AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Jean-Noël Schifano (Traducteur)
EAN : 9782356540751
80 pages
Ypsilon éditeur (09/03/2017)
3.6/5   5 notes
Résumé :
En 1950, Leonardo Sciascia publie son premier livre Fables de la dictature : exquis bestiaire moderne composé de petits poèmes en prose à la manière d’Ésope. La mémoire des années sombres de la dictature fasciste en sont la source et l’horizon. D’une finesse acérée, ces fables sont des allégories transparentes et pointues qui décrivent et dénoncent les relations de pouvoir et de domination propres à toutes les dictatures et tyrannies, avec leur types et archétypes s... >Voir plus
Que lire après Fables de la dictatureVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
La Fontaine a transposé dans son environnement les fables d'Esope, n'hésitant pas à travestir les puissants de son monde en ces animaux dotés de morale de pouvoir de compassion mais aussi parfois d'avarice de haine et de jalousie.
Pour La Fontaine la morale permet à chacun d'y trouver son compte. Les petits heureux de trouver l'occasion de vilipender les puissants, et les puissants satisfaits de mesurer la force de leur pouvoir.
Comme dit Alberto Moravia dans la citation en exergue de l'ouvrage : « Il y a certes un pessimisme satisfait et cruel chez Sciascia. Mais, il faut chercher, comme toujours, l'optimisme dans l'écriture. »
Voeux pieux de la part du grand homme, car on a beau chercher, l'optimisme s'il existe, réside dans la férocité des récits.
Si l'agneau de la Fontaine peut tenter de discourir avec le loup, répliquant qu'il boit en aval du loup, qu'il n'était pas né l'an dernier, qu'il n'a pas de frère, celui de Siascia n'a pas le temps de dire ouf qu'il est déjà dans la gueule du loup. « D'un bond il lui tomba sur le râble pour le mettre en pièces. »
Différence entre la Démocratie où l'on se fait « bouffer » en débattant et la dictature où l'on se fait d'abord « bouffer » et l'on peut discuter après….le cas échéant…
La déconstruction de ces récits qui ont enchantés notre enfance à l'école comme le rappelle Pasolini dans la postface, est à l'avenant.
Risible et cruelle, à l'image du pauvre rat qui pénétrant dans un grenier rempli fait preuve de la timidité et de la sagesse de ceux qui n'ont rien et au lieu de se jeter sur cette montagne de nourriture décide de prendre le petit bout de fromage tombé par terre « Alors la trappe eut un déclic, qui le délivra du souci de tous ces vivres à avaler. »
Veule et pathétique, la lâcheté du chien de garde préférant garder une parcelle de pouvoir plutôt que d'autoriser le lapin à pénétrer dans le jardin : « Ce que tu dis est vrai ; mais pour moi rien ne vaut le plaisir de te faire peur. »
Consentement et renoncement, dont on ne sait s'ils cachent de la résignation, semblent animer les animaux de ces fables, le crapaud se réjouit du progrès que représente le train qui va l'écraser, le chien assimile les coups de pieds de son maitre à la douce odeur du cirage de ses chaussures, l'âne adore le rythme des coups de bâton qui lui permette de mieux faire rimer ses poésies, le rat plaint l'homme qui doit l'exécuter « il y pense plus que moi qui doit mourir . »
A lire.
A noter, le soin apporté par les éditions Ypsilon dans la réalisation des ouvrages proposés, format, papier, couverture, police. En plus d'être un texte de référence, Fables de la dictature est un bel objet agréable à tenir entre ses mains.
La couleur lie de vin de la couverture est un magnifique clin d'oeil à la nouvelle de Sciascia « La mer couleur lie de vin. »

Lien : http://desecrits.blog.lemond..
Commenter  J’apprécie          243
Fables de la dictature (Favole della dittatura) est un livre extrêmement fin pouvant aisément passer inaperçu dans les rayonnages d'une bibliothèque. Et pourtant, les textes qui le composent sont intéressants à découvrir.

Il s'agit d'une édition bilingue. Ayant un niveau très débutant en italien, je me suis contentée de lire la version française. le livre se compose de vingt-sept fables en prose. Ces textes, très courts, constitués de seulement quelques phrases, ont été publiés en 1950 après la chute du fascisme.

Même si je m'attendais à ce que ces fables soient plus longues, j'en ai apprécié plusieurs. J'aurais cependant aimé trouver quelques éléments d'analyse pour les lecteurs non initiés, quelques détails sur ces textes. En effet, pour certaines fables, le sens est assez facile à saisir, mais pour d'autres, je pense que je suis malheureusement passée à côté d'éléments importants.

À la fin du livre, le texte "Dictature en fable" de Pier Paolo Pasolini, daté de 1951 propose un éclairage. Selon Pasolini, dans ses fables, Sciascia « a épuré son contenu jusqu'à en faire un exquis prétexte d'imagination. La dictature et le servilisme, les deux termes complémentaires contre quoi, avec valeur rétroactive, il grave ses tablettes : termes si isolés, détachés de l'ensemble de tous les autres sentiments humains, qui résonnent dans le vide de la page, comme irréels, jeu et exercice d'évocateur raffiné. Évocateur non seulement d'un temps qui semblerait révolu, mais d'un monde de figurations et de personnages déjà fixés, dans le souvenir, avec une luminosité et une sécheresse stéréotypées à merveille, et où les personnes et les événements de ce temps, du reste encore proche, viennent s'arrêter et se sculpter. »
Commenter  J’apprécie          180
Pour tout italianisant, ou simple lecteur italophone, l'archétype de ce genre de fragments satiriques sous forme de fables animalières n'est pas Ésope et encore moins La Fontaine, mais c'est Trilussa, alias Carlo Alberto Salustri, poète dialectal romain, antifasciste de la première heure et jamais molesté par Mussolini, qui se délectait même en privé de ses railleries. [Une étude devrait d'ailleurs être menée sur la prédilection transgressive fort infantile du Duce à l'endroit de toutes les créations artistiques – littéraires, cinématographiques, bédés – qu'il faisait interdire par la censure du « MinCulPop »...]
Pasolini, à raison, souligne que cette plaquette fut publiée en 1950, après la chute du régime : « […] Sciascia condamne, dans son souvenir, ces temps d'abjection […] » (p. 68) ; et cette mise à distance a pour conséquence, dit-il, un surcroît de poésie :
« L'élément lourd, tragique de la dictature […] est transposé en de très rapides syntagmes, en de survolantes saillies qui ne laissent pas de faire frissonner. […] Pourtant, même ces soudaines nitescences, ces gouttes de sang figé, sont absorbées dans le contexte de ce langage, si cristallin que le lecteur se demande si d'aventure son contenu même, la dictature, n'a pas été une fable. » (p. 71).

Par comparaison avec la satire de Trilussa, je trouve pour ma part une plus grande hétérogénéité de ton dans ces fragments : certains sont ironiques, d'autres amers, certains sont explicites, d'autres assez hermétiques – la dictature et la servilité qui l'accompagne ayant cédé la place désormais au « pessimisme cruel et satisfait » (dixit Alberto Moravia) sur la nature humaine qui caractérisera l'ensemble de l'oeuvre successive du grand Sicilien.
Commenter  J’apprécie          50

Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
« C'era luna grande ; e il cane dell'ortolano e il coniglio, divisi dal filo spinato, quietamente parlamentarono. Disse il coniglio : "Gli ortaggi tu non li mangi ; il padrone ti tratta a crusca e calci. La notte potresti serenamente dormire, lasciarmi un po' in pace tra le verdure e i meloni. Che tu mi faccia paura, non vuol dire che la tua sia migliore condizione della mia. Dovremmo riconoscerci fratelli". Il cane lo ascoltava, pigramente disteso, e il muso sulle zampe. E poi : "Quello che tu dici è vero ; ma per me non c'è niente che valga il gusto di farti paura". »

« La lune était pleine ; et le chien du maraîcher et le lapin, séparés par le fil barbelé, entrèrent calmement en pourparlers. Le lapin dit : "Les légumes, toi tu ne les manges pas ; le maître te traite avec gamelles de son et coups de pied. La nuit tu pourrais dormir en toute sérénité, me laisser un peu en paix parmi les verdures et les melons. Tu peux bien me faire peur, va, cela ne veut pas dire que ta condition soit meilleure que la mienne. Nous devrions nous tenir pour frères". Le chien l'écoutait, paresseusement allongé, et le museau sur les pattes. Et puis : "Ce que tu dis est vrai ; mais pour moi rien ne vaut le plaisir de te faire peur". »
Commenter  J’apprécie          30
Les singes prêchèrent l'ordre nouveau, le règne de la paix. Et, parmi les premiers enthousiastes, on compta le tigre, le chat, le milan. Peu à peu tous les autres animaux furent convertis. Ce fut alors une jubilation très douce, une fraternelle agape végétarienne.

Mais un jour la souris, qui plaisantait d'une façon fort civile avec le chat, se trouva renversée sous les griffes de son récent ami. Elle comprit que les choses reprenaient leur cours ancien. Avec un espoir vacillant, elle rappela au chat les principes du nouveau règne. « Oui », répondit le chat, «mais moi, je suis un fondateur du nouveau règne». Et il lui planta les dents dans le dos.
Commenter  J’apprécie          40
L'âne avait une âme des plus sensibles, il trouvait même des stances. Mais à la mort de son maître, il confiait: "Je l'aimais bien; chacune de ses volées de coups de bâton me créait une rime".
Commenter  J’apprécie          80
Superior stabat lupus: e l’agnello lo vide nello specchio torbo dell’acqua. Lasciò di bere, e stette a fissare tremante quella terribile immagine specchiata. «Questa volta non ho tempo da perdere» disse il lupo. « Ed ho contro di te un argomento ben più valido dell’antico: so quel che pensi di me, e non provarti a negarlo ». E d’un balzo gli fu sopra a lacerarlo.

Superior stabat lupus : alors l’agneau le vit dans le miroir trouble de l’eau. Il cessa de boire, et se mit à  fixer tout tremblant l’horrible image reflétée. «Cette fois-ci je n’ai pas de temps à perdre », dit le loup. « Et j’ai contre toi un argument combien plus valable que l’ancien : je sais ce que tu penses de moi, et ne t’essaie pas à le nier.» D’un bond il lui tomba sur le râble pour le mettre en pièces.
Commenter  J’apprécie          10
« Sbucando in dispensa, l'abbondanza di formaggi e prosciutti stupì il topo. "Come farò a mangiare. tutta questa roba ?" si chiese preoccupato. Si decise a cominciare da una piccola scaglia di formaggio, ritenendola provvidenzialmente caduta per meglio aguzzare il suo appetito.
E la trappola scattò, a liberarlo dalla preoccupazione di tutta quella roba da mangiare. »

« Il déboucha dans la dépense : l'abondance de fromages et de jambons rendit le rat tout pantois. "Comment ferai-je pour manger cette montagne de vivre ?" se demanda-t-il songeur. Il se décida pour une lichette de fromage d'abord, estimant qu'elle était tombée providentiellement pour mieux aiguiser son appétit.
Alors la trappe eut un déclic, qui le délivra du souci de tous ces vivres à avaler.
Commenter  J’apprécie          10

Videos de Leonardo Sciascia (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Leonardo Sciascia
Le 1.10.2022, Hubert Prolongeau présentait “Actes relatifs à la mort de Raymond Roussel” de Leonardo Sciascia dans “Mauvais Genres” (France Culture).
autres livres classés : dictatureVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (6) Voir plus




{* *}