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José Augusto Seabra (Préfacier, etc.)Bernard Sesé (Traducteur)
EAN : 9782714302427
65 pages
José Corti (30/11/-1)
4.33/5   15 notes
Résumé :
“Pourquoi est-ce que l’unique chose réelle dans tout cela ce ne serait pas le marin, et nous, et tout ce qui est ici, seulement un de ses rêves ?” (p.55)

En quête d’une poétique du rêve, Pessoa situe également Le Marin au paroxysme du tragique :

“Oh, quelle horreur, quelle horreur intime dénoue la voix de notre âme et les sensations de nos pensées et nous fait parler et sentir et penser quand tout en nous demande le silence ... >Voir plus
Que lire après Le Marin : Drame statique en un tableau, édition bilingue (français/portugais)Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Le Marin, n'est-ce-pas le Fado du Marin, l'essence du chant traditionnel portugais ? Une représentation chantée de cette pièce, sur scène, serait merveilleuse. Il n'y a pas d'acte, pas d'action, c'est un drame statique, en un tableau, non animé. Il n'y a que trois voix, troublées, qui chantent cet état mélancolique, nostalgique, le vague à l'âme, cette tristesse qui nous procure du plaisir, la saudade. Le fado, étymologiquement, nous renvoie au "fatum", à la fatalité. La fatalité, c'est le temps qui passe ou le fait que nous passons, que nous mourons, d'où la présence sur scène du catafalque.

Les femmes sont insaisissables ; elles sont comparées, dans la préface, au choeur des tragédies grecques (il s'agirait bel et bien d'un chant). Il est difficile de les distinguer les unes des autres – comme si elles étaient les facettes d'un même personnage. Elles sont éthérées, leur voix transportent, elles semblent en transe. Il n'est rien dit de leur costume mais je les imagine en tenue traditionnelle de deuil, voilant leur tristesse. Leur regard s'embue, leurs souvenirs s'éloignent, s'estompent, alors elles se remémorent un passé rêvé. Un passé qui ne peut être conjugué au présent : "Ce que j'étais autrefois ne se rappelle pas qui je suis".

Quant au Marin, il n'apparaît pas. Je l'ai attendu comme j'ai attendu Godot (Beckett s'est mis au portugais pour lire Pessoa). Le Marin est rêvé par une femme et dans son rêve à elle, il rêve. Le rêve du marin : est-ce le rêve d'une femme qui s'imagine le rêve du marin, ou est-ce le rêve du marin qui s'imagine tout un monde ? Ce texte donne le vertige. Est-ce un rêve ou "l'ombre d'un rêve" ? Le Marin, est-ce Pessoa ? Et si ces femmes ont le vertige, est-ce parce que la conscience de leur non-existence, en tant qu'êtres humains, réels, les effleure ?

Article complémentaire : Pellerin Agnès, « Le fado ou l'incise du destin », La pensée de midi, 2009/2 (N° 28), p. 44-52. URL : https://www.cairn.info/revue-la-pensee-de-midi-2009-2-page-44.htm

PS : Merci à toi batbamb pour cette lecture commune, parce qu'il était grand temps que je découvre Pessoa après son abandon dans un hôtel.

PS2 : Je te conseille cette pièce babounette, à toi qui adore le fado.
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Il était une fois trois femmes-araignées. Tard dans la nuit, elles veillaient auprès de leur soeur allongée, et disposaient autour d'elle des fils de vie. Mais elles faisaient de piètres Parques. Sous leur souffle hésitant, leur ouvrage s'effilait en des points de suspension, formant « des phrases confuses, un peu longues ». Insatisfaites, intranquilles, elles offraient un triste spectacle à leur soeur immobile, et au public caché qui les regardait.

Elles avaient conscience de tout cela : « Vous ne dites que des mots ! C'est si triste de parler… ». Mais sans toiles de mots, il ne reste que le vide et la faim dévorante. Alors que pouvaient-elle faire d'autre que se remettre à l'ouvrage ?

Sous l'emprise de leur tristesse, les veilleuses tissèrent un chant mélancolique, pour attraper les rêves et les couvrir de soie. Dans le pays de Pessoa, ce chant s'appelle le fado. Une tradition aux origines incertaines, presque hors du temps, qui permet donc de ménager un espace commun susceptible d'unifier les rêveries dissemblables convoitées par les trois veilleuses. Océans contre montagnes contre forêts…

Qu'attrapèrent-elles dans leur toile unique ? Une île avec un marin et des palmiers. Ou alors un vieux château perdu dans des cimes côtières et occupé par quatre soeurs. Car c'était peut-être le marin qui rêvait et se piégeait lui-même en s'inventant de multiples identités, comme celles dont il peuplait ses villes invisibles, en attendant sans doute de les décrire à Kūbilaï Khān, à la manière du Marco Polo d'Italo Calvino. Rêver, c'est un peu comme voguer sur la mer : tout oscille et se renverse parfois. D'ailleurs on ne sait jamais qui de l'homme ou de la mer prend l'autre.

En face, le public s'impatientait. Il voulait en savoir plus sur ce marin, le voir en chair et en os. Mais ce marin n'avait-il pas toujours été là ? N'était-il pas plus réel que tout ce que l'on voyait ? Et s'il nous imaginait... ? Un démiurge à la Godot, peuplant sa solitude en inventant des gens qui l'attendent.

Ce marin inconnu nous fait dériver dans l'éternité.

Mais l'inconnu, c'est aussi la source de toutes les peurs. Voilà pourquoi le rêve devait tôt ou tard se changer en cauchemar. Peut-être les veilleuses comprirent-elles que la possibilité d'un rêveur sur son île remettait en question la réalité de leurs vies. Peut-être, par ricochet, commencèrent-elles à se rendre compte que leur quatrième soeur ne se relèverait jamais de son cercueil. Ou peut-être enfin sentirent-elles confusément ces formes face à elles dans l'obscurité, qui attendaient sans rien dire, menaçantes comme les montagnes qui compriment la mer. Une terreur indicible affleurait, contaminant les rêves : « Qu'est-ce-qui arrive aux choses qui s'accordent à notre horreur ? ». Seule la lumière du matin pourrait dissiper cette obscurité menaçant de tout engloutir. Mais les rêves survivraient-ils à l'éveil ? C'est là le genre de drame statique qui se dénoue chaque matin.

PS : la parole des veilleuses doit être encore plus languide en portugais : l'abondance d' « o » me semble favoriser la dérive.

PPS : Merci à toi Lutopie, pour m'avoir fait découvrir ce marin et sa saudade (et non pas sa dorade !) avec cette suggestion de lecture commune.
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La vie ne serait-elle que le rêve d'un rêve d'un rêve d'un rêve ? Y a-t-il un rêveur au bout de la chaîne des rêves ? Qui parle quand je parle ?
Cette oeuvre est sublime, je n'ose imaginer ce qu'elle pourrait donner sur scène.
J'ai pensé bien sûr à Beckett, mais un Beckett produisant un chant qui serait à l'âme une caresse.
Pas Beckett, donc : Pessoa.

Je laisse la parole à Lutopie et Batlamb : je ne pourrais pas dire mieux.
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PESSOA a lui-même sous-titré cette très brève pièce de théâtre « Drame statique en un tableau ». En bref : ne venez pas vous perdre ici si vous souhaitez de l'action. « le marin » présente trois veilleuses dans la pièce ronde d'un château au bord de la mer, en son centre un cercueil. Les veilleuses sont assises et échangent. « Parlons, si vous voulez, d'un passé que nous n'aurions pas eu ». Et tout PESSOA est là. Réflexions métaphysiques à la lisière de l'absurde dans un temps suspendu (le décor ne comporte d'ailleurs aucune horloge).

« le marin » est un voyage immobile, l'un de ces voyages chers à PESSOA. L'une des veilleuses préfère le nommer « Aventure intérieure » tandis qu'elles discutent de leur enfance, surtout de celle qui n'eut pas lieu. Et cette scène saugrenue, où les trois femmes parlent tant et plus pour dire qu'elles devraient se taire.

« Il fait toujours loin dans mon âme », nouvelle évocation du voyage immobile, où l'âme quitte le corps. La deuxième veilleuse évoque alors un rêve dans lequel elle a vu un marin, les deux autres l'encouragent à persévérer dans son récit alors que le jour va bientôt se lever. En quelques dizaines de pages seulement, PESSOA enchante et bouleverse.

Un texte vide, sans aucun mouvement, dans lequel rien ne se passe. Et pourtant le génie de PESSOA, pour habiller ce « rien », en faire un poème épique théâtral et polyphonique. Il fut rédigé les 11 et 12 octobre 1913 (reprit d'un manuscrit antérieur serait plus juste), six mois avant « l'illumination » du « Gardeur de troupeaux » (durant laquelle PESSOA raconte avoir quitté son corps et composé frénétiquement, debout pendant des heures, sans aucun contrôle, son recueil). « le marin parut tout d'abord dans la revue Orpheu en 1915. Nous devons la présente traduction à Bernard SESÉ, la préface très éclairante étant signée Augusto SEABRA. Il n'est pas aisé d'avoir accès au théâtre de PESSOA, écrasé par ses poèmes ou « le livre de l'intranquillité ». Pourtant, il est égal au reste de l'oeuvre, il est à découvrir. Ici ce sont les éditions José Corti qui sont à la manoeuvre, dans une publication bilingue de toute beauté, réédition de 2007.

https://deslivresrances.blogspot.com/
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Je regardais la mer et j’oubliais de vivre, je ne sais si j’étais heureuse. Je ne serai plus jamais ce que peut-être je n’ai jamais été. Le passé n’est rien d’autre qu’un rêve. D’ailleurs, j’ignore même si tout n’est pas un rêve. Si j’examine attentivement le moment présent, il me semble qu’il est déjà passé.
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Au bord de  la mer, on est triste quand on rêve. Nous ne pouvons pas être ce que nous voulons être, car ce que nous voulons être, nous voulons l’avoir toujours été dans le passé… Quand la vague se brise et que l’écume pleure, on dirait qu’il y a mille voix minuscules qui parlent. L’écume ne semble fraîche qu’à celui qui la croit une. Tout est multiple, et nous ne savons rien… Voulez-vous que je raconte ce que je rêvais au bord de la mer ?
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C’est ailleurs seulement que la mer est belle. Celle que nous voyons nous donne toujours la nostalgie de celle que nous ne verrons jamais…
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Au lever du jour, les rêves s’endorment.
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Vidéo de Fernando Pessoa
En librairie le 2 juin 2023 et sur https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251454054/comment-les-autres-nous-voient
Après Chronique de la vie qui passe, le présent volume vient compléter l'édition des Proses publiées du vivant de Pessoa telles qu'elles avaient été présentées au public français dès 1987 par José Blanco, l'un des meilleurs spécialistes du grand auteur portugais.
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