Avec Arthur H, Rim Battal, Seyhmus Dagtekin, Maud Joiret, Sophie Loizeau, Guillaume Marie, Emmanuel Moses, Anne Mulpas, Suzanne Rault-Balet, Milène Tournier, Pierre Vinclair & les musiciens Mathias Bourre (piano) et Gaël Ascal (contrebasse)
Soirée présentée par Jean-Yves Reuzeau & Alexandre Bord
Cette anthologie reflète la vitalité impressionnante de la poésie francophone contemporaine. Quatre générations partagent des textes pour la plupart inédits. La plus jeune a 17 ans, les plus âgés sont nonagénaires. Ils sont ainsi 94 à croiser leurs poèmes sur la thématique du désir, un mot aussi simple que subversif.
ADONIS ARTHURH Olivier Barbarant Linda MARIA BAROS Joël BASTARD Rim BATTAL Claude BEAUSOLEIL Tahar BEN JELLOUN Zoé BESMOND DESENNEVILLE Zéno BIANU Carole BIJOU Alexandre BONNET-TERRILE Alain BORER Katia BOUCHOUEVA Julien BOUTREUX Nicole BROSSARD Tom BURON Tristan Cabral CALI Rémi Checchetto William CLIFF François de CORNIÈRE Cécile COULON Charlélie COUTURE Laetitia CUVELIER Seyhmus DAGTEKIN Jacques DARRAS Michel DEGUY Chloé DELAUME René Depestre Thomas DESLOGIS Ariane DREYFUS Renaud EGO Michèle FINCK Brigitte FONTAINE Albane GELLÉ Guy GOFFETTE Cécile GUIVARCH Cécile A. HOLDBAN Philippe JAFFEUX Maud JOIRET Charles JULIET Vénus KHOURY-GHATA Anise KOLTZ Petr KrÁL Abdellatif LAÂBI Hélène LANSCOTTE Jean LEBOËL Yvon LE MEN Perrine LEQUERREC Jérôme LEROY Hervé LETELLIER Sophie LOIZEAU Lisette LOMBé Mathias MALZIEU Guillaume MARIE Sophie MARTIN Jean-Yves MASSON Edouard J.MAUNICK
+ Lire la suite
Parfois, quand je regarde par la fenêtre…
Parfois, quand je regarde par la fenêtre, quelque chose se passe. Je ne saurai le définir. Tout a l’air si calme et pourtant cela bouge entre les arbres. Des oiseaux volent. Beaucoup de corbeaux parmi eux. Des corbeaux qui font des taches dans le bleu du ciel. Je me surprends à penser alors que c’est elle qui bat des ailes, noire dans le ciel bleu. Elle vole tant que cela l’essouffle. Alors, je la vois s’effondrer tête la première. Un jour, ma grand-mère a dit La vie est un pot de merde. Pourtant, elle a tout fait pour ne pas mourir, pour survivre, même quand elle est restée assise sur une chaise, le regard dans le vide. Renée a préféré la chute. Elle n’avait personne à qui parler, aucune oreille pour se confier. Petit à petit, elle n’a plus su faire face, elle s’est effondrée, tel l’oiseau abattu dans le ciel, en chute libre. Dire que depuis tout ce temps où Renée n’est plus, on l’a fait cesser d’être. Personne n’a légué son souvenir. Son portrait, on ne le connaît pas. Pourtant, il m’arrive de voir ses yeux cligner, délavés par la pluie, les larmes. Les contours ne sont pas toujours nets. D’autres fois, elle m’apparaît comme dans la réalité, poussière. Quand je suis prise d’éternuements le soir, je comprends que c’est elle qui commence à venir.
(Renée, en elle, © Henry, 2015)
JE VOIS UNE ILE DEPUIS LA PLAGE...
Je vois une île depuis la plage. Elle n’est pas si loin.
Je peux l’atteindre à la nage. Ou peut-être à pied à marée
basse. Mon grand-père peut s’y trouver. Alors il n’a plus
l’excuse de ne pas revenir. Est-il parti aussi loin qu’il aurait
tout abandonné ? Comment fait-on quand on part si ce n’est
pour jamais se retourner ? Je pourrais moi aussi m’en aller à
la nage sur cette petite île que je vois face à la plage. Je me
nourrirais de coquillages, de poissons et de sable. Je suis une
fille de la terre ferme. Je ne veux pas tourner en rond sur une
île. Je veux l’espace des grandes plaines, les routes à perte de
vue. Je veux la terre et le ciel face à moi, à gauche à droite et
derrière moi. La mer, les océans, c’est dedans sur ma ligne
d’horizon.
Un craquement le long de l'arbre
déchire et trouble l'écriture
ce sont des mots dans le sable
écoulés d'une main à l'autre
cette impression qu'ils
ne sont que des mots
et pleurent en silence
Les femmes ferment les fenêtres
les fils tués au combat
n'ont pas eu le temps de se battre.
fermer les fenêtres
que personne n'entende
Depuis, toutes les bouches hurlent
se tordent à force de tant de cris.
Ouvertes, elles surgissent d'où les corps sont terrés.
Elles sont des milliers.
Tu les passes en boucle dans ta tête.
Tu en cries, toi aussi. D'impuissance.
( p 59)
Renée, cette nuit je l’ai prise dans mes bras, elle sanglotait comme un petit enfant, blottie contre moi. J’ai essuyé les larmes sur ses joues et elle est restée longtemps, le regard dans le vide. De son corps, venaient toujours le son des sanglots qui ont perduré un long moment. Je ne sais toujours pas ce qui la fait pleurer autant, Renée. Je sais que son cœur pèse si lourd qu’après toutes ces années elle revient toujours. Je voudrais la soulager, Renée, lui dire « Ne t’en fais pas ». Seulement, de sa bouche ne sort que le cri de sa douleur. Et quand elle parle, je ne comprends pas sa langue. Sa langue d’antan que parlaient les gens de sa petite bourgade bretonne. Elle me semble si fragile, Renée, et en même temps sa peau est si dure, ses yeux sont des pierres. Des pierres par lesquelles s’écoulent des larmes et du sang.
J’écris la mémoire…
J’écris la mémoire. J’écris ma mère. La mémoire de ma mère entretenue comme un jardin. J’écris ma mère en friche dans son jardin. Dans les allées de son jardin je suis entourée de ma mère et de sa mémoire. J’écris sa mémoire s’en va. J’écris sa mémoire me revient. J’écris sa mémoire et la mienne me reviennent. J’écris des fleurs des tu te souviens. Si ma mère s’en va, je demeure avec elle. Sa mémoire et la mienne un seul jardin. J’écris ma mère même. Un jardin entretenu la mère de ma mémoire. J’écris ma mère m’aime. Sa mémoire m’aime. J’écris je l’aime. Une mémoire l’aime.
Tu me viens
d’un bout à l’autre de l’océan
que font les oiseaux
sur l’horizon
[JE NE SAIS PAS SI TU ES ENCORE JEUNE]
Je ne sais pas si tu es encore jeune
ni tes cheveux gris ou blancs.
Parfois je te regarde dans les yeux,
je te dispute sur la photo.
Tu ne sais pas que je te parle,
ni les mots ni les interrogations.
Le vent disperse ma voix.
Mes mots ne vont pas là où je veux.
Les mots se perdent dans les vagues.
Vous n'êtes pas pages blanches, vos poèmes sont dans vos lignes.
Et la pluie tombait tous les jours, tombe encore
aujourd'hui d'où je vous écris.
Derrière la fenêtre avec sa façon de me lier à vous,
la pluie tient entre deux lumières.
Le secret de la petite herbe mouillée, des pas qui s'effacent,
les miens dans les vôtres.
Je la trouve certains jours d'un bout à l'autre, comme éparpillée…
Je la trouve (Renée, mon aïeule) certains jours d'un bout à l'autre, comme éparpillée. Elle est faite de fragments et ils ne sont pas toujours en ordre. Des morceaux d'elle. Comme dans son ultime demeure, en pièces. Avant la fin de son histoire elle s'est mise à penser en morceaux. Parfois, elle avait le regard dans le vide, elle le maintenait ainsi, au départ quelques minutes, puis un peu plus. Par moment, il y avait comme une lueur dans ses yeux et elle se mettait à parler, à raconter un épisode de sa vie. Ce n'était jamais long, juste quelques phrases. Puis, elle se remettait dans le cours de la vie, à cuisiner, à laver le sol ou à ramasser les pommes de terre.
(Renée, en Elle)
DES HOMMES TRESSAILLENT…
des hommes tressaillent
là où ce qui commence tend à disparaître
ils guettent ce qui tend à la nuit
se rassemblent en prières
tout tient dans les ruines
un vide qui ne ressemble à rien
ils ont puisé leurs forces
pour un fragment
une infime part de nudité
ensevelis par les fleurs
les mauvaises herbes
tout ce qui les entoure
vestiges qu’ils taisent
leur désastre offert au vent