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Critiques de William Shakespeare (1644)
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Les deux Gentilhommes de Vérone - La Mégère app..

Officiellement, Les Deux Gentilshommes De Vérone est une comédie de Shakespeare. Pourtant, si elle avait été écrite par un contemporain espagnol, on parlerait sans retenue de tragicomédie. Car en fait, si l’on veut décrire précisément ce qu’est cette pièce, il faut dire qu’il y a des passages franchement tragiques, d’autres qui relèvent du drame amoureux et que seulement de place en place, on trouve, comme plaquées réglementairement, quelques scènes burlesques.



Ces scènes burlesques sont d’ailleurs, de mon point de vue, un peu lourdes et n’apportent strictement rien à la pièce. Le comique (ou pseudo comique) est péniblement soutenu à bout de bras par les seuls valets des deux personnages principaux que sont Protée et Valentin. La mécanique en est souvent lourde et insistante ou bien ne tient que sur des jeux de mots et la polysémie des termes. La seule scène que je trouve un peu drôle est celle du don du chien à la belle Silvia.



Franchement dit, William Shakespeare n’a pas l’âme d’un auteur comique ; en revanche, dès qu’il nage dans le tragique, il est toujours bon. Il sait mettre une tension dramatique, il sait faire affleurer les émotions, il sait créer des situations outrancières où le public que nous sommes ne peut que réagir, s’indigner ou pleurer avec les personnages.



Les thèmes des Deux Gentilshommes de Vérone sont l’amitié et l’amour vus sous le prisme de la fidélité. Protée n’a d’yeux que pour sa belle et douce Julia. Son père s’inquiète de savoir son fils si peu enclin à voir du pays, à cumuler des expériences ou à nouer des relations avec quelques puissants. L’amour est son seul carburant et il est tout près, sous ses yeux à Vérone.



Le meilleur ami de Protée, Valentin, lui n’a pas ce genre de problème. Il en est même à se demander s’il tombera amoureux un jour. De ce fait, il n’hésite pas à voir du pays et à entretenir des relations avec la cour de Milan. Face à ce contraste, le père de Protée décide d’expédier manu militari son fils à Milan, sachant qu’il pourra être pris en main sur place par Valentin.



Voilà qui contrarie méchamment les plans de Protée et de Julia qui avaient justement prévu de célébrer leurs noces sous peu. Tant Julia que Protée apprennent la nouvelle, la mort dans l’âme, et sont bien obligés de se résoudre à une séparation obligatoire le temps de satisfaire les exigences du paternel de Protée. Vibrants échanges de serments de fidélité éternelle, d’anneaux et de sûrement plein d’autres choses…



De son côté, Valentin, hôte depuis seize mois du Duc de Milan sent soudain la carapace de son cœur se fendiller et son organe battre pour les doux yeux de la fille du Duc, Silvia. Il est comme tout troublé, l’ami Valentin, tout chose. Ça ne lui était jamais arrivé, alors comprenez-le. Pour son plus grand plaisir, ladite Silvia n’est pas du tout insensible aux charmes du beau jeune Véronais.



Arrive Protée à Milan. Valentin le reçoit à bras ouverts, le présente au Duc et lui confie même qu’il en pince pour Silvia. Protée de son côté se surprend à ne pas tellement souffrir de la séparation d’avec Julia jusqu’au moment où… il perçoit la fille du Duc. Les yeux s’écarquillent, la mâchoire tombe, un filet de bave commence à couler et Protée se trouve à son tour sous le charme de la Milanaise.



Fera-t-il une infidélité à Julia ? Trahira-t-il son ami Valentin ? Silvia se laissera-t-elle soudoyer ? Julia ne fera-t-elle rien pour se rappeler aux bons souvenir de son fiancé ? Le Duc restera-t-il sans rien faire ? Valentin se laissera-t-il pigeonner par son meilleur ami ? Lirez-vous cette pièce pour en connaître le fin mot ?



La seule chose que vous tirerez encore de moi quant à cette pièce est relative aux noms qu’a choisi William Shakespeare pour baptiser ses héros. Protée, qui, comme le dieu grec homonyme à une fâcheuse tendance aux changements d’attitude et Valentin, qui, comme son nom l’indique, était voué à tomber sincèrement amoureux.



Un mot encore sur l’intertextualité qui est mon grand dada. Le cadre de la pièce est — vaguement — l’Italie. J’écris « vaguement » car on sent bien qu’il ne s’est guère documenté sur la région et que s’il place son drame là-bas, c’est sans doute uniquement pour faire un appel du pied au Décaméron de Boccace, notamment la huitième nouvelle de la dixième journée qui fournit une partie de la trame de cette tragicomédie. Enfin, je signale que le personnage de Valentin, en particulier dans la deuxième partie de la pièce a très probablement influencé Schiller pour sa pièce Les Brigands.



Il est vrai que cette pièce est plutôt précoce dans la carrière de l’auteur, souvent considérée comme une œuvre de jeunesse bien qu’on puisse évaluer sa composition autour de l’âge de la trentaine, et n’est sans doute pas la toute meilleure de Shakespeare. Toutefois, voilà une pièce assez plaisante d’après moi et qui ne mérite pas qu’on lui tourne le dos. Certes, je sens un potentiel autrement supérieur au grand dramaturge anglais en matière de tragédie qu’en matière de comédie, mais il n’empêche, on aurait tort de s’en priver. Au reste, ce n’est là qu’un avis protéiforme, c’est-à-dire, pas grand-chose.
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Titus Andronicus - Jules César - Antoine et C..

J'ai entendu ou lu beaucoup de mal de cette tragédie. On l'accuse d'à peu près tout ; on met en doute qu'elle soit bien de la main de Shakespeare ; on l'accuse de verser dans le gore et l'horreur ; de facilité pour satisfaire un public peu raffiné, et de mille autres maux encore.



Et bien permettez-moi de ne pas souscrire à ce concert de crachats. Je n'affirmerai pas qu'il s'agit de la meilleure tragédie de son auteur, ça non. Mais en tout cas, je la trouve extraordinairement plus intéressante que la dernière comédie de William Shakespeare que j'aie lu, le Songe D'Une Nuit D'Été.



Alors, c'est vrai ; c'est vrai qu'il n'a pas eu peur de faire jaillir l'hémoglobine à chaque coin de scène ; c'est vrai qu'il a misé sur le fait de choquer son public pour faire naître de l'empathie vis-à-vis d'actes, eux-mêmes, horribles.



Qu'en est-il ? Titus Andronicus est un vieux général romain à la droiture et au patriotisme irréprochables, tout auréolé de gloire, qui s'en revient d'une campagne fructueuse (surtout tueuse) en Germanie. Il a réussi à soumettre les Goths et ramène d'ailleurs, au titre de trophée de guerre, la reine d'entre-eux, Tamora, ainsi que ses trois fils.



Pendant ce temps à Rome, les fils de l'empereur décédé, Saturnius et Bassianus, s'écharpent à qui mieux mieux pour savoir lequel des deux sera le prochain souverain. Au sénat, beaucoup pensent que Titus Andronicus ferait un bien meilleur empereur que ces deux jouvenceaux bouffis d'orgueil et à la morale discutable.



Toutefois, le vieux général décline l'honneur qui lui est fait et préfère se montrer loyal envers la lignée impériale. Il préfère jouir paisiblement de son prestige auprès des quelques fils qui lui reste et qui se sont illustrés, comme lui, sur le champs de bataille. Tous les autres sont morts au combat pour Rome.



Titus Andronicus prend donc le sage parti d'incliner en faveur de Saturnius, l'aîné des deux frères, en qualité d'Empereur et d'accorder sa somptueuse fille Lavinia à Bassianus : prix de consolation amplement suffisant aux yeux de l'intéressé tant tout Rome souhaitait obtenir la main de la belle.



Saturnius qui était sur le banc des prétendants à la main de Lavinia se voit donc dans l'obligation de reporter ses ardeurs amoureuses sur la non moins pulpeuse reine des Goths, Tamora, dont on espère ainsi apaiser le peuple fraîchement soumis. (J'ai écrit " pulpeuse " sans aucune indication concordante dans le texte, uniquement en souvenir d'un antique slogan publicitaire, " Tamora relève le plat ", veuillez me pardonner.)



Tout va bien, alors ? me direz-vous. Nul besoin de sang ni de tragédie dans ce monde idyllique. Euh... pas tout à fait, en fait. D'une part, Titus Andronicus satisfait à la tradition religieuse romaine du vainqueur de sacrifier aux Dieux le fils aîné des vaincus. Tamora l'implore à genoux d'épargner son fils Alarbus mais rien n'y fait ; celui-ci est sacrifié en bonne et due forme.



Imaginez l'onde de ressentiment qui émane de Tamora à l'endroit de Titus (je vous laisse quelques secondes pour imaginer). Voilà, vous voyez, ce n'est pas rien. Sachant, en plus qu'elle s'accoquine d'un Maure aux noirs desseins (et je crois qu'elle aime bien d'ailleurs ses noirs dessins). Attention, attention, c'est là qu'il risque d'y avoir du sport. Vous avez aimé les carnages de la Reine Margot ? Ça vous a plu ? Vous en voulez encore ?



Pas de problème, ça va gicler de partout. Tamora demande à ses deux fils de s'en prendre à la fille de Titus. Le Maure machiavélique imagine le moyen d'assouvir la vengeance de la reine. Lors d'une partie de chasse où le gratin est convié, les deux fils de Tamora s'arrangent pour assassiner Bassianus, le frère de l'empereur, sous les yeux de sa charmante jeune épouse Lavinia.



La pauvre, horrifiée, témoin embarrassant du crime n'a sans doute plus qu'à mourir. Mais non, et c'est là que les conseils abjects du Maure prennent toute leur dimension d'horreur. Les deux lurons violent Lavinia en bonne et due forme et, pour que l'abjection soit complète, lui tranchent les deux mains, pour qu'elle ne puisse plus écrire, et surtout, lui découpent la langue, afin qu'elle ne puisse plus parler.



Vous êtes écoeurés ? Attendez, vous n'avez pas tout vu. Le Maure s'arrange pour que deux fils de Titus découvrent le cadavre de Bassanius au fond d'une fosse et, tandis qu'ils s'émeuvent du crime, le Maure amène Saturnius, Empereur et frère de l'assassiné, auprès du cadavre, en indiquant que ces deux-là sont les auteurs du méfait.



Le résultat de se faire pas attendre. Les deux fils de Titus sont conduits à Rome pour y être décapités. Mais le vieux Titus espère encore intercéder en leur faveur, eu égard aux nombreux services rendus, afin de prouver leur innocence. Et là encore, le Maure trouve un stratagème odieux. Il annonce à Titus que s'il lui offre sa main tranchée en signe de soumission, l'empereur épargnera ses deux fils. Mais, vous imaginez bien qu'à peine la main arrive sur le bureau de l'empereur, les deux têtes de ses fils atterrissent sur la table de Titus.



Si je récapitule, pour Titus, deux fils décapité, une adorable fille violée, démembrée, défigurée, son dernier fils banni de la ville de Rome et lui même, allégé d'une main. Peut-on gravir encore un échelon sur l'échelle de l'horreur ?



Sans doute, mais ça, ce sera à vous de le découvrir si le coeur vous en dit. Sachez toutefois que cette tragédie annonce à bien des égards d'autres tragédies fameuses de William Shakespeare. Le Maure, par exemple, n'est autre qu'un avatar de Iago dans Othello. Tamora, la reine sanguinaire rappelle à s'y méprendre la mémorable Lady Macbeth.



Songeons, au demeurant, que pour nos amis anglais, l'histoire de Boudica (ou Boadicée), la reine celte qui s'est insurgée contre Rome dans le sang à l'Antiquité est bien présente dans l'imaginaire. Donc, rien d'étonnant, dans le contexte sanglant des guerres de religion (en France notamment) et avec une telle histoire nationale que Shakespeare soit allé lorgner du côté obscur de la tradition latine, notamment les écrits de Lucrèce, témoin d'abominations autour du pouvoir à Rome.



Je ne partage donc pas l'opinion commune qui consiste à considérer cette pièce comme du " sous-Shakespeare ". C'est un autre Shakespeare, mais pas moins bon, pas moins fort que tous les autres aspects de son talent. On peut, évidemment, être moins admiratif de telle ou telle facette de sa production théâtrale. Personnellement, j'aime encore mieux cette tragédie bien sanglante que ses comédies bourrées d'elfes et de fées qui ne me font rien passer. C'est affaire de goût. Et, une fois encore, une fois pour toutes, ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Tragédies, tome 1

Ce premier des volumes pléiade du théâtre de Shakespeare contenant à la fois des nouvelles traductions vraiment très réussies et le texte original en vis-à-vis est un indispensable pour qui s'intéresse un minimum au plus grand des dramaturges anglais.



Bien qu'animé d'une volonté chronologique de présenter dans un premier temps uniquement les tragédies (viendront ensuite les histoires et les comédies), ce premier tome fait presque figure de Best Of tellement le niveau des pièces regroupées ici est élevé.



Les deux pièces les moins connues sont les deux tragédies antiques Titus Andronicus et Jules César, mais on y trouve également les deux pièces italiennes ultra célèbres que sont Roméo & Juliette et Othello, avant d'atteindre l'apothéose avec l'inénarrable Hamlet. Un tel programme, ça laisse rêveur. Si l'on ajoute à cela une très belle présentation générale de l'auteur d'Anne Barton qui ne se trouve que dans ce volume, il devient difficile d'y résister.



1) TITUS ANDRONICUS

Dans cette pièce, il est vrai que Shakespeare n'a pas eu peur de faire jaillir l'hémoglobine à chaque coin de scène ; c'est vrai qu'il a misé sur le fait de choquer son public pour faire naître de l'empathie vis-à-vis d'actes, eux-mêmes, horribles.



Qu'en est-il ? Titus Andronicus est un vieux général romain à la droiture et au patriotisme irréprochables, tout auréolé de gloire, qui s'en revient d'une campagne fructueuse en Germanie. Il a réussi à soumettre les Goths et ramène comme trophée de guerre, la reine Tamora et ses trois fils.



Pendant ce temps à Rome, les fils de l'empereur décédé, Saturnius et Bassianus, s'écharpent pour savoir lequel des deux sera le prochain souverain. Au sénat, beaucoup pensent que Titus Andronicus ferait un bien meilleur empereur que ces deux jouvenceaux.



Toutefois, le vieux général décline l'honneur qui lui est fait et préfère se montrer loyal envers la lignée impériale. Titus Andronicus prend donc le sage parti d'incliner en faveur de Saturnius, l'aîné des deux frères, en qualité d'Empereur et d'accorder sa fille Lavinia à Bassianus.



Saturnius reporte ses ardeurs amoureuses sur la reine des Goths, Tamora, dont on espère ainsi apaiser le peuple fraîchement soumis. Cependant, Titus Andronicus satisfait à la tradition religieuse romaine du vainqueur de sacrifier aux Dieux le fils aîné des vaincus. Tamora l'implore à genoux d'épargner son fils Alarbus mais rien n'y fait.



Tamora développe donc un vif ressentiment à l'égard de Titus et demande à ses deux fils de s'en prendre à la fille de Titus. Parallèlement, elle s'accoquine d'Aaron, un Maure machiavélique, qui imagine le moyen d'assouvir la vengeance de la reine.



Lors d'une partie de chasse, les deux fils de Tamora assassinent le frère de l'empereur sous les yeux de son épouse Lavinia. La pauvre, horrifiée et témoin embarrassant du crime n'a sans doute plus qu'à mourir. C'est là que les conseils abjects du Maure prennent toute leur dimension d'horreur. Les deux lurons violent Lavinia en bonne et due forme et, pour que l'abjection soit complète, lui tranchent les deux mains, pour qu'elle ne puisse plus écrire, et surtout, lui découpent la langue, afin qu'elle ne puisse plus parler.



Le Maure s'arrange également pour que deux fils de Titus découvrent le cadavre de Bassanius et soient accusés du crime aux yeux de l'Empereur. Celui-ci fait conduire les deux fils de Titus à Rome pour y être décapités.



Le vieux Titus espère encore intercéder en leur faveur, eu égard aux nombreux services rendus, afin de prouver leur innocence. Et là encore, le Maure trouve un stratagème odieux que je vous laisse le soin de découvrir par vous-même ainsi que la fin de la pièce.



2) ROMÉO ET JULIETTE

Dans cette pièce qu'il réécrit à partir de plusieurs modèles italiens existants, William Shakespeare nous dresse un tableau où deux familles rivales s'opposent, pour des raisons anciennes, obscures et probablement oubliées, dans une lutte à mort.



Le vieux Montague et le vieux Capulet sont deux respectables, aimables, riches citoyens de Véronne, estimés l'un et l'autre du seigneur de la ville, mais qui se détestent l'un l'autre. Chacun des membres du clan ne demande que le prétexte pour se lancer dans une échauffourée avec la bande rivale.



On comprend alors que l'amour entre un jeune homme d'un clan à l'endroit d'une jeune fille de l'autre clan est une impossibilité totale. La puissance de l'amour et sa capacité à franchir tous les obstacles sera ressort essentiel de la pièce.



Mais, outre l'appel à l'émancipation de la jeunesse et à la fin de la férule des parents, je vois dans cette pièce un message plus politique, celui que quand les puissants s'affrontent, les enfants innocents de chaque nation payent l'addition et que tout ce qu'ils récoltent, c'est, au mieux, un monument à leur nom. En somme, une dénonciation de la folie des dirigeants qui s'engagent dans des conflits sans fondement et qui sacrifient de jeunes vies pour cela.



3) JULES CÉSAR

Voilà une tragédie très subtile, tout en nuances, largement sous-estimée où j'ai adoré l'ambivalence qui caractérise presque tous les personnages principaux de la pièce.



Certes, on retrouve chez Cassius, notamment en début de pièce, quelque chose du machiavélisme du Iago d'Othello ou encore du Maure de Titus Andronicus, mais l'auteur s'attache à justement le réhabiliter en en faisant un personnage il est vrai envieux mais non dénué de qualités réelles et positives.



L'ambiguïté est encore plus affirmée et de façon croisée et symétrique entre Brutus — le traitre — d'une part et Octave — le sauveur — d'autre part. On a en effet de la peine à considérer Brutus comme un sale type et Octave comme un type bien.



Que dire enfin du somptueux personnage d'Antoine dont le discours funèbre auprès de la dépouille De César est un modèle sophisme, et d'une roublardise délicieuse.



En somme, le seul qui soit vraiment très discret et d'un intérêt moindre dans cette pièce c'est… Jules César lui même ! On le voit en effet très peu, mais, du peu que l'on voit de lui, Shakespeare s'attache là encore à en faire un personnage très humain, comme tous les autres, avec ses bons et ses mauvais penchants.



Comme Shakespeare s'est appuyé assez fidèlement sur les sources antiques cela imprime une rythme particulier à la pièce qui n'est pas comme à l'ordinaire dans les tragédies une apothéose baignée de sang au cinquième acte.



En somme, une trame historique aménagée pour en faire un support scénique admirable. Shakespeare ne cède à aucune facilité et l'ensemble de la pièce est remarquablement écrit. Certes on n'y trouve pas de ces tirades sensationnelles comme dans Hamlet, Macbeth, Richard III ou encore La Tempête, mais ce Jules César m'a beaucoup plu.



4) HAMLET

Hamlet, bien sûr, l'incontournable Hamlet. J'adore la légèreté, l'humour, la finesse, la profondeur, la qualité d'écriture de l'ensemble de la pièce (pas trop le final cependant). Je ne vais même pas m'attarder à vous faire le panégyrique de la pièce dont vous retrouvez des poussières disséminées un peu partout, de Dickens au Roi Lion en passant par Rudyard Kipling. (J'ai déjà évoqué cela ailleurs.)



Issu en droite filiation de la tragédie grecque antique (le personnage d'Oreste, notamment), Shakespeare revisite le thème de la trahison, du doublage par un frère (le vieil Hamlet est assassiné par son frère Claudius). Voilà un thème qui semble fort et important pour l'auteur, c'est d'ailleurs le corps de l'ultime drame de Shakespeare, La Tempête, où Prospero a échappé in extremis à la mort et s'est fait subtiliser le trône par son frère.



Le thème de la mort (omniprésent dans les tragédies), ou plus particulièrement de l'inutilité de la vie, est également un sujet de prédilection du grand dramaturge anglais et qui figure au coeur d'Hamlet, d'où cette fameuse tirade du « être ou ne pas être ».



Cependant, si tout cela est vrai et fort, ce qui me semble plus fort et plus évident que tout dans Hamlet, c'est la réflexion sur le théâtre qui affleure partout. le personnage d'Hamlet, de façon symbolique, C'EST le théâtre, dans l'acception la plus noble du terme. C'est lui le révélateur, c'est lui qui voit clair dans le jeu orchestré par le roi et c'est lui qui est déchu par la vilenie du pouvoir.



Le roi symbolise évidemment le pouvoir, en tant qu'autorité qui muselle l'activité artistique de peur qu'elle ne montre trop explicitement ses propres exactions. Laërte, c'est l'autre théâtre, le théâtre d'état, le théâtre qui dit ce que le roi veut entendre, celui qui est aux bottes du pouvoir (et d'ailleurs, sur ce point, absolument rien n'a changé, voir, par exemple le livre de Serge Halimi, Les Nouveaux Chiens de Garde).



Les deux théâtres se livrent une lutte à mort, et qui est sacrifié au milieu d'eux ? le public, évidemment, et ici le public est symbolisé par Ophélie, qui devient folle. La reine représente la conscience, la morale à qui l'on a tordu le cou pour avaler des couleuvres (thème revisité dans Macbeth).



Polonius représente les seconds couteaux, le peuple nombreux des courtisans hypocrites qui lèchent les savates de tout pouvoir, quel qu'il soit, et qui se font étriller par le théâtre (pensez aux bourgeois, aux savants ou aux religieux chez Molière, par exemple) car si l'on ne peut taper sur le pouvoir, on peut tout de même se faire la main sur les courtisans. Mais on peut aussi (et surtout) voir dans Polonius, l'archétype du puritain (voir les conseils qu'il donne à son fils), très en vogue et toujours plus près du pouvoir à l'époque de Shakespeare.



Et la moralité de tout cela, c'est qu'un pouvoir qui n'est pas capable de se regarder en face sous le révélateur, sous le miroir de vérité qu'est le théâtre, tellement il a honte de lui-même est voué à disparaître. Tiens, tiens, on y voit déjà l'ombre de Macbeth…



Pour conclure, si l'on recontextualise la genèse de cette pièce avec les événements historiques dont l'auteur était le témoin, ce qu'il faut voir dans Hamlet, ce n'est ni une tragédie (ou tragi-comédie), ni un quelconque message métaphysique, mais bien plutôt une supplique politique pour maintenir les théâtres publics élisabéthains et leur liberté d'expression face aux attaques toujours plus virulentes des puritains qui essaient d'imposer leur théâtre moralisateur.



5) OTHELLO

Tragédie là encore sublime, au sens premier, au sens profond terme. Même si le protagoniste principal semble bien davantage Iago qu'Othello et, d'un simple point de vue statistique, il est manifeste que Iago monopolise la scène, c'est bien à la place d'Othello que l'auteur souhaite nous placer, et non à la place de Iago. C'est bien l'oeuvre de Iago sur Othello qui indigne et non les motifs intimes du fourbe qui présentent un intérêt.



Le message, du moins l'un des messages possibles de cette oeuvre, est le noircissement. Je ne blague pas, et le fait que Shakespeare ait choisi un personnage noir comme héros d'infortune n'a sans doute rien d'hasardeux. L'apparence. Celui qui semble noir l'est-il bien réellement ?



Tous. Tous semblent noirs à un moment ou à un autre : Cassio, Desdémone, Othello. Tous noirs et pourtant tous innocents. Et pourtant, on jurerait, selon l'angle où ils sont présentés les uns aux autres, on jurerait qu'ils sont coupables.



C'est probablement ça, le plus fort du message que souhaite nous délivrer l'auteur. Honni soit qui mal y pense ! Il est si facile de nuire, si facile de noircir, si facile de truquer, si facile de faire dire autre chose aux faits pris indépendamment ou hors contexte. C'est cela que semble nous dire Shakespeare.



Les apparences sont parfois contre nous et d'autres semblent blancs comme neige, et pourtant… et pourtant…, quand on sait tout le fin mot, vraiment tout, la réalité est souvent loin des belles apparences et ce que l'on croyait simple, net, tranché, évident, ne l'est plus tant que cela.



Othello d'emblée est noir, ce qui jette sur lui une indéfinissable suspicion aux yeux des Vénitiens. Tout prétexte sera bon s'il fait le moindre faux-pas. Cassio est un beau subordonné prometteur, donc il est douteux. Desdémone est une noble Vénitienne blanche entichée d'un noir, donc c'est nécessairement une putain.



Autant de raccourcis faciles que nous avons tous tendance, consciemment ou inconsciemment, à commettre ici ou là. L'histoire a donné plusieurs fois raison à Shakespeare. (Rien qu'en France, au XXème siècle, des Juifs, des Maghrébins en tant que groupe ou des individualités comme Guillaume Seznec ont tous fait l'objet d'accusations plus ou moins calomnieuses ou bâties de toute pièce, basées sur des a priori ou des apparences qui leur étaient adverses. Je ne parle évidemment pas de tous les endroits du monde et à toutes les périodes depuis Shakespeare, car il y aurait de quoi remplir tout Babelio avec.)



Si l'on cherche des fautes à quelqu'un, on en trouvera fatalement. Si l'on sait habilement les mettre en lumière, leur donner d'autres apparences, attiser le vent de la vengeance, mobiliser la justice à son avantage, n'importe qui peut être traîné dans la boue ou commettre l'irréparable.



Quels sont les mobiles de tout cela ? L'auteur reste très discret et très flou sur les motivations de Iago. Cela semble tourner autour de la jalousie, de l'orgueil bafoué, de l'envie inassouvie, du complexe d'infériorité.



Intéressons nous encore quelques instants à Iago. Ce qui est frappant dans le texte, dans les qualificatifs qu'on lui attribue, c'est le nombre de fois où reviennent, les adjectifs noble, honnête, fidèle, courageux, droit, fiable, vertueux, etc. Iago, dans cette optique, est donc le symbole du puritanisme, Othello, le noir à qui l'on fait commettre des abjections ne saurait être autre que Shakespeare lui-même.



Voilà le type de message que je vois dans Othello, la dénonciation de la calomnie à l'égard des dramaturges honnêtes qu'on accuse de toutes les perversions, exactement comme de nos jours les formateurs d'opinion dénoncent les trucages et les manipulations, eux qui sont les rois des truqueurs et des manipulateurs. Les années ont passé, les travers universels de l'humain sont restés.



Bref, cinq oeuvres essentielles dans une édition exceptionnelle. Bien entendu, ce n'est que mon avis truqué, c'est-à-dire, pas grand-chose. le mieux que vous ayez à faire, c'est encore d'ouvrir ce livre et de découvrir ou bien relire ces pièces admirables.
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Le Songe d'une nuit d'été

Qui ne connaît pas, ne serait-ce que de nom, le Songe D'Une Nuit D'Été ? Comprenez-moi, une telle notoriété ne pouvait que m'attirer, sachant, qui plus est, qu'elle est l'oeuvre de mon petit Shakespearounnet, j'en avais l'eau à la bouche. Or, si l'on me pardonne ce clin d'oeil de basse lignée, je dirais à présent que c'est beaucoup de bruit pour rien.



Oui, on l'a connu meilleur l'ami William. Les fleurs d'amour, les sortilèges, les quiproquos à deux balles… pfff ! ce n'est vraiment pas mon truc. J'ai pour principe de considérer que quand une comédie, à aucun moment, ne me fait rire, ni même sourire, selon mes critères, c'est une comédie ratée.



De vous à moi, si l'on gommait le nom de Shakespeare, si l'on effaçait également le nom de la pièce passé à la postérité, et si je vous emmenais au théâtre la voir sous un autre nom, en vous disant qu'il s'agit d'une pièce quelconque d'un auteur méconnu, je suis prête à prendre les paris que vous me confieriez sans détour après le spectacle que vous vous y êtes emm… euh… ennuyés ferme.



Bien sûr, ce n'est que mon avis. Je sais bien qu'il existe un snobisme — conscient ou inconscient d'ailleurs — qui consiste à s'extasier quand c'est du Shakespeare et à regarder d'un oeil dédaigneux ceux qui ne goûtent pas ce plaisir, voire à les prendre pour de sombres ignares. Je sais tout ça. Pensez ce que vous voudrez. J'ai dis combien j'aimais certaines tragédies de Shakespeare, je dis combien celle-ci m'endort et présente peu d'intérêt à mes yeux.



Donc, pour celles et ceux qui ont les muscles des paupières solides et non sujets à la narcolepsie, sachez que la pièce se déroule en Grèce à l'époque héroïque de Thésée et d'Hippolyta, la reine des Amazones. (Je vous en supplie n'achetez pas ce livre chez Hippolyta, déjà il n'est pas terrible et en plus votre libraire ferait ça très bien.)



Ces deux-là ont échafaudé de se marier mais comme l'intrigue a besoin de sel (à défaut de piment), Shakespeare a imaginé de former deux ou trois autres couples boiteux histoire de compliquer la donne.



Ainsi, Lyssandre aime Hermia, fille d'Égée, et elle l'aime aussi. Tout va bien alors ? me direz-vous. Non, pas tout à fait, car Égée, lui, ne veut pas entendre parler de Lyssandre et n'a d'yeux que pour Démétrius, ce qui, évidemment, n'est pas du tout du goût d'Hermia. Vous me suivez ?



Mais ce n'est pas tout, car Démétrius était au préalable amoureux d'Héléna, la meilleure copine d'Hermia, avant de changer de cap et de lorgner sur cette dernière. Mais elle, Héléna, est restée raide dingue de Démétrius. On n'en sort pas. Et comme si tout ça n'était pas suffisant, voilà-t-y pas qu'il y a de l'eau dans le gaz chez les Fées également !



Obéron, le patron des farfadets, trolls et autres sortilégineux se prend le bec avec sa bourgeoise Titania, la taulière des elfes & fées. du coup, l'Obéron, qu'a plus d'un tour dans son sac se dit qu'il va lui faire mettre un coup de fleur d'amour dans le nez à la Titania pendant son sommeil et que ça va pas traîner.



Au passage, dit-il à Robin, son homme de main, en te promenant, tu vas mettre aussi un p'tit coup de fleur à Démétrius, histoire qu'il regarde à nouveau Héléna avec des yeux lubriques à son réveil.





C'est là qu'intervient la scène censée être d'anthologie où Titania se réveille et tombe en pâmoison devant un gugusse à tête d'âne. Rrrrr ! Zzzzz ! Rrrr ! Zzzzz ! [ceci symbolise les " elffets " du sortilège d'Obéron sur moi]



Cependant, vu qu'Obéron donne à Robin des instructions claires comme du jus de boudin, l'autre, pas plus consciencieux qu'il ne faut, badigeonne des grands coups de fleur d'amour à… Lyssandre ! Aaah, le couillon ! La gaffe ! Ouh, là, là ! Ça va être dur à rattraper un coup comme ça ! J'aime mieux vous laisser découvrir la suite par vous-même.



Faut-il encore que je vous parle d'une troupe de comédiens amateurs qu'essaient à tout prix de faire une pièce pas drôle, et que c'est vraiment pas drôle de les voir faire leur pièce pas drôle… Zzzzz ! Rideau.



Bon, à l'extrême — extrême — rigueur, on pourrait supputer une toute petite once d'intérêt à la réflexion de l'auteur à propos de l'éphémère sensation qu'est l'amour en nos vies… Ouaip. Vous aviez besoin de ça pour avancer ? Bon, en ce qui me concerne, la pièce a des vertus soporifiques intéressantes en cas d'insomnie. À vous de voir ce que vous pourrez en faire car ce n'est que mon avis, un songe creux, une faribole, un pétard mouillé du 14 juillet, autant dire, pas grand-chose.
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Peines d'amour perdues

"Light seeking light doth light of light beguile."

(Acte I, Scène 1)



Comment démêler cette phrase, sachant que "light" peut avoir trois sens différents... ?! That's the question !

Vraiment, aucune autre pièce de Shakespeare ne m'a donné autant de fil à retordre que "Love's Labour's Lost". Cette comédie est un opulent festin de la langue, exubérant, lourd (parfois dans tous les sens du terme) et même un brin indigeste. Je n'ai vu nulle-part ailleurs une telle concentration de jeux de mots au centimètre carré, ni un texte aussi dynamique où le blank verse alterne avec la rime, et la rimaille parodique avec la prose soignée, pleine d'allitérations, métaphores et doubles sens.

Si je mets de côté les cheveux blanchis et arrachés des traducteurs, aucune autre comédie de Shakespeare n'a eu un destin aussi périlleux que celle-ci. Elle a dû faire hurler de rire les spectateurs élisabéthains, pour tomber ensuite presque complètement dans l'oubli. Les arbitres du goût des siècles suivants, Dryden ou Johnson, l'ont même condamnée pour son "humour superficiel de bas étage", et pour "l'érotisme vulgaire" de ses jeux de mots. A l'époque où la Société Royale tentait d'imposer une réforme linguistique qui devait bannir l'ensemble des métaphores, équivoques et synonymes de tout discours scientifique et culturel, tout le théâtre populaire semblait d'ailleurs vivre ses derniers instants... Shakespeare ne pouvait pas anticiper ce côté obscur des Lumières, mais c'est comme s'il l'avait fait, dans la superbe phrase de Biron que j'ai mis en exergue.

Et aujourd'hui ? On n'a plus aucune chance de saisir toutes les allusions qui amusaient les visiteurs du Globe en 1594 (quand on se "casse le tibia", eh bien, en 2023 on se casse le tibia et rien d'autre), même avec le dictionnaire de David Crystal et trois traductions différentes, mais la pièce reste plaisante et très drôle.



Le roi de Navarre avec ses trois amis (Longaville, Dumaine, Biron) font la promesse de se consacrer pendant trois ans uniquement à l'étude sérieuse de la philosophie, sans regarder une seule femme. Tout le monde est enthousiasmé par cette idée, sauf Biron, parfaitement conscient que ce ne sera pas possible. Or, la cour reçoit justement la visite de la princesse de France et de ses très charmantes dames de compagnie...



Le scénario est d'une simplicité désarmante, et toute la pièce n'est qu'une suite de scènes cumulées sans aucune unité dramatique. Même les "personnages principaux" manquent, en quelque sorte, remplacés par les groupes hommes-femmes et leur secrète danse amoureuse. Un porte-manteau modeste pour accrocher les mots, mais voilà que tout change ! le texte devient la prouesse d'un équilibriste de la langue, où même les moments les plus ridicules ou ironiques restent teintés de sagesse pétillante propre à l'auteur. Une sorte de parodie de ces savantes "académies platoniciennes" qui fleurissaient à l'époque en Italie ? Je ne sais pas... contrairement à ses contemporains, Shakespeare restait loin du registre satirique.

Quoi qu'il en soit, il ne quitte pas ses thèmes de prédilection : l'hypocrisie, les mensonges, les masques et les déguisements (notamment dans la scène de drague où ces messieurs se déguisent en Russes*, ou dans la "pièce héroïque" préparée par le maître d'école Holophernes), les vertus et les vices humains... mais ce qui est le plus mis en avant, c'est le pouvoir de la Nature. On peut être le héros le plus héroïque ou le philosophe le plus philosophique - quand la Nature donne ses ordres, il faut lui obéir.

C'est sans doute pour cela qu'une grande partie de la pièce est écrite en vers : le rythme, l'intonation, la musicalité et la respiration sont la base de la poésie, mais aussi de la vie elle-même, et ils donnent aux joutes verbales entre les protagonistes (il faut dire que ces dames s'en sortent haut la main, avec une mention spéciale pour Rosaline !) une dimension bien plus juteuse que pourrait le faire la prose.

Pour notre plus grand plaisir, un miroir typiquement shakespearien met encore face-à-face les idéaux savants et leur vérité théorique avec la vérité bassement corporelle des personnages comme Costard et Jaquenetta, ou Dull le garde-champêtre... et entre eux, toute une pléiade de personnages masqués, systématiquement confrontés au reflet de leur véritable nature. La vie et le théâtre : deux poissons d'or qui se regardent dans les yeux, d'un bocal à l'autre.

Les masques tombent, et c'est ici et maintenant qu'il faut montrer son caractère et faire preuve d'authentique sagesse. Car c'est exactement à ce moment là que, selon Shakespeare, se dévoile la Vérité. 4/5

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* Les archives de la cour élisabéthaine apportent une belle anecdote qui a amusé à l'époque toute l'Angleterre, et qui a peut-être inspiré à Shakespeare cette mascarade russe dix ans plus tard.

En 1582, le tzar Ivan le Terrible envoya en Angleterre une mission diplomatique menée par Fiodor Andreïevitch Pisemski, accueillie en grande pompe par la reine Elizabeth. La mission avait pour but de renforcer les liens entre les deux pays par un mariage royal entre le tzar (dont la cinquième femme était encore en vie) et quelque noble parente de la reine. Cette dame, selon la demande expresse du tzar, devait être "blonde et forte de poitrine". Elizabeth protestait en vain contre ces conditions ; elles étaient accompagnées de la menace que si une épouse aux mensurations et qualités adéquates n'était pas fournie bénévolement, il viendra la chercher en Angleterre avec son armée. Elizabeth était prudente, et désireuse de maintenir la bonne entente avec la Russie, elle a donc choisi lady Mary Hastings, fille du comte de Huntington.

La future tzarine a fait une crise de nerfs lors des somptueuses fiançailles "en remplacement" dans les jardins de York House, au moment où toute la délégation russe se jeta à ses pieds en la dévisageant avec stupeur muette, puis en louant ses charmes dans un langage si fleuri que l'interprète avait du mal à fournir (Shakespeare s'approprie cette scène à sa façon) et elle a refusé son époux russe. Ivan le Terrible étant mort très peu après, la Russie a renoncé à la noble épouse blonde, et l'Angleterre fut sauvée.

PS : la censure des "Peines d'amour perdues" derrière l'ex-rideau de fer était tout aussi intéressante : sur scène on remplaçait la "délégation russe" par la "délégation hindoue", avec turbans, saris et babouches... l'effet comique pour les spectateurs qui connaissaient leur Shakespeare était donc finalement double.
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Vénus et Adonis

"Très-honorable,

Je ne sais pas combien je me rendrai coupable en dédiant mes vers imparfaits à Votre Seigneurie, et combien le monde me blâmera de choisir un si fort soutien pour un si faible fardeau..."



Une des dédicaces les plus intrigantes de l'Histoire, ou "un poème peut en cacher un autre"...

J'ai décidé de parcourir "Vénus et Adonis" pour combler quelques lacunes, et j'ai découvert plus que je n'avais pu espérer.

Si quelque chose a propulsé Shakespeare sur les sommets de la gloire littéraire, ce ne sont ni ses pièces ni ses sonnets, mais bien ce poème de 1593, dédié à son protecteur Henry Wriothesley, 3ème comte de Southampton.

Ce fut un succès immédiat, et "Vénus et Adonis" était largement admiré, copié, jalousé et lu dans tout Londres, ce qui n'est pas étonnant, car on a là une véritable pièce d'orfèvrerie poétique. Mais tout devient encore plus intéressant si on jette un coup d'oeil sur le jeune destinataire de cet ouvrage.



L'année 1593 était marquée par une épidémie de peste. Les théâtres étaient fermés, et les auteurs étaient plus que jamais dépendants de leurs riches mécènes ; d'autant plus que l'époque ne connaissait pas le copyright. Southampton avait à l'époque 18 ans, il était terriblement beau, terriblement élégant, excentrique et efféminé, incroyablement narcissique, et très dépensier, même quand il était complètement fauché : quelque chose qui n'est sans doute possible que dans ce milieu. De plus, c'était un catholique dans une Angleterre protestante, ce qui ne l'empêchait pas de bénéficier des faveurs incontestables de la reine... et ceci malgré sa participation au complot d'Essex, visant à assassiner Elisabeth. Après la mort de son père, il est passé sous tutelle de William Cecil, ministre de la reine, qui lui a généreusement arrangé un mariage avec sa propre petite-fille, Elisabeth de Vere. Hélas, la belle n'était pas au goût d'Henry, qui préféra payer une amende de 5000 livres pour échapper à cette union. Une somme astronomique, pour l'époque, presque impensable... mais il a réussi à payer ; ça en valait peut-être le coup. Quoi qu'il en soit, "Vénus et Adonis" a paru peu après, même si ce n'est pas le seul poème qui cible l'extravagant comte. Deux ans avant Shakespeare, John Clapham lui dédie "Narcissus", un poème qui le met en garde contre l'excessif amour-propre, et il est plutôt amusant d'imaginer derrière tout cela le très sérieux lord Cecil, sponsorisant secrètement les muses pour raisonner enfin son jeune protégé.



La dédicace de Shakespeare est assez ambivalente. L'onctueuse flatterie est tout à fait dans l'usage de l'époque, mais malgré tout, Shakespeare en fait peut-être un peu trop pour la prendre au premier degré. Le ton humble où il déprécie ses capacités pousse plutôt à penser qu'il savait très bien que ces vers sont une merveille. Il n'a pas choisi la facilité, en optant pour la forme très complexe et musicale de la "sestina" (strophes rimées de six lignes, qui font en tout quelques 1190 vers), et il a dû passer un temps fou à polir chaque rime jusqu'à l'éclat absolu. Cette préface laisse aussi deviner une relation presque intime, comme si le trentenaire Will, sous la pommade qui sent la rose, étalait quelques reproches d'ordre privé, moins odorants... mais le poème reste, contrairement à celui de Clapham, une belle ode à la masculinité.



Le tout est évidemment inspiré par les "Métamorphoses" d'Ovide, mais Shakespeare a, pour ainsi dire, retourné le mythe complètement à l'envers. Ce n'est pas un homme qui séduit une femme, c'est Vénus qui a perdu la tête en voyant Adonis chasser. Le poème n'a rien à voir avec l'amour, il s'agit plutôt du désir, voire de la concupiscence... aujourd'hui on dirait que c'est l'histoire d'une drague désespérée, et il faut dire que la pauvre Vénus n'a presque aucune chance, malgré sa beauté et ses ruses. Adonis s'estime beaucoup trop jeune pour ces choses, et chasser avec ses amis présente plus d'attrait que les avances de cette furie amoureuse qui lui court après. Je plaisante, parce que Shakespeare ne serait pas contre, mais ce poème est vraiment une splendeur, faite d'images et de contrastes. Quand on parle de chevaux, vous entendez et voyez ces chevaux... et la beauté absolue des deux protagonistes est mise en face de l'absolue laideur, représentée par le sanglier qui tuera Adonis à la fin. Le Blanc et le Noir, le Jour et la Nuit, Miranda et Caliban. Mais même ce sanglier a une forte charge érotique, et Vénus, folle de douleur, est encore capable d'être jalouse du "baiser mortel" de la bête.

La petite fleur rouge et blanche qui pousse sur le lieu fatal nous fait revenir vers les métamorphoses mythologiques.



By this the boy that by her side lay killed

Was melted like a vapor from her sight,

And in his blood that on the ground lay spilled

A purple flower sprung up, checkered with white,

Resembling well his pale cheeks and the blood

Which in round drops upon their whiteness stood.



Contrairement à l'Italie, La Renaissance anglaise ne nous a presque rien donné en matière d'art pictural, mais je me dis qu'elle s'est largement rattrapée en littérature, et peut-être aussi en musique, avec des noms comme William Shakespeare ou William Byrd. La musique de Byrd est sacrale, mais les voix s'y entremêlent avec la même incroyable aisance que dans les vers de Shakespeare. C'est pourtant en Italie qu'on a inventé un mot pour ce phénomène - sprezzatura - qui définit les efforts considérables pour produire quelque chose de si naturel et si léger que ça pourrait s'envoler comme une plume, si on souffle dessus.

"Vénus et Adonis" fait certainement partie de ces choses, donc 5/5.
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Hamlet - Macbeth

Quel rapprochement idéal que ces deux pièces ! Quel bel effet de miroir entre ces deux monuments shakespeariens qui se répondent mot pour mot ! C'est effectivement la plus belle association imaginable que nous propose cette édition avec le beau travail de traduction d'André Markowicz.



Tout d'abord Hamlet, bien sûr, l'incontournable Hamlet. J’adore la légèreté, l’humour, la finesse, la profondeur, la qualité d’écriture de l’ensemble de la pièce (pas trop le final cependant). Comment vous dire ?... Il y a des poussières d’Hamlet disséminées tellement partout que c’en est presque une gageure de vouloir les citer.



Les clins d’œil à Hamlet sont fréquents dans les œuvres destinées à la jeunesse ; de Goscinny à Walt Disney (Le Roi Lion) en passant par Rudyard Kipling (le fameux poème IF) pour n'évoquer que ceux-là.



Mais la littérature dite " adulte " n'est pas en reste non plus car Hamlet, en époux volage, a aussi fait des petits un peu partout et, à titre d'exemple parmi une pléthore d'autres, je mentionne la fameuse scène hilarante du chapitre XXXI des Grandes Espérances de Charles Dickens.



Or, c’est quoi Hamlet ? À quoi ou à qui peut-il nous faire penser ?



Tout d’abord, si l’on s’intéresse à sa filiation, et l’on sait à quel point Shakespeare était féru de tragédie grecque, on y voit une ascendance très nette en la personne d’Oreste. Lui aussi est fils d’un roi qui s’est fait trucider et dont la mère s’est remariée au nouveau souverain usurpateur. (Oreste, fils d’Agamemnon et de Clytemnestre, frère d’Électre ne supporte pas l’assassinat de son père et décide de devenir le meurtrier de sa mère qui a fomenté le régicide.)



Le thème de la trahison, du doublage par un frère (le vieil Hamlet est assassiné par son frère Claudius) est un thème qui semble fort et important pour l’auteur, c’est d’ailleurs le corps de l’ultime drame de Shakespeare, La Tempête, où Prospero a échappé in extremis à la mort et s’est fait subtiliser le trône par son frère.



Le thème de la mort, ou plus particulièrement de l’inutilité de la vie, est également un sujet de prédilection du grand dramaturge anglais et qui figure au cœur d’Hamlet, d’où cette fameuse tirade du « être ou ne pas être ».



Cependant, si tout cela est vrai et fort, ce qui me semble plus fort et plus évident que tout — et qui m’avait totalement échappé à la première lecture — c’est la réflexion sur le théâtre qui est contenue dans cette tragi-comédie et c’est la théorie que je vais défendre ci-dessous.



Pour bien analyser la question, observons l’architecture, la structure de l’œuvre : Acte I — révélation du meurtre de son père à Hamlet et de l’usurpation de son trône. Hamlet est par conséquent renvoyé à un rôle subalterne. Acte II — la " folie " d’Hamlet, prise de position sur le théâtre et mise en abîme (le théâtre montre le théâtre). Révélation du stratagème du « théâtre » du roi et de la reine pour cerner Hamlet dans ses amours. Mise en évidence d’un double discours dans ce « théâtre ». Incompréhension d’Hamlet et d’Ophélie.



Acte III — Hamlet, à son tour, utilise le stratagème du théâtre. Le théâtre apparaît alors en tant que révélateur de la vérité de l’âme humaine derrière les apparences. Révélation de leur propre trahison au roi et à la reine. Assassinat par Hamlet de Polonius, le courtisan intéressé et qui s’était caché. Acte IV — Le pouvoir veut emmener Hamlet en Angleterre pour le tuer. Réapparition de Laërte, fils de Polonius, sorte de dédoublement d’Hamlet, qui lui aussi veut venger la mort de son père.



Acte V — On en a oublié Ophélie qui meurt sans qu’on s’en soit trop occupé, on ne sait que la pleurer. Réflexion sur la mort à l’occasion de l’enterrement d’Ophélie. Combat organisé par le roi entre Hamlet et Laërte. Mort des deux opposants qui entraînent dans leur fin celle du roi.



Voilà, très grossièrement l’ossature de la pièce. Permettez-moi simplement maintenant de vous dire ce que ces personnages m’évoquent : Hamlet, C’EST le théâtre, dans l’acception la plus noble du terme. C’est lui le révélateur, c’est lui qui voit clair dans le jeu orchestré par le roi et c’est lui qui est déchu par la vilenie du pouvoir.



Le roi symbolise évidemment le pouvoir, en tant qu’autorité qui muselle l’activité artistique de peur qu’elle ne montre trop explicitement ses propres exactions. Laërte, c’est l’autre théâtre, le théâtre d’état, le théâtre qui dit ce que le roi veut entendre, celui qui est aux bottes du pouvoir.



Les deux théâtres se livrent une lutte à mort, et qui est sacrifié au milieu d’eux ? Le public, évidemment, et ici le public est symbolisé par Ophélie, qui devient folle. La reine représente la conscience, la morale à qui l’on a tordu le cou pour avaler des couleuvres (on en reparlera dans Macbeth).



Polonius représente les seconds couteaux, le peuple nombreux des courtisans hypocrites qui lèchent les savates de tout pouvoir, quel qu’il soit, et qui se font étriller par le théâtre (pensez aux bourgeois, aux savants ou aux religieux chez Molière, par exemple) car si l’on ne peut taper sur le pouvoir, on peut tout de même se faire la main sur les courtisans. Mais on peut aussi (et surtout) voir dans Polonius, l'archétype du puritain (voir les conseils qu'il donne à son fils), très en vogue et toujours plus près du pouvoir à l'époque de Shakespeare.



Et la moralité de tout cela, c’est qu’un pouvoir qui n’est pas capable de se regarder en face sous le révélateur, sous le miroir de vérité qu’est le théâtre, tellement il a honte de lui-même est voué à disparaître. Tiens, tiens, j'y vois déjà l'ombre de Macbeth, là-encore.



Pour conclure, si l'on recontextualise la genèse de cette pièce avec les événements historiques dont l'auteur était le témoin, ce qu’il faut voir dans Hamlet, ce n’est ni une tragédie (ou tragi-comédie), ni un quelconque message métaphysique, mais bien plutôt une supplique politique pour maintenir les théâtres publics élisabéthains et leur liberté d’expression face aux attaques toujours plus virulentes des puritains qui essaient d’imposer leur théâtre moralisateur.



On sait par ailleurs que les craintes de Shakespeare étaient fondées car les puritains obtiendront gain de cause avec la fermeture des théâtres publics en 1642 (notamment le Théâtre Du Globe où était joué Shakespeare). Vu comme cela, cette pièce est absolument lumineuse, forte, pleine de sens et de désillusions, bref, essentielle.



Passons désormais à La Tragédie De Macbeth qui synthétise, elle aussi, beaucoup des thèmes chers à William Shakespeare : la trahison comme dans Othello, l'usurpation et la vengeance comme dans Hamlet, la prophétie et la destinée comme dans La Tempête, la folie et le changement dynastique comme dans Richard II, pour ne citer que celles-là.



C'est une lapalissade d'écrire qu'il y a différents thèmes dans cette pièce en cinq actes, mais celui qui m'apparaît ressortir plus que tout autre est celui de la morale et de l'acte vertueux.



Restons dans le droit chemin, semble nous dire en substance Shakespeare, car chaque pas en dehors du tracé du bien en appelle un suivant de sorte que, de vilenie en vilenie, le retour à la vertu est impossible et l'on s'embourbe toujours plus profondément dans les fétides marécages du mal jusqu'à n'en plus trouver d'issue, sauf l'ultime.



Au départ, Macbeth a des valeurs, des scrupules, des freins, des remords puis, peu à peu, à chaque nouvelle action pendable, ses verrous intérieurs sautent les uns après les autres jusqu'à lui accorder toute licence dans l'atrocité ou dans la barbarie.



Il convient de signaler également dans cette fonction facilitatrice, le rôle prépondérant de Lady Macbeth, totalement dénuée de scrupules alors que son mari tergiversait. Comment interpréter cette nouvelle mouture de la consommation du fruit défendu par Adam sous la houlette d'Ève et de l'exclusion à jamais qui s'ensuit du Jardin d'Éden ?



Macbeth, de courageux et noble au départ, à mesure qu'il sombre dans les travers du mal mu par sa soif de pouvoir, devient pleutre et vil. Lady Macbeth, de forte et inflexible qu'elle nous apparaît au commencement, se métamorphose progressivement jusqu'à devenir fragile, malingre et instable.



On perçoit, je pense, le sens qu'a voulu donner l'auteur à l'aliénation du couple principal : en déviant de l'axe vertueux, on érode, on corrode, on débrode le joli fil de soie de la morale humaine, livrant au regard la trame brute et laide du textile sans fard, l'animalité crue de l'Homme, dépouillée des règles sociales et morales.



Ce qui fait l'humain, c'est qu'il ne s'abandonne pas à ses instincts primaires, c'est le respect des lois et de la morale. À mesure donc que Macbeth enfreint les règles élémentaires (hospitalité, allégeance, amitié, fidélité, loyauté, etc.), il se déshumanise graduellement jusqu'à devenir un rat acculé au coin d'une pièce, prêt à sauter au visage de n'importe qui simplement pour rester en vie.



Comme je vous l'avais précisé au début, je ne peux m'empêcher de voir dans Macbeth un double inversé d'Hamlet, ou, plus précisément, la même pièce mais focalisée sur un point de vue différent. Dans Hamlet, le roi légitime, le vieil Hamlet, a été trahi et assassiné par son frère Claudius avec la connivence de la reine, propre mère d'Hamlet. Le point de vue est donc centralisé sur le fils du roi déchu.



Ici, au lieu d'avoir le point focal sur Hamlet, on l'a sur Claudius, et Claudius se nomme alors Macbeth. Mais c'est la même formule de base ; convertissez Hamlet en Malcolm et le vieil Hamlet en Duncan ; acceptez qu'il puisse y avoir un dédoublement du vieil Hamlet qui en plus d'être Duncan serait aussi Banquo et vous retrouvez le spectre dont le rôle est si prégnant dans Hamlet.



Pour que l'analogie soit totale, il nous faut encore un messager symbolique : c'était le jeu de la pièce de théâtre dans Hamlet, ce sont les trois sorcières dans Macbeth et, comme par magie, l'on retombe sur nos pieds. Le thème phare d'Hamlet — la mort et l'inutilité de la vie ( le fameux « to be or not to be ») — s'avère être une part cruciale de Macbeth, prétexte à l'une des plus belles tirades de tout le théâtre shakespearien à la scène 5 de l'acte V.



On pourrait poursuivre encore longtemps le parallèle entre Hamlet et Macbeth. Par exemple, Hamlet se faisait passer pour fou afin de sonder l'entourage du roi Claudius, et ici, Malcolm se fait passer pour vil afin de tester Macduff. Les deux veulent venger la mort de leur père, un roi qu'on a assassiné.



La folie et le suicide de Lady Macbeth répondent comme un écho à la mère de Hamlet et à la fin d'Ophélie. De même que le maléfique Claudius n'avait pas d'enfant, le couple Macbeth, empreint du mal, disparaît sans descendance.



Comment ne pas voir un clin d'œil ou un appel du pied au règne d'Elisabeth Ière, reine sans enfant, dont on sait qu'elle était probablement impliquée dans des morts louches, notamment celle de la femme de son amant ? Le souverain doit donc savoir être réceptif aux avertissements qui lui sont transmis par les esprits éclairés. Dans la vraie vie du XVIIème siècle, c'est le théâtre et notamment Shakespeare qui donne ces signaux d'alarme, dans Macbeth, ce sont les trois sorcières.



Selon Shakespeare, et comme dans Hamlet, le pouvoir oublieux de la morale, qui ne parvient pas à décoder comme il convient les prophéties et les avertissements délivrés par le théâtre est appelé à disparaître. Macbeth reproche d'ailleurs, à la scène 7 de l'acte V, le double entente qu'on peut faire du langage et accuse les sorcières d'être des tricheuses, alors même qu'elles lui ont fidèlement tout annoncé, tout prédit, mais que lui a mal interprété leur discours.



Le lien avec les messages délivrés par le théâtre à l'adresse du pouvoir me semble évident. Le théâtre utilise le symbole, la métaphore, les analogies historiques ou les contrées lointaines, mais ce dont il parle vraiment, pour qui sait lire entre les lignes et briser les encodages, c'est du brûlant présent, de l'ici et du maintenant.



J'en terminerai (car même s'il resterait encore beaucoup de choses à dire de cette superbe tragédie, j'ai conscience que ma critique a déjà atteint une longueur critique) en signalant dans le registre du cinéma qu'il y a probablement un peu (ou même beaucoup) de Macbeth dans le personnage ô combien fameux de Dark Vador dans l'épopée Star Wars. De même, Akira Kurosawa transposa Macbeth avec des samouraï japonais dans son film Le Château De L'Araignée.



En somme, deux bien belles tragédies, alliant profonde beauté et réflexion profonde, incontournables chacune à sa façon, jalonnant l'histoire mondiale de la littérature et des arts en général, excusez du peu… et comme souvent, souvenez-vous que tout ceci n'est qu'un avis, pas beaucoup plus qu'un spectre de roi assassiné, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Henry V

Henry V de Shakespeare, c'est l'occasion d'une réflexion sur l'exercice du pouvoir pour un homme comme les autres qui doit se singulariser par une action militaire et une victoire incontestable pour marquer durablement les esprits et légitimer la présence de la branche Lancastre des Plantagenêts sur le trône d'Angleterre après l'usurpation du pouvoir par Henry IV. Le brillant fait d'armes accompli par Henry V à la bataille d'Azincourt (25 octobre 1415) va donc donner consistance à une ambition familiale.



Et pourtant, ce n'était pas gagné d'avance, car Henry V, présenté par Shakespeare comme un profiteur de la vie et un jeune fêtard, surnommé Harry, et accompagné dans ses beuveries par l'incroyable et increvable hédoniste paillard qu'est Falstaf (personnage truculent dont certains traits ont été empruntés à sir John Falstolf, plus connu en réalité pour sa bravoure que pour ses écarts de conduite et ses frasques), est déjà un être énigmatique en raison de sa tendance à se démarquer par le fait qu'il a l'habitude de s'isoler pour réfléchir sur la destinée humaine et la meilleure manière d'employer sa vie, tendance qui ne fait que se renforcer avec l'exercice du pouvoir, ce qui l'oblige à rompre avec ses habitudes anciennes faites de facilité. La prise de responsabilité rend cet homme plus grave, du moins si l'on suit les méandres de sa pensée selon Shakespeare, et s'il y a un brin de nostalgie lorsqu'il compare ce qu'il est devenu avec ce qu'il a été et avec l'insouciance des hommes et soldats qui le suivent et qui vont affronter les Français lors de la bataille d'Azincourt, victoire qui prolongera la guerre commencée en 1337 et la fera durer jusqu'en 1453, la faisant passer dans l'Histoire sous le nom de guerre de Cent Ans, il n'en reste pas moins désireux d'assumer pleinement et avec conscience les devoirs de sa charge tout en méditant sur ce qu'il à a faire et qui le démarque du reste des hommes sans oublier qu'il n'est lui aussi qu'un homme guère différent des autres, ce que prouve son passé, des pensées qu'il remue dans sa tête tandis qu'il se mêle à ses troupes, qui ne le reconnaissent pas, au coin du feu, la nuit qui précède la bataille.



Il lui faut un certain culot, le jour de la Saint-Crépin, pour haranguer ses troupes qu'il convoque comme une "joyeuse bande de frères" (band of brothers) avant d'affronter les Français.

Shakespeare décrira ensuite la bataille d'Azincourt et les tractations d'Henry V pour demander au roi de France Charles VI le Fou et à Isabeau de Bavière la main de leur fille, Catherine de France, pour tenter de devenir roi de France alors qu'il règne déjà sur l'Angleterre. Henry V sera tout près d'y parvenir (par la signature du traité de Troyes en 1420), mais il échouera de peu en mourant prématurément à Vincennes en 1422, peu avant Charles VI. Sur cela Shakespeare se gardera bien d'insister.



François Sarindar, auteur de : Jeanne d'Arc, une mission inachevée (2015).
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Macbeth

La pièce écossaise... Celle dont le simple fait de prononcer le nom porterait malheur aux acteurs ! On y trouve de fabuleuses images. Les trois sorcières, la forêt en marche, le duel entre Macduff et Macbeth... Kurosawa n'hésita pas à les transposer au Japon avec ‘Le château de l'araignée'.



À ma connaissance, c'est la première foi qu'est posée la question des prophéties auto-réalisatrices. Un sujet loin d'être anodin, en cette époque où Calvin a remis en scène le dogme de la prédestination. Chacun peut-il faire son salut, ou les élus ont-ils été choisis de toute éternité ? C'est l'annonce des sorcières qui pousse Macbeth sur son chemin. Mais c'est lui qui choisit de le prendre.



Le personnage de Lady Macbeth a beaucoup fait parler de lui au cours des siècles. Femme manipulatrice ? Éprise de pouvoir ? Nouvelle Eve provoquant la chute de l'homme ? Certains, et c'est normal tant le personnage est fascinant, ont tenté de la réhabiliter. Mais il n'y a guère de doute sur le rôle que souhaitait lui donner Shakespeare. On pourrait également être tenté d'y voir une allusion à la reine Marie Ière, surnommée « Marie la sanglante », qui tenta de défaire l'oeuvre de son père et de faire revenir l'église anglicane dans le giron de l'église catholique.



Il y a dans cette histoire peuplée d'apparitions, de fantômes et de prophéties une ambiance qui, étonnamment, m'évoque celle qu'on retrouvera deux siècles plus tard dans Ossian. Aurait-il connu ces légendes celtiques qui inspirèrent Macpherson ? C'est possible. La vie de Shakespeare comporte plus de points d'interrogation que de réponses, de toute manière. Il y a là en tout cas un véritable art du fantastique, qu'on retrouve dans ‘la Tempête' ou ‘Le songe d'une nuit d'été'.



De nos jours, les luttes pour le pouvoir sont encore plus nombreuses mais moins sanglantes. D'un côté c'est plus propre, de l'autre il faut bien reconnaître que cela permettait de faire le ménage !
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La Comédie des Erreurs

La Comédie Des Erreurs… irai-je jusqu'à écrire " la bien nommée " tellement elle regorge de maladresses et de vieilleries de bas aloi ? Oeuvre de jeunesse de Shakespeare, qui plus est dans le registre de la comédie où je ne le trouve pas sur son meilleur terrain : on peut sans doute faire joyeusement l'impasse sur cette pièce (à mon misérable avis).



Qu'avait-il besoin, en effet, le grand William, d'aller s'embourber dans un remake d'une comédie antique de Plaute, elle-même déjà remake d'un original grec perdu ? Et si Les Ménechmes de Plaute est déjà un peu tirée par les cheveux avec le coup usé, archi usé, battu, rebattu archi battu des jumeaux, source inépuisable de quiproquos faciles, ici, le jeune Shakespeare nous inflige une double paire de jumeaux et là excusez-moi de le penser et encore plus de vous le dire, mais je trouve ça carrément lourdingue de chez lourdingue.



C'est tellement tiré par les cheveux que j'ai déjà oublié le début de l'intrigue et du pourquoi du comment un père avait eu des jumeaux et sa servante en avait eu elle aussi et qui plus est le même jour. Je ne me souviens déjà plus — alors que je viens de la terminer — pourquoi la mère avait été séparée avec l'un des jumeaux et le père avec l'autre et chacun des deux ayant pour compagnon de jeu et futur serviteur l'un des deux jumeaux de la servante. Blub, blub, blub… on s'enfonce tellement dans la mélasse que très vite on suffoque.



Pouh, là, là ! que c'est lourd, que c'est lourd ! Cela m'a rappelé mon grand-père avec son gros Berliet, qui avait un volant gigantesque et pas de direction assistée et où il fallait s'y prendre une demi-heure à l'avance pour faire quatorze tours de volant avant de prendre un virage.



Et finalement, après un sac d'embrouillaminis, tout il est bien qui finit bien et tout le monde il est content. Bon, c'est sûr, avec une pièce comme ça, vous allez vous coucher serein et votre sommeil n'est aucunement perturbé par ce que vous venez de voir ; vous faites de beaux rêves gentils et vous vous réveillez le lendemain matin en pleine forme. Remarquez, cela a un côté rassurant : on se dit que même l'immense dramaturge qu'était Shakespeare a commencé modestement (et même très modestement vous pouvez me croire).



Bref, circulez, y a rien à voir, il n'est même pas besoin de préciser le nom d'autres pièces du même auteur qui valent vraiment le coup. Celle-ci, à l'extrême rigueur peut se lire et être montée au collège, et encore, je pense que les collégiens s'y ennuieront encore plus que les adultes. Non, rien à faire, cette pièce n'a décidément aucun intérêt, sauf peut-être si vous avez une armoire à caler. Mais ce n'est bien évidemment qu'un avis, lui aussi sujet aux erreurs, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Roméo et Juliette - Le Marchand de Venise - L..

Le rapprochement de ces trois pièces de William Shakespeare, que j'aurais tendance à qualifier de façon générale de tragi-comédies, est particulièrement intéressant.



D'une part, il s'agit d'un Shakespeare relativement jeune, qui est encore très influencé par la littérature italienne, notamment les nouvelles du calibre de celles qu'on trouve dans le Décaméron de Boccace. (Je le trouve assez différent du Shakespeare ténébreux d'Hamlet, d'Othello ou de Macbeth, par exemple.)



Elles ont donc toutes trois pour cadre l'Italie, même si, bien évidemment, c'est aux Anglais que le dramaturge s'adresse et qu'il adresse des messages pour leur propre gouverne.



Même s'il est difficile de trouver un seul et unique " thème commun " à ces trois pièces, je pense qu'il n'est pas totalement illégitime d'avancer qu'au moins l'un des thèmes concerne une évolution sociétale souhaitée par l'auteur, à savoir le droit au mariage d'amour.



Dans la société où vit Shakespeare (et dans certains milieux actuels, on n'en est pas si éloigné qu'on aimerait le croire), l'appariement est largement décrété par la famille et suit des considérations d'intérêt qui soit d'ordre financier, soit relatif au prestige, au pouvoir ou à l'influence qu'on en espère, ce qui revient plus ou moins au même.



Dans Roméo et Juliette, c'est bien évidemment la proscription du mariage par les familles rivales qui est dénoncé. Dans le Marchand de Venise, c'est le poids du religieux qui est fustigé, notamment eu égard à la fille de Shylock. Enfin, dans Les Deux Gentilshommes de Vérone, c'est l'attitude buttée du Duc qui méprise la candidature de Valentin pour le mariage de sa fille.



Bien sûr, ce n'est qu'un des axes de lecture pour chacune des pièces, bien sûr que l'on peut en trouver bien d'autres et même s'avèrent-ils parfois plus importants que cet axe dont je vous parle.



Mais je trouve que c'est une approche intéressante de ces trois pièces. Je vous laisse le soin d'explorer par vous même d'autres axes, comme celui de la fidélité (en amitié et en amour) dans Les Gentilshommes de Vérone, celui de l'argent et de la considération sociale dans le Marchand de Venise ou encore, celui de la recherche stratégique d'un prétexte pour entamer un conflit qu'on souhaite depuis longtemps dans Roméo et Juliette.



En somme, peut-être pas ce que je préfère chez Shakespeare (je le trouve vraiment sublime quand il fait dans la tragédie pure), mais un angle d'attaque intéressant pour qui s'intéresse soit à l'auteur, soit au théâtre élisabéthain, soit à cette période historique, soit à l'Angleterre en général, soit aux quatre réunis. En outre, ce n'est qu'un avis cacophonique, beaucoup de bruit pour rien, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Roméo et Juliette

J'avertis tout de suite, en préambule, que la note que j'ai apposée à cette oeuvre a pour seul but de renseigner sur le degré zéro de plaisir que j'ai pris à sa lecture et n'est en aucun cas une évaluation de l'oeuvre selon les critères du style et de la portée car qui suis-je, misérable grignoteuse de pages, pour "noter" le grand William ?



Cependant, si je me flatte d'être toujours sincère dans l'expression de mes ressentis, je ne peux me dérober à la vérité : je ne me suis jamais autant ennuyée à la lecture d'une pièce de théâtre.



Je n'attendais aucune surprise de l'oeuvre - où aurais-je vécu depuis 33 ans si elle m'était restée inconnue, elle qui trône au palmarès des classiques les plus lus, adaptés, enseignés, etc. - non, mon but était humblement de dépasser la réputation de l'oeuvre pour (enfin) la découvrir à sa source.



Mon niveau d'anglais ne me permettant malheureusement pas de lire Shakespeare dans le texte, j'ai eu recours à la traduction d'Yves Bonnefoy (coll. Folio, Gallimard) que j'ai trouvée tout simplement... en fait, j'ai du mal à trouver le mot juste, tenterais-je "pataude" ? Poète et grand érudit du domaine shakespearien, ses mots ne m'ont pourtant pas charmée et je me suis surprise à aller piocher épisodiquement dans la VO pour mieux apprécier telle ou telle scène. Je pense sincèrement que cette traduction porte une part importante de responsabilité dans l'ennui et le déplaisir que j'ai eus à lire "Roméo et Juliette" mais elle n'est pas la seule coupable.



Si j'analyse ma connaissance - très superficielle - de Shakespeare, je reconnais que ce sont d'abord ses comédies qui m'ont attirée ; je me souviens même m'être endormie à l'opéra devant "Macbeth", une première ! Au rayon des tragédies, je suis plus naturellement attirée par Racine alors peut-être attendais-je inconsciemment un tragique tangible, émouvant, mythique ? Je n'en sais rien mais le constat demeure le même, dans "Roméo et Juliette", le tragique ne m'a pas saisie et rien ne m'a semblé crédible et profond, le rythme m'a paru trop rapide, les échanges entre les gens trop directs voire dissonants. J'ai eu le sentiment de décrocher le pompon avec les humeurs de Capulet qui traite sa fille de treize ans de "putain"... (toujours cette satanée traduction)



Pauvre Juliette...

Le seul moment où j'ai été un tantinet "tenue en haleine" a été la scène V de l'acte III quand, sortie des bras de son amant, Juliette est acculée au dilemme de son mariage avec Paris.



Quant à l'essentiel, le grand Amour entre Roméo et Juliette et bien, comment dire, avec mes plates excuses pour les lecteurs pour qui ces deux-là sont l'égérie ultime de l'amour, je n'ai rien ressenti du tout, rien de rien. Leur rencontre cruciale qui scelle à jamais leurs destins m'a semblé aussi palpitante que si Juliette avait proposé à Roméo un verre de punch.



Et puisqu'on parle de Roméo, je terminerai avec ce minet inconstant qui troque l'objet de son affection avec une facilité assez déconcertante. Larmoyant à l'envi, notre jeune héros m'a fait regretter que la jolie Juliette ne se soit pas plutôt éprise de son turbulent ami Mercutio mais bon, je vais m'arrêter là, je ne vais pas me lancer dans la ré-écriture de la pièce, la seule chose qu'il me restera à accomplir est de la voir jouer, ultime chance de nous réconcilier.
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Timon d'Athènes

"Things fall apart; the centre cannot hold;

Mere anarchy is loosed upon the world..."

"W.B. Yeats, "The Second Coming")



"Timon d'Athènes" m'a solidement remuée.

Cette pièce de la période jacobéenne (1605, écrite en collaboration avec Thomas Middleton) n'est pratiquement plus jouée, et je crois comprendre pourquoi. On peut presque dire que tout ce qui arrive à Timon est de sa faute, car il manque cruellement de lucidité. Mais ce ne serait que rester à la surface des choses. L'histoire de Timon, riche et aimable athénien extrêmement généreux qui devient le pire des misanthropes, est comme une contemplation de l'abîme de Nietzsche : sa banqueroute financière est avant tout une banqueroute humaine.

La pièce est incroyablement amère, et on y cherche en vain les deux ingrédients principaux qui font habituellement la magie de Shakespeare. le premier, c'est l'humour. "Timon" n'en est pas complètement dépourvu, mais c'est un humour tellement cynique qu'on en a froid dans le dos. Aucun Touchstone ni Feste ne viennent égayer cette histoire sur le renversement de l'ordre des valeurs, jusqu'à l'extrême. Et le deuxième ingrédient manquant sont les femmes. La pièce fait beaucoup penser à la tragédie du roi Lear, et n'importe quel metteur en scène hésitant entre les deux va probablement encore opter pour "Lear", une histoire tout aussi terrible, mais qui propose au spectateur un semblant de catharsis. Bref, dans "Timon", il n'y a aucune Cordélia...

Une fois de plus, le Grand Will s'est inspiré chez Plutarque, mais l'Athènes de la pièce n'est qu'un décor en carton-pâte pour une histoire universelle sur l'ingratitude sans bornes, concupiscence, convoitise et rapacité humaines.



Timon aime être généreux : il distribue sans compter, se plaît à aider son prochain sans rien demander en retour, et ses banquets sont toujours pleins d'amis enthousiastes qui chantent ses louanges. Pas étonnant : contre le moindre petit présent, Timon en offre trois de valeur trois fois supérieure. Il ne fait que rire des remarques du philosophe Apémantus (probablement le plus grand cynique que j'ai jamais rencontré chez Will) qui observe ces festins avec horreur (qui renvoie clairement vers le Nouveau Testament) :



"Ô dieux ! que d'hommes dévorent Timon, et il ne le voit pas ! Je souffre de voir tant de gens tremper leur langue dans le sang d'un seul homme ; et le comble de la folie, c'est qu'il les excite lui-même !"



Il reproche à Timon de vouloir s'acheter l'amour de son prochain, mais non, Timon est vraiment de ceux qui pensent que "donner, c'est recevoir". le seul moyen de comprendre Timon, c'est de le prendre au sérieux, et voilà toute l'ironie noire de la pièce : Timon est un saint entouré par des charognards.

La seule personne qui l'aime sincèrement est son intendant Flavius, mais ses mises en garde répétées que la caisse sera bientôt vide sont balayées par un geste de main : qu'importe, quand on est entouré d'amis ! Celui qui a fait tant de bien ne peut jamais rester seul. Et c'est cela, la grande et tragique erreur de Timon.



"Coupez mon coeur en pièces de monnaie", s'écrie t-il, quand ses serviteurs partis chercher le soutien ne trouvent que des excuses et des dérobades; un véritable festival de fourberie et de mauvaise foi. La désillusion va transformer son amour inconditionnel en phénoménale haine. le monstrueux "anti-banquet" qu'il organise (Tiens, un nouveau festin ? Timon n'est pas vraiment fauché ? C'était seulement un test ? Peu importe, revenons-y tous !) est sa façon de faire ses adieux définitifs à la race humaine.

La malédiction qu'il lance sur Athènes, quand il se dépouille de ses vêtements et se retire dans la solitude de la forêt, est un moment fort et dur, un monologue presque apocalyptique, et j'imagine aisément le silence dans la salle, le coeur serré et les yeux grands ouverts des spectateurs jacobéens.

Et l'ironie du sort continue. Nu et misérable, à la recherche de quelques racines pour se nourrir, Timon déterre un fabuleux trésor...

C'est vraiment une pièce des extrêmes, et tout comme "l'anti-bénédiction" lors de "l'anti-banquet" à la fin de la première partie montre le changement radical de Timon, cet or, inutile comme celui de Midas, servira à faire des "anti-cadeaux" épouvantables, pour augmenter encore la pourriture d'Athènes et accélérer sa chute.

Bien des personnes viennent déranger Timon dans sa solitude, et sa conversation ultime avec Apémanthus sur les "bêtes" qui rodent à Athènes souligne encore le côté biblique et apocalyptique de la pièce. Il m'était impossible de ne pas penser au terrifiant poème de Yeats, "The Second Coming", en lisant "Timon"; les deux expriment le même désespoir et les mêmes interrogations sur l'avenir de l'humanité. Car la chute de Timon, c'est la chute de l'Homme.



Et vous savez quoi ? Si j'étais un metteur en scène, je finirais la pièce dans le noir, seulement avec un grand ciel étoilé projeté sur le plafond. On regarderait les constellations, et écouterait le bruit du ressac, quand la mer passe et repasse sur le tombeau de Timon... cela rappellerait le rythme de l'Univers, caché dans toutes les pièces du grand magicien Will.



"Ci-gît Timon, qui de son vivant détesta tous les hommes vivants.

Passe et maudis à ton gré, mais passe et n'arrête point ici tes pas."

5/5, pour un tas de raisons, pas toujours objectives.
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Le Songe d'une nuit d'été

Curieuse pièce de Shakespeare qui osa présenter en 1600, une comédie où se mêlaient théâtre antique, personnages populaires et conte. Et pour la partie « antique », il semble bien avoir emprunté des noms de héros de la mythologie grecque, et pour ma part, je n'ai pu m'empêcher d'aller vérifier l'origine de ces personnages pour me rappeler que le célèbre Thésée qui combattit le minotaure est le fils d'Egée et le roi d'Athènes et non duc, marié à Hyppolite dans la pièce, fut bien reine des amazones. Lysandre, lui, fut un général spartiate, quant à Démétrius, il ne fait pas partie de la mythologie grecque puisqu'il fut l'accusateur de Paul de Tarse. Emprunt donc à l'histoire, ce qui ne manqua certainement pas de troubler le public, mais qu'importe, on comprend vite que cela n'a aucune importance dans la pièce.



Le roi des fées et son peuple viennent créer une rupture dans cette pièce qui commence par une intrigue des plus classiques, un duc demande à Hermia, fille d'Egée, de choisir entre le mariage avec Démétrius qu'elle n'aime pas, le cloître où elle vivra recluse pour le restant de ses jours, où la mort.



Mais elle aime Lysandre et il l'aime, d'un amour pur. le couple décidera de fuir et trouvera refuge dans la forêt ou interviendront le roi et la reine des fée, Oberon et Titania, en désaccord car Oberon veut faire un page d'un enfant recueilli par Titania. On entre alors dans la partie magique de l'histoire, les épreuves subies par les héros, l'affrontement entre les deux amants qui, par magie, tombent amoureux d'Hélène, scène où l'écrivain sert au public, un bon quiproquo oeuvre combinée d'oberon et de Puck, lutin facétieux et taquin.



Shakespeare ne manque pas d'y joindre une bonne dose d'humour qui transformera la pièce en farce : Titania, reine des fée y tombera amoureuse de Bottom, alors grimé en âne. Bottom est membre d'une troupe d'acteurs médiocres qui se préparent à jouer dans une pièce à l'occasion du mariage d'Hyppolite et Thésée, pièce qui sera interprétée dans l'acte V, passage le plus comique où se mêlent l'absurde (ce qui m'a rappelé brièvement Lewis Caroll), l'incompétence des acteurs en contraste avec le sérieux des spectateurs.



Ce n'est certainement pas la pièce la plus représentative de l'oeuvre du dramaturge, mais elle est appréciable pour son charme, pour la fantaisie qu'elle offre, pour sa poésie et son aspect parfois caricatural. Présentée en ballet narratif, elle est extraordinaire, aussi, si vous avez l'occasion et la chance d'assister à un de ces spectacle, lisez d'abord cette pièce.



Je l'avais lue déjà, mais n'avais gardé que le souvenir de Puck, personnage clé, et cette relecture m'a permis un nouveau regard sur cette œuvre.
Lien : http://1001ptitgateau.blogsp..
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Roméo et Juliette

On connait tous le fameux Eldorado, on connait tous les mythes qui tournent autour de ce lieu sauf que personne ne l’a visité ; la même chose pour ce grand classique de la littérature anglaise, tout le monde connait ce couple mais le nombre de ses lecteurs est plus réduit.



On sait d’emblée que la pièce n’a pas été inventé par le grand Shakespeare. Et comme fut le cas pour les grandes pièces classiques (Dom Juan de Molière, Le Cid de Corneille ou après le Faust de Goethe), l’auteur d’Hamlet s’est inspiré d’épisodes antérieurs pour créer sa pièce. Et grâce à son style merveilleux, il a éclipsé ses prédécesseurs (comme Ibn Al Muqaffa’ le traducteur qui a remplacé l’auteur originel de Kalila wa Dimna).



Comme beaucoup de lecteurs, j’ai lu la pièce en connaissant l’intrigue (et en ayant vu le film de Baz Luhrmann). D’ailleurs j’envie ceux –très rares- qui liront la pièce sans à priori, comme tout autre livre. Or la pièce ne perd rien de sa beauté, de sa grandeur, grâce à son style qui même traduit (ici la traduction célèbre de François-Victor Hugo) garde toute son harmonie. Lui qui a inspiré tant de romantiques.



Le mythe de Romeo et Juliette s’inscrit dans une lignée interminable de couples légendaires : Tristan et Iseult, Paul et Virginie, ou le couple moins connu dans la culture occidentale Majnoun et Leila. Et l’on peut dire que de nombreux auteurs ont tenté d’imiter Romeo et Juliette parfois en tombant dans des clichés ou dans le mauvais goût sans pouvoir atteindre le modèle.



Voici maintenant la vérité sur la pièce de Romeo et Juliette :



Il s’agit de l’histoire d’un prince qui avait ras le bol des sottises de deux familles se querellant pour des vétilles et semant la zizanie dans sa ville, alors il a décidé d’ourdir un complot avec un homme de l’église pour mettre fin à cela, encouragé par la mort de Tybalt, il bannit Romeo puis donne le poison à Juliette (une fille qui se marie à un âge où les filles sont encore au collège) et sans transmettre (à dessein) le billet qui informe Romeo que sa Juliette feigne la mort et ainsi, les deux amants sont morts et les deux familles se réconcilient.
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Richard III

Challenge Solidaires 2021



“Now is the winter of our discontent” sans anachronisme, on pourrait sans doute arriver au même constat aujourd’hui…



« voici l’hiver de notre déplaisir » commence Richard III dans la pièce historique de l’anglais William Shakespeare, et comment ne pas imaginer le timbre vil et impérieux de Sir Ian Mckellen sur les planches de West Ends.



Cette pièce du célèbre dramaturge élisabéthain, probablement rédigée en 1592, est traduite par Pierre Leyris dans un version bilingue qui, en sacrifiant à la musicalité des rimes parvient néanmoins à rendre l’atmosphère dramatique, sanglante et machiavélique de cette pièce.

Du drame chevaleresque, des intrigues d’arrière-cour à la « Game of Thrones » le lecteur ne s’ennuie pas, le tout avec quelques notes d’humour dont l’anti-héros principal Richard Gloucester n’est pas exempt.



L’écrivain favori des Tudors n’est pas à une approximation historique près, mais pour les non spécialistes de l’Histoire de l’Angleterre et des différentes factions en lutte pour le pouvoir il n’est pas aisé de situer les uns et les autres et, si ce n’est pas un prérequis pour la pièce, il convient de garder un certain recul et d’envisager davantage ce drame comme une fiction historique.



Qu’en pensez-vous ?

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Le Songe d'une nuit d'été

Pour moi (n’en déplaise à Nastasia) ‘Le Songe d’une nuit d’été’ est la reine des pièces de Shakespeare. La plus originale, la plus folle, la plus étrange. Trois mondes s’y entrechoquent : celui des nobles, celui des artisans, et celui des fées. Et qu’on ne s’y trompe pas : les deux premiers sont aussi étrangers l’un à l’autre que du troisième. Ils se côtoient, se frôlent, mais en temps normal Bottom et ses amis sont aussi invisibles aux yeux du roi qu’Obéron et ses féaux.



Le monde des fées est purement l’invention de Shakespeare. Il l’a créé en fusionnant trois sources d’inspirations différentes : Obéron vient de la geste du chevalier Huon de Bordeaux, Titania de la mythologie grecque, Puck du folklore populaire. Mais ce ne sont pas que les personnages ; les ambiances fusionnent également. Est ainsi matérialisé et tiré dans la littérature un monde de croyances populaires. Kipling l’approfondira avec ‘Puck of pook’s hill’, œuvre étonnante et peu connue. Mais c’est, je crois, la première fois qu’un écrivain crée de toute pièce un univers de fiction.



Nick Bottom et ses camarades sont tournés en dérision : de braves gens, pleins de bonne volonté mais ignorants et incultes, dont la « farce grossière » n’est bonne qu’à distraire les nobles un moment, comme aujourd'hui on regarde un nanard pour rire de ses incohérences. Mais leurs plaisanteries sont sans méchanceté, et ils sont touchés de tant de bonnes intentions.



Une triple histoire amoureuse prend place dans ce cadre. Puck, petit lutin farceur, se voit confier les fonctions de Cupidon, et s’en acquitte bien mal. Confusions et triangles amoureux étaient déjà classiques, mais Titania amoureuse d’un homme à tête d’âne, c’est l’amour ridiculisé ! Une métaphore d’Élisabeth Ière et de ses (probables) amants, souvent d’un rang social bien inférieur au sien ? La « reine vierge » n’était plus si populaire à la fin de sa vie... Dans ce cas, Obéron n’est nul autre que le bon peuple anglais, son seul et véritable amour !



Tout finit bien. L’amour triomphe, Obéron et Titania se réconcilient, les hommes du peuple sont récompensés de leurs efforts. À l’image de leur pièce, rien n’est vraiment tragique.
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Hamlet - Othello

Les traductions de Shakespeare par François-Victor Hugo ont généralement l'avantage d'être peu onéreuses. C'est à mon sens leur seul avantage, car je les trouve vieillottes, ampoulées, rigides, rendant l'accès au sens difficile. Bref, pas agréables. Voilà pourquoi, si vous en avez l'occasion, je vous déconseille formellement ces traductions.

J'aurais tendance à préférer de beaucoup celles d'André Markowicz (Hamlet chez Babel et Othello chez Les Solitaires Intempestifs), plus proche du texte original, restituant, autant que faire se peut, la musique et la limpidité de style de William Shakespeare.

Ceci étant mentionné, le rapprochement que propose cette édition d'Hamlet et d'Othello est loin d'être idiot. Ces deux pièces ont en commun un héros bafoué, trahi par ses proches, faisant l'objet d'une machination finement orchestrée et qu'on essaie de faire passer pour fou ou inconséquent. Dans ce qui suit, je vais essayer de montrer que le héros bafoué, c'est Shakespeare lui-même, ou bien, dans un sens plus large, le dramaturge anglais de cette époque. La machination finement orchestrée serait alors celle des puritains qui souhaitent interdire ce type de théâtre qu'ils jugent dépravé et contraire aux bonnes mœurs.



1) HAMLET

J'ai adoré la légèreté, l'humour, la finesse, la profondeur, la qualité d'écriture (pas dans cette traduction) de l'ensemble de la pièce (beaucoup moins le final cependant).

Comment vous dire ?... Il y a des poussières d'Hamlet disséminées tellement partout que c'est à peine si j'ose, que je ne sais par où le prendre. Peut-être par le plus futile de tous ? Pourquoi pas ?

Les clins d'œil à Hamlet sont fréquents dans les œuvres destinées à la jeunesse.

Goscinny s'en donne à cœur joie dans l'album La Grande Traversée (Parodiant la réplique de Marcelus de l'acte I, le chef viking Øbsen dit en regardant un crâne : « Il y a quelque chøse de pøurri dåns mon røyåume… » Kerøsen quant à lui dit : « Suis-je un décøuvreur øu ne le suis-je pas ?... Être øu ne pås être, telle est lå questiøn… »). de même, tout le scénario du film de Walt Disney Le Roi Lion est une resucée quasi-intégrale de la trame d'Hamlet. Même le fantôme du vieil Hamlet apparaissant à son fils a son pendant dans le film. Chez les écrivains un peu plus chevronnés, on peut mentionner que Rudyard Kipling, dans son ouvrage destiné à la jeunesse Histoires Comme Ça, a inséré le fameux poème « IF » qui est très largement inspiré de la tirade de Polonius (Acte I, Scène 3).

Dans la littérature dite adulte, Hamlet, en époux volage, a aussi fait des petits un peu partout. Mais c'est quoi Hamlet ? À quoi ou à qui peut-il nous faire penser ?

Tout d'abord, si l'on s'intéresse à sa filiation, et l'on sait à quel point Shakespeare était féru de tragédie grecque, on y voit une ascendance très nette en la personne d'Oreste. Lui aussi est fils d'un roi qui s'est fait trucider et dont la mère s'est remariée au nouveau souverain usurpateur. (Oreste, fils d'Agamemnon et de Clytemnestre, frère d'Électre ne supporte pas l'assassinat de son père et décide de devenir le meurtrier de sa mère qui a fomenté le régicide.)

Le thème de la trahison, du doublage par un frère (le vieil Hamlet est assassiné par son frère Claudius) est un thème qui semble fort et important pour l'auteur, c'est d'ailleurs le corps de l'ultime drame de Shakespeare, La Tempête, où Prospero a échappé in extremis à la mort et s'est fait subtiliser le trône par son frère.

Le thème de la mort, ou plus particulièrement de l'inutilité de la vie, est également un sujet de prédilection du grand dramaturge anglais et qui figure au cœur d'Hamlet, d'où cette fameuse tirade du « être ou ne pas être ».

Mais si tout cela est vrai et fort, ce qui me semble plus fort et plus évident que tout — et qui m'avait totalement échappé à la première lecture — c'est la réflexion sur le théâtre qui est contenue dans cette tragi-comédie et c'est la théorie que je vais défendre ci-dessous.

Pour bien analyser la question, observons l'architecture, la structure de l'œuvre :

Acte I — révélation du meurtre de son père à Hamlet et de l'usurpation de son trône. Hamlet est par conséquent renvoyé à un rôle subalterne.

Acte II — la « folie » d'Hamlet, prise de position sur le théâtre et mise en abîme (le théâtre montre le théâtre). Révélation du stratagème du « théâtre » du roi et de la reine pour cerner Hamlet dans ses amours. Mise en évidence d'un double discours dans ce « théâtre ». Incompréhension d'Hamlet et d'Ophélie.

Acte III — Hamlet, à son tour, utilise le stratagème du théâtre. le théâtre apparaît alors en tant que révélateur de la vérité de l'âme humaine derrière les apparences. Révélation de leur propre trahison au roi et à la reine. Assassinat par Hamlet de Polonius, le courtisan intéressé et qui s'était caché.

Acte IV — le pouvoir veut emmener Hamlet en Angleterre pour le tuer. Réapparition de Laërte, fils de Polonius, sorte de dédoublement d'Hamlet, qui lui aussi veut venger la mort de son père.

Acte V — On en a oublié Ophélie qui meurt sans qu'on s'en soit trop occupé, on ne sait que la pleurer. Réflexion sur la mort à l'occasion de l'enterrement d'Ophélie. Combat organisé par le roi entre Hamlet et Laërte. Mort des deux opposants qui entraînent dans leur fin celle du roi.

Voilà, très grossièrement l'ossature de la pièce. Permettez-moi simplement maintenant de vous dire ce que ces personnages m'évoquent :

Hamlet, C'EST le théâtre, dans l'acception la plus noble du terme. C'est lui le révélateur, c'est lui qui voit clair dans le jeu orchestré par le roi et c'est lui qui est déchu par la vilenie du pouvoir.

Le roi symbolise évidemment le pouvoir, en tant qu'autorité qui muselle l'activité artistique de peur qu'elle ne montre trop explicitement ses propres exactions.

Laërte, c'est l'autre théâtre, le théâtre d'état, le théâtre qui dit ce que le roi veut entendre, celui qui est aux bottes du pouvoir.

Les deux théâtres se livrent une lutte à mort, et qui est sacrifié au milieu d'eux ? le public, évidemment, et ici le public est symbolisé par Ophélie, qui devient folle.

La reine représente la conscience, la morale à qui l'on a tordu le cou pour avaler des couleuvres.

Polonius représente les seconds couteaux, le peuple nombreux des courtisans hypocrites qui lèchent les savates de tout pouvoir, quel qu'il soit, et qui se font étriller par le théâtre (pensez aux bourgeois, aux savants ou aux religieux chez Molière, par exemple) car si l'on ne peut taper sur le pouvoir, on peut tout de même se faire la main sur les courtisans. Mais on peut aussi (et surtout) voir dans Polonius, l'archétype du puritain (voir les conseils qu'il donne à son fils), très en vogue et toujours plus près du pouvoir à l'époque de Shakespeare.

Et la moralité de tout cela, c'est qu'un pouvoir qui n'est pas capable de se regarder en face sous le révélateur, sous le miroir de vérité qu'est le théâtre, tellement il a honte de lui-même est voué à disparaître.

Pour conclure, si l'on recontextualise la genèse de cette pièce avec les événements historiques dont l'auteur était le témoin, ce qu'il faut voir dans Hamlet, ce n'est ni une tragédie (ou tragi-comédie), ni un quelconque message métaphysique, mais bien plutôt une supplique politique pour maintenir les théâtres publics élisabéthains et leur liberté d'expression face aux attaques toujours plus virulentes des puritains qui essaient d'imposer leur théâtre moralisateur. On sait par ailleurs que les craintes de Shakespeare étaient fondées car les puritains obtiendront gain de cause avec la fermeture des théâtres publics en 1642 (notamment le Théâtre du Globe où était joué Shakespeare).

Vu comme cela, cette pièce est absolument lumineuse, forte, pleine de sens et de désillusions, bref, essentielle. Une œuvre, donc, qu'il faut absolument lire, mais, comme je l'ai expérimenté moi-même, peut-être pas trop tôt et pas sans s'être muni au préalable d'une petite patine en matière de théâtre.



2) OTHELLO

C'est une tragédie sublime, au sens premier, au sens profond, dans l'acception antique du terme, c'est-à-dire, de la création d'une œuvre artistique capable de susciter les plus vives émotions chez le spectateur, afin de gagner son empathie, de le faire vivre par procuration des émotions aussi fortes que les personnages fictifs qui évoluent devant lui.

Ici, je ne pense pas que le spectateur moderne puisse encore aller fréquemment jusqu'aux larmes, ni à la tristesse ni à l'abattement mais à l'indignation, probablement ; une forte indignation intérieure devant cet infâme complot de cet infâme Iago. Notre sens inné de la justice, même non formulé, même fort enfoui, même inconscient, même volontairement muselé, ne peut que s'insurger face à une telle ignominie, et c'est précisément ce sentiment que recherchait William Shakespeare et qu'il arrive à faire éclore admirablement, aujourd'hui comme hier et pour des siècles encore.

De multiples interprétations peuvent rendre compte d'Othello. On y a souvent trouvé une certaine énigme dans son titre car le protagoniste principal semble bien davantage Iago qu'Othello.

Il est vraiment clair, d'un simple point de vue statistique, que Iago monopolise la scène et qu'Othello n'est presque qu'un personnage secondaire, comme tous les autres d'ailleurs. C'est indéniable.

Par contre, si l'on se penche sur la signification, sur ce qu'a voulu exprimer Shakespeare, là le titre commence à prendre toute son envergure. Car c'est bien à la place d'Othello que l'auteur souhaite nous placer, et non à la place de Iago. C'est bien l'œuvre de Iago sur Othello qui indigne et non les motifs intimes du fourbe qui présentent un intérêt.

Le message, du moins l'un des messages possibles de cette œuvre, est le noircissement. Je ne blague pas, et le fait que Shakespeare ait choisi un personnage noir comme héros d'infortune n'a sans doute rien d'hasardeux. L'apparence. Celui qui semble noir l'est-il bien réellement ?

Tous. Tous semblent noirs à un moment ou à un autre : Cassio, Desdémone, Othello. Tous noirs et pourtant tous innocents. Et pourtant, on jurerait, selon l'angle où ils sont présentés les uns aux autres, on jurerait qu'ils sont coupables.

C'est probablement ça, le plus fort du message que souhaite nous donner en pâture l'auteur. Honni soit qui mal y pense ! Il est si facile de nuire, si facile de noircir, si facile de truquer, si facile de faire dire autre chose aux faits pris indépendamment ou hors contexte. C'est cela que semble nous dire Shakespeare. Les apparences sont parfois contre nous et d'autres semblent blancs comme neige, et pourtant… et pourtant…, pourtant, quand on sait tout le fin mot, vraiment tout, la réalité est souvent loin des belles apparences et ce que l'on croyait simple, net, tranché, évident, ne l'est plus tant que cela.

Othello d'emblée est noir, ce qui jette sur lui une indéfinissable suspicion aux yeux des Vénitiens. Tout prétexte sera bon s'il fait le moindre faux-pas. Cassio est un beau subordonné prometteur, donc il est douteux. Desdémone est une noble Vénitienne blanche entichée d'un noir, donc c'est nécessairement une putain. Autant de raccourcis faciles que mais nous avons tous tendance, consciemment ou inconsciemment, à commettre ici ou là. L'histoire a donné plusieurs fois raison à Shakespeare. (Rien qu'en France, au XXème siècle, des Juifs, des Maghrébins en tant que groupe ou des individualités comme Guillaume Seznec ont tous fait l'objet d'accusations plus ou moins calomnieuses ou bâties de toute pièce, basées sur des a priori ou des apparences qui leur étaient adverses. Je ne parle évidemment pas de tous les endroits du monde et à toutes les périodes depuis Shakespeare, car il y aurait de quoi remplir tout Babelio avec.)

Si l'on cherche des fautes à quelqu'un, on en trouvera fatalement. Si l'on sait habilement les mettre en lumière, leur donner d'autres apparences, attiser le vent de la vengeance, mobiliser la justice à son avantage, n'importe qui peut être traîné dans la boue ou commettre l'irréparable.

Quels sont les mobiles de tout cela ? L'auteur reste très discret et très flou sur les motivations de Iago. Cela semble tourner autour de la jalousie, de l'orgueil bafoué, de l'envie inassouvie, du complexe d'infériorité.

Intéressons nous encore quelques instants à Iago. Ce qui est frappant dans le texte, dans les qualificatifs qu'on lui attribue, c'est le nombre de fois où reviennent, les adjectifs noble, honnête, fidèle, courageux, droit, fiable, vertueux, etc. Encore une fois, si l'on se place à l'époque de Shakespeare pour tâcher d'y voir plus clair, la meilleure explication, la principale justification à cette pièce est l'admirable travail de sape réalisé par les puritains à l'égard du théâtre élisabéthain.

Iago, dans cette optique, est donc le symbole du puritanisme, Othello, le noir à qui l'on fait commettre des abjections ne saurait être autre que Shakespeare lui-même, Cassio, représenterait alors quelque autre auteur contemporain de Shakespeare comme Christopher Marlowe ou Ben Johnson. Les abjections des uns et des autres sont les écrits vils qu'ils étaient obligés de pondre, pamphlets notamment, simplement pour pouvoir gagner moindrement leur vie.

Desdémone, celle qui est totalement innocente est qui est sacrifiée serait alors la déesse aux cent bouches, à savoir le public, qui fait les frais des fermetures de théâtres sous la houlette des Puritains.



Ainsi, selon moi, outre tout le reste et qui est magnifique, voici le type de messages que William Shakespeare essayait de faire passer dans ses deux pièces, la dénonciation de la calomnie à l'égard des dramaturges honnêtes qu'on accusait de toutes les perversions et le rejet de la main-mise des puritains sur la liberté d'expression théâtrale, ce en quoi l'avenir lui donna raison et prouva que ses craintes étaient plus que justifiées.

Mais ce n'est là que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose. Le mieux sera toujours que vous vous fassiez le vôtre.
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Roméo et Juliette

En 2016, le grand Will est mort depuis 400 ans, et son oeuvre nous parle toujours par delà le temps.



C'est l'histoire de deux adolescents qui tombent amoureux dans un contexte de violence inouïe. Leurs deux familles s'affrontent dans une vendetta sans fin. le prince de la cité de Vérone a bien du mal à calmer les esprits.



Mais lorsque Romeo aperçoit Juliette, leur destin est scellé d'un seul regard, le mariage célèbré en secret. Scène du bal, scène du balcon ....La tragédie se noue implacable et achemine nos amants au tombeau, poison et poignard, terrible méprise et les deux familles qui pleurent leurs enfants.



Je n'avais pas relu depuis longtemps cette pièce tellement connue, interprétée et objet de relectures contemporaines. C'est la mise en scène magistrale d'Eric Ruf pour la Comédie française qui me l'a révélée sous un jour moins romantique. Le texte est plus âpre, les sentiments plus durs, la violence plus prégnante.



La leçon de Shakespeare est celle triste et désarmée de celui qui vit la guerre et ses cortèges de vengeance. A nous battre de façon inconsidérée, quel monde de mort laisserons-nous à nos enfants ?



Nous n'avons pas fini de pleurer Juliette et Roméo.



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Othello

"Rares les tragédies qui se construisent sur la blancheur de la peau du héros, comme celle d'Othello". Sylvie Chalaye.



Othello est un Noir, un ancien esclave devenu général de l'armée de Venise. Il est jaloux et va tuer Desdémone, sa femme, à cause d'un mouchoir, entre les mains d'un rival supposé ...

Vous connaissez la pièce ?



Tout est dit, le rideau va retomber sur cette tragédie !

Mais, qui est le monstre ?



Shakespeare ne nous dit pas tout, le lecteur ne sait pas si Othello ignore la vérité, ou s'il sait que Iago, son ancien lieutenant, lui ment, au sujet de l'infidélité de Desdémone, mais il va céder à des forces obscures...



" Méfiez vous, Monseigneur, de la jalousie!" persifle Iago...Alors que les flambeaux s'allument, Othello ne voit pas, à travers la figure de Iago, les forces du Mal, qui s'assemblent...

( Iago se revendique traître et voleur, c'est un névrosé et un misogyne: "l'amour n'est qu'un prurit du sang, avec la permission de la volonté";

Il hait sa femme et s'en méfie ;

Desdémone n'est qu'une putain, à ses yeux.)



"Ainsi donc, tout ce que vous nommez péché, destruction, bref le Mal, est mon élément propre".

Desdémone est belle comme le jour, et Othello est sombre comme la nuit, (comme un homme jaloux!)



A côté d'Othello le Maure, un Noir donc, qui se confond avec les ténèbres, se trouve Iago, dans l'ombre.

La noirceur de l'âme de Iago occulte l'obscurité, quand il fait croire que Cassio a le mouchoir de Desdémone...



Desdémone est une blanche et représente la lumière. Othello le Maure se cache, en soufflant sur la chandelle, dans leur chambre à coucher, avant d'étouffer sa femme.

Il se cache des étoiles même:

" Elle doit mourir..."

" Laissez moi vous le cacher, chastes étoiles... Je ne vais pas lacérer sa peau plus blanche que neige, et lisse comme l'albâtre des tombes. Que j'éteigne cette lumière... Et cette autre..."



En asphyxiant Desdémone avec un oreiller, Othello étouffe les arguments et la voix de la jeune fille.

C'est une innocente, mais dans cette tragédie, c'est la voix de la Jalousie qui parle...



La jalousie de Iago envers Cassio, nommé lieutenant...

La jalousie quand Iago parle à Brabantio, le père de Desdémone, à propos d'Othello:

" Un vieux bélier noir qui grimpe votre brebis blanche!"

Brabantio, ulcéré par le mariage secret entre sa fille et ce "sous-homme", non catholique et Africain...



On occulte souvent la tragédie de l'ancien esclave affranchi, qui a un caractère colérique ( et qui penche du côté Obscur, pardon hein!) , pour ne retenir que celle de la jalousie...



" Quand les démons veulent produire les forfaits les plus noirs, ils les présentent d'abord sous des dehors célestes ! Othello de W.Shakespeare.
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