Madame,
L'âme ne se conçoit que par l'entendement pur ; le corps, c'est-à-dire l'extension, les figures et les mouvements, se peuvent aussi connaître par l'entendement seul, mais beaucoup mieux par l'entendement aidé de l'imagination ; et enfin, les choses qui appartiennent à l'union de l'âme et du corps, ne se connaissent qu'obscurément par l'entendement seul, ni même par l'entendement aidé de l'imagination ; mais elles se connaissent très clairement par les sens. D'où vient que ceux qui ne philosophent jamais, et qui ne se servent que de leurs sens, ne doutent point que l'âme ne meuve le corps, et que le corps n'agisse sur l'âme ; mais ils considèrent l'un et l'autre comme une seule chose, c'est-à-dire, ils conçoivent leur union ; car concevoir l'union qui est entre deux choses, c'est les concevoir comme une seule. Et les pensées métaphysiques, qui exercent l'entendement pur, servent à nous rendre la notion de l'âme familière ; et l'étude des mathématiques, qui exerce principalement l'imagination en la considération des figures et des mouvements, nous accoutume à former des notions du corps bien distinctes ; et enfin, c'est en usant seulement de la vie et des conversations ordinaires, et en s'abstenant de méditer et d'étudier aux choses qui exercent l'imagination, qu'on apprend à concevoir l'union de l'âme et du corps.
J'ai quasi peur que Votre Altesse ne pense que je ne parle pas ici sérieusement ; mais cela serait contraire au respect que je lui dois. [...] La principale règle que j'ai toujours observée en mes études et celle que je crois m'avoir le plus servi pour acquérir quelque connaissance, a été que je n'ai jamais employé que fort peu d'heures, par jour, aux pensées qui occupent l'imagination, et fort peu d'heures, par an, à celles qui occupent l'entendement seul, et que j'ai donné tout le reste de mon temps au relâche des sens et au repos de l'esprit ; même je compte, entre les exercices de l'imagination, toutes les conversations sérieuses, et tout ce à quoi il faut avoir de l'attention.
Je suis, Madame, De Votre Altesse,
Le très humble et très obéissant serviteur,
Descartes.
Je me suis quelquefois proposé un doute : savoir s'il est mieux d'être content et gai, en imaginant les biens qu'on possède être plus grands et plus estimables qu'ils ne sont, et ignorant ou ne s'arrêtant pas à considérer ceux qui manquent, que d'avoir plus de considération et de savoir, pour connaître la juste valeur des uns et des autres, et qu'on devienne plus triste.
Toutes nos passions nous représentent les biens, à la recherche desquels elles nous incitent, beaucoup plus grands qu'ils ne sont véritablement; et que les plaisirs du corps ne sont jamais si durables que ceux de l'âme, ni si grands, quand on les possède, qu'ils paraissent, quand on les espère.
Je n'approuve point qu'on tâche à se tromper, en se repaissant de fausses imaginations ; car tout le plaisir qui en revient, ne peut toucher que la superficie de l'âme, laquelle sent cependant une amertume intérieure, en s'apercevant qu'ils sont faux.
Leçon inaugurale d'Alain Connes prononcée le 11 janvier 1985.
Alain Connes fut professeur du Collège de France, titulaire de la chaire Analyse et géométrie.
En 1637, Descartes révolutionne la manière que l'on a de faire de la géométrie : en associant à chaque point de l'espace trois coordonnées, il pose les bases de la géométrie algébrique. Cette géométrie est dite « commutative » : le produit de deux quantités ne dépend pas de l'ordre des termes, et A x B = B x A. Cette propriété est fondamentale, l'ensemble de l'édifice mathématique en dépend. Mais au début du XXe siècle, la découverte du monde quantique vient tout bouleverser. L'espace géométrique des états d'un système microscopique, un atome par exemple, s'enrichit de nouvelles propriétés, qui ne commutent plus. Il faut donc adapter l'ensemble des outils mathématiques. Cette nouvelle géométrie, dite « non commutative », devenue essentielle à la recherche en physique, a été développé par Alain Connes.
Retrouvez ses enseignements :
https://www.college-de-france.fr/fr/chaire/alain-connes-analyse-et-geometrie-chaire-statutaire
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