Jeunes Loups est un recueil composé de sept nouvelles, ayant pour cadre une Irlande contemporaine rurale, paumée, violente et désabusée. de prime abord, c'est un bourbier de nuits alcoolisées, de désirs frustrés,
passages à tabac et horizons bouchés.
Dès les premières pages j'ai été frappée par la qualité de l'écriture : déliée, vive, sans fioritures ; droit au but. le talent. Pourtant, les premières nouvelles (Le petit Clancy, l'Appât et Sur la Lune) m'ont laissé une impression mitigée, vraiment très proche du mi bémol. Les personnages masculins centraux sont plus ou moins sympathiques et fréquentables, mais leurs amitiés sont profondes et solides, leur complexité et leurs fêlures intéressantes, voire même attachantes. A côté, les personnages féminins sont toutes gourdes ou salopes, profiteuses, manipulatrices, sans coeur, vides, baiseuses. Une fois ça
passe, mais deux fois puis trois : le gros Gloups.
Heureusement, à la quatrième nouvelle (Dans sa Peau), ce déséquilibre bascule (page 58 sur 230) : les voix restent majoritairement masculines, mais les femmes prennent corps et coeur à part entière et sont dès lors tout autant que les hommes, frémissement, tourment, étincelles, espoir, profondeur, désillusion, victimes aussi bien que bourreaux. A partir de là, le plaisir de lecture devient total.
La cinquième nouvelle (Le Calme des Chevaux) est très longue – presque cent pages – et pourrait, sans forcer, faire l'objet d'un roman décapant. Les deux dernières (Diamants et Merci de m'oublier) sont juste brillantes.
Jeunes Loups est en fait plus qu'un simple recueil de nouvelles. C'est une fresque. On y retrouve quelques même personnages et lieux récurrents, Tansey le Nabe, complètement frappé, le pub Quillinan et ses frères jumeaux. On y hume la même campagne, le même éloignement,
pas tant physique que culturel « Galway c'est
pas loin, non, a concédé Martina, mais c'est pratiquement la lune, pour des gens comme toi » (Sur la Lune). On y subit la même perdition, la même violence qui fuse sans prévenir, et même parfois sans raison « le prochain connard qui
passe cette porte, je lui arrache la tronche, LA TRONCHE ! » (Dans sa Peau). Les désirs inassouvis, les lendemains qui déchantent, plombés par la gueule de bois.
Mais derrière tout cela couve un élan qui rend ce recueil surprenant et, je trouve, assez grandiose.
Harper Lee disait que le vrai courage, c'est savoir que l'on part battu mais d'agir quand même, sans s'arrêter. Ici, tout va de mal en pis voire de traviole, les malentendus dégénèrent, les alcoolos replongent, même les enfants, joyaux de leurs parents, sont autistes… Mais ils y vont franco, à la
Beckett*, et on y va avec eux, ils encaissent, ils ruent des quatre fers, ils tombent, ils saignent et meurent parfois, mais à la nouvelle suivante ils relèvent le poing et lancent des obscénités au destin. Et plus le recueil avance, plus on a cette impression d'une épiphanie à venir. Qu'un jour ils vont réussir et nous aussi, à trouver leur place, notre place, et pourquoi
pas, peut-être trouver ce qu'on cherche dans la vie, la foi, l'amour, le bonheur ? Un jour. Quelque chose de grand, on espère, on verra bien. Et si c'est
pas demain et ben ce sera un autre jour. Ou encore un autre.
Inutile de préciser que je vais guetter avec un grand intérêt les prochaines publications de
Colin Barrett !
*Ever tried. Ever failed. No matter. Try Again. Fail again. Fail better.
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