Citations de Pascal Bruckner (582)
comme est juste la remarque de Kierkegaard accusant les églises de n'être qu'"une entreprise lucrative de transport vers l'éternité qui n'évite le discrédit que parce qu'on est sans nouvelles des voyageurs "!
(...)Saladin (1138-1193) suscita une admiration débordante chez les croisés parce qu'il avait mené et gagné la guerre avec humanité et de façon chevaleresque, sans être payé de retour par ses adversaires (...). Mais les djihadistes ne méritent en rien notre estime : ils ne combattent pas, ils se suicident en tuant un maximum de gens. Ces nazis debraillés sont des mercenaires de la mort, des zombies sans loi mais non sans foi, même si c'est la foi dévoyée du nihilisme.
La liberté amoureuse est dure à assumer : surtout celle de l'autre.
je préfère les livres aux humains: ils sont déjà écrits, on les ouvre, on les ferme à volonté.
un être humain, on ne sait jamais comment le prendre, on ne peut le ranger ou le déranger à loisir.
On ne blesse bien que les êtres chers. Il n'y a aucun plaisir à malmener des inconnus. Et puis tout ce que nous nommons civilisation repose sur l'approfondissement de la cruauté. La férocité prospère aujourd'hui dans les mots, se spiritualise en raison du discrédit porté sur la violence physique. Notre génération, qui tire orgueil d'avoir congédié la sauvagerie, l'a contrainte à revenir masquée.
Ce que deux êtres se donnent de plus beau, ce n'est pas seulement leur corps, leurs plaisirs, leurs talents mutuels, c'est une histoire à nulle autre pareille qui les liera à jamais même s'ils doivent se quitter [...] Quant à la souffrance amoureuse, elle est indissociable de la félicité, notre chagrin nous plaît et nous manquerait s'il venait à disparaître, délices et douleur mêlées. On peut bien piétiner l'amour, le maudire, se gargariser de pathos facile, il n'empêche que lui et lui seul nous donne le sentiment de vivre à haute altitude et de condenser dans les moments où il nous ensorcelle les étapes les plus précieuses d'un destin. La passion est peut-être vouée à l'infortune, c'est une infortune plus grande encore de n'être jamais passionné.
Mais aucune séparation n'est simple et ne consiste à simplement tourner la page : des êtres anciens résonnent en vous longtemps après leur départ, reviennent vous hanter, vous tirer par la manche. Des retours de flamme existent à quinze ou vingt ans de distance pour des rencontres de jeunesse qu'on n'a pas su apprécier. Il est des couples enfin qui persistent à coexister par l'esprit alors qu'ils ont cessé de se voir. La rupture est la voie que leur amour a choisie pour se prolonger sans être importuné par la vie commune.
C'est les autres qui nous renvoient en permanence à notre âge.
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à 4.40
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Les défroqués du jeunisme
Dans son livre autobiographique, Le Monde d'hier (1942), Stefan Zweig raconte comment à la fin du XIXºsiècle, à Vienne, dans l'Empire austro-hongrois, régi par un souverain de 70 ans, entouré de ministres chevrotants, l'opinion tenait la jeunesse en suspicion. Malheur à qui avait gardé une allure puérile: il ne trouvait pas d'emploi et la nomination de Gustav Mahler à 37 ans au poste de directeur de l'Opéra impérial fut une exception scandaleuse.
Être jeune constituait alors une entrave à toutes les carrières. Il fallait pour les ambitieux paraître plus âgés, commencer à se vieillir dès l'adolescence: hâter la croissance de la barbe en se rasant tous les jours, charger son nez de lunettes à monture d'or, afficher des cols empesés, s'engoncer dans des habits rigides, s'imposer le port d'une longue redingote noire et, si possible, afficher un début d'embonpoint, gage de sérieux. Endosser dès 20 ans le costume de la vieillesse était la condition sine qua non de la réussite.
Vieillir c'est comme arpenter un long couloir dont les portes se referment les une après les autres. Le grand défi est d'en laisser au moins une ouverte avant le Grand Noir.
L'abstraction même du bonheur explique sa séduction et l'angoisse qu'il génère. Non seulement nous nous méfions des paradis préfabriqués mais nous ne sommes jamais sûrs d'être vraiment heureux. Se le demander, c'est déjà ne plus l'être.
Tomber amoureux, c'est rendre du relief aux choses, s'incarner à nouveau dans l'épaisseur du monde, et le découvrir plus riche, plus dense que nous ne le soupçonnions.
Les livres m'ont sauvé du désespoir, de la bêtise, de la lâcheté, de l'ennui. Les grands textes nous hissent au-dessus de nous-mêmes, nous élargissent aux dimensions d'une république de l'esprit. Entrer en eux, c'est comme aborder la haute mer ou décortiquer un mécanisme d'horlogerie extrêmement sophistiqué.
Des livres justement il y en avait trop et Louis réalisait combien il les haïssait. La vérité c'est qu'il y avait tant de livres qu'une vie d'homme ne suffirait pas à en lire simplement les titres. Il était fatigué de leur multitude, de leur vacuité, de leur ressassement. Il était las de ces mêmes intrigues, de ces mêmes idées, de ces mêmes fables qui revenaient à des siècles de distance sous des aspects à peine différents. Si seulement chaque bibliothèque pouvait brûler comme celle d'Alexandrie, si on avait étranglé Gutenberg dans son berceau et retardé de quelques siècles l'invention de l'imprimerie, quel gain de temps !
[À sa majorité] son père lui présenta la facture de son enfance et de son adolescence. C'était une coutume de famille : on ne donnait pas la vie chez ces gens-là, on la prêtait. Chacun devait la racheter à ses propres géniteurs, s'exonérer d'un fardeau qui retomberait invariablement sur ses descendants. Madeleine avait dix ans pour rembourser une somme que tout un système de pénalités pouvait augmenter ou même doubler.
A la fin des années 60, un tiers des femmes étaient vierges à la veille de leur mariage; à la fin des années 80, elles ne sont plus qu'une sur dix.
Avec le clochard, la compassion n’est jamais loin de la violence, la charité de la haine. On ne pardonne pas à celui qui s’abaisse de vous abaisser en même temps, de vous tirer vers la fange. Dans sa perdition, il suscite en nous une sorte d’horreur sacrée puisqu’une mince frontière sépare la vie courante de l’abjection. Il incarne la fascination du gouffre.
page 84 :- mais qu'est-ce qu'ils t'on fait, les Juifs ?
- Mais... il en bégayait de rage - mais enfin, c'est évident. Ils ont tout corrompu, tout sali, tout piétiné. Ils veulent dominer le monde, ils se moquent de nos valeurs les plus sacrées. Les seuls Juifs que j'apprécie sont ceux qui vivent dans la honte d'être ce qu'ils sont.
Tu comprends, on ne peut pas leur faire confiance. Ils sont toujours en errance, un jour ici, un autre là. Des Luftmenschen comme on dit en allemand, des créatures de l'air. En plus, ils sont racistes, ils ne veulent pas se mélanger.
Vient un moment où les relations avec un être sont si entremêlées qu'on ne peut distinguer l'amour du devoir.
Pascal Bruckner
dans : "Un bon fils" que j'ai très envie de lire
Le meilleur moment dans l'amour, a dit Clemenceau, c'est quand on monte l'escalier. Mais non, corrigeait Antonin, c'est quand on les redescend ou que l'autre prend congé. Il vantait à Monika les mérites du LAT, un acronyme anglo-saxon : Living Apart Together, vivre ensemble séparés, chacun dans son appartement. Elle détestait ces théories fumeuses où elle ne discernait qu'un refus très masculin de s'engager. Il l’aimait bien mais à petites doses. Il fractionnait son cœur comme des parts de gâteau.