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Critiques de Jón Kalman Stefánsson (1123)
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La tristesse des anges

Le vent, le blizzard, la neige.

La houle, les vagues.

La nuit, les étoiles et la tristesse des anges.



Les éléments se déchaînent, et la poésie m’enchaîne.



Je me retrouve prisonnier du vent, du blizzard, d’une tristesse qui me colle à la peau comme de la neige mouillée et qui dissout lentement mes vieux os. Je m’engouffre dans une taverne, des bruyants ancêtres vikings qui versent et déversent des gobelets métalliques remplis de cervoise se réchauffent joyeusement, pas que la cervoise se serve chaude dans ce coin reculé de la Terre et du monde glacé.



Je m’installe au fond de la salle, mélange de pénombre et de vieille poussière que des siècles de lecteurs ou d’ivrognes ont fréquenté. Je reste silencieux, je lis juste une phrase, ce n’est pas de l’indifférence ce silence, c’est juste un de ces instants magiques, comme quand la lune bleue s’éveille au milieu d’une foule d’étoiles et d’embruns.



Je m’arrête sur cette phrase, comme on s’arrête sur un sourire ; sur ce mot, comme une magnifique femme ; sur ce chapitre, comme si plus rien ne comptait en dehors de ce silence fait d’amour et de poésie. Tout y est beau, sublime. A chaque nouvelle ligne, j’ai le sentiment d’assister à une nouvelle aurore boréale. Ou à regarder le beau sourire d’une belle femme pour le garder profondément et silencieusement ancré en moi.



Je lis une seconde phrase. J’ai envie de l’apprendre par cœur et de la ressortir à une jolie islandaise de passage, juste pour un sourire même éphémère. J’ai envie de la noter sur un carnet avec une couverture de cuir. J’ai envie de l’écrire sur un site internet qui recense toutes les meilleures citations de bouquins islandais et d’ailleurs. D’ailleurs, je grave cette phrase sur la table avec mon couteau de poche.



« Les flocons se déversent, la neige envahit l’espace entre ciel et terre, elle relie l’air et le sol, on ne voit plus entre les deux aucune différence, tout se confond et les deux hommes doivent s’attendre à rencontrer des anges en plein vol au sein de l’éternité. »



J’attends la troisième phrase avec impatience. Pourtant, je prends mon temps. C’est aussi ça l’amour pour un livre, l’amour pour une femme, prendre son temps, la regarder et sentir au plus profond de son âme son souffle, celui de la phrase qui commence et ne s’achèvera que dans les tréfonds d’un rêve.



La phrase suivante est un éloge au silence. Celui qui empêche de sortir un son, tant il fait froid dehors, tant tes émotions restent au chaud à l’intérieur. Tous ces mots sont des silences d’une pureté immaculée. Comme la neige qui tombe encore et encore. Et toujours. C’est le blizzard. Dehors, dedans.



En fait, je crois que j’ai envie de relire deux fois chaque phrase. J’ai envie de m’arrêter sur chaque mot, respirer chaque ponctuation. Trois fois.



En fait, je crois simplement que je n’ai rien lu de plus beau que cette tristesse des anges. Une tristesse solitaire sur un cœur gelé, la plus belle façon de s’abandonner à la poésie d’une terre glacée.
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Entre ciel et terre

Les faits se déroulent il y a un siècle dans un village de pêcheurs à la morue où il règne un froid glacial qui peut se révéler meurtrier. Six pêcheurs par barque, chacun a son rôle bien défini. Tout est important et vital dans le rituel de la pêche, chacun a sa place, le danger est toujours présent d’autant plus qu’aucun pêcheur ne sait nager.

Bardur trop occupé à retenir des vers du Paradis perdu de Milton, oublie sa vareuse en partant en mer, un oubli qui lui sera fatal. Son ami surnommé le gamin, inconsolable, entame un périlleux voyage pour rendre le livre à son propriétaire.

Jon Kalman Stefansson envoûte le lecteur par la force de son écriture, tout est poésie, ses mots chantent la vie, la mort, l’amitié, l’amour, la cruauté d’un monde inhospitalier.
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Ton absence n'est que ténèbres

Un livre qui vous transporte loin, très loin dans une contrée sauvage faite de lumière et de ténèbres. Dans l'esprit aussi de quelques Islandais un peu rugueux, un peu fous. Des amoureux de la vie, d'un homme ou d'une femme pour qui ils pourraient bien tout quitter. Tout sauf peut-être leur île qu'ils chérissent, bien qu'ils prétendent le contraire. Une île qui les a façonnés tels qu'ils sont. Attachants, libres et philosophes.

L'écriture est une musique et quand Jón Kalman Stefánsson en est le compositeur on ne peut qu'être emporté par son harmonie et sa profondeur qui touchent à l'essentiel. Oui, ce n'est pas facile d'exister quand on sait qu'au bout du chemin c'est la mort qui nous attend, mais avant pour adoucir le temps rien ne nous empêche d'aimer, aimer comme un fou, aimer à en perdre la raison.
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Ton absence n'est que ténèbres

Prix du meilleur livre étranger 2022, Ton absence n'est que ténèbres est l'oeuvre d'un romancier et poète islandais du nom de Jon Kalman Stefansson. Les personnages sont islandais, les péripéties sont ancrées en Islande, dans les fjords de l'Ouest, « à l'extrême limite du monde habitable », où vivent quelques familles d'éleveurs de moutons… qui ne font pas qu'élever des moutons. L'Islande est un pays étonnant, le niveau de vie y est élevé, la population est ouverte aux cultures contemporaines, tout en restant attachée à ses traditions, comme celle de la littérature médiévale des sagas.



Et justement, sur six cents pages et cent vingt ans, le livre se révèle être la saga d'une famille de la région. En début de lignée, Gudridur, une paysanne très modeste qui fit preuve, à la toute fin du XIXe siècle, d'une audace intellectuelle surprenante. A l'autre extrémité, Eirikur, un guitariste professionnel de quarante ans, féru de pop music ; un homme tourmenté qui devra se reconstruire lorsqu'il aura découvert les témoignages, lettres et photos laissées par ses ascendants. Entre les deux, une série de personnages hauts en couleur, des parents, des voisins, des amis. Ils vivent, aiment, puis meurent, sombrant dans les ténèbres de l'oubli ou se perpétuant dans la lumière des mémoires. Les épreuves traversées par ces femmes et ces hommes, pour la plupart en couple, sont étonnantes, émouvantes, tragiques. Elles sont passionnantes à lire.



On s'interroge sur le narrateur amnésique. Qui est-il ? J'ai mon idée : il est l'Ecrivain, avec un grand E, l'homme qui n'a pas de souvenirs et qui n'en a pas besoin, car son rôle est de donner vie à des personnages et à leurs aventures. Installé dans un « non-lieu » à l'instar d'un metteur en scène isolé dans sa loge en marge d'un tournage, il a pour interlocuteur sa conscience, à moins que ce ne soit un émissaire du Diable, signataire d'un pacte. Il lui faut aussi quelques bouteilles de whisky tourbé, mais attention aux abus ! le narrateur impose sa présence dans une fiction ralentie par le temps de l'écriture, tout en vivant de plain-pied dans le monde réel. S'il n'y prend garde, il pourrait lui arriver d'insérer une femme aimée dans le roman. de quoi rendre la lecture complexe ! J.K. Stefansson assume : son livre, tout comme la vie, comporte des zones d'ombre. Au lecteur d'en savourer la poésie.



Et si le héros de l'histoire était… le lombric ! Oui, vous avez bien compris, le lombric, ce petit ver de terre qui remue les sols pour les oxygéner, le « poète aveugle de la glèbe », selon les mots de l'auteur. Sans lui et sans Gudridur, les personnages du roman n'auraient pas existé. Je n'en dirai pas plus.



Le livre se présente comme un assemblage d'épisodes, transcrits par l'Ecrivain sur des feuilles volantes, tel qu'ils lui seraient venus à l'esprit, dans un désordre temporel plus ordonné qu'on ne le pense. Il les aurait annotés d'un titre ou d'une épigraphe, mais n'aurait pas corrigé les textes, assumant redites, non-dits et contredits. Parmi les thèmes qui reviennent en leitmotiv, l'amour : l'amour fidèle, l'amour bienveillant, l'amour pour toujours, mais aussi l'amour interdit, l'amour irrésistible, l'amour ravageur… Angoisse face aux choix qui se présentent, cruels, poignants…



Autre thème omniprésent : la vie, la mort, la vie qui continue après la mort, comme si l'on n'avait jamais existé. Boire pour ne pas y penser ? Non, c'est l'écriture qui permet d'effacer l'oubli, de garder les morts parmi les vivants, afin qu'une lueur perdure dans les ténèbres. La musique aussi peut servir d'appui. Ton absence n'est que ténèbres s'accompagne d'une playlist de mélodies très mélancoliques, la « compilation de la Camarde », associant parmi bien d'autres, Elvis, Dylan, les Beatles et Springsteen à Erik Satie, Miles Davis et Ella Fitzgerald.



En dépit de ses sombres évocations, Ton absence n'est que ténèbres est un très beau roman, offrant des moments de lecture savoureux, dès lors qu'on ne se laisse pas désorienter par la chronologie des événements. Pour détendre l'atmosphère – tandis que l'auteur nous accorde une happy end –, je signale une dernière difficulté, un peu folklorique : les prénoms islandais sont vraiment compliqués à mémoriser ; quant aux patronymes et aux noms de villages, ils sont carrément impossibles à prononcer, d'autant plus que, je l'ignorais, l'alphabet islandais comporte des lettres en plus des nôtres.


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Ton absence n'est que ténèbres

Sur les recommandations d’amies chères et fiables, cette lecture, découverte de l’auteur a été une plongée dans un abîme de questionnement.



L’ambiance est d’emblée étrange, déstabilisante. Un narrateur amnésique, près d’un personnage énigmatique, dans une église islandaise. Puis l’histoire se met en place, à partir des épitaphes sur les tombes du petit cimetière. Se met en place, mais lentement, bizarrement, comme si l’on assistait à l’écriture en direct, l’écrivain se réveillant de temps à autre pour reprendre contact avec la réalité, la préparation d’une fête, ou pour se perdre plus encore en compagnie de son étrange interlocuteur. Les 608 pages permettront de s’y retrouver, dans cette saga familiale complexe, faite de pertes et de retrouvailles, de rendez-vous manqués et de passions délétères. Mais sur le chemin, au fil des pages, le voyage est souvent chaotique.



L’écriture elle-même a de quoi surprendre : beaucoup de redites, de phrases répétées, donnant au récit des allures de chants antiques. C’est très bavard. L’histoire de ces personnages tiendrait certainement sur la moitié du volume. Mais en serait sans doute plus insipide.



On ne peut pas passer à côté de la bande-son, omniprésente, comme en témoignent les nombreuses pages de référence en fin d’ouvrage. Les références littéraires sont aussi remarquables bien qu’un peu moins appuyées que la play-list.



Je retenterai surement l’expérience, pour l’ambiance islandaise, pour les pas de côté aux confins du fantastique (Stefánsson serai-il le Murakami islandais ? ), et pour les personnages (j’ai particulièrement aimé Gudridur, la transfuge de classe), mais c’est quand même un peu long.



Impossible pour moi de savoir si ce roman est fidèle au style habituel de l’auteur. Ou s’il représente une rupture par rapport aux précédents romans. Hâte de le découvrir en lisant les avis des aficionados qui me l’ont recommandé.


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Lumière d'été, puis vient la nuit

Dans ce petit village d’Islande où les saisons se succèdent en ne se différenciant que par la longueur de jour laissée par la nuit, le quotidien est si morne que les plus petits détails font figure d’évènements et ne passent inaperçus de personne. Un rien suffit parfois à susciter la tempête, dans un tourbillon irrationnel de désirs, de ressentiments ou de craintes…





Tel le coryphée d’une tragédie grecque observant et commentant les actions aveugles des personnages, l’auteur se poste en témoin extérieur d’une série de saynètes, mettant en scène les menus incidents qui font figure de cataclysmes dans la vie monotone de villageois ordinaires. Toutes ces petites histoires gravitent autour de pulsions et de désirs plus ou moins licites et assouvis, de rancunes et de frustrations, de peurs irraisonnées toujours prêtes à surgir. Si elles emplissent la vie de leurs protagonistes, elles prennent une coloration bien dérisoire sous l’oeil critique et les commentaires caustiques de leur scrutateur.





Elles deviennent alors l’occasion de quelques réflexions critiques sur l’ineptie de nos existences contemporaines qui, choyées comme jamais par le confort et la facilité, n’en rendent pas les humains plus heureux. Prisonniers d’une immédiateté égoïste qui les isole les uns des autres, efface ceux qui les ont précédés et ne laissera rien aux générations futures, les hommes n’ont tiré aucune sagesse de leurs nouveaux savoirs. La science a remplacé croyances et spiritualité sans répondre à leurs questionnements fondamentaux et sans éradiquer leur peur du noir et de la mort. Les comportements les plus irrationnels ne demandent qu’à resurgir chez des êtres qui, par ailleurs, n’ont jamais mis le progrès à profit pour réfléchir et donner la priorité aux valeurs essentielles de la vie.





Aussi bien écrit et pétri d’humour qu’il soit, ce livre m’a profondément ennuyée. Les épisodes s’accumulent sans grand lien les uns entre les autres, et surtout sans vraiment illustrer un propos certes intéressant mais somme toute peu creusé. Leur succession m’a d’autant plus découragée, qu’en plus de ne s’y passer pas grand-chose, leur narration froide et distanciée m’a interdit toute émotion et tout attachement aux personnages. Surnage chez moi une impression persistante d’absurde non-sens, sans doute recherchée par l’auteur, mais qui m’a plus durablement assommée qu’intéressée.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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La tristesse des anges

La tristesse des anges, ou encore les larmes des anges, à savoir la neige, nous étreint, nous enveloppe jusqu'à nous étouffer dans ce deuxième tome de la trilogie islandaise de JK Stefansson. La neige et ses mille combinaisons. Depuis la neige légère, apaisante, caressante, virevoltante, le silence en suspens entre les flocons, jusqu'à celle, drue, charpie de flocons qui cingle le visage et érafle la cornée, empêche de respirer, reliant le ciel à la terre et transformant le monde en un tourbillon informe et blanc. Jusqu'à ne plus faire de différence entre la neige qui tombe du ciel et celle qui monte depuis la terre sous l'effet des bourrasques.

La voix qui raconte est une voix d'outretombe, celle des défunts aux yeux telles des gouttes de pluie, emplis de ciel, d'air limpide et de néant, qui nous exhortent de ne pas oublier de vivre sous peine de finir comme eux et d'errer. Pourtant que les conditions de vie sont rudes, quasi impossibles…Chutes de neige gommant le paysage, blizzard sur une lande battue par les vents où les directions se confondent, j'ai eu la sensation d'une réminiscence, celle de la Horde du contrevent, toute petite Horde ici de deux personnes, à la recherche de la source de l'hiver, droit vers la nord, à la source du vent.



L'abri est alors la seule planche de salut pour la survie et nous rend philosophe : « de cette tempête si immense qu'elle emplit l'existence et menace les vies ; il suffit d'une porte, une fine planche de bois, pour s'en isoler, l'exclure. N'y aurait-il pas là quelque chose à apprendre à propos de l'homme quand il est confronté à ses sombres turbulences ? ».



Oui, il fait froid, très froid dans ce livre et alors qu'il est bon de boire une grande quantité de skyr délayé dans du lait, mélangé parfois à des flocons d'avoine, de manger du mouton fumé, de s'enfiler de grosses tranches de pain nappées d'épaisses couches de beurre et de pâté, des flatkökur (galette de farine sans levure), de la bouillie chaude, des têtes de morue réduites en compote, mélangées à de la farine et du lait, ou encore du macareux faisandé. Revigorant et croyez-moi il le faut. Et surtout, surtout d'engloutir du café à grandes lampées. J'avais déjà remarqué dans le premier tome (Entre ciel et terre) l'amour qu'éprouve l'auteur pour le breuvage noir mais là, il s'agit d'une véritable ode pour cette boisson sacrée et quasi sacralisée, pour cette boisson aussi chaude que le paradis et aussi noire que l'enfer. Ce noir breuvage dont le fumet hante encore les défunts et soutient les vieillards, dont l'odeur transforme les cabines les plus glaciales en lieu habitable, fragrance se propageant tel un cri de joie. « Si le royaume des Cieux existe, alors il y pousse sans doute des grains de café » note JK Stefansson et je crois que je n'ai jamais autant bu de tasses de café en lisant un livre.



Nous retrouvons et nous attachons davantage au « gamin » présent maintenant depuis trois semaines auprès de Geirþrúður, d'Helga et du vieux capitaine aveugle Kolbeinn. Les deux femmes ont accueilli ce garçon maigre, peu viril (comparé en tout cas à la plupart des hommes islandais) lunaire et amoureux des mots, sans famille et en deuil de son meilleur ami, avec pour objectif de l'instruire, notamment de lui apprendre l'anglais, de lui faire découvrir les grandes oeuvres littéraires comme celle de Shakespeare.

Mais avant il doit accompagner Jens, postier, pour une tournée lointaine et dangereuse, l'autre postier étant malade. le postier a une fonction très importante sur cette île du bout du monde, il est le fil qui la relie au monde pendant les hivers interminables, durant lesquels les habitants n'ont pour compagnie que les « étoiles, l'obscurité qui les sépare et la pâleur de la lune ». C'est un métier dangereux qui impose de parcourir de vastes espaces pour collecter les nouvelles de la capitale Reykjavik acompagnées de toutes celles qu'il a collectées en chemin : « un tel est mort, tel autre a eu un enfant hors mariage, Gröndal a été retrouvé ivre sur la plage, saison instable et changeante dans la province du Suðurland, le sud du pays, une baleine de trente aulnes s'est échouée sur le versant est du Hornafjörður, etc… ».



Nous avons beau être au moins d'avril, fin avril même, le printemps semble ne pas vouloir venir, Il leur faut traverser deux fjords dans des conditions météorologiques extrêmes, le périple va s'avérer être cauchemardesque, la ligne entre la vie et la mort est alors mince. Jens le taiseux et le gamin poète semblent condamnés à se tenir à la pointe d'un couteau durant ce périple. Ce gamin, si doux et bon, qui déclament des vers pendant l'adversité car « la poésie ne nous rend pas humbles ou timides, mais sincères, c'est là son essence et son importance » face à Jens qui déteste la compagnie des autres et encore plus la poésie estimant que la lutte pour la vie fait mauvais ménage avec la rêverie et la poésie. le gamin saura se rapprocher de Jens, il sait instinctivement que « celui qui ne franchit pas la distance qui mène vers l'autre voit ses jours s'emplir d'un son creux ».



Comme dans le premier tome, nous retrouvons une poésie d'une beauté à couper le souffle, notamment lorsqu'elle met à l'honneur la beauté des femmes et l'amour. Que de descriptions fabuleuses des épaules de Ragnheiður, des épaules « tissées dans le clair de lune », des épaules blanches et lisses, tels des icebergs raclés par les vents. Nous retrouvons également l'amour et le rôle des livres et de la poésie, monde à l'arrière du monde, l'amour des mots, seule chose que le temps n'ait pas le pouvoir de piétiner. « Certains mots forment des gangues au creux du temps, et à l'intérieur se trouve peut-être le souvenir de toi ».



Pour conclure ce ressenti et avant d'aborder le troisième tome de cette trilogie glaciale et magnifique, voici l'image poétique qui m'aura le plus marquée dans ce livre, cette image de la Terre vue de l'espace, juste sublime : « le jour se lève avec lenteur. Les étoiles comme la lune disparaissent et bientôt la clarté, l'eau bleutée du ciel, vient tout inonder, cette délicieuse lumière qui nous aide à nous orienter à travers le monde. Pourtant, elle ne porte pas si loin, cette clarté, elle part de la surface de la terre et n'éclaire que quelques dizaines de kilomètres dans l'air où les ténèbres de l'univers prennent ensuite le relais. Sans doute en va-t-il de même pour la vie, ce lac bleuté à l'arrière duquel l'océan de la mort nous attend. »

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Le cœur de l'homme

J'ai les larmes aux yeux, c'est un livre que je ne veux pas refermer, je ne veux pas que cette lecture soit finie, je relis plusieurs fois les dernières pages et déjà je sais que ces trois livres, cette trilogie, je la relirai.

Jens et le gamin ont survécu, au terme de leur longue chute, ils ont atterri sur le toit d'une demeure ; dans ce grand nord, les habitations disparaissent entièrement sous la neige. À son réveil, le gamin se demande s'il est encore de ce monde, s'inquiète de Jens plus mal en point. Dès qu'ils le peuvent, ils reprennent la route du retour ... C'est une histoire que je ne peux résumer, toute transposition ne pourrait rendre la force d'écriture et la poésie de Jón Kalman Stefánsson, je sais que je me répète puisque j'ai souligné ces mêmes qualités pour les deux tomes précédents, mais les mots ne sont pas assez forts pour décrire les émotions ressenties à la lecture de cette trilogie de Jón Kalman Stefánsson.

Cette trilogie composée de "Entre ciel et terre", "La tristesse des anges" et "Le cœur de l'homme" est un chef d'œuvre, son auteur un Grand Écrivain !



«Où s'achève les rêves, où commence le réel ? Les rêves proviennent de l'intérieur, ils arrivent, goutte à goutte, filtrés, depuis l'univers que chacun de nous porte en lui, sans doute déformés, mais y a-t-il quoi que ce soit qui ne se transforme pas, je t'aime aujourd'hui, demain, je te hais — celui qui ne change pas ment au monde.»

[Chapitre I - § 1 - page 17]
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Ásta

***** COUP DE COEUR *****



"Je suis un poète raté. Peut-être que tout romancier désire commencer par écrire des poèmes, découvre qu'il ne peut pas et aborde alors la nouvelle qui, après la poésie, est la forme littéraire la plus exigeante. Et c'est seulement après avoir échoué là qu'il se tourne vers le roman". Voilà ce que disait Faulkner dans un entretien donné à Jean Stein en 1916.



Contrairement à Faulkner, Jón Kalman Stefánsson, comme tous les grands auteurs islandais, est, lui, un poète accompli qui démontre que l'art du roman est tout aussi exigeant que celui de la poésie, car c'est la poésie qui donne naissance aux univers créés par le romancier islandais.



☆☆☆☆☆



Livre après livre, Jón Kalman Stefánsson construit une œuvre littéraire digne des plus grands auteurs classiques. L'Islande est son terreau, comme le Mississippi l'était pour Faulkner où le Lavaux pour Ramuz...



"D'aucuns affirment que les fjords de l'Ouest ressemblent plus à une symphonie qu'à un paysage et qu'il est donc vain de chercher à les dépeindre en recourant à des mots, fatigués et galvaudés par des milliers d'années d'usage." (p59/60 *)



"Cette ombre couvre parfois une grande partie du fjord. Alors le ciel des poissons s'assombrit et ils croient que c'est la mort qui vient." (p70 *)



☆☆☆☆☆



ÀSTA est une merveille. Il fait partie des meilleurs livres que j'ai lu dans ma vie. L'écriture de Jòn Kalman Stefánsson y est à son paroxysme. Il explore l'existence, de la vie jusqu'à la mort, cette...

"mort qui ne comprend rien. C'est ce qui la rend aussi impitoyable." (p225 *)



☆☆☆☆☆



ÀSTA, c'est une réflexion sur le bonheur même si...

"Le bonheur éternel n'existe pas. En tout cas dans le monde des hommes. Heureusement, peut-être. Sinon qu'adviendrait-il des couleurs et de la diversité de la vie ? Ne risqueraient-elle pas de se ternir, la réalité de s'anesthésier, la morne platitude d'envahir les jours, et même la nuit : ne risquerions-nous pas de sombrer dans la folie, de finir par nous piquer aux amphétamine pour mettre le réel en mouvement ?" (p269 *)



Mais Jón Kalman Stefánsson nous rappelle qu'il faut le chercher dans les choses simples, comme un paysage au clair de lune...

"... peu de choses sont plus belles en ce monde qu'un paysage au clair de lune. Celui qui n'est jamais sorti en août sous la clarté de l'astre de la nuit quand les montagnes n'ont plus rien de terrestre, que la mer s'est changée en miroir d'argent et les touffes d'herbe en chiens endormis - celui-là n'a jamais vraiment vécu et il faut qu'il y remédie." (p246/247 *)



☆☆☆☆☆



ÀSTA, c'est une interrogation sur notre monde qui part en décrépitude par la faute de l'homme....

"... qui parmi nous survivra aux ténèbres qui en ce moment ravagent la planète ?" (p263 *)



☆☆☆☆☆



ÀSTA, comme tout grand livre, va dérouter son lecteur ou sa lectrice car...

"Il n'est désormais plus possible de raconter l'histoire d'une personne de manière linéaire, ou comme on dit, du berceau à la tombe. Personne ne vit comme ça. Dès que notre premier souvenir s'ancre dans notre conscience, nous cessons de percevoir le monde et de penser linéairement, nous vivons tout autant dans les événements passés que dans le présent." (p36/37 *)



Bref, il ne faut pas avoir peur de lâcher prise, de se laisser aller, voir même de s'égarer. Mais surtout il faut persévérer...

"Or les lecteurs assidus, surtout quand se sont des lectrices, sont plus ouverts que d'autres aux souffrances de la vie. La poésie et la littérature les rendent plus sensibles." (p53 *)



Avec ÀSTA, je me suis attardée sur des phrases ou des passages, les relisant et les relisant encore et encore. Bref, c'est un livre où le temps n'existe plus et où...

"Parfois, le silence est plus parlant que les mots. Il en dit beaucoup plus et le dit sans ambiguïté. Il entre en nous comme une balle de fusil, comme un couteau. Ou comme de l'acide chlorhydrique. Le silence dissipe les doutes que laissent planer les mots." (p386 *)



☆☆☆☆☆



Il faut lire Jón Kalman Stefánsson !



"Parce que c'est de ça que ce maudit monde a besoin en ce moment : des livres écrits pour fendre les ténèbres !" (p427 *)



☆☆☆☆☆



Mais si nous pouvons ressentir toute la magie contenue dans ÀSTA, c'est grâce à la somptueuse traduction d'Éric Boury (un des meilleurs traducteurs actuels) qui arrive à retranscrire en français la poésie islandaise contenue dans la merveilleuse écriture de Jón Kalman Stefánsson.



Alors mille mercis à toi Éric et continue de nous faire découvrir cette littérature islandaise pour laquelle j'ai eu un énorme coup de coeur.



☆☆☆☆☆



ÀSTA de Jón Kalman Stefánsson

Traduit par Éric Boury



Éditions Grasset & Fasquelle (GF)

Éditions Folio (poche)



☆☆☆☆☆



* toutes les indications de pages proviennent de l'édition Folio (poche)

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Entre ciel et terre

S'en vient le soir

Qui pose sa capuche

Emplis d'ombre

Sur toute chose,

Tombe le silence,

Déjà se lovent

La bête sur son lit d'humus

L'oiseau dans son nid

Pour le repos nocturne.



Relire encore une fois ces quelques vers du Paradis perdu de Milton, les retenir pour, plus tard, sur le bateau, les réciter au gamin. C'est ce qui a tué Bàrdur. Obnubilé par la beauté de la poésie, il a oublié sa vareuse au crochet du baraquement. La mer d'Islande ne pardonne pas ce genre d'étourderie. Bárdur est mort, gelé sous le banc de nage, laissant le gamin inconsolable. Le jeune pêcheur ne veut plus, ne peut plus retourner en mer. Il marche jusqu'au village, d'abord pour rendre le Paradis perdu à son propriétaire, ensuite pour décider s'il doit continuer à vivre après la perte de son meilleur ami.



Mer glaciale, vent violent, neige et glace, la nature islandaise est peu clémente avec les pêcheurs de morue. Mais ils sont rudes, forts et savent mettre humblement leur destin entre les mains de Dieu avant de prendre la mer. Ces taiseux connaissent les mots des prières, les mots de la pêche. D'autres recherchent la beauté, la consolation des mots. Báldur et le gamin sont de ceux-là. Mais les mots peuvent tuer aussi. On veut relire un poème et on en meurt. Et voilà le gamin seul, privé du soutien de son ami, il se sent déplacé. Il en veut aux pêcheurs de continuer à vivre, il est mal à l'aise au village, ridicule, privé de mots. A quoi bon vivre alors ? Le gamin traîne un sentiment de culpabilité. Qu'a-t-il fait pour mériter la vie quand tous ceux qu'il a aimés sont morts ? Peut-il encore rire, s'émouvoir, désirer, quand le corps de Báldur gît, gelé, sur la table du baraquement ? ale gamin va devoir trouver en lui des raisons de vivre.

Ce premier tome d'une trilogie est proprement envoûtant. Porté par l'écriture très poétique de Jón Kalman STEFÁNSSON, le récit raconte le froid, la solitude, le deuil, mais aussi l'amitié, la poésie, l'espoir de la jeunesse. Le gamin, tendre et émouvant, est un personnage dont on a envie de suivre le chemin. Et certains villageois, hauts en couleurs, demandent aussi à être mieux connus. Une magnifique introduction pour la suite à venir.
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Ton absence n'est que ténèbres

Ton absence n'est que ténèbres est un roman qui s'ouvre sur une église, un cimetière, une femme penchée sur une tombe, celle de sa mère. Un homme est là qui a perdu la mémoire. Elle lui sourit, lui offre ce regard familier et il se dit alors qu'ils se connaissent. N'y a-t-il pas un meilleur endroit pour tenter de retrouver une mémoire perdue ? Elle s'appelle Rúna et lui propose de retrouver sa soeur Sóley qui tient l'hôtel tout proche. Cette dernière en le voyant ouvre ses bras, le prend tout contre elle d'un élan épris d'affection. Il n'y a peut-être pas meilleure rencontre pour tenter de retrouver la mémoire perdue. Alors, l'homme décide de poser son bagage dans cette ancienne école devenue un hôtel, auprès de l'un des plus beaux fjords d'Islande et de faire semblant, comme s'il n'était pas amnésique... Nous sommes à l'été 2020.

" Souviens-toi de moi, et les démons s'éloigneront. Oublie-moi, et ils viendront me lacérer le ventre."

C'est alors un immense puzzle romanesque qui commence à s'accomplir, pièce par pièce, durant les cent-vingt ans qui nous mènent jusqu'à l'ultime page de ce très beau roman, d'une lecture exigeante, mais cependant illuminée d'une écriture très poétique, très envoûtante, parfois onirique de Jón Kalman Stefánsson.

Jamais digressions n'ont été aussi belles dans une de mes lectures.

Je vais essayer de remettre un peu d'ordre dans mes idées pour vous donner mon ressenti devant ce livre qui pose tant de questions, dessine tant de chemins dans les paysages de l'Islande et d'autres paysages qui sont dans l'intérieur des âmes de ses habitants, la plupart sont aujourd'hui des défunts. Dans les nôtres peut-être aussi, tant qu'à faire.

Tant de questions en effet ! Tiens, comme celle-ci par exemple : est-il parfois trop tard pour espérer être heureux ? Ou bien, celle-ci encore : pourquoi faut-il que la vie soit aussi compliquée ?

Si l'on pouvait savoir par avance où conduisent toutes ces routes, oserait-on les emprunter ?

Il y a même au bord de ce fjord un philosophe qui vient ici pour éviter de répondre aux questions que lui pose le monde. Et peut-être celles que je pose ici ce soir...

Se pencher au-dessus de ce livre, c'est découvrir des personnages issus d'un peuple de paysans et de pêcheurs, humbles, aimant cette terre d'Islande, volcanique, battue par les tempêtes et les rêves de ces habitants. Chaque pièce du puzzle est un personnage. Il m'a fallu apprendre à les connaître, dire leurs prénoms imprononçables, entendre leurs voix, celles des vivants et des morts. Entre les vivants et les morts, il n'y a parfois qu'un passage étroit. Jón Kalman Stefánsson sait trouver les mots pour nous aider à nous frayer un chemin à cet endroit et c'est simplement beau, empli de grâce.

Ce livre est fait pour nous perdre.

Venir à la rencontre de ces personnages, c'est comme guetter le vol des oiseaux migrateurs au printemps.

Ici le rire des femmes rend le monde plus lumineux. Je dis ça pour ce roman car cela m'a marqué, mais cela pourrait être valable pour tant d'autres livres et tant d'autres endroits sur terre...

C'est un territoire d'une beauté infinie, avec l'empreinte d'abyssales blessures tracées dans la glèbe, comme si les habitants d'ici finissaient par ressembler au paysage. Ou bien c'est peut-être l'inverse. Des paysages où règnent vie, beauté et malheur.

Se pencher au-dessus de ce livre, c'est aussi ouvrir la boîte de Pandore.

Ce sont des histoires traversées de lumières et de douleurs.

Des histoires d'amour, en pourrait-il être autrement ? Aimer, comme pour la première fois...

« Ne serait-ce pas là une définition de l'amour : quelqu'un, de bonheur ou de désespoir, ne peut détacher son regard d'une autre personne. »

Des histoires d'amour et de mort, de trahisons, de séparations, de renoncements, de dechirures. De renouveau.

Des blessures, des regrets traversent ici le corps des femmes criblé de désirs et de sanglots. Des femmes mariées perçoivent dans le coeur comme un effondrement.

Ici j'ai frôlé la courbe des reins de quelques femmes qui dans leurs salles de bain se miraient nues devant un miroir, se demandant si leurs corps marqués par le labeur et les travaux des champs étaient encore capables de désir.

« Elle se tient à la lisière de la lumière et des ténèbres. »

Les hommes d'ici ont parfois une mélancolie en eux. Ils sont taiseux mais pleurent aussi parfois, leurs yeux brûlés par les larmes.

Ici se frayer un chemin vers la lumière, c'est forcément emprunter un chemin parfois sombre.

Dans ce paysage chahuté comme un navire en pleine mer, à la force d'un amour répond toujours la douleur d'un désespoir.

Tout ceci pourrait vous paraître étrange et décousu, mais je vous jure qu'à la fin du voyage, je savais prononcer les prénoms d'Haraldur et d'Aldís, Svana, Hafrún et Skúli, Eirikur qui tirait sur les camions qui avaient écrasé ses chiots, le révérend Pétur et la paysanne Guðríður qui allaient s'éprendre l'un de l'autre à la faveur d'une histoire sur la vie naturelle des lombrics.

Et qu'à la fin du voyage, toutes les pièces du puzzle étaient enfin réunies entre mes mains encore tremblantes d'émotion.

Ce livre est un astéroïde incandescent qui m'a traversé de part en part. J'ai refermé le livre et je sentais encore en moi un bonheur indicible se consumer sans fin comme si le reste n'avait plus d'importance.

« Donne-moi les ténèbres et je saurai où trouver la lumière. »

Ce livre montre aussi que nos vies sont emplies de choses qui nous échappent.

À présent, je voudrais laisser derrière moi les ténèbres et les chagrins inutiles.

Et me souvenir de la bande-son de cette histoire qui ne cessait de trotter dans ma tête comme le pied de John Coltrane battant la mesure, Léonard Cohen, Tom Waits, David Bowie, Chet Baker n'en finissant pas de tomber de la fenêtre de cet hôtel d'Amsterdam avec sa trompette... Que du beau son !

Ah! Comme il est difficile de quitter un paysage qui ressemble à une étreinte...

Je viens de comprendre en refermant ce livre que la vie sera toujours plus grande que la mort. En doutais-je ?

Alors chère Florence, j'ai compris pourquoi ce livre t'avait rendue à toi-même, ces pages incandescentes t'ayant fait oublier le temps d'une lecture les amarres d'une vie, comme on pousse une barque vers le rivage d'un autre versant éloigné de tout repère.

« Seule la nuit peut transporter les mots entre les mondes. »

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D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds

Une fois n'est pas coutume, je commence par un extrait (que j'espère, vous apprécierez à sa juste valeur).



Extrait : « Question : Qu'est-ce qui voyage plus vite que la lumière ?

Réponse : le temps lui-même.

Il nous traverse comme une flèche. Sa pointe acérée fend la chair, les organes et les os, c'est la vie, l'instant d'après, cette pointe ressort en empruntant le même chemin, c'est la mort.

Plus vite que la lumière. Il suffit qu'il pleuve pour que passent dix années. Un battement de paupières et vous vieillissez, la nuit de la mort surplombe les montagnes. Le temps va si vite, mais parfois si lentement que, presque, nous suffoquons. Nous sommes à la fois la tortue et le lièvre, arrivons à la fois premier et bon dernier, c'est à n'y rien comprendre. Alors nous disons simplement : Elle a ôté sa robe. »



Comme vous pouvez le constater, c'est du charabia.



Et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Tout est comme ça, la lecture de ce livre, qui n'a ni queue ni tête, a été pour moi un vrai calvaire.

Déjà, avec ce titre en queue de poisson, j'aurais dû me méfier...

Alors, comme ça, le temps voyage plus vite que la lumière ? Parce que le temps voyage ?

Et la flèche du temps, elle, vous traverse et fait demi-tour pour emprunter le même chemin après avoir mis le bordel dans vos organes internes, et peut-être aussi dans votre cerveau tant qu'à faire ? (Un peu comme la balle de Lee Harvey Oswald et son trajet tortueux dans le cerveau de JFK).

Alors il pleut et paf ! Dix années de passées ! La vache ! Mieux vaut ne pas passer ses prochaines vacances en Bretagne ! Mais c'est sans compter la nuit de la mort qui surplombe les montagnes (montagnes qui à d'autres moments, poussent des cris...) Quant aux poissons, eux, ils n'ont donc pas de pieds… Mais oui, mais oui… Existe-t-il une explication à tout cela ? Oui : elle a ôté sa robe ! Et ça provoque des hallucinations graves et des malaises vagaux, n'en doutons pas un seul instant. Nous suffoquons, dit le narrateur. Mais le lecteur, lui, est déjà noyé. Car c'est à n'y rien comprendre (sic).

Et sinon, l'hôpital psychiatrique de Reykjavik, c'est de quel côté ?



Tout cela a mal commencé. Un livre non reçu dans les temps (reçu le jour même de la rencontre avec l'auteur, donc impossible à lire avant les échanges qui devaient avoir lieu). Un rendez-vous prévu le lundi suivant les attentats du 13 novembre, dans le quartier même des fusillades, que j'ai dû décommander au dernier moment. Un rendez-vous manqué avec l'auteur… et avec le livre.



Car il m'est arrivé un truc bizarre… Après avoir lu un peu plus d'une centaine de pages, par petits bouts, je me suis rendu compte à un moment donné que je n'avais aucun souvenir de ce que j'avais déjà lu... Quelle impression étrange... Esprit ailleurs ? Fatigue ? Manque d'attention après les attentats de Paris ? L'histoire en elle-même ne semblait pourtant pas si compliquée, puisqu'il ne s'y passait pas grand-chose, enfin, pas grand-chose pouvant retenir mon attention… Mais comment ai-je pu zapper autant de contenu ? N'y avait-il aucune anecdote, aucun personnage, aucun fait digne d'intérêt dans ce récit ? Plus aucun souvenir… Tout était donc oublié, parti en fumée, rien ne s'était imprimé dans ma mémoire, je me suis surpris à me demander qui étaient ces personnages, quels étaient leurs liens de parenté, qu'avaient-ils fait depuis le début du récit ? Au bout de plus de cent pages de lecture, je ne comprends toujours pas ce que veulent les protagonistes du roman, je n'arrive toujours pas à me représenter les paysages islandais malgré les nombreuses descriptions, je ne sais toujours pas qui est le narrateur ou si son identité a été révélée puis oubliée en route, je ne comprends toujours pas où l'auteur veut nous emmener...



Aux grands maux, les grands remèdes, n'écoutant que mon courage, j'ai alors entrepris de tout relire depuis le début, pour identifier les potentiels éléments qui m'auraient échappé lors de la première et laborieuse lecture... Il fallait bien pouvoir raconter deux-trois trucs dans ma future critique…



Première confirmation, le style de l'auteur est (pour moi) insupportable de prétention et de digressions inutiles, c'était donc bien pour cette raison que j'ai dû somnoler puis m'endormir en route, sans doute bercé par son baragouin amphigourique.



Au bout de cent-quatre-vingts pages (je suis parvenu à aller un peu plus loin à la deuxième lecture), je dois me résoudre à ce cruel constat : il va falloir encore s'accrocher davantage si je veux arriver au bout… Masse critique oblige, je m'accroche.



Au bout de deux-cents pages, je comprends qu'il s'agit d'un grand roman d'aventures sur la vie, la mort, tout ça, et je parviens - enfin - à mémoriser au moins deux choses importantes : 1) un type, le narrateur, dont on ne connaît toujours pas l'identité, ni les étranges motivations, parvient à tromper sa faim et son ennui en commandant un burger et une barquette de frites servis au cul d'un camion stationné sur un parking désert, il attend l'arrivée de Ari (son pote ? son frère ? son cousin ? mystère), a-t-il pris du ketchup ou de la mayonnaise ? Nous n'en saurons pas davantage ; 2) un autre gars, le dénommé Ari justement, débarque d'un avion, passe la douane et, contre toute attente, un méchant douanier l'oblige à se déshabiller entièrement et lui fait subir une fouille rectale bien profonde. Le douanier pervers s'avère être son cousin, ils se reconnaissent au cours de cette touchante scène intime et poursuivent leur conversation comme si de rien n'était, mais arrivé là, à ce stade, le lecteur s'en fout un peu. Quand Ari rencontre Salo, on bascule sur les 120 journées de Sodome and go more… On apprend que l'ex de Ari l'a dénoncé, par pure vengeance. Moralité : méfiez-vous de vos ex et de vos cousins douaniers.



J'en suis là… Pas plus convaincu que ça (je vous l'accorde) qu'il faille poursuivre cette laborieuse lecture jusqu'au bout. En tout cas, pressé de publier car l'heure du gong signalant la fin du délai de publication de cette Masse-Critique-Rencontre-Ratée approche, j'arrête ma critique ici, je pose le stylo et je rends ma copie.



Peut-être provisoirement, sait-on jamais, je reviendrai à l'antenne si besoin pour vous signaler tous faits nouveaux susceptibles de modifier mon présent avis et survenant dans les 240 pages qu'il me reste encore à lire.



A condition, bien sûr, de trouver des trucs suffisamment croustillants et dignes d'intérêt. Je lis comme du scepticisme dans vos regards et j'entends d'ici vos ricanements sous cape. On peut, en effet, douter de la chose. Mais si ça tombe, avec un auteur pareil, disposant d'autant d'imagination et de ressources poétiques imprévisibles, je vais peut-être apprendre d'autres trucs dingues sur les douaniers et sur l'Islande, à la faveur d'un renversement de situation remettant en cause les certitudes jusqu'ici chèrement acquises, comme par exemple, tenez, peut-être que le temps, finalement, voyage moins vite que la lumière et que les poissons, finalement, ont des pieds. Je trouve d'ailleurs l'auteur bien affirmatif et bien sûr de lui dans le choix de son titre…

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D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds

Ce roman réunit les ingrédients qui permettent, selon moi, la découverte d’une nouvelle littérature étrangère, d’un nouvel écrivain, ce qui fut mon cas ici :

Un territoire méconnu omniprésent, l’Islande, magnifiquement décrit dans sa singulière rudesse et sa beauté sauvage ;

Des personnages ancrés dans leur pays natal, aux caractères affirmés, réunis par le récit de leur chronique familiale sur trois générations ;

Et enfin et surtout, un ton personnel d’une grande humanité à forte connotation poétique que la traduction ne semble pas avoir écrasé, pour mon plaisir de lectrice avide de belles associations de mots et d’idées. Un régal !



Evidemment, cette lecture est un peu exigeante, mais qu’importe. Le lecteur est promené en permanence entre les époques et leurs problématiques respectives, au fil des mutations que subit l’Islande et plus particulièrement Keflavik, le port de pêche perdu où « s’oppose la raison, le vent et la lave. » Ce village que le personnage principal, Ari a fui il y a deux ans, abandonnant subitement femme et enfants à l’aube de la cinquantaine pour se réfugier au Danemark, plus près de la civilisation, et qui sait peut-être de lui-même. Car il est indéniable que le roman s’articule autour d’une période de crise existentielle, fil rouge du roman. C’est particulièrement bien rendu par le rythme du récit, enchevêtrant les bribes de vie des personnages de la génération d’Ari et celles de ses ancêtres. Très franchement, une fois immergée dans le récit, je n’ai pas vu le temps passer et j’attends le deuxième tome qui vient tout juste de paraître en Islande.



« La vie naît par les mots et la mort habite le silence. C'est pourquoi il nous faut continuer d'écrire, de conter, de marmonner des vers de poésie et des jurons, ainsi nous maintiendrons la faucheuse à distance, quelques instants. »

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Ásta

Le roman de Jón Kalman Stefánsson est l’histoire d’une femme nommée Ásta (titre du roman), un prénom dérivé du mot « ast », en islandais, signifiant amour, l’histoire de sa vie, de sa naissance à sa vieillesse.

Pour apprécier ce livre pleinement, il faut accepter de se laisser emporter et envoûter par cette superbe narration qui nous parle uniquement de la vie, vie dans laquelle l’amour en général, qu’il soit passionnel ou familial, occupe toute la place malgré, parfois, ses défaites.

Ce sont des passages du présent au passé, puis du retour au présent, bref, des allers-retours continuels sur lesquels il faut se laisser entraîner. Le fait que ce ne soit pas linéaire nous demande parfois un peu d’effort, notamment au début. Mais ensuite… c’est un envoûtement !

Ce roman d’amour qui débute à Reykjavik est une véritable promenade dans le temps et nous parle d’amour dans ce qu’il a de plus beau et de plus tragique.

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À la mesure de l'univers

Nul ne peut marcher sur la mer, ça se saurait sinon, et si « d'ailleurs les poissons n'ont pas de pied » c'est pour cette raison, apprenait-on dans le premier volet.

Voici donc le deuxième tome du diptyque, de cette saga familiale islandaise sur trois générations qui m'avait plongé avec délice dans la prose lyrique et poétique de cet auteur. C'était en 2015 déjà, ma mémoire bancale m'a incité à m'y replonger avant d'aborder la suite (mais ça n'est peut-être pas forcément indispensable, l'on peut lire sereinement le tome 2, les rappels y sont suffisants... enfin à mon avis).



L'on retrouve la famille d'Ari, poète de retour à Keiflavik pour se rendre au chevet de son père, après avoir quitté 2 ans plus tôt femmes et enfants pour Copenhague, et n'y avoir trouvé que regrets. Revoici ses amours, ses amis, ses emmerdes. Les souvenirs de son oncle Pordur, sa grand-mère Magret. Entre autres bien sûr, car les personnages prolifèrent. Construit comme le précédent, le récit oscille entre jadis et aujourd'hui, et se permet même des incises. Avec pour lien en guise d'héritage à ses diverses époques la gifle, monumentale gifle qu'ils se sont parfois transmise de père en fils.



Mais là n'est pas l'essentiel. le livre ne peut être résumé, tant les histoires des habitants de Keflavik se croisent et s'entre-mêlent, en plus de celles de la famille d'Ari.



Il y est aussi et surtout question d'univers, dans cette suite à « D'ailleurs les poissons n'ont pas de pied".

Quoi de mieux comme titre qu'« A la mesure de l'univers » en effet, quand avec Jon Kalman Stefansson on a cette sensation unique de basculer dans un monde si particulier, islandais, mêlant à l'humanité fjords et poésie, mers et étoiles, anges et glaciers. Une Islande où il ne neige pas comme ici ou là, où il faut s'attendre à voir dans les flocons des signaux d'un au-delà.



L'univers de ce roman n'est donc pas que terre-à-terre. Avec sa prose poétique et son lyrisme en conducteurs, il semble étirer parfois le réel vers un ailleurs, comme s'il cherchait dans les différentes époques une raison à l'humanité.



« Ari ouvre les yeux au son d'un chant qui lui semble venu de très loin. Il met longtemps à se réveiller vraiment, en tout cas, suffisamment pour distinguer le sommeil de la veille, le rêve du réel, et voilà sans doute pourquoi, l'espace de quelques instants, il pense que cette mélodie n'est pas de notre monde, il pense que cette nuit, les frontières entre les univers ont été abolies et que maintenant, les défunts chantent à son intention, si magnifiquement, pour l'aider à sortir du sommeil et l'envelopper de douceur avant que la réalité ne le percute. »



En tout cas une chose est sûre avec cet auteur, les étoiles s'allument à chaque fois que je le lis, à commencer par celles de Babélio.
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Entre ciel et terre

Une réelle découverte pour moi que ce magnifique roman.

L’Islande terre de pêcheurs, du froid, de la mer et de la mort apparaît ici grâce à toute la force d'écriture de Jon Kalman Stefansson comme un joyau isolé du monde.

Abritant des hommes dont le quotidien est fait de travail acharné, d'effort, mais aussi d'amour et d'amitié, de deuil et de solitude.

Comme partout ailleurs me direz-vous ? Non, justement, car la terre d'Islande n'est à nulle autre pareille ni ses habitants, ni ses tempêtes, ni ses douceurs, ni ses morts sous la plume de ce poète terriblement inspiré.

Ce fut une lecture lente, pleine de retours en arrière, de relectures et de contemplation.

Et j'ai parcouru ce livre la gorge nouée, avec l'envie impétueuse de pouvoir d'un simple claquement de doigt me retrouver en plein coeur d'une Islande enneigée, venteuse et glaciale certes, mais tellement fascinante.

Jon Kalman Stefansson est un poète. Et quel poète ! Il mêle récit et sublimation des lieux, des personnages, des sentiments de telle façon que l'on ne peut que se laisser porter par sa plume.

La mer, la vie, la mort, le deuil, le suicide, l'amour, l'amitié, l'adversité, la nature, la solitude tant de thèmes abordés et tant d'arrêts sur image pour pouvoir s'imprégner et se laisser envoûter.

J'hésite à insister sur la qualité d'écriture de ce roman tant elle a déjà été dite ici ou ailleurs, mais oui, vraiment, quelle plume!!!

Et quel bel horizon que cette terre Islandaise croquée, crayonnée, esquissée, puis, le trait se faisant plus précis de page en page, complètement sublimée et comprise, puis désirée. Jusqu'à l'aimer.

Une terre offerte, un don.

Merci donc Monsieur Stefansson pour ces pages si radieuses et émouvantes,

pour cette offrande si généreuse.



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Ásta



Dans les paysages glacés d’Islande, sur les landes désolées couvertes de lave, avec la grande pauvreté de ce pays qui lutte contre la faim, entre l’érotisme le plus cru et l’alcoolisme vraiment cuit, Jon Kalman Stefansson nous balade, de façon érudite et musicale à travers l’histoire d’une famille, dont nous avons du mal à comprendre les rapports entre eux. Sigvaldi le père vient de tomber de son échelle de peintre en bâtiment, or, comme on le sait, les souvenirs des derniers instants rappellent toute une vie, ces souvenirs confondant le temps et les circonstances, entrecoupés de lettres écrites par celle que nous devinons être sa fille, Asta. Les évènements s’entrechoquent entre eux, pour former un puzzle où, j’avoue, j’ai parfaitement situé tous les personnages, et cependant dont j’ai trouvé l’intérêt médiocre.

L’auteur nous dévoile qu’une vie ne peut se raconter d’une façon linéaire, d’accord. Il nous parle presque à chaque chapitre des odeurs, de l’odeur sale de la vieille nourrice, de l’odeur de poisson attaché aux pécheurs, de l’odeur de chacun des visiteurs sentis par le chien, de l’odeur, à Vienne, de l’haleine putride du professeur d’Université qui voudrait bien sauter la jeune Asta - finalement, elle préfère lui faire une pipe, ça sentira moins mauvais - . Les odeurs sont celles aussi des excréments et de l’urine de la pauvre nourrice morte seule après avoir aimé passionnément Asta. Mais, surtout, surtout, l’odeur de la mort plane sur tout le livre, nous rappelant si besoin est, et, oui, besoin est, que la Faucheuse est là, guettant ses proies, même si on mange bio, elle attend son heure.

« Mais il en va ainsi, nous laissons les jours passer, nous laissons la nuit envahir le ciel et nous oublions de vivre la vie qui nous est offerte. »

Parce qu’indéniablement , les baisers ne durent pas toute une vie, nos chiens meurent, nos compagnons nous trahissent ou nous quittent, et nous finissons inexorablement par mourir, le ciel qui paraît bleu s’obscurcit, finalement il n’était pas si bleu. Les souvenirs servent à ça, caresser les blessures de la vie et contrer la mort, qui ne peut se contrer.

Et même si la beauté de la clarté insensée de la lune « quand les montagnes n’ont plus rien de terrestre, que la mer s’est changée en miroir d’argent et les touffes d’herbes en chiens endormis » et que voilà la vraie vie, il y a un mais, ajoute l’auteur, Asta est-elle à l’abri pour le reste de sa vie ? Non, bien sur que non.

J’ai bien aimé la manière de présenter par une phrase énigmatique certains paragraphes, et de commencer un chapitre par une phrase qui se trouve justifiée dans le texte qui suit. J’ai bien aimé l’ambiance, sûrement proche de ce pays nordique.

J’aurais finalement préféré, même si ce que je dis n’est pas gentil, que Stefansson écrive, tout simplement son véritable message perdu dans un puzzle : « les hommes connaissent amour, deuil, larmes et douleur. »

LC Thématique décembre : littérature étrangère

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Lumière d'été, puis vient la nuit

Merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour l'envoi de ce livre dans le cadre de la masse critique.



Cette oeuvre nordique porte bien son titre, mais la lumière d'été m'a paru très brève en tant que lecteur, vite perdu dans la nuit. En effet, cette chronique villageoise irlandaise m'a semblé plutôt confuse, avec des personnages suscitant peu d'empathie. Les femmes s'occupent surtout de combler les désirs sexuels des hommes ce qui ne va pas sans conflits car cela ne se passe pas forcément dans les lits conjugaux.



Elles sont quand même les pièces maîtresses de ce roman, de cet ensemble de nouvelles plutôt qui se télescopent puisqu'on retrouve la plupart du temps les mêmes personnages qui tournent autour de deux obsessions : le sexe et la mort, souvent dans un monde onirique où j'ai eu du mal pénétrer.



On a quand même quelques réflexions métaphysiques intéressantes et de rares descriptions de l'univers naturel islandais où évoluent tous ces personnages bien prisonniers de leurs destinées. Même ceux qui ont fui le village de l'ennui finissent par y revenir, on ne sait trop pourquoi.



On apprend quand même à la dernière page que les chiens vieillissent plus vite que les hommes. "Et ensuite?"



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Entre ciel et terre

En Islande, oublier sa vareuse et partir en mer n'est vraiment pas une bonne idée, car en Islande, entre ciel et terre, il fait froid, très froid.



C'est pourtant ce que fait cet étourdi de Bardur, pêcheur de morue de son état, désormais la tête dans les étoiles et les fesses au frais.



Les vers du Paradis perdu de Milton ne vont pas suffire à lui réchauffer le coeur (et le reste) puisqu'il meurt de froid.



Raconté comme ça ce n'est pas très poétique, mais ça se passe comme ça en Islande quand le marin prend la mer, pas couvert.



Le gamin, le copain, l'ami n'y peut plus rien, sinon rapporter son bouquin au vieux capitaine aveugle, - et mourir après, peut-être.



Raconté comme cela, ça ne rend pas hommage à ce magnifique livre, mais quand même, un vrai marin n'oublie jamais sa vareuse et que la mer est cruelle, n'est-ce pas monsieur Jon Kalman Stefansson ?

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Mon sous-marin jaune

« Mon sous-marin jaune », le nouvel opus d’un auteur à part, poète intransigeant devenu romancier poète, auteur de l’un des plus beaux romans de la littérature contemporaine, « Entre ciel et terre », donne libre cours à l’imagination débridée de Jón Kalman Stefánsson.



Ce roman, teinté de surréalisme, qui emprunte un mode d’écriture évoquant l’écriture automatique, chère à André Breton, semble se dérouler dans un parc londonien où le narrateur, 59 ans en 2022 comme l’auteur, aperçoit Paul McCartney. Il projette de lui offrir le plus ancien texte du monde, « L’Épopée de Gilgamesh », un long texte mésopotamien datant de plus quatre mille ans.



Si la présence concomitante du bassiste de Beatles et du narrateur dans un parc anglais en cet été 2022 est un motif récurrent du roman, il s’agit en réalité d’une diversion. « Mon sous-marin jaune », allusion transparente au célèbre « Yellow Submarine » est surtout une manière pour le narrateur de revenir sur une enfance islandaise austère et pieuse, marquée par le décès précoce de sa mère, un décès que, ni son père, ni lui-même, n’ont jamais réellement surmonté.



Dans un roman plein de joie et de tristesse, joyeusement foutraque, Stefánsson convoque le Dieu vengeur de l’ancien testament, tandis que son fils Jésus le miséricordieux se fait plus discret. Le Dieu de la Torah se révèle être un compagnon de beuverie du père du jeune héros, avec qui il chante des chansons de marins jusqu’à plus soif, en compagnie de Johnny Cash.



« Parfois, la vie est une baleine qu’on vient de capturer, mais - où diable est donc Johnny Cash ? »



L’auteur prend un malin plaisir à découper son roman faussement désorganisé en chapitres aux titres tout droit sortis de « Vol au-dessus d’un nid de coucou ». Il insuffle à intervalles réguliers, une forme de vent islandais fou, dans un roman qui mêle le sacré et le profane avec une maestria qui n’appartient qu’à l’auteur.



« Ces choses qui peuplent ma tête, tout ce qui fait que la vie se pare d’étrangeté dans la mort, et Ringo Starr est l’évêque de Hólar ».



J’ai songé en ouvrant ce livre, qu’il serait parsemé d’allusions pour « happy few », ces fins connaisseurs des Beatles qui glosent des nuits entières sur les qualités respectives de « Sergent Pepper » et de l’Album Blanc. Funeste Erreur ! Paul McCartney est bien présent tout au long de ce roman inclassable, et sans doute adulé par l’auteur lui-même. Le terrible assassinat de John Lennon par Mark Chapman représente la fin d’un monde, un monde où les Beatles pourraient se reformer, et les voix de John & Paul s’emmêler comme dans leurs plus belles chansons des sixties.



Et pourtant. « Mon sous-marin jaune » n’est pas un livre sur les Beatles, mais bien davantage une étrange farce métaphysique, où un jeune enfant déchiffrant l’Ancien Testament est horrifié par les horreurs indicibles qu’un Dieu sans pitié intime à Moïse de commettre en son nom. Et ce d’autant plus que l’Éternel a pris ses quartiers à l’arrière de l’inusable Trabant de son paternel, où il écluse des quantités titanesques de vodka en compagnie de Johnny Cash.



Le dernier roman de Stefánsson est en réalité un roman sur le questionnement profond et sans malice d’un enfant confronté à l’insondable violence des Écritures, qui ne comprend pas la colère irascible de l’Éternel et se reconnaît bien davantage dans la douceur du message du fils de Dieu, crucifié sur une croix à l’âge de trente-trois ans. Un enfant que sa belle-mère emmène dans les terres arides, sauvages, solitaires, du nord de l’Islande. Un lieu où il découvrira qu’il est en mesure de parler aux morts, que la frontière entre la vie et le trépas est plus ténue qu’on ne l’imagine...



« L’Éternel descend sur Terre, s’assoit dans la Trabant à côté de mon père, et quelqu’un verse des larmes de joie. »



Roman tout en digressions et en contretemps, « Mon sous-marin jaune » ne saurait se réduire à un roman loufoque, où son auteur laisse libre cours à son imagination débordante. Avec une forme de pudeur de clown triste, Stefánsson aborde des questions essentielles de notre bref passage sur cette terre. La mort précoce d’une mère aimante emportée par la maladie, l’alcoolisme d’un père qui sombre dans le chagrin, le regard innocent et empli d’une sagesse qui disparaîtra avec les années que porte un enfant de sept ans sur un monde devenu fou.



« ... et je deviens aussi triste que la commissure des lèvres de Ringo Starr »



Si le sens du tragique de l’existence s’invite dans ce roman foisonnant, il n’est justement jamais triste et recèle bien au contraire une vitalité joyeuse et bordélique. Une vitalité qui ressemble à la vie elle-même. Et c’est peut-être la véritable prouesse accomplie par l’auteur dans cet ouvrage qui ne ressemble à nul autre : nous restituer la grâce éphémère de cet improbable miracle que l’on nomme la vie.



---



« Some kind of innocence is measured out in years

You don't know what it's like to listen to your fears



You can talk to me

You can talk to me

You can talk to me

If you're lonely, you can talk to me »



Hey Bulldog - The Beatles



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