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Critiques de Yôko Ogawa (1420)
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Le petit joueur d'échecs

J'enchaîne décidément les lectures étranges avec ce titre qui flirte avec le fantastique, j'écris flirte car bien que possibles, pourquoi pas, les événements relatés dans ce roman sont pour la plupart hors norme et c'est cette accumulation dans l'univers du petit joueur d'échecs qui vont faire de cette histoire quelque chose de marquant, je pense que je n'oublierai pas cette lecture de sitôt.

Le personnage central est réellement atypique, tout commence avec sa naissance compliquée, né avec les lèvres scellées, il est opéré aussitôt et en gardera des séquelles définitives.

Même si le terme n'est jamais employé, notre petit joueur d'échecs est probablement autiste, il parle peu ou pas du tout le plus souvent et va très vite se créer une bulle protectrice avec la complicité bienveillante de ses grands parents.

Sa rencontre avec un maître d'échecs hors norme à tous les niveaux va transformer sa vie, une vie qui sera désormais centrée sur les échecs en permanence, où les gens seront parfois incarnés par des pièces d'échecs, où chaque partie jouée résonnera comme une partition musicale, car pour le petit joueur d'échecs il n'y a pas d'adversaires, mais des partenaires révélant leur sensibilité pour exprimer une chorégraphie.

Quand on vit sa vie comme une partie d'échecs perpétuelle, la maîtrise du jeu permet de garantir la solidité du refuge que l'on se construit, la sécurité en dépend.

Je crois que chaque lecteur aura sa sensibilité particulière pour parler de ce livre, car cet univers mélange habilement le réel et le fantastique, tout ce que vous lirez dans ce roman est possible bien qu'improbable. Tous les personnages qui vont compter pour "Little Alekhine", surnom donné à notre petit joueur d'échecs, se révèleront au minimum originaux, et la succession d'événements qu'il va vivre, pour le moins à la limite de l'incroyable.

L'auteur connaît les échecs, c'est un fait, tout est là, les évocations de champions du passé, Caïssa (divinité associée aux échecs), le turc, automate légendaire ayant notamment joué contre Napoléon,

les différents aspects de la pratique, parties classiques, jeu en aveugle, parties en simultanées.

Il y a surtout l'évocation de cette dimension philosophique, étrangère au "joueur du dimanche" mais que tout joueur d'échecs confirmé connaît, à savoir qu'une partie d'échecs révèle beaucoup de ce que nous sommes par ce que l'on exprime sur l'échiquier où l'on joue symboliquement sa vie à chaque partie. Les échecs sont un monde à part et demandent un gros investissement personnel, aussi bien en temps qu'intellectuellement, un monde avec ses codes et son langage auxquels on s'initie petit à petit.

Vous trouverez un peu de tout cela dans cette lecture qui peut donc se faire à deux niveaux selon que l'on connaît ou non les échecs.

Histoire de donner un peu plus matière à réflexion, sachez que la devise de la F.I.D.E (fédération internationale des échecs) est : "Gens una sumus" qui se traduit littéralement par "Nous sommes un peuple" ou "Nous sommes une famille".
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La Formule préférée du professeur

Quatre-vingts minutes pour appréhender le monde c'est peu. Pourtant c'est ce qu'il reste de mémoire immédiate, après un accident de la circulation, à un mathématicien âgé lors de la rencontre avec sa nouvelle aide-ménagère.



La jeune femme peu troublée par le mode de communication du vieil amnésique, des formules mathématiques le plus souvent, y trouve même un grand intérêt, et accède à sa demande de venir accompagnée de son fils âgé de dix ans. C’est ainsi qu’au fil du temps se noue une relation, tendre et enrichissante, entre un ancien professeur de mathématiques au seuil de la vieillesse, une aide-ménagère approchant de la trentaine et un écolier du primaire, et ça malgré le couperet des quatre-vingts minutes obligeant sans fin à tout recommencer.



Poétique et apaisante, une belle fable sur la beauté des mathématiques, la mémoire, la transmission, la curiosité du monde et des autres : la formule préférée du professeur — celle qu'il n'oublie jamais et qu'on ne doit jamais oublier.

Quatre-vingts minutes pour découvrir, et aimer... pour l’éternité.

 

Challenge MULTI-DÉFIS 2018
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Le petit joueur d'échecs

Ainsi va la vie...je dois refermer ce roman poétique et tendre, m'éloigner du petit joueur d'échecs et de son univers attachant. C'est incontestablement un signe de réussite, de bonne pioche pour moi quand je quitte à regret un livre, quand la force de l'imaginaire combinée au talent littéraire d'un auteur m'ont happée au point d'éprouver ce petit pincement caractéristique de l'attachement. Je continue de découvrir les oeuvres de Yoko Ogawa, et assurément celle-ci rejoint mes préférées : Cristallisation sécrète et Parfum de glace.



Je n'aime pas trop divulguer le contenu d'un roman, ici moins encore que d'habitude. Il suffit à mon sens de savoir qu'il n'est nul besoin de connaître les règles du jeu d'échecs pour savourer ce récit et qu'il est en revanche préférable d'avoir gardé un accès privilégié à son âme d'enfant pour se laisser entraîner avec délices dans les méandres de la vie de cet enfant hors du commun, né avec les lèvres soudées, de ses sept ans à sa disparition.

Son handicap a contribué largement à développer une vie intérieure riche et une force de concentration exceptionnelle qui vont lui permettre de s'épanouir et de voguer sur l'océan des échecs en devenant, sans se précipiter, un " petit Alhekine ", son surnom en référence au grand champion d'échecs russe.



" Les échecs constituaient une symphonie grandiose composée par l'esprit de deux adversaires qui s'affrontent et se confondent. "

C'est bien ainsi que j'ai ressenti ce récit, une symphonie dédiée à l'imagination fertile, à l'évasion sans entrave par l'esprit, que l'on retrouve bien sûr incarnée par le petit joueur d'échecs lui-même qui ne joue que recroquevillé dans l'espace confiné d'un automate et par ses quelques amis marquants coincés eux aussi par des barrières physiques qu'il faut découvrir au fil de la lecture pour les apprécier.



" Devant l'échiquier personne ne peut tricher avec soi-même. "

Alors, " Partez voguer sur l'océan des échecs ", le rêve vaut le détour.
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La piscine

Une jeune fille dont les parents dirigent un orphelinat souffre de la morosité du lieu. La présence des enfants l'insupporte, convaincue qu'ils lui volent son enfance. « Cet institut ... dont je suis la seule pensionnaire a y être née sans être orpheline. C'est cela qui a défiguré ma famille. » Néanmoins, Jun, un adolescent observé à son insu à la piscine, égaie ses mornes journées et lui inspire des sentiments très forts. La jeune fille a une autre distraction, plus perverse celle-là. Un jeu cruel avec une très jeune enfant qui lui procure un plaisir malsain, mais va se retourner contre elle, anéantissant du même coup ses rêves.



Avec une concision étonnante, Yôko Ogawa explore les tourments adolescents. Cruauté, quête d'absolu et de pureté, affirmation de soi, doute, expériences nuisibles, on découvre dans un univers feutré et en apparence inoffensif, une violence qui laisse sans voix. Remarquable.



Challenge MULTI-DÉFIS 2018
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Cristallisation secrète

« le sens n'est pas très important. Ce qui l'est, c'est le récit caché au fond des mots ».



J'ai essayé, tout au long de ma lecture, de le faire remonter ce sens caché, de le capter, de le comprendre. J'ai tellement essayé que finalement ma lecture ne fut que ça : rechercher le message profond de l'auteure. Touchée sincèrement par certaines trouvailles littéraires poétiques de l'auteure japonaise, plume qui m'avait déjà séduite dans son livre « Les tendres plaintes », mais vraiment déconcertée par cette histoire. Et pourtant, je suis habituée aux histoires décalées, aux pas de côté, aux livres originaux. Mais la cristallisation n'a pas vraiment eu lieu, cherchant tout du long le sens caché sans parvenir à lâcher prise et à me laisser emportée par le récit. Observatrice seulement. le fond et la forme n'ont pas fusionné en moi pour en faire un récit captivant dans lequel l'un se fond dans l'autre au point de ne plus être intellectualisés.



Roman sur la disparition, sur l'adaptation, sur la résistance, sur l'inéluctabilité de certaines destinées, sur le rôle des souvenirs dans notre humanité, « Cristallisation secrète » avait tout pour me plaire. Sans parler de sa couverture, magnifique, et de son titre, envoutant.



Nous sommes sur une île, manifestement coupée du monde. Une jeune romancière assiste impuissante à la disparition progressive d'objets. Les matins où ces disparitions ont lieu, l'air semble vibrer autrement et il faut un petit moment aux habitants de l'île, alors aux aguets, pour comprendre ce qui a disparu. Chapeaux, bateaux, roses, oiseaux, calendriers, parfums, entre autres, disparaissent peu à peu. Pour la majorité des habitants, se produit un processus de disparition en eux-mêmes, les souvenirs liés à ces objets plongeant alors dans le marais noir de leur coeur et laissant en eux comme une cavité. Les gens se remplissent peu à peu de vide. Ils n'éprouvent plus rien par rapport à ces objets, ne savent plus comment ces objets s'appellent, n'ont plus les sensations liées comme leurs odeurs, leur beauté, leur émotion, leur magie, leur toucher. Après un petit temps d'adaptation, les habitants vont donc naturellement brûler les objets qu'ils ont en leur possession.

Nul émoi et nulle révolte donc car le besoin de l'objet a disparu et les souvenirs se sont effacés. Une minorité de personnes cependant ne subissent pas ces disparitions (cela semble provenir d'une explication génétique nous explique l'auteure) : ils gardent les souvenirs de ces objets. Ces « rebelles » sont traqués par la police secrète qui doit faire respecter les disparitions (on ne comprend pas trop pourquoi cette police est d'un tel autoritarisme d'ailleurs ; L'allégorie de ce régime totalitaire m'a semblé exagérée et surfait je dois avouer) pour être emmenés en un lieu mystérieux. Certains arrivent à se cacher des traqueurs de souvenirs.

La romancière va justement cacher, dans une pièce secrète, son éditeur, un certain R. qui tentera, en vain, de lui raviver des souvenirs d'objets, de remuer le marais noir enfoui en son coeur. « Mon coeur est devenu comme un ver à soie. Un ver à soie qui somnole dans son cocon », R. ne réussira pas à la libérer et à lui rendre sa légèreté de papillon.



« Les souvenirs ne se contentent pas d'augmenter, ils changent avec le temps. Parfois certains disparaissent. Mais d'une manière fondamentalement différente de l'anéantissement qui vous tombe dessus à chaque disparition.

– de quelle manière est-ce différent ? Questionnai-je en caressant mes ongles.

– Mes souvenirs ne sont jamais détruits définitivement comme s'ils avaient été déracinés. Même s'ils ont l'air d'avoir disparu, il en reste des réminiscences quelque part. Comme des petites graines. Si la pluie vient à tomber dessus, elles germent à nouveau. Et en plus même si les souvenirs ne sont plus là, il arrive que le cœur en garde quelque chose. Un tremblement, une joie, une larme, vous voyez ? ».



J'ai beaucoup aimé la relation entre la narratrice et un vieux monsieur, ces deux là vont devenir très proches. Les relations avec les personnes âgées, dès lors que respect, tendresse, et sincérité sont exprimés à leur encontre, ont toujours le don de beaucoup m'émouvoir. J'ai été impressionnée par la disparition des roses dont les pétales recouvrent le fleuve saturant pendant quelques heures l'air de leurs effluves, et marquée par la disparition des livres donnant lieu à de grands feux, autodafés rappelant de tristes souvenirs. La narratrice semble se satisfaire de cette disparition alors même qu'elle est romancière. Je crois que sa nature placide m'a un peu gênée. Certes on sent qu'elle se pose plus de questions que les autres habitants, mais elle accepte aussi la disparition des romans avec beaucoup de facilité. Je n'ai pas été convaincue par cette acceptation si rapide.



Certains chapitres du livre sont dédiés à l'histoire que la romancière est en train d'écrire. Une histoire là encore sur le thème de la disparition progressive, sur la soumission, très impressionnante, dont la fin, tout comme la réalité, semble inéluctable. Elle s'insère avec subtilité au récit.



Questionnement sur l'adaptation de l'homme à toutes les situations même les plus extrêmes (étonnant de voir comment les gens s'adaptent naturellement à la disparition progressive de leur propre corps), sur la justesse de la révolte qui sort vainqueur de ce récit contrairement à la majorité qui suit aveuglément et fait confiance jusqu'à sa propre disparition, sur le rôle et l'importance d'entretenir les souvenirs, fondement même de notre humanité…la façon d'appréhender ce roman est multiple mais pas captivante j'ai trouvé. C'est un livre qui met mal à l'aise certes mais il n'arrive pas à être passionnant au point de nous faire oublier le message que veut distiller l'auteure.



Finalement, plus que le récit et le message de ce livre, c'est bien la plume de Yoko Ogawa qui m'a charmée. Elle sait rendre compte de sensations infimes, de sons, de perceptions, avec beaucoup d'élégance, de subtilité, d'imagination et de beauté.



« Aucun pétale n'était encore flétri. Bien au contraire, sans doute à cause de la fraîcheur de l'eau, ils paraissaient encore plus frais et brillants.

Et leur parfum, mélangé à la brume matinale qui flottait au-dessus de la rivière, était presque irrespirable. Il n'y avait que des pétales à perte de vue. En remontant mes mains, j'avais aperçu pendant un instant la surface de l'eau, mais d'autres pétales étaient aussitôt venus les recouvrir. On aurait dit qu'ils descendaient vers la mer, comme hypnotisés.

J'ai replongé dans le courant mes mains couvertes de pétales. Il y en avait de toutes sortes : au bord ondulant comme des fronces, à la couleur pâle ou foncée, d'autres qui étaient encore attachés au calice. Ceux-là s'accrochaient un moment au rebord de briques du lavoir, avant d'être entrainés à nouveau par le courant où on ne les distinguait plus des autres ».



Un livre original, superbement écrit, sur les effets insidieux de l'effacement des souvenirs (cette partie-là m'a beaucoup plu), sur les risques de suivre aveuglément les diktats d'un régime totalitaire (cet aspect-là m'a paru plus artificiel), avec lequel je suis restée quelque peu en retrait. M'est d'avis que la cristallisation secrète d'un livre c'est précisément de savoir distiller des messages sans même que le lecteur ne s'en rende compte. C'est justement ce que je reproche au livre. Subjuguée en revanche par une plume d'une belle élégance.

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La Formule préférée du professeur

Waouh !!! J'ai des étoiles plein les yeux et de la joie plein le coeur. Quelle magnifique découverte !

2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, 23, 29, 31... ainsi démarre la farandole des nombres premiers

3,141592653589... transcendant, irrationnel, je fais de grands yeux ronds

2,718281828... ça y est : je m'envole vers l'étoile du berger

i si petit, m'emmène dans l'immensité de l'imaginaire

Mais dans la formule du professeur c'est

le 0 qui est le plus beau !



Concision mathématique n'est pas dureté

Mais harmonieuse beauté



La rencontre magique d'un vieux professeur, d'un petit garçon de 10 ans, d'une maman et d'un joueur de base ball portant le numéro 28, un nombre parfait.

Parfait comme ce petit livre qui dans mon firmament vient rejoindre pas moins que la planète du Petit Prince.



Tant de leçons de vie, ode à la curiosité, à la persévérance et à la générosité.
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La Formule préférée du professeur

Additionnez un ancien docteur d'université spécialisé dans la théorie des nombres de soixante-quatre ans, une aide-ménagère mère célibataire approchant de la trentaine, son fils écolier de dix ans.

Sans liant, vous obtiendriez un huis-clos grumeleux, à la consistance molle, sans grande saveur !



Retranchez la mémoire du professeur - bloquée en 1975 à la suite d'un accident de voiture et dont l'autonomie est de quatre-vingts minutes, pas une de plus.

Le mélange devient légèrement astringent.



Incorporez délicatement patience, endurance, attention à volonté et une pincée d'amour essentiel jusqu'à ce que l'huis-clos se raffermisse grâce à la confiance que mère et fils parviennent à instaurer progressivement.

( Je ne peux vous révéler comment l'amnésie est mise sous contrôle, il faut bien sûr observer l'alchimie en cours d'élaboration...)



Décorez ensuite avec des chiffres, des formules mathématiques décortiquées.

Servez avec un coulis de base-ball.



Vous obtenez alors une magnifique histoire à l'arôme subtil de tendresse, qui réussit ce tour de force, cerise sur le gâteau japonais, de faire apprécier la beauté cachée des mathématiques. Une réussite !
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Les tendres plaintes



Tokyo. Pour s’extirper d’une vie dont elle est absente, Ruriko s’enfuit pour rejoindre le chalet familial.

Ici, dans cet environnemental, tout est vivant. La forêt bruisse, les murs se racontent, les instruments vibrent, l’air et l’eau, l’hiver et la neige, les sons, cette latte de bois qui geint sur la terrasse et révèle tous ces flous du passé, la famille, la jeunesse et les jeux, les frères et les sœurs, les cousins...

Un soir que Ruriko est alertée par des coups frappés à la porte, des cris stridents et répétés, elle s’échappe par une porte dérobée à l’arrière de l’habitat. Et, en pleine nuit dans la forêt mouvante, elle court parmi les ombres. Mais le danger est au-devant plutôt qu’en arrière. Ce n’est qu’un jeune homme éméché, qui, ayant trop bu tambourine à la porte d’une maison qui n’est pas la sienne. Tandis que Ruriko vole dans les bras de Nitta, il la reçoit avec toute la tendresse, la douceur dont il est enclin. Soignant ses pieds blessés, coupés par des herbes folles et la comblant à mesure de sa demande. Elle, qui fut privée si longtemps d’attention auprès d’un mari violent et dispensant ses élans ailleurs.

Mais, même si Nitta est aimant, il partage un amour plus fort encore avec Kaoru. C’est une complicité de tous les instants, une gestuelle, un langage et une expression dont sera étrangère à jamais, Ruriko. Elle le découvre lorsque Nitta est à la fabrique des clavecins. Quand Kaoru joue ‘’les tendres plaintes’’ et que corps et âme, tous les deux, ils se vouent à leur passion. De la création instrumentale à l’édification du clavecin né de leurs mains, jusqu'à la naissance du son.

Et quand les doigts de Nitta effleurent avec sensualité toutes les parties de cet instrument, dont aucun des recoins ne lui échappe, Ruriko est troublée.

Elle s’émeut parce qu’elle rêve que ses mains parcourent son corps, à elle. Il n’est pas un endroit de sa peau qui ne crie cette pulsion, ce besoin. Toutes ces années de vide, de non-vie. Et quand cette nuit d’amour avec Nitta se rappelle à son souvenir, elle n’aura plus d’écho. Au moment des ébats, lors de leur seconde étreinte, l’image de Kaoru se fixe et envahit l’instant. Dans un halo de lumière, la jeune femme lui intime cruellement qu’elle occupe la première place auprès de Nitta.

Et puis, il y a Dona. Le baveux, l’affectueux, le généreux qui remue la queue. Il est au cœur de l’histoire, en notre compagnie. Celle que lui prête l’auteure en l’associant au trio. Toute une réalité affective, de celle que partage généralement l’ami de l’homme, en présence. Cela va des caresses qu’il s’auto-prodigue lui-même en se frottant à une jambe ou en reposant sa tête sur des pieds avenants, laissant ça et là, un mince filet de bave. Ce regard expressif et tendre qu’il projette en toute circonstance, y compris, quand piteux, il s’éloigne, nécessiteux et atteint de cécité ou poitrinaire s’époumonant. On viendra chacun son tour lui verser, qui une goutte de lait dont-il se pourléchera les babines en couinant en guise de remerciement, ou réajuster sa couette dans son panier.

Puis, un jour, Kaoru et Nitta sont prosternés devant le résultat de leur travail. Un travail de longue haleine, un travail qui a demandé beaucoup de temps et de soins. Ayant construit de concert, un clavecin dont le son est défectueux, ils vivent ensemble cette situation comme un échec, voire comme une tragédie. Tandis qu’ils se consacrent alors à une sorte de cérémonial en brûlant le clavecin, banni de toute destinée possible, Ruriko arrive et comprend qu’en aucun cas, elle ne pourra de près ou de loin s’immiscer dans leur intimité.

Désespérée, elle s’enfuit alors en courant avec Dona qui, en bon éclaireur la précède et la mène dans une plaine, auprès d’un arbre au tronc creux, dans lequel, doucement, elle s’introduit pour penser à Nitta. Sans le savoir, elle se trouve dans un lieu bien connu de lui. Son lieu de prédilection, un endroit mis à découvert par Dona où curieusement, Ruriko s’imagine qu’il viendra la rejoindre. Elle y pense si fort et même de toutes ses forces. Un peu comme le font de jeunes adolescents rêveurs. Mais Nitta ne viendra pas. Et, à y bien réfléchir, ne sont-ce pas toujours les femmes qui introduisent les conditions et les circonstances propices à la réunion de deux êtres ? Nitta la reçoit et l’aime sans compter, mais uniquement lorsqu'elle vient à lui. Jamais, il ne s’improvisera de lui-même, en quelque partition où l’amour eut pu se jouer.

Et quand, une ultime fois, Ruriko entend jouer la douce mélodie qui résonne en son cœur, ‘’les tendres plaintes’’ d’un amour impossible, ses mains comme des notes courent sur le corps de Nitta, chaque muscle et chaque veine de sa peau vibrent et s’animent...

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Parfum de glace

Régulièrement mis au parfum de la qualité d’écriture de Yōko Ogawa par les critiques élogieuses lues ici et là, il y avait peu de chance qu’une première incursion dans l’œuvre de l’auteure nipponne me laissât de glace.



“Parfum de glace” publié en 1998 ne m’a pas déçu, tant s’en faut !



Le personnage central de ce roman, Hiroyuki, est un être aux talents multiples qui depuis tout petit impressionne son monde par ses aptitudes intellectuelles et artistiques. Sans jamais se départir d’une modestie de bon aloi, il suit obéissant les recommandations d’une maman quelque peu castratrice toujours à ses côtés dans les concours de mathématiques de renommée internationale.

Il aurait, sans nul doute, pu devenir un grand mathématicien courtisé pour son savoir ou un des tout premiers patineurs avec ses pirouettes à n’en plus finir. C’est pourtant le métier de parfumeur qu’il a choisi, lui qui à trois ans reconnaissait et nommait, seulement à leur senteur, les dizaines de fleurs de la serre de son papa.



Alors que commence “Parfum de glace”, la narratrice, Ryoko, apprend le suicide de Hiroyuki par empoisonnement, le lendemain de leur première année de vie commune. La veille elle a reçu des mains de celui qu’elle aime, un parfum de sa composition intitulé “Source de mémoire”.



C’est une enquête toute en émotions contenues, une immersion bouleversante dans le passé du défunt, que propose au lecteur Yōko Ogawa. En même temps que la narratrice qui se donne les moyens de comprendre le pourquoi du drame, le lecteur plus d’une fois s’interroge : connaissons-nous vraiment les êtres de notre entourage ? la part d’ombre qui protège tout un chacun ne masque-t-elle pas souvent une blessure aussi profonde qu’insoupçonnée ?



Voici un petit livre non dénué d’onirisme et à la prose limpide dans lequel on voyage alternativement et avec plaisir de la campagne japonaise à la ville de Prague où bascula un jour le destin d’un adolescent surdoué !
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Petits oiseaux

Singulier roman japonais de la célèbre Yoko Ogawa qui paraît ce mois-ci, éloge original de la différence où deux frères ont peu à peu organisé leur vie à l'écart du monde. Il faut dire que l'aîné parle une langue que seul son cadet parvient à comprendre, proche du langage des oiseaux que même leurs parents avaient renoncé à appréhender.

Imaginez les difficultés quotidiennes pour s'intégrer au monde des humains, et simplement communiquer. Même si le cadet sert de courroie de transmission avec le monde extérieur à leur " nid " après la mort de leurs parents, leur singularité les isole, leur vie simple et répétitive laisse peu de place à l'imprévu qui immédiatement perturbe leur fragile équilibre.

C'est le côté peu attrayant à première vue du roman, difficile en effet de se passionner pour des vies d'une telle immobilité, presque passives en apparence. Je déplore un rythme un peu trop lent, même s'il est indissociable de l'histoire.

Heureusement, Yoko Ogawa a le don d'emprunter des chemins de traverse et d'insuffler une douce sensibilité là où il semble n'y avoir que bien peu de chose tout en comblant les creux avec de formidables trouvailles, à l'image de ce creux laissé par l'aîné dans le grillage du jardin d'enfants à force de côtoyer les oiseaux qu'il aimait tant.



Vivre en marge ne signifie pas ne pas vivre, juste vivre autrement.



Observer et communiquer avec les oiseaux, nettoyer la volière d'un jardin d'enfants, lire des livres sur les oiseaux et tenter de percer leurs mystères, et même s'essayer au chant des oiseaux sont autant d'occasion de se laisser enchanter par la puissance d'évocation du langage poétique de Yoko Ogawa, langage qui s'écoute dans ce roman plus qu'il ne se lit finalement.

Les sons, les chants et les bruits tissent avec talent la trame de cette histoire insolite, peut-être pas la plus représentative de l'univers onirique et si particulier de l'auteur habituellement, mais une belle parenthèse poétique et une réflexion originale.
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Petits oiseaux

Thui thui thui thui thui thuiuuu…



Tu entends cette petite musique qui vient des collines. Un moment de bonheur, simple et bucolique, le chant de cet oiseau à lunettes. Que j’aime ce chant à mon oreille. Et malgré tout qu’il m’est difficile de te parler de ce roman qui m’a profondément ému. D’une grande tristesse, mais une belle tristesse. De celle qui donne encore foi à l’espèce humaine. De celle qui prouve que certains hommes sont encore pourvus d’une âme humaine.



Ce chant d’oiseaux résume la vie de ces deux frangins, inséparables comme un couple d’oiseaux. L’ainé, lui, ne connait que le langage « pawpaw », celui des oiseaux. Il les observe, il les imite, il les aime. Il est oiseau. Le frère cadet est le seul à comprendre le langage de son frère. De là naitra une relation quasi fusionnelle entre les deux frangins. Et il deviendra, pour une génération d’enfants, « l’homme aux petits oiseaux », même – et surtout – après la mort de son ainé. Quelle belle histoire, magnifiée par la plume de Yoko Ogawa. Si triste mais si magnifique.



Dès les premières pages, je me suis retrouvé envahi par la tristesse des scènes et la mélancolie des deux frères. Putain, que c’est beau, me dis-je à chaque page tournée. Et à chaque reprise de lecture, je gardais ce même état d’esprit, enchanté et apaisé par le chant de ces petits oiseaux, aussi subtil et différent que le bruissement d’ailes des papillons ou les discussions effrénées d’une cigale.



Ce roman est si beau qu’il touche le sublime. Je ne suis peut-être pas objectif tant les histoires de Yoko bercent mes souvenirs de lecteurs, mais avec ces « petits oiseaux » j’ai eu le sentiment de toucher la profondeur de son âme et de celles de ces deux oiseaux, anonymes ordinaires dans une ville, écoutant le chant des oiseaux et suçotant une vieille sucette au goût acidulé. Quelques pages pour bouleverser mon âme, d’une intense beauté.
Lien : http://leranchsansnom.free.f..
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La grossesse

« ... j’ai oublié de la féliciter.

Mais au fait, doit-on se féliciter de la naissance d’un enfant entre ma sœur et mon beau-frère ? J’ai cherché le mot « félicitations » dans le dictionnaire... J’y ai trouvé la définition suivante : « compliment pour fêter un événement heureux ».

« Cela n’a aucune signification en soi », ai-je murmuré en suivant avec le doigt la ligne de caractères qui ne présageait absolument rien d’heureux. »



Rien ne lui échappe de la grossesse de sa soeur. Vivant sous le même toit qu'elle et son beau-frère, elle a tout le loisir de les observer comme elle le ferait de rats de laboratoire. Ainsi, sans affect pour sa soeur et avec un réel agacement vers son beau-frère, la narratrice décrit les nausées, l'intolérance aux odeurs, la prise de poids — toutes choses naturelles, vécues comme un supplice par la parturiente et son mari.



C'est un vrai bonheur de retrouver, dans ce court roman couronné par le prestigieux prix Akutagawa, le ton distancié de Yôko Ogawa pour rendre compte d'évènements de la vie quotidienne. Un ton particulier et une ambiance feutrée où des choses sont dites sans fioritures, et avouons-le avec une perversité certaine. Remarquable.



Challenge MULTI-DÉFIS 2018

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La Formule préférée du professeur

Je vais tâcher ce soir de trouver la bonne formule pour vous dire tout le bien que je pense de ce roman et des mathématiques.

Soit un ensemble composé de trois éléments : a, b et c, figurant trois personnages jetés dans l'espace-temps d'une même histoire. Deux personnages a et b sont une aide-ménagère et son fils de dix ans passionné de base-ball, tous deux situés sur un même segment de droite, un segment de vie. Sur un autre segment éloigné, figure un troisième personnage que nous appellerons c, un mathématicien sexagénaire qui lui aussi possède sa propre histoire. Un accident de voiture a réduit l'autonomie de sa mémoire à quatre-vingts minutes. Et voilà que les deux segments se croisent un jour ! En mathématiques, on appelle cela une intersection. Dans les romans d'amour, on appelle cela un coup de foudre. Ici, ce n'est pas un roman d'amour, cependant ces deux lignes de vie qui se croisent subitement, vont former un triangle abc et construire ainsi une nouvelle histoire, bougeant les trajectoires initiales.

Vous me direz que je manque de romantisme en décrivant les choses ainsi. Mais la vie romantique a souvent emprunté des métaphores aux mathématiques. Ne parle-t-on pas de de triangle amoureux ? N'avez-vous jamais eu envie de prendre la tangente ? Et que dire de cette belle inconnue perdue dans une équation presque insoluble ? Et dans ce « presque », il y a sans doute des problèmes, des ellipses, des variables, des probabilités, des relations, des combinaisons, des constantes, des conjectures, des propositions, l'absurde comme démonstration, les limites, l'infini...

Le vieux mathématicien est ce que l'on appelle une personne dépendante, du fait que sa mémoire ainsi restreinte dans un espace de quatre-vingts minutes, limite considérablement son autonomie et nécessite les services d'une aide-ménagère. Jusque là tout va bien, sauf qu'à chaque matin, la jeune aide-ménagère doit de nouveau se présenter. C'est comme une histoire qui recommence à chaque fois, à chaque lendemain, c'est comme une récurrence... L'homme, visiblement surdoué, est enfermé dans ses raisonnements, ses travaux qui se poursuivent pour tenter de résoudre certaines énigmes, sa passion des nombres premiers... Oui, les nombres premiers peuvent susciter des regards vertigineux selon la manière dont on les approche.

L'aide-ménagère outrepasse un jour la mission qui lui est confiée en faisant venir son fils dans la maison du vieux mathématicien, par nécessité. Ce jour-là elle n'a pas trop le choix, l'enfant est malade et le vieux mathématicien, malgré son enfermement presque obsessionnel à résoudre des problèmes presque insolubles, insiste pour que cette venue se fasse, tout simplement parce qu'il a le coeur sur la main. En tous cas, il aide à résoudre à cette aide-ménagère un problème pratique qui lui paraissait presque insoluble ce jour-là...

Commence alors entre eux une étrange et belle relation où brusquement deux et deux ne font plus quatre... C'est le hasard, le choc des contraires... La magie des chiffres inversés...

Ce roman de Yôko Ogawa, - La formule préférée du professeur, m'a entraîné dans une magnifique histoire de tendresse, de transmission et de filiation.

J'ai été touché par la solitude de ce vieux mathématicien qui ne peut plus compter sur lui-même, son corps usé, son coeur seul, son coeur solitaire. Son univers bousculé, fracassé, est traversé brusquement par la tendresse d'un enfant passionné de base-ball.

Yôko Ogawa nous invite ici dans la beauté des mathématiques, mais oui je vous assure qu'elle existe cette beauté, même si a priori on peut s'en étonner.

Le charme caché des nombres. L'oasis des nombres premiers apparaît au détour d'un chemin.

Leur élégance.

Leur beauté absolue.

Les mathématiques sont comme une musique.

Ici Yôko Ogawa nous invite dans la fantaisie voluptueuse des chiffres et des règles. Et même si vous n'aimez pas les mathématiques, et même si vous en êtes allergiques, je vous assure que ce récit vous touchera.

Moi-même, j'ai été touché par ce professeur qui s'émeut, pleure en découvrant un chemin nouveau, improbable, dans la somme des nombres nomades qui s'invitent et se promènent dans cette histoire.

Un enfant forcément s'invite aussi dans ce dédale des nombres prévisibles et imprévisibles.

Alors, cette formule préférée, que serait-elle ?

Malgré la mémoire du professeur qui défaille, n'est-elle pas un itinéraire pour l'aider à franchir ce mur de quatre-vingts minutes, venir à un enfant, l'écouter, savoir écouter, savoir protéger, savoir transmettre... ?

N'est-elle pas un itinéraire pour venir nous toucher au coeur ?

J'ai été touché par cette histoire qui traverse avec beauté et sensibilité trois générations, se révèle comme un hymne merveilleux à la tolérance, l'écoute, le partage, la transmission.

Je ne sais pas si vous aimerez les mathématiques après avoir lu mon billet, cependant je compte sur vous...

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Les tendres plaintes

A la lecture de ce beau livre « Les tendres plaintes », je ressens profondément ce qu'offre la culture Shinto afin d'évoquer l'immuable. Ce qui est important c'est le ressenti, la sensation, une notion indéfinissable du tout, du prégnant. Oui, "La vie est courte et le désir sans fin". Délicatesse, onirisme, entrelacement secret entre douleur et douceur, sensualité, dualité entre simplicité apparente et complexité en profondeur, voilà quelques ingrédients de ce livre apaisant.



Ruriko, jeune femme tokyoïte, trompée, battue, blessée par son mari, quitte du jour au lendemain le foyer conjugal pour s'isoler dans la maison familiale, un chalet en pleine forêt. Pour mieux se concentrer aussi, Ruriko étant calligraphe et travaillant sur la biographie étonnante d'une nonagénaire. Là-bas, les sons, notamment cette latte de bois sur la terrasse qui geint ou encore le bruissement du vent, les vibrations de l'air, de l'eau et des instruments de musique, la lumière, les paysages sylvestres et montagnards, sertissent les souvenirs de jeunesse et des anciens liens familiaux.



Mais finalement cette fuite va surtout lui permettre de rencontrer Nitta et son assistante Kaoru. Nitta habite près du chalet, et tous deux se consacrent à l'art méticuleux de la fabrication des clavecins. Peu à peu vont naitre entre les trois personnages une forme de complicité, les trois, à leur manière, portent une histoire douloureuse. Trois coeurs discrètement cabossés pour lesquels le retrait, le refuge, le retour aux choses simples, les mélodies sont nécessaires. S'unir pour de tendres plaintes. Enfin en façade. Car ces plaintes sont en réalité plus violentes, envahissantes, que ne le laissent présager la politesse convenue toute japonaise ainsi que l'écriture épurée. C'est sans doute le charme de ce livre, et souvent de la littérature japonaise : nous faire deviner, en vibrations discrètes, la violence que crie l'inconscient sous l'apparat de sérénité, de calme et d'osmose. J'ai également retrouvé dans ce livre, comme dans beaucoup de livres de Haruki Murakami, l'art de dompter l'inconscient en réalisant son art (la calligraphie pour Ruriko, la fabrication de clavecins pour Nitta et Kaoru), ces gestes appris et structurants, orchestrés avec minutie et perfection, avec concentration. J'ai chaque fois l'impression moi-même de me redresser et de m'aligner à l'évocation subtile de ces gestes. Comme ceux du quotidien (cuisiner, laver, ranger), ils permettent de nous ancrer dans l'instant présent.



Le regard de Ruriko sur ces deux amis est sensuel, aussi bien sur Nitta, dont elle s'éprend, que sur son assistante : « La peau de Kaoru serait douce comme un pétale qui vient de s'ouvrir. Selon l'orientation de son visage, la couleur de ses iris changerait subtilement, chaque cheveu de sa coiffure recevrait la lumière, et nous parlerions toutes les deux en remuant les yeux. Nitta, ses longues jambes repliées, nous montrerait son dos. Il me suffirait de tendre un peu la main pour le toucher mais en réalité je n'aurais pas le courage de le faire. A la place, j'évoquerais mes bras qui avaient touché les os de son dos, le poids de son torse qui m'étouffait et la douceur obsédante de nos jambes mêlées. »

Le souvenir de ce moment d'amour ne cesse d'être présent, souvenir d'une sensualité à la fois élégante et torride, mais sans l'once de la moindre vulgarité : « Je me sentais prisonnière du désir de plonger entre ses bras moites de transpiration. Chaque fois, il me fallait le réprimer, les bras serrés fermement sur ma poitrine. Malgré cela, je me sentais sur le point d'être transpercée par le souvenir de ses lèvres et de ses doigts vagabondant sur tous mes interstices, mes cavités, mes protubérances et mes courbes ». Une sensualité qui se fera subtilement plus sauvage ensuite.





Ce livre parle de l'affranchissement aux contraintes, de notre liberté, du retour à notre moi intime. de notre droit à nous retrouver et à prendre le temps. de notre capacité à réaliser nos désirs et à écouter son corps, son cœur, son inconscient. Loin de la frénésie, des convenances. le tout serti d'une écriture poétique et ensorcelante. D'un style simple et épuré. Car la vie est courte et le désir sans fin.

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La Formule préférée du professeur

Notre personnage central, une jeune femme mère célibataire, est engagée comme aide familiale chez un ancien mathématicien aux facultés de mémoire diminuées à la suite d'un accident de voiture une vingtaine d'années auparavant.

Après quatre-vingts minutes, il perd la mémoire et on doit retisser un lien avec lui.

Lien qui se rétablit chaque fois à l'aide d'un repère mathématique, la pointure de la personne, sa date de naissance...

De nombreuses aides ménagères ont abandonné mais celle-ci reste car elle ne déteste pas réfléchir à propos des nombres, elle ressent bien la personnalité du mathématicien.

Quand il apprend qu'elle a un enfant d'une dizaine d'années, il exige qu'elle le prenne avec elle après l'école, l'aide à faire ses devoirs.

C'est une belle histoire d'amitié, de respect, de soutien mutuel qui se passe au Japon où Yôko Ogawa est installée.

Les notes mathématiques ne sont pas lassantes et quand elles sont un peu trop longues, je les ai sautées pour aller à l'essentiel mais ce n'est pas arrivé souvent.

L'écriture est magnifique, le style très clair et dans ce cas, j'admire bien sûr l'auteure mais aussi la traductrice Rose-Marie Makino-Fayolle qui sait si bien transmettre le texte original.

C'est une très belle découverte grâce à mes amies babeliotes.
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L'annulaire

Un court roman étrange et envoûtant. Une jeune femme à l'annulaire abîmé lors de son ancien travail voit une annonce de secrétaire dans un laboratoire. Ce bâtiment est un ancien foyer de jeunes filles. M. Deshimaru qui semble être le seul à travailler dans ce laboratoire n'est autre qu'un taxidermiste. Il prépare et conserve des "spécimens". Au début on a du mal à comprendre ce qu'est un "spécimen du souvenir" mais au fil du récit l'autrice nous éclaire. Difficile de continuer l'histoire sans vous dévoiler la suite.

Un roman étrange et envoûtant, où l'on sent le délire du taxidermiste et l'innocence de la jeune femme. La manipulation physique et morale se rapprochent indubitablement. A cette lecture on a le sentiment d'être dans une toile d'araignée qui se resserre peu à peu. La fin donne l'impression d'avoir loupé quelque chose ou de ne pas avoir saisi l'essentiel du récit. Mais je suis contente de l'avoir lu malgré tout car il ne ressemble pas à mes lectures habituelles. Un grand merci au lecteur de la mediatheque où je travaille de me l'avoir conseillé.

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Parfum de glace

Pourquoi un homme décide-t-il de se suicider alors qu'il vient de fêter une année de vie commune avec sa compagne la veille et que rien ne le laissait présager ?



Parfumeur talentueux, il lui a même offert le parfum composé spécialement pour elle, qu'il a nommé Source de mémoire, et qu'elle espérait secrètement.

Chagrin, incompréhension, désarroi, à ces sentiments s'ajoutent rapidement pour Ryoko l'ignorance face au passé de Hiroyuki, le défunt. La rencontre à la morgue de son frère inconnu, Akira, est le début de révélations surprenantes et insoupçonnées sur son compagnon. Il était dans sa jeunesse un génie reconnu des mathématiques et un champion de patinage : elle l'ignorait totalement, quel choc !

Très intriguée, Ryoko décide alors de mener l'enquête espérant éclairer le geste fatal de Hiroyuki à la lumière de qui il était vraiment.



Connaissons-nous jamais tout à fait nos proches ?



Ce roman de Yoko Ogawa est particulièrement réussi selon moi car il rassemble ses thèmes de prédilection, un suspens savamment distillé autour de la quête de l'identité véritable du suicidé, et une écriture claire et poétique à la fois. Un régal !

La mémoire, l'identité, le surnaturel subtil, l'attrait pour les mathématiques et surtout les fêlures de ses personnages sont ici, comme souvent, les ingrédients du cocktail concocté pour embarquer le lecteur dans son univers si particulier où réel, imaginaire et souvenir se mélangent.



Nul besoin d'extravagances, de scénarios alambiqués ; à partir de situations en apparence anodines du quotidien, de personnages à une période de rupture de ce quotidien, Ogawa, par la seule force de son imagination et de son écriture, nous entraîne à faire un pas de côté, au-delà du réel et des apparences, là où la réflexion commence évidemment. Un seul bémol peut-être, mais qui pour moi n'en est pas un : n'attendez pas une happy end ni même une conclusion. L'auteur suggère - caractéristique japonaise ? - mais ne tranche jamais, la réflexion doit aussi venir du lecteur.



Parfum de glace : de l'amour, de la tristesse, une pincée de mémoire, un zeste d'ignorance, un soupçon de nostalgie... Respirez et évadez-vous !

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L'annulaire

Dans un ancien foyer transformé en laboratoire, M. Deshimaru, spécialiste de la fabrication de « spécimens », embauche une jeune fille passée par là par hasard. Celle-ci va découvrir un univers aussi fascinant qu'inquiétant. Car la demande des clients est étonnante, et le comportement de son employeur plutôt étrange. Ce qui n'empêche pas la jeune assistante, amputée d'une phalange lors de son dernier travail, bien qu'un peu effrayée, de se rapprocher de lui...



Insidieuse et pénétrante Yôko Okawa nous plonge dans un état d'apesanteur angoissante. Chez elle la perversité n'est jamais loin qui cherche des victimes naïves pour s'épanouir. Un phénomène amplifié ici par la jeune fille ingénue qui, prenant des risques inconsidérés, recherche la proximité malsaine du naturaliste. Hélas pour elle, à ce petit jeu là, le vainqueur est souvent connu d'avance. Totalement envoûtant.



Challenge MULTI-DÉFIS 2018
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La mer

Un livre de nouvelles constitue souvent pour moi une parenthèse, un moment de respiration, surtout lorsqu'il est lu entre deux gros livres. « La mer » de la nippone Yoko Ogawa a joué pleinement son rôle d'autant que j'ai pu y retrouver la plume élégante de l'auteure et ses thèmes majeurs dont ceux de l'onirisme et de la sensualité. Ce livre fut un bain de fraicheur bienvenu.



Le point commun entre ces nouvelles, très délicates, est l'attachement. Que ce soit par le biais du temps consacré, de l'aide, du don, de l'érotisme, de l'insolite, toutes parviennent à dévoiler le mécanisme à l'oeuvre dans l'attachement à une autre personne, de façon sensible et émouvante.



Ainsi la première nouvelle éponyme, "La mer", montre comment une conversation nocturne va naitre entre deux jeunes garçons qui ne se connaissent pas grâce à un instrument fabriqué par l'un deux, le merinkin, instrument très étonnant « fait d'une vessie natatoire de baleine à bosse. La surface de la vessie est recouverte d'écailles et à l'intérieur on a fixé des cordes faites à partir d'ailerons de poissons volants. Elles sont la source de vibrations et le tremblement de l'air se transmet aux écailles ». Un instrument dont on ne peut jouer qu'en bord de mer car sans brise de mer, pas de son.



Dans « Voyage à Vienne », nous assistons à un attachement tel qu'une femme, qui voulait seulement faire du tourisme à Vienne, va se retrouver toute la durée du séjour à veiller un mourant avec une femme rencontrée lors de ce voyage organisé. Cette nouvelle est l'occasion de réflexions touchantes sur la vieillesse et la mort : « J'ai regardé à travers la pièce. J'avais l'impression que tous les malades avaient le même visage. Les légères différences de coiffure, de forme d'oreilles ou d'épaisseur des lèvres étaient absorbées par l'ombre de la mort. Ils étaient tous recouverts d'un masque identique qui avait pour nom vieillesse et qui dissimulait leur figure d'origine ».



La troisième nouvelle « le bureau de dactylographie Butterfly » est la plus sensuelle de toutes. Pour ne pas dire érotique. La plus troublante. Une jeune femme est nouvellement recrutée dans un bureau de dactylographie. Ce bureau travaille essentiellement pour les étudiants de la faculté de médecine dont il faut taper en japonais les manuscrits. Certains termes médicaux reviennent ainsi très souvent et les caractères d'imprimerie correspondants s'abiment ainsi plus vite que d'autres. Un homme de l'ombre, un étage plus bas, veille à nettoyer ces caractères d'imprimerie, à les réparer le cas échéant. La jeune femme, amenant certains caractères abimés, ne le voit jamais derrière sa vitre, elle ne devine que sa main et sa chemise bleue. Elle entend sa voix. Afin de renouveler ce contact qui la trouble complètement, elle va trouver des prétextes quitte à malmener son matériel… « Il fait courir ses doigts sur le bi blessé, sur le kô déséquilibré. Caresse les courbes, pince les protubérances, applique sa chair sur les interstices. Il souffle dessus, les réchauffe de ses lèvres, les lèche. Comme il s'attarde minutieusement sur les endroits qui manquent, on dirait que sa langue y adhère et on a presque l'illusion qu'elle ne peut plus s'en détacher. C'est pour ça que sa langue elle aussi a pris la couleur du plomb ». Cette nouvelle fait irrésistiblement monter une tension sexuelle qui n'est pas sans rappeler celle de « l'Hotel Iris » de la même auteure qui m'avait tant marquée il y a des années déjà.



Dans « le camion de poussins », un homme noue une complicité avec une petite fille, devenue muette, on le devine sans doute un peu autiste et fascinée par les carapaces issues des mues d'insectes dont elle fait don à cet homme. Elle est également très intéressée par un camion qui passe régulièrement, transportant des poussins de toutes les couleurs. Un jour, le camion se renverse sous leurs yeux, libérant ces milliers de petits êtres fragiles…évènement qui peut-être déclenchera une véritable mue chez la fillette...



Certaines nouvelles sont très courtes comme « Crochet d'argent » qui évoque le souvenir des ancêtres, ou encore « Boites de pastilles » qui montre comment un conducteur de bus scolaire parvient à consoler les chagrins des enfants.



Le livre se termine avec une belle nouvelle « le Guide », rencontre entre un vieil homme, ancien poète devenu « titreur », métier étonnant inventé par l'auteure, et un petit garçon, fils de la guide qui en connait un rayon sur sa ville. Un bel échange de savoirs et une ode à l'amour maternelle.



Le livre est empli de descriptions poétiques qui m'ont apporté beaucoup de paix : « le moment que l'homme préférait parmi ceux qu'il passait près de la fenêtre était celui qui précédait l'aube. L'obscurité se dissolvait petit à petit à partir de la bordure est du ciel qui commençait à se teinter d'une sensation lumineuse. Les étoiles s'éteignaient l'une après l'autre, la lune s'éloignait. Alors que le monde s'apprêtait à changer d'une manière aussi audacieuse, il n'y avait pas un bruit. Tout se modifiait dans le calme ».



Ce recueil de nouvelles fait la part belle aux enfants, j'ai été touchée par la façon bienveillante dont ils sont perçus et décrits : « Son nez, ses oreilles et son dos, simplement parce qu'ils étaient petits, faisaient sentir que Dieu y avait apporté un soin particulier. Ses cheveux sentaient bon. le noir de ses pupilles était si profond qu'on en aurait presque oublié qu'ils étaient là pour voir quelque chose. A la pensée que lui aussi, à l'âge de six ans, avait peut-être été comme ça, sans raison il se sentait malheureux ».



« La mer », sous la plume japonaise de Yoko Ogawa, se fait lac silencieux. Surface lisse quasi-immobile sans fracas, sans récif, sans lyrisme que l'auteure éclaire sensuellement de petites tâches de soleil, délicates lumières inattendues et étonnantes, et de tourbillons cachés dans les profondeurs, transformant l'ordinaire en extraordinaire.





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La petite pièce hexagonale

La jeune fille est assise dans les vestiaires d'une piscine quand elle voit Midori pour la première fois. Plus tard, elle la croise dans un parc alors qu'elle est en compagnie d'une vieille dame. Fascinée et attirée par Midori, en dépit de sa banalité apparente, la jeune fille suit les deux femmes jusqu'à la loge du gardien où elle devine la plus âgée entrer dans une petite pièce hexagonale. Un espace, semble-t-il, pour se raconter et oublier…



" — Cette colonne hexagonale est la petite pièce à raconter, n'est-ce pas ? Alors, qu'est-ce qu'on y fait dedans ?

— On y raconte, bien sûr, répondit-il tout net, sans rien ajouter.

— Ce que l'on aime, ce qu'on déteste, ce que l'on cache au fond de son coeur ou ce que l'on n'arrive pas à cacher, ce qui nous embarrasse, nous réjouit, des histoires du passé ou de l'avenir, la vérité ou n'importe quoi, tout est possible. On dit ce qu'on a envie de dire à ce moment-là. "



Mystérieuse et fascinante selon son habitude, avec cette courte et poétique histoire, en apparence irréelle, Yôko Ogawa introspective et psychanalytique, nous parle de mort, de solitude, de hasard et de destinée.



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