Entretien avec Georges-Olivier Chateaureynaud, à propos de son ouvrage Aucun été n`est éternel
02/06/2017
Le roman raconte l’été de la majorité d’Aymon, un jeune parisien en quête d’aventure. Comment vous est venue l’envie de raconter un été adolescent ? Y a-t-il une part autobiographique dans cette histoire?
Pas tout à fait sa majorité : en 1965, on était majeur à 21 ans. Il n’en a que dix-huit… Même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’un roman autobiographique, j’ai été moi-même un adolescent, au milieu des années soixante, alors que la vague beatnik arrivait en Europe. La jeunesse de ce temps-là s’est senti des fourmis dans les jambes… Moi aussi.
Ce personnage a une relation compliquée avec ses parents et c’est en partie pour fuir la mort imminente de son père qu’il décide de partir. Selon-vous, la relation parents-enfants était-elle différente avant les années 1970 ? Pourquoi avoir choisi d’évoquer cette relation dans ce roman ?
Sans doute les relations parents-enfants, ou plutôt, dans ce cas, enfants-parents, évoluent-elles au fil des générations, au moins dans leurs modalités, tout en restant similaires dans leur tonalité. L’amour filial n’est jamais « pur et simple ». Il m’intéressait d’explorer un cas de figure particulier – qui n’était pas le mien.
Drogues, sexe, musique… Aymon et sa bande d’amis ne pensent pas aux maladies, à la dépendance et encore moins au lendemain. Sans téléphone ni mail pour prévenir leur famille, avec quelques sous en poche, les jeunes se sentent libres. Etait- ce là, à votre avis, la vraie liberté ?
A l’évidence, on était alors moins « connectés ». D’où un sentiment de liberté sans doute plus vif qu’aujourd’hui. On se perdait peut-être plus facilement dans la nature. D’autre part, certaines menaces, Sida, incertitude et sentiment d’insécurité face à l’avenir économique (c’était dix ans avant les deux crises pétrolières qui ont eu raison des 30 glorieuses) ne pesaient pas comme aujourd’hui.
Né en 1947, vous avez vécu l’arrivée du mouvement hippie. Avez-vous perçu un bouleversement majeur au sein de la société ? Les aventures d’Aymon sont-elles représentatives de la jeunesse française de l’époque ?
Je crois qu’une aspiration à la liberté, des mœurs entre autres, s’est manifestée alors et plus radicalement encore quelques années plus tard (68…) On a oublié le caporalisme, ou plutôt le « généralisme » relativement soft du régime gaulliste. Un couvercle pesait sur les esprits. Le déferlement hippie est immédiatement postérieur au phénomène beatnik. Celui-ci a été beaucoup plus confidentiel, avant une accélération foudroyante de la mécanique médiatique. Le caractère d’utopie du mouvement hippie s’est massivement affirmé, alors que les beatniks étaient plus individualistes, moins idéalistes. Disons qu’Aymon est une sorte de beatnik pré-hippie.
A la place d’Aymon, seriez-vous finalement rentré chez vous après un tel été ?
L’alternative est la suivante : rentrer chez soi, ou choisir une marginalité radicale, périlleuse, éventuellement mortelle. Mutatis mutandis, c`est-à-dire « en changeant ce qu’il faut changer », Aymon rentre chez lui, comme je l’ai fait.
Georges-Olivier Chateaureynaud et ses lectures
Quel est le livre qui vous a donné envie d’écrire ?
Sans doute L`Ile au trésor, de Robert Louis Stevenson ; ça remonte loin !
Quel est l’auteur qui vous a donné envie d’arrêter d’écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?
Celui-là n’est pas encore né.
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
Arthur Rimbaud, sans doute: la littérature était donc “autre chose”.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
L`Invention de Morel, d’Adolfo Bioy Casares.
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
L`Homme sans qualités, tome 1, de Robert Musil.
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs?
Le seuil du jardin, d’André Hardellet.
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
Aucun. Tous ceux que j’ai lus ont, d’une façon ou d’une autre, mérité leur réputation.
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
« La littérature est l’essentiel, ou n’est rien ». (Georges Bataille).
Et en ce moment que lisez-vous ?
Causes joyeuses ou désespérées, de Dominique Noguez.
Entretien réalisé par Marie-Delphine
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Aucun été n`est éternel de
Georges-Olivier Chateaureynaud aux éditions
Grasset :
28 - Lecture de Georges-Oliver Chateaureynaud
Coscas ne pourra plus être retranché de la mémoire de l'humanité ... Il en est désormais partie intégrante, comme Jules César et Annie Cordy. C'est ce que nous voulions éviter à tout prix.
Curieux des choses du langage, il possédait une batterie de dictionnaires et d'anthologies des expressions figurées. Il s'y reportait dès qu'une formule ou une tournure éveillait sa curiosité. En cette matière jarnicoton constitue une sorte de pont-aux-ânes. Milo n'avait certes pas besoin d'aller vérifier l'origine du mot. Partant du principe qu'il était moins grave d'insulter au prêtre qu'à la divinité, le père Coton, confesseur d'Henri IV, ulcéré des continuels jurons de son ouaille, lui avait demander de changer en jarnicoton ses jamidieu et autres jamibleu, lesquels signifiaient tout simplement Je renie Dieu. Renier Coton ne tirait pas à conséquence.
Le roi habite la plus vaste de ces maisons. Les rares provinciaux de passage déposent devant sa porte des offrandes qui tiennent lieu d'impôts : un couffin de légumes, une volaille, un quartier de viande, un carré de tissu… C'est ce qui fait qu'il est le roi. On le laisse régner pourvu qu'il ne se mêle pas des affaires de ses sujets. De temps en temps, au fil des siècles, un roi parle de tracer des routes, de dresser les cadastres des propriétés, de recenser la population. Alors on l'égorge et on assied sur le trône de jonc tressé un villageois connu pour son indolence ou sa pusillanimité. On place entre ses mains un spectre en moelle de sureau, et on lui dit : "Ne trouble pas la paix du royaume, sinon gare à toi !"
J'estois encore puceau de meurtre, à Vézénobres. Je me monstroi comme de juste hastif et maladroit. J'appris par la suite à mieux prendre mon temps et mon plaisir. Le corps humain est semblable à un luth duquel on ne sort rien si d'entrée on l'ataque si fort qu'on en casse les cordes ...
Violette était libre ou paraissait l’être. Lui, le travail occupait dans sa vie toute la place, mais il était prêt à changer ça aussi, si c’était ce qu’elle voulait. À vrai dire, elle lui plaisait tant qu’il était disposé à se régler sur elle. Grand amour, amourette, liaison aussi longue, aussi brève qu’elle voudrait, il se portait preneur.
On se trompe si l'on croit qu'il suffit à un suppôt de Satan de fondre sur une proie et de lui glisser quelques mots dans l'oreille pour la subjuguer. Dans son état normal, l'âme se défend. Non qu'elle soit foncièrement bonne. La résistance qu'elle oppose tient d'abord à une force d'inertie considérable.
Est-ce qu'on avait comme ça un "vrai destin" qu'on épousait ou non, qu'on attrapait ou qu'on ratait comme un train, et d'autres destins de raccroc, de moins en moins nécessaires, de moins en moins légitimes, sur lesquels on se rabattait, dans lesquels on dégringolait toujours plus loin de sa vérité ?
Il s'était parfois efforcé de réfléchir au rôle que jouait dans sa vie l'amour des livres. Car enfin, qu'il s'agît de ceux qu'il manipulait à longueur de temps sur son lieu de travail, de ceux qu'il ne cessait d'acheter pour son propre compte, ou encore de ceux qu'il avait rêvé d'écrire et dont un seul, ce malheureux petit volume de contes, avait vu le jour, les livres avaient toujours constitué sa seule passion, son seul plaisir, son obsession. Il vivait plus envahi, plus imprégné de livres qu'un banquier d'argent, ou qu'un boucher de sang ! Non content des caisses de nouveautés qui déferlaient chaque semaine sur son service, il courait encore les quais ses jours de congé, et passait régulièrement chez quelques libraires d'occasion... Enfant unique entre deux vieillards, il s'était vite réfugié dans la lecture. Ou bien fallait-il dire au contraire qu'il s'y était risqué ? Le livre était la porte de l'Aventure. Dans la maison silencieuse de ses grands-parents, il suffisait de pousser cette porte pour déboucher sur le tumulte de la vie, qui paraissait un instant plus tôt si lointain. Passé cette porte, Hugo foulait au pied la grève de l'île au Trésor, arpentait la lande d’Écosse avec Rob Roy, sillonnait la steppe au côté de Michel Strogoff : la vraie vie était dans les livres.
En nous entourant de livres, nous nous efforçons de délimiter autour de nous un enclos d'éternité. Une telle compulsion signe notre appartenance à l'espèce humaine : nous le savons jusque dans nos gênes, rien n'est impérissable, et nous tentons désespérément d'apurer notre éternel débit sur les registres du temps. Dans notre lutte contre la perte et l'oubli de tout, nous usons d'armes paradoxales. Le fragile papier dure plus que le granit. (p. 12)
En quelques semaines, indifférent au tumulte anodin de l'époque, Hugo accomplit le pèlerinage intérieur des agonisants. Il revisita ses lieux saints, ses catacombes et ses belvédères. Il buvait comme un trou et dans ce trou peu à peu il disparaissait. Il fumait à pleins poumons, et il s'en allait lui-même en fumée. Il n'était plus là qu'à moitié, à demi et plus qu'à demi transparent, bientôt fantôme, ombre en chemin vers la limpidité de la mort. Il n'était plus que mémoire.