, regagnerait ses pénates après avoir accroché la peau dans les vestiaires de la caverne...
Il se peut aussi que les ours du parc des Grands-Bruns nous jouent la comédie des bêtes, qu'ils soient intelligents, vraiment humains et assez comédiens pour nous faire croire qu'ils ne sont que des animaux quand nous les visitons. Voilà tenez ! un sourire à faire danser les ours fait tomber les oursins qui raidissaient vos zygomatiques, je le savais, vous voilà prêts à emprunter les pages de
Xavier Hanotte.
Vous ferez connaissance avec des ours humains, Anatole, Onésime et Adalbert pour lesquels le problème est, outre la construction d'un parc d'attractions qui menace leur dolce vita clandestine, de ne pas se faire prendre en flagrant délit d'«humanité» qui trahirait leur vie tranquille. Hanotte excelle en suscitant les situations hilarantes pour ces animaux qui parlent : «Soyons sérieux Anatole ! Tu vous vois crapahuter dans la forêt comme les Slovènes ? Manger des champignons sans les laver ? des ortolans sans les cuire ? Sans compter que, dans la montagne, vous pourriez tomber sur de vrais ours....».
Des ours qui ont un compte à régler avec
La Fontaine et sa fable déshonorante pour la gent qui les ramène au rang de brutes bêtas. Disons que le pavé de l'ours ne passe toujours pas. Car l'ADIEU (l'Association pour la Défense de l'Image des Espèces Ursidées) veille et agit : un commando armé du scalpel et de l'humidificateur projette de faire disparaître les pages vexatoires du recueil de la bibliothèque de V. «C'est une édition Marabout des années soixante, assez rare par ici. le brochage d'origine est fragile. Mais surtout, à cause de la pagination, impossible d'évacuer la fable de l'ours sans procéder à l'ablation simultanée des Deux amis et sans estropier le Cochon, La chèvre et le Mouton. Peu discret, comme opération. Sans compter qu'il y a une gravure de Granville, assez bienvenue mais très peu flatteuse pour nous... Enfin, quand je dis pour nous, je me comprends... »
C'est sans compter sur les caprices de la camionnette du gardien réquisitionnée en catimini, ni sur les ours gangsters bosno-croates de Memet, car comme chez les humains, il y a parmi les ours intelligents des mal léchés. Encore qu'entre ours, si on a besoin d'un coup de pattes, tout finit par s'arranger...
Ce livre, qui va au-delà de la simple farce – on n'attend pas moins d'un écrivain adroit comme Hanotte –, se situe entre la fable et le conte philosophique. Citons Jeannine Pâque : «Entre les ours humains et les vrais ours, y a-t-il encore place pour la vérité des hommes ? Pour la clairvoyance ? Pour l'interrogation infinie ? Les livres de
Xavier Hanotte ont décidément un double fond et génèrent une pluralité de lectures.»
Gratification inattendue : le charme vieillot et délicat des titres de chapitres que réinvente pour nous l'auteur belge : "Où Anatole interroge son ursitude" , "Où l'on cause philosophie et casse la vaisselle",... on se croirait revenu au temps où les livres fleuraient un peu la bougie qu'on ne soufflerait, peut-être, qu'à la fin du prochain chapitre, déjà trop bien esquissé par l'intitulé pour qu'on s'arrête là.
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