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EAN : 9782369148753
96 pages
Libretto (04/01/2024)
4.02/5   92 notes
Résumé :

"Contemporain du malheur serbe, comme on a accoutumé de parler du malheur russe, Scepanovié est un adepte du " local sans les murs ", qui a nom l'universel. Les tropismes de fuite et les désirs de mort qui sont au cœur de la tragédie grecque se retrouvent pareillement au cœur des romans et nouvelles de Branimir Scepanovié. Si La Bouche pleine de terre, avec ses airs de parabole judéo-chrétienne et sa "source gr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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C'est un livre court. Un livret. Un fin opuscule. Precede d'une preface de Pierre-Emmanuel Dauzat qui le met en rapport avec ses sources, ses attaches, ses accointances, ses comparses en litterature. Excusez du peu: Rimbaud, Jarry, Ivo Andric, Alexandre Tisma, Homere, Goethe, Yeats, Michel Foucault, Drieu la Rochelle, Dante, Simenon, Elias Canetti, Paul Valery, Sartre, Simone Weil (la philosophe), Ortega y Gasset, Sylvia Plath, Saint Augustin, Seneque, Kazantzakis, Kafka, Melville, Camus, Origene, Lewis Carroll, Borges, Roger Caillois, Thomas Bernhard, jusqu'a Hitler! et quelques auteurs serbo-croates inconnus de moi. Trop c'est trop. Enerve, j'ai failli abandonner ma lecture.
Mais c'est un livre court, alors j'ai continue.


Un homme a qui on a diagnostique un cancer terminal part de Belgrade pour voir une derniere fois son Montenegro natal, la montagne aux cimes blanches de son enfance, et y mourir. Voir la Prekornitsa et mourir. Revenir mourir chez soi, a la maison.
Au milieu du trajet il saute du train et se met a marcher. Rencontrant une paire de campeurs, il les fuit, sans raison apparente. Eux, surpris, se mettenr a sa poursuite, sans plus de raison. Mais bientot se joignent a eux un berger et un garde forestier, qui accusent le fuyard de toutes sortes de delits. Le groupe des poursuivants grandit sans arret, exponentiellement, devient une meute, haineuse, desireuse de faire payer des crimes que personne ne sait detailler vraiment. Quant au fuyard, il finira, dans un delire grandissant, par croire qu'il est arrive a sa destination desiree, au Prekornitsa, et il mourra apaise (machant des herbes veneneuses ou se jetant du haut d'un rocher). Contrairement aux poursuivants, tourmentes par leur echec a rattraper leur cible et surtout par l'incomprehension de leur propre attitude dans cette affaire.


Un homme est poursuivi par de parfaits etrangers, qui ne savent rien de lui, s'imaginent tout et n'importe quoi, et sont determines, sans qu'ils en comprennent eux-memes les raisons, a le spolier de la seule chose qui lui importe: le droit de choisir sa mort, le moment, l'endroit, les modalites de sa mort.


Une poursuite qui est une persecution. Metaphore de la facon dont les hommes se comportent avec ce qu'ils ne comprennent pas, avec ce qu'ils considerent comme discordant et incompatible avec leur vecu, inconciliable avec leurs valeurs. Une metaphore des relations entre individus et collectivites, entre une personne et la masse des autres, entre norme et divergence; sur les motifs, reels ou pas, fondes ou pas, de la stigmatisation, de l'anathematisation de l'autre, de celui qui est percu comme autre; sur la fabrique de victimes; sur la formation de bourreaux.


C'est un livre inquietant. Kafkaien si je dois choisir entre toutes les sources citees dans la preface du sieur Dauzat. D'un Kafka qui aurait vecu assez longtemps pour connaitre et interioriser le 1984 d'Orwell. Par bonheur c'est un livre court, sa lecture finit avant qu'elle ne devienne penible. Chaque lecteur aura juste le temps de se demander s'il est poursuivant, et quel type de poursuivant est-il, et au nom de quoi, ou s'il est poursuivi, et alors pourquoi croit-il qu'il l'est. Quant a moi, je crois que ca depend du lieu et du moment. Nous sommes tous poursuivis. En puissance. Nous sommes tous poursuivants. En puissance.


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La Bouche pleine de terre est une fuite hypnotique. Un petit bijou de lecture, et une réflexion intéressante sur la mort et la vie. Il y est difficile de peser des mots sur ce texte tant les interprétations peuvent être multiples. Pourtant, ce que l'on retient, c'est que notre héros semble avoir considérablement marché à côté de sa vie.

Le personnage principal est atteint d'une maladie incurable, il décide de revenir sur ces terres natales pour y mourir de son plein gré. Son comportement suspect va attiser la curiosité de deux campeurs et ils vont se mettre à ses trousses. Dans cette course effrénée, vont se rajouter d'autres gens et, ce qui paraissait initialement être une course-poursuite sans queue ni tête, va se transformer en véritable chasse à l'homme.

Dans ce chassé-croisé impitoyable, les questions se soulèvent, les visions lancinantes de notre fuyard, cet essaim d'hommes haineux derrière lui. S'agirait-il d'un rêve dans lequel les fantômes du passé seraient revenus ?
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(...).

Déjà, la préface est magnifique, riche de références (du dormeur du val à Goethe en passant par Mein kampf et saint Augustin), et du coup vous vous trouvez ridicule à prétendre parler de ce livre. Car, soyons honnête, la préface éclaire la face cachée de l'oeuvre, celle que, maigrement cultivé que vous êtes (enfin, vous, je veux dire, moi) vous n'auriez jamais pu que ressentir sans clairement identifier.

Je ne peux m'empêcher de vous en citer un passage:

"De "la mort de Monsieur Golouja" au "rachat" en passant par "la bouche pleine de terre", l'évangile selon Scepanovic prêche la même éthique du salut, avec toujours les mêmes héros qui prennent sur eux le pêché du monde, la haine des nations en meute, pour trouver dans la mort bienheureuse une certaine réconciliation. Après avoir cherché l'ombre de la croix sur la terre, le suicidé frustre ses assaillants d'une mort promise. La stupeur des chasseurs frustrés ne se laisse comparer qu'à la stupeur des disciples accouardis devant le tombeau vide. le sourire sur les lèvres d'une bouche pleine de terre est une manière de se dérober d'une façon aussi sûre que celui du chat de Cheshire (...) Et le bonheur de ce suicidaire est très exactement le même que celui de Borges (...) autre chantre, dans ses fictions, du bonheur par la pétrification et la minéralisation de l'homme:"Aucune étoile ne restera dans la nuit / ni la nuit ne restera./ Je mourrai et avec moi mourra la somme de l'intolérable univers." Et comme en apothéose pour qui sait lire sur les lèvres des morts volontaires de Branimir Scepanovic:"Je rearde le dernier coucher de soleil./ J'entends le dernier oiseau./ Je lègue le néant à personne." Eut-il été moins nu, que le néant n'aurait pas été aussi accompli, ni le sourire aussi franc et salutaire, ni la mort autant mortifiée. Tel est le "supplément d'être" du mort volontaire.(...)"

Ce livre relativement court (moins d'une centaine de pages dans l'édition de poche) est un récit à double narration en échos, la double narration étant explicitée dans la forme par des paragraphes espacés, ainsi que l'emploi des italiques (narration coté Mort volontaire).

Le récit commence par celui de deux chasseurs, dans une tente, engloutis dans une nuit d'été.

Puis vient celui d'un voyageur à bord d'un train. Sans bagages. Ce voyageur, comme on l'apprendre plus tard, a choisi de se rendre à un endroit pour mourir. Parcequ'il veut choisir sa mort et ne veut pas qu'une maladie la lui vole. Sa maladie, incurable. Il s'enfuit de l'hopital, rentre chez lui, fuit son domicile. Puis le train et la gare. Une fuite, un exil. La mort comme salut. Dès lors, notre homme va éviter tout ce ui pourrait inflechir sa détermination.

L'endroit élu est le sommet d'une montagne, là ou quelques décennies plus tôt, enfant, il s'était réfugié et avait entrevu une première fois la mort comme une délivrance. Alors qu'il marche vers cette terre, promesse de néant libérateur, il rencontre de façon fortuite les deux chasseurs. Ils auraient pu se croiser, s'ignorer, et notre futur mort volontaire aurait pu continuer son chemin.

Mais au lieu de ça, sans mot dire, il fait demi-tour et se met à courir. Et, curieusement, les chasseurs se mettent à lui courir apres. Sans savoir trop pourquoi. Cette course poursuite effrenée va durée toute la journée. Aux chasseurs se joindront un berger, puis un garde chasse, et au fur et à mesure une véritable meute se formera. Personne ne sait précisément pourquoi il poursuit le fuyard, mais au fur et à mesure, les gens s'inventent une raison et se mettent, via une espèce d'émulation inhérente au groupe, à le haïr.

L'auteur décrit de façon très subtile cette naissance de la haine.

Tout cela prendra fin lorsque notre homme se jettera du haut de son rocher.

Il a pris conscience de son existence, approché la mort, l'a convoitée, redoutée et, dans un ultime soubresaut, s'est jeté dans ses bras, anéantissant ainsi la horde qui était à ses trousses et laissant les chasseurs hagards, hébétés, comme à la suite d'un mauvais reves.

Les matéphores possibles d'un tel récit sont multiples. On peut y voir une dimension religieuse, mais également une dimension sociale (thème du suicide et du rapport de l'individu à la collectivité) et politique. Ainsi, Thierry Guichard du matricule des anges, évoque une analogie avec le sort de la Yougoslavie ("Son analyse du comportement de la foule des poursuivants, la mécanique de la haine qu'il démonte sobrement, éclaireront ceux qui voudront voir dans ce roman l'annonce de la guerre qui a conduit la Yougoslavie au suicide")

Un très grand livre, excellente introduction à l'oeuvre de l'auteur.
Lien : http://lelabo.blogspot.com/2..
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De quelle aliénation sommes-nous les victimes ? Qui a commis la faute en premier : l'individu ou la société ? Sommes-nous tous, irrémédiablement, pourris ?


La thématique qui relie les quatre nouvelles de ce recueil ne m'a pas déçue mais la façon dont Branimir Scepanovic l'a traitée, si. Je n'aime pas ses personnages, fatigants et geignards. Ils ne donnent envie d'aimer rien ni personne, ils ne donnent pas envie non plus de s'énerver, et encore moins de rire. Ce qu'ils dénoncent semble évident, mais il faudrait qu'on leur fasse des courbettes pour les féliciter d'avoir eu des yeux.


Ces nouvelles tournent en rond, peut-être parce que Scepanovic, sans doute bien pris au piège dans son corps et dans sa tête, n'est jamais arrivé à sortir de son amertume. Allez, un jour ça viendra peut-être.
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Quel petit roman étonnant, déroutant. J'aime ça, quand la littérature me déstabilise. C'est ce qu'elle devrait toujours faire, je trouve.
Deux campeurs citadins profitent de la plénitude de la forêt au petit matin.
D'un autre côté, un homme qui vient d'apprendre qu'il vit ses derniers mois, décide sur un coup de tête d'aller mourir dans son village natal du Monténégro, où personne ne l'attend car il n'est pas revenu depuis son enfance. Au petit matin, sur une pulsion, il quitte subitement le train qui l'emmène à destination, descend dans une petite gare inconnue, et avance vers la forêt, se disant qu'il doit mourir seul, en décidant du moyen et du lieu.
Évidemment, manque de chance, le futur suicidé solitaire tombe sur les deux campeurs, et cela le contrarie. Il fait demi-tour sans leur adresser la parole. Ce qui étonne et contrarie également les deux campeurs, qui se mettent en tête de le rattraper pour lui parler. S'ensuit une course poursuite épique et dingue basée sur une succession de quiproquos, accompagnée d'un revirement des intentions des protagonistes respectifs. Plus le très court texte (moins de 100 pages) avance, plus les protagonistes perdent pied avec la réalité, et nous avec, on ne sait plus ce qui est réel ou imaginé, déliré. Un texte tout en mouvement, qui nous happe. C'est prenant, hypnotisant, et dérangeant en même temps. En tout cas un texte qui ne peut laisser insensible.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Maintenant, nous le pourchassions par simple curiosité. Nous pensions : s'il a le droit de fuir sans raison, nous, nous avons le droit de le poursuivre ; s'il ne se gène pas pour exciter notre curiosité, nous n'allons pas nous gêner pour la satisfaire.
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Tandis qu'il cherchait la réponse à toutes ces questions, fixant sa propre mort comme un miroir obscur, sa vie tout entière se réfléchit soudain avec une effrayante netteté, image toute proche, aux lignes disgracieuses et aux couleurs criardes ; elle se mit à danser devant ses yeux et il comprit soudain que l'existence de l'homme n'a de sens que grâce à l'amour et à la beauté, c'est-à-dire ce qui faisait totalement défaut dans cette image laide et terne de sa vie.
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Mais en ce morne instant de sa métamorphose il ne savait pas s'il pleurait parce que tout ce qui est la vie lui avait échappé, comme emporté dans un tourbillon, comme s'il n'avait pas su ou pas voulu vivre, ou bien si, par ces sanglots incontrôlés, il se résignait déjà à l'idée que les deux mille cent soixante heures qui lui restaient ne lui permettraient pas de rattraper tout ce qu'il avait laissé échapper pendant trente-sept ans.
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“le ciel semblait un chapiteau de cirque et flamboyait de couleurs bigarrées, violet, rouge, jaune, argent, et dans leur tourbillon, son oeil pénétrant pouvait reconnaître jusqu’aux couleurs inconcevables de l’oxygène, de l’azote, de l’hélium, tandis que son oreille perçante, soudée au sol brûlant, entendait au loin respirer la terre, comme une femme enceinte, de façon sourde et mystérieuse.”
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Toujours rampant, il fourrait dans sa bouche et avalait avec une avidité désespérée toutes les plantes médicinales qu’il parvenait à identifier, ou du moins qu’il croyait reconnaître […]. Il était heureux, car aux goûts qu’il percevait, il pouvait se convaincre qu’il ingérait, sous leur forme naturelle, de la coumarine et du tanin, de la saponine et d’autres glucosides, des composés du phénol, de la chlorophylle et des acides organiques, du mucus et des huiles essentielles, de l’arbutine, du sucre et bien d’autres substances chimiques encore inconnues, et il espérait que tout cela, dissous et mélangé par la salive, se combinerait pour donner une substance nouvelle et miraculeuse, qui le guérirait tout à fait.
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