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Andrej Ustinov (Éditeur scientifique)Bernadette Du Crest (Traducteur)Susan Sontag (Préfacier, etc.)
EAN : 9782020788250
216 pages
Seuil (11/02/2005)
3.98/5   24 notes
Résumé :
La littérature de la seconde moitié du XXe siècle est un terrain maintes fois exploré : y découvrir quelque chef découvre oublié, dans l’une des grandes langues ratissées avec tant de zèle, semble pour le moins improbable.
C’est pourtant ce qui m’est arrivé à Londres, il y a une dizaine d’années, alors que je fouillais un casier de vieux livres de poche défraîchis devant une libraire de Charing Cross Road. Oui je tiens Un été à Baden-Baden pour l’un des œuvre... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Je ne me souviens plus exactement ce qui m'a poussé à vouloir lire ce roman, j'ai arpenté beaucoup de librairie sans le voir sur les étals, je voulais qu'il soit une évidence, là caché derrière un Dostoïevski, un Pouchkine, ou un Vladimir Sorokine, le découvrant pour avoir cette surprise, je fus contraint de le commander dans ma librairie indépendante. Puis il resta là dans ma réserve surabondante de livres entre Guéorgui Gospodinov et sa Physique de la mélancolie et Alexandre Soljenitsyne et le premier cercle, un peu loin Souvenirs de la maison des morts, cette partie littéraire Russe qui m'attend, en veille comme beaucoup d'autres romans, Un été à Baden-Baden de Leonid Tsypkin s'invite à ma lecture, une évidence du moment, sa première de couverture est le portrait de Dostoïevski, cet homme torturé immaculé de ce regard perdu, comme celui suppliant Anna à genoux, ou celui du joueur perdant au casino, ou d'un russe ciblé de dettes au passé de bagne, accablé par le poids de son pays et sa résonnance sourde aux occidentaux, Stefan Zweig aura les mots pour décrire pleinement ce visage dans son livre Trois maîtres. Léonid Tsypkin tiraillé entre médecine et littérature dans une Russie à la censure féroce, naissant en 1926 de parents juifs, vivant l'invasion Allemande et cette purge, une vie de dualité vivace, entre ces deux doctorats, son travail de recherche, réalisant le vaccin antipolio pour l'Union Soviétique et sa passion littéraire, poétique , celle de l'écriture devenu une passion dévorante, n'osant se faire publier dans une Soviétique refermée sur elle-même, gangrénée dans une politique anti-occidentale, Leonid Tsypkin aura la chance de son vivant d'être publié une semaine, Un été à Baden-Baden, paru le 13 mars 1982 dans un hebdomadaire New-yorkais, le Novaya Gazeta, pour immigrés russes, grâce au effort d'un journaliste Azary Messerer, un ami, le manuscrit était accompagné de nombreuses photos, illustrant la prose du récit. Mourant le 20 Mars 1982 d'une crise cardiaque, ce docteur restera un auteur russe prisonnier de son pays, ayant eu cette liberté éphémère d'être comme son Maitre écrivain, il n'a pas réussi à obtenir de visas pour sortir de la Russie, au contraire de son fils et de sa femme, ce fils lui annonçant la publication de son roman, Un été à Baden-Baden.
La lecture de ce livre est un voyage incroyable dans le monde si fragile de la vie de Dostoïevski, de son oeuvre, de ces personnages, de sa femme Anna, de tout ce qui gravite auteur de l'auteur Russe et de aussi de ce fantasme, ou plutôt de cette transpiration de l'esprit, une évaporation de l'imaginaire, une hallucination inextricable entre l'entremêlement autobiographique de Leonid Tsypkin et celle romancée de Fédor Dostoïevski ou coulent lentement dans ce décor les personnages de ces romans et ces lieux qui hantent l'atmosphère Russe qui couronnent ces futurs chef-d'oeuvre. Dans la préface Susan Sontag tente de définir la place de ce roman, n'étant pas une fantaisie au tour de Dostoïevski comme Maitre de Pétersbourg de J. M. Coetzee, ou comme sais le faire Irvin Yalom dans divers de ces romans comme Et Nietzsche a pleuré et le problème Spinoza, ce n'est pas un roman documentaire au sens propre, c'est surtout ce double récit, avec ce sens autobiographique des détails et romancé de son Maître Dostoïevski et la sienne, débutant dans un train, l'un va à Baden-Baden avec sa jeune femme Anna, et l'autre, notre auteur Leonid Tsypkin va à Leningrad avec en main le Journal 1867 d'Anna Grigorievna Dostoievskaia, emprunté dans la bibliothèque de sa tante. Ce vagabondage de lecture du Journal dans ce train, entraine le narrateur vers une échappée lyrique sur les pas de notre Fédor Dostoïevski, mariée à la jeune Anna Dostoievskaia, sténographe de métier, qu'il engagea pour la rédaction de son roman le Joueur, paru en 1866, qu'il dictat dans l'urgence en 27 jours pour honorer un contrat douteux, vénale avec l'éditeur crapuleux Stellovski. le couple Dostoïevski s'évapore dans une écriture prolixe, à la manière de Proust, des envolées magnifiques, où le narrateur comme prisonnier d'un manège de sensation forte , subit le plaisir de cette narration à la poupée Russe, le je du narrateur s'effrite à celui du couple, ou à un personnage fictif d'un de ces romans, ou celui réel qu'a rencontré Fédor Dostoïevski, c'est une vague douce qui vous emporte lentement vers l'horizon , au fil de de la lecture, cette vague gonfle pour vous submerger de sa puissance, sans vous en rendre compte vous voilà dans perspective Nevski, soudain apparait le major Krivtsov, puis des juifs dans l'immeuble Olonkine, un tableau La Madone Sixtine, c'est comme un songe qui s'entremêle dans les couloirs de le pensée, les routes sont multiples, et tout est un signe faisant référence à une aspérité Dostoïevskienne, une virgule du passé venant apaiser l'instant pour reprendre sa respiration et regarder le tableau qui se peint sous la plume de Leonid Tsypkin, des mots choisis pour faire ce collier de perles souvenirs, d'anecdotes, de moments inventés à la faveur de faits précis et justes, ces phrases sont des trains vers des destinées sibériennes, sans fin , pas toutes vers ces Goulags où s'est perdu Fédor, pendant 4 ans à Omsk, ayant subi la terreur de ce Major Krivtsov , qu'il relate dans une lettre à son frère Mikhaïl, 22 février 1854 :
« Mais le major de place de Krivtsov était un gredin comme il y en a peu, barbare, maniaque, querelleur, ivrogne, en un mot tout ce qu'on peut imaginer de plus vil. »
Le regard du major hante Dostoïevski, même dans les bras d'Anna, dans un musée face à un tableau, jugé sur une chaise, ce pouvoir de défiance, sous la plume du docteur, cette obsession de braver ce visage de l'oppresseur et de le briser. Il y a dans cet homme, un passé le rongeant de l'intérieur et de l'extérieur, son esprit ne laisse pas en paix, entre sa folie du casino, l'amour conjugale de sa femme Anna, les démons dévorant la conscience de Fédor, voyant le cercle d'ami de Pouchkine, le montrant du doigt, son corps le torture de crise spasmolytique et d'hémorragie intérieure, crachant du sang, de l'écume se formant autour de ces lèvres, Leonid Tsypkin narre avec fragilité, la santé mentale de l'auteur de Crimes et Châtiments, son dévouement à sa femme, leur rencontre, leur passion nocturne, dans une nage amoureuse tumultueuse, les passages de ce couple toujours sur le fil, avec cette faiblesse de Dostoïevski, se faisant pardonner régulièrement de sa jeune femme de 27 ans de moins, souvent à genoux, lui baisant de baiser les mains, ou les plis de sa robe et la couverture de son lit, malgré ces crises de jalousie et de démences éphémères, Dostoïevski aime sa femme, le couple se balade dans cette ville d'eau Allemande, au bord du Rhin, dans les hauteurs, Dostoïevski s'extasie d'un crépuscule,
« …le soleil couchant éclairait la montagne, le Château-Vieux et le Château-Neuf…il était rare de voir éclairés en même temps les deux châteaux et le sommet de la montagne ; »
Leonid Tsypkin est un grand admirateur de Dostoïevski, malgré semble-t-il son antisémitisme, lui Juif, l'ayant subi cette discrimination, se cachant dans un asile psychiatrique, certain membres de sa famille mourant dans le ghetto de Minsk durant l'invasion allemande en 1941, ce côté sombre de l'auteur Les Pauvres Gens, au coeur noble pour les opprimés, si sensible à la souffrance humaine, notre docteur a cette réflexion d'ambiguïté, cherchant à découvrir dans la charité de son coeur, cette particularité Dostoïevskienne sur les juifs, qui les assimilant à une tribu et non à un peuple, pareil à des sauvages, il y a une attirance de la comité Juive pour la littérature Dostoïevskienne, la disséquant, considérant cette attirance comme un acte de cannibalisme.
Lorsque le voyage prend fin, le couple quittant Baden-Baden, laissant beaucoup de regret pour cet argent perdu au casino, Fédor aimant perdre, comme une jubilation, sentir sur lui toute la folie, à défaut de gagner, usant des stratégies, sur le chiffre 7, ce fétichiste à la limite ridicule, comme une chute qui élève l'esprit vers une sérénité, l'obligeant à mettre en gage des affaires intimes de sa femme, ce magnétisme du jeu , fragilisant son couple, Anna restera une femme en équilibre, entre larmes , rire, sévérité, ignorance, taquinerie, elle arrivera toujours à faire revenir son mari vers elle, ce couple si beau dans les diversités qui les opposent pour les unir encore plus, Anna si forte et notre Fédor dans une faiblesse qui le tiraille. Lorsque la soeur de celui-ci tente de lui faire renoncer à l'héritage d'une tante au profit de ces soeurs, Anna est là s'accrochant au mat qu'est son mari pour qu'il résiste à la fourberie de cette famille, profitant de la faiblesse de son frère dans une charité presque mystique et religieuse, cette scène établit bien la force de cette femme si jeune, qui jusqu'au bout restera la femme fidèle et aimante lorsque Dostoïevski mourra dans son costume, consumé par une hémorragie interne dans son appartement à St Pétersbourg le 9 février 1881. Ce passage de l'agonie de Dostoïevski est presque cérémonial, dans ce logement où s'invite des convives étrangers, Anna au chevet de son mari pour l'accompagner vers cette mort certaine, je n'oublie pas l'un de mes premiers romans lu, au moment de mon bac, Les derniers jours de Charles Baudelaire de Bernard-Henri Lévy, cette atmosphère oppressante que j'ai retrouvé dans les mots de Leonid Tsypkin lors de cette scène.
Le roman se termine dans les rues de cette ville où mourut Dostoïevski, flânant Leonid Tsypkin dans la rue Iamskaïa, visitant son appartement musée ou des lieus attachés à son nom, s'interroge de cette obsession pour cet homme qui méprise ce peuple qui est le sien, pour retrouver sa famille et écouter des souvenirs de 1937 et de ce blocus, laissant derrière lui Un été à Baden-Baden, un magnifique roman, héritage de son Maître, pouvant ne pas rougir de son art, une prose captivante, un style propre, un trame explosive aux multiples ramifications, je confirme l'avis de Susan Sontag dans sa Préface.
« Un été à Baden-Baden pour l'une des oeuvres les plus belles, les plus exaltantes et les plus originales de son siècle en matière de récit et de fiction. »
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Curieuse destinée que connu ce roman, dont le début de la publication précéda de quelques jours à peines le décès de son auteur, et sauvé de l'oubli par le plus grand des hasards!

On partage la vie de Dostoievski à l'étranger, avec Anna, sa seconde épouse, qui fut à l'origine sa secrétaire pour la prise en sténo du roman le Joueur. Épileptique, de nature torturée, à l'amour propre maladif et bafoué, brisé par son expérience du bagne et de la relégation, il brûle de la fièvre du jeu, talonné par l'aiguillon de la misère, méprisé par l'intelligentsia pétersbourgeoise occidentaliste avec à sa tête Tourgueniev, Gontcharov, Bielinski, Nékrassov et Panaïev; Dostoievski semble un être sortit tout droit de ses propres productions littéraires.

En une prose incroyable par son pouvoir hypnotisant, méandreuse, comme une longue phrase qui n'en finirai pas de dérouler son cours majestueux et serein, puis brusquement interrompue par d'incessants va-et-vient entre différentes épisodes de la vie du génial écrivain russe et le présent soviétique du narrateur, dans le train qui le mène à Léningrad (actuelle Saint-Pétersbourg), sur les traces du visionnaire apocalyptique, et plongé dans la lecture du journal intime d'Anna, Leonid Tsypkin enjambe l'espace et le temps, jonglant avec les points de vue narratifs, et crée une oeuvre où l'histoire littéraire, l'autobiographie et la fable sont indissolublement mêlées. Magistral.
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J'ai découvert ce livre complètement par hasard. En cherchant des informations sur Susan Sontag, les moteurs de recherche m'ont proposé Un été à Baden-Baden de Leonid Tsypkin, un roman pour lequel la romancière a écrit une préface. Sur la quatrième de couverture on peut lire ses mots : On sort d'Un été à Baden-Baden purifié, secoué, fortifié. Je l'ai acheté et lu aussitôt. Et comme je pense que vous devriez faire de même, je voudrais vous en raconter un peu plus dans ce billet.

Leonid Tsypkin (1926-1982) était un écrivain et médecin russe. Je mets d'abord « écrivain » car c'était ce à quoi il a toujours aspiré, mais la situation dans son pays ne le lui a pas permis. En effet, sa famille a été, comme tant d'autres, balayée par la grande Histoire. Les purges, la Seconde Guerre Mondiale, l'antisémitisme, l'impossibilité d'exercer le travail de chercheur (comme réponse à l'émigration de son fils), l'absence d'autorisation à quitter le pays… Par crainte d'être poursuivi, Leonid Tsypkin a écrit pour lui et sa famille et n'envoyait pas de manuscrits aux éditeurs. Il est décédé 7 jours après avoir été publié grâce à son fils vivant aux Etats Unis. On apprend beaucoup de choses dans la préface qui est tout simplement passionnante. Susan Sontag se penche non seulement sur la vie de l'auteur, mais aussi sur son style d'écriture (ce qu'elle appelle la phrase tsypkinienne).

L'écriture de Tsypkin. En quoi est-elle si particulière ? Des phrases très longues, où les points font place à de nombreuses virgules ou points-virgules. Dans une seule phrase, le lecteur passe d'un sujet à l'autre, mais change aussi d'époque ! Décrit de cette façon, ça peut paraître troublant, mais la lecture est étonnamment fluide. On plonge tout simplement dedans et on se laisse porter. J'ai beaucoup aimé.

L'histoire est toute simple à la base mais d'une grande richesse. On suit deux fils : la vie de Dostoïevski et de sa femme (surtout leur séjour à Baden-Baden) et les observations et réflexions du narrateur qui voyage sur les traces de cet écrivain russe. Tsypkin mélange ainsi habilement la fiction (même s'il s'est scrupuleusement documenté et tous les faits sont conformes) et l'autobiographie. Il a réussi admirablement à donner du souffle à ce couple et à leur époque, je relisais certaines descriptions avec délectation. En lisant les derniers jours de Dostoïevski, on retient son souffle.

Souvent, une lecture en génère une autre. Outre les titres qu'on note après avoir lu la préface (par ex. Pasternak ou Grossman et son livre « Confession d'un Juif » qui paraît être malheureusement épuisé), une fois ce roman refermé, le lecteur se voit jurer de lire des romans de Dostoïevski, bien sûr, mais aussi de Tourgueniev ou alors de Pouchkine.

A cette excursion tout fait passionnante au XIXème siècle, s'ajoute donc le voyage pas moins intéressant, du narrateur qui se situe au XXème siècle. Il voyage en train de Moscou à Leningrad, il déambule dans la ville, il visite la maison de Dostoïevski. Il observe, il décrit, il rêve, et nous offre ainsi un portrait de la Russie, de son âme et des mentalités de ses habitants.


Vous l'aurez compris, c'est un livre fort que je vous conseille chaudement !

***Livre chroniqué par Eva***

Lien : https://etsionbouquinait.com..
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On y reconnait immédiatement la littérature russe. L'auteur nous emmène sur les pas du grand Dostoïevski en Russie, puis vers l'Allemagne, en passant par Dresde jusqu'à Baden-Baden. On revisite le quartier de Saint Pétersbourg où se déroule l'action de “Crime et châtiment (souvenirs perso !) puis d'autres endroits de la capitale avant de partir vers Novgorod… En chemin, in croise une belle palette des écrivains majeurs du siècle. le détail des rapports rugueux avec Tourgueniev constituent pour un amoureux de la littérature comme l'auteur, un moment de pure beauté. La préférence allant, on le devine, vers l'auteur de l'Idiot. Au travers de la navigation au XX° siècle, le voyage de Fëdor devient aussi un prétexte pour côtoyer des plus contemporains : Tsvetaieva, Pasternak… Un grand moment de littérature et d'histoire littéraire.
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Le narrateur lit dans le train qui l'emmène de Moscou à Leningrad le journal d'Anna Dostoïevski, l'épouse de l'écrivain. Il relate ainsi un été passé par le couple à Baden-Baden où Dostoïevski, presque ruiné, était venu pour jouer au casino dans l'espoir de faire fortune. L'écrivain apparaît dans ce livre comme une personne insupportable, pathétique et relativement paranoïaque. Il cherche constamment l'admiration d'autrui et quémande leur amitié. Ce livre m'a paru très confus. le narrateur parle de lui-même au présent, décrit la vie de Dostoïevski dans le passé et évoque les rêves de celui-ci pour l'avenir et tout finit par se mélanger ce qui ne rend pas la lecture aisée.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
","... il se voyait déjà planant dans les hauteurs en compagnie de Tourgueniev, son cher ami, un auteur si admiré que la gloire de ce jeune et déjà célèbre écrivain rejaillissait sur celle de Dostoïevski, et que celle de Dostoïevski, auteur débutant mais déjà connu, s'étendait à Tourgueniev ... jusqu'au jour où Tourgueniev lui fit une crasse ... il se revoyait devant le grand seigneur, se trémoussant sur sa chaise, les mains sur les genoux, essayant de se lever mais son corps n'obéissait pas, - il restait assis, pâlissant, rougissant, et tout le monde riait - de lui ! de son amitié ! et Tourgueniev, son idole, négligemment accoudé au dossier du fauteuil, son lorgnon devant les yeux, riait avec les autres en lissant sa belle barbe.

... depuis quelques années Fedia se ruinait en aumônes, il donnait même à qui ne demandait rien, s'attirant les moqueries de ceux qui profitait de sa bonté , il y avait là quelque chose d'anormal, d'excessif, comme si il avait voulu expier de vieilles fautes ou refouler en lui un sentiment contraire, ou même son instinct - tout cela tournait à l'exaltation religieuse, et surtout il distribuait son argent sans penser qu'Anna avait tout juste de quoi faire marcher la maison, les dettes étant encore nombreuses.
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(…) à la troisième ou quatrième séance de travail, elle surprit son regard sur elle, vif et pénétrant, elle crut un instant qu’il voulait s’approcher pour lui dire quelque chose, alors, l’air sérieux, elle baissa les yeux et se concentra sur ses notes en sténo : elle était à deux doigts d’atteindre le mât, mais il ne fallait pas aller trop vite et risquer au dernier moment de perdre l’équilibre – de jour en jour il s’approchait un peu plus, il n’allait plus d’un angle à l’autre de la pièce comme les premières fois, il tournait autour d’elle et les cercles chaque fois se resserraient – l’araignée qui approche de la mouche – et dans cet encerclement qui allait se resserrant il y avait et pour lui et pour elle un goût délicieux d’interdit, qui faisait qu’on retenait son souffle, mais toujours sérieuse, austère même, elle baissait les yeux et fuyait ses regards – mais n’était-ce pas elle qui tissait la toile, ou tous les deux ensemble ? La toile était tissée, les fils à tout moment pouvaient rompre, mais chaque fois il fallait que le beau-fils passe la tête par la porte du cabinet de travail avec un petit sourire montrant qu’il n’était pas dupe, alors l’orateur abandonnait les cercles pour la diagonale – d’un coin à l’autre – et s’évertuait à ne pas regarder Anna, mais c’était plus fort que lui.
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Dehors, il faisait très froid, la neige crissait sous les pas ; aux feux rouges des files de tramways attendaient, les gens éclairés par les réverbères et par la neige se massaient aux arrêts de tramway et d’autobus ; des petits groupes d’hommes stationnaient devant un magasin d’alimentation, des trios se formaient pour acheter à bourse commune une bouteille de vodka ; un peu plus loin, à quelques mètres du magasin, on voyait des hommes aux visages amaigris, blafards – adossés aux murs, ils s’affalaient lentement sur le trottoir en laissant sur leurs vêtements des traînées de plâtre, et restaient ainsi jusqu’à ce qu’un véhicule à croix rouge vienne les ramasser.
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