Dans le cadre de l'opération Masse Critique Mauvais Genres de mars 2023, j'ai reçu «
Coeur de fer, le Chouan bleu, tome 3 : Gervaise », un « polar historique » durant la révolution française.
Ce roman de cape et d'épée tisse sa toile autour d'épisodes parisiens et normands et plus précisément cauchois (l'auteur a préparé son roman à Fécamp) … tout pour me plaire et me plonger dans ma province natale. Et j'ai passé deux soirées agréables en suivant Jean-Eudes et ses « chouans », enquêtant aux cotés du commissaire Conan Percebois, en compagnie de femmes fort séduisantes.
Cet ouvrage est écrit en français « d'époque », une langue savoureuse, épicée d'expressions rabelaisiennes ou cauchoises, qui restitue la période de la terreur et d
écrit superbement les atmosphères oppressantes des intrigues mais demande de l'attention et décourage les lecteurs (guichetière ou président de la république) fuyant « La princesse de Clèves », ou la prose de la Marquise de
Sévigné. Ajoutons que le texte souffre d'une absence manifeste de relecture et est truffé de fautes d'orthographes (exemple p. 121 : « il savait qui était ceux-là »).
L'ouvrage est une suite de scènes, d'actions, d'épisodes, qui ouvrent beaucoup de portes, sans toujours les refermer, sans bâtir une réelle intrigue. Les épisodes normands et parisiens se déroulent en parallèle, et donc n'ont aucun point commun. Les scènes parisiennes avec Danton, Marat,
Robespierre, sont sans lien évident avec le scénario. Les haltes dans les cafés, estaminets et restaurants sont multiples, redondantes, mais leur multiplication finit par être indigeste. Enfin c'est un roman noir et non un polar.
La découpage en seize chapitres ne révèle pas ses secrets. Un chapitre est d'habitude un ensemble cohérent centré sur une action, un instant, un lieu ou un personnage … qui lui donne un titre. Ici, un chapitre mélange plusieurs éléments sans logique expliquant en quoi ces morceaux de puzzle s'assemblent et çà complique singulièrement la lecture.
Enfin le générique multiplie les personnages, dont certains ne jouent qu'un rôle décoratif dans le scénario, et ils sont nombreux à cumuler noms et surnoms ce qui double l'effort de mémoire indispensable pour saisir qui fait quoi, et, cerise sur le gâteau, le romancier les compare aux héros mythologiques en ressuscitant Achille ou Penthésilée pour achever d'égarer son lecteur !
Gervaise est le titre de ce roman … mais de quelle Gervaise s'agit-il ?
Jean-Claude Sacerdot a baptisé deux héroïnes du même prénom, ce qui nous vaut au Chapitre 5 (par exemple) ce passage : « Alors que les hommes s'allaient boire quelque vin d'appréhension bien que chaud, au logis des Francs-citoyens on s'en était revenu à moins de fièvre. La Gervaise, en fille qui a su faire face à vicissitudes, se reprenait sous la salvatrice ardeur de Bertille et Gervaise. Quelque peu rasséréné, on avait précédé les hommes pour le boire, faisant sauter le bouchon d'un vin de Champagne que Jean-Eudes avait ramené de son dernier périple. À la seconde gorgée, les bulles du nectar avaient repoussé les miasmes de l'angoisse et ceux de la mélancolie. Confiantes et grisées de ce pétillant à perles d'apparat ouvrant à belle humeur, on avait à maintenant rose aux pommettes et l'on babinotait comme à jour de ducasse. Ainsi que toutes femmes entre elles, on parlait des hommes, de leurs travers, de leurs atouts aussi et mérites réciproques. Pour Bertille et Gervaise, l'affaire s'entendait au-delà des espérances, quant à la belle Gervaise, on sait ce qu'elle connaissait des hommes. Pour elle, ce badinage de candeur et de félicité n'avait pas l'écho de ses campagnes, elle aussi avait rêvé de grandes amours. »
A la lecture de ces lignes je me pince et me demande si je ne vois pas double, si les bulles de champagne ne troublent pas ma vision, car qui est, ou qui sont, Gervaise ?
En conclusion, j'avoue une certaine déception due à une plume aussi complexe que talentueuse. Il manque, à mon humble avis, une relecture et un dialogue avec un architecte, un éditeur, qui aide l'écrivain à planifier l'action, cimenter les briques de l'édifice, élaguer les éléments inutiles et muscler l'intrigue.
C'est à ce prix que Coeur de fer, le chouan bleu rejoindra le Mouron Rouge de la baronne Orczy, Hyacinthe, l'indien au sang bleu de Philippe le Douarec, et Charrette de Philippe de Villiers, aux cotés des héros légendaires de Jean de la Varende.
Je remercie Babelio et les Editions Erik Bonnier pour cet envoi appréciable mais qui ne semble du même niveau d'excellence que L'Anglaise d'Azur et Hortus conclusus : Les litanies du jardin, deux chefs d'oeuvre édités par
Erick Bonnier.
PS : ma critique de L'anglaise d'Azur
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