Gasparini décortique les thèses élaborées depuis 1977 - et la définition donnée par Doubrovsky pour définir son roman "Fils" - sur le concept d'autofiction. Il aboutit à la conclusion que si aucune définition ne saurait définir, seule ou accompagnée, un nouveau genre, toutes les opinions, que ce soit celles des théoriciens ou celles des praticiens, s'accordent à reconnaître une évolution de l'écriture de soi au cours du vingtième siècle, et plus particulièrement depuis les années 70.
Gasparini élargit alors son étude et, des tentatives de définition de ce qu'est - ou pourrait être - l'autofiction, souvent par comparaison avec le genre autobiographique et celui du roman autobiographique, il extrait une liste de caractéristiques de l'écriture moderne de soi, qu'il tient pour consécutive à la quintuple action de l'émergence de la psychanalyse, des innovations littéraires apportées par les témoins de l'Holocauste dans leur difficulté à dire l'indicible, de la période de libération des moeurs post-68, du tournant post-moderne (lui-même issu de l'effondrement des régimes communistes, des désillusions d'émancipation collective et de l'accroissement, en réaction, de la "culture de soi") et de la mondialisation (entre autres des médias).
En conclusion, l'autofiction ne lui semble pas être un nouveau genre en soi, mais les nouvelles écritures de soi représenter une évolution du genre autobiographique, qu'il propose de nommer autonarration, en reprenant Arnaud Schmitt. Ce terme est moins ambigu qu'autofiction dont fiction efface la référentialité, tandis que narration l'intègre, ce qui est plus conforme aux revendications des auteurs à l'authenticité. L'autonarration serait donc l'autobiographie postmoderne, caractérisée par des traits d'oralité, une complexité narrative, une fragmentation du discours, une problématisation du rapport entre l'écriture et l'expérience et le pacte autobiographique de Lejeune. Au sein de cette autonarration, les textes qui s'éloignent le plus de l'authenticité seraient dits autofictionnels, les autres relèveraient du "récit autobiographique". En parallèle de l'autonarration, les oeuvres qui revendiquent le plus d'authenticité (témoignages, interview, autoportait, etc) seraient placées sous l'expression "auto-essai" ou "journal".
On est un peu déçus naturellement de la conclusion qui réduit la promesse d'un nouveau concept à la forme temporaire de l'évolution d'un genre, mais l'essai tire sa grande force de sa précision chronologique et de la clarté de la présentation des opinions élaborées au fil des décennies. On mesure la difficulté à classifier les types d'écriture et à mesurer la part d'authenticité, à défaut de véridicité, des textes : ces critères tiennent-ils à la sincérité de l'auteur (qui peut se tromper), à la valeur de véridicité des textes (mais un texte très référentiel est-il littéraire ?), à la difficulté de "dire le vrai" (qu'est-ce que le vrai, la réalité, d'un témoignage, d'une parole, dans l'absolu...), comment est reçue la lecture si les repères sont biaisés ou que la confiance envers l'écrivain s'effiloche, comment dire le vide de l'âme, l'impossibilité du souvenir, les émotions insoutenables (la douleur, la honte, le rejet, la maladie, la mort, etc.). C'est donc un essai très lumineux qui remue les méninges avec intensité.
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