C'est en lisant le très intéressant livre d'histoire et d'histoire de la littérature La Commune des écrivains que j'avais noté le nom d'
André Léo. Derrière ce pseudonyme masculin se cache une femme, une Communarde engagée qui s'est battue et qui a combattu, notamment pour les droits des femmes. Quatre ans après la Semaine sanglante elle écrit ce "conte" du fond de son exil.
"Conte" oui, au premier abord. S'il n'y a pas la formule traditionnelle "il était une fois", l'intrigue se déroule dans un pays non nommé, imaginaire, mais qui nous ressemble, avec un style qui semble faussement naïf. Les personnages sont monolithiques, et d'ailleurs leur caractère est indiqué par leur nom : Lavisé, Pingrelet, Legros... On croirait lire une utopie : pas de débats politiques car les décisions sont prises par les sages du villages, pas de délit, pas de grandes inégalités sociales...
L'élément perturbateur est l'arrivée d'un Prince, le prince Parfait. Il rallie à lui les habitants par de petits cadeaux, dragées, bonbons, décorations honorifiques, les "hochets qui mènent les hommes" comme disait Napoléon. L'envie, le désir de paraître, l'ambition, s'introduisent donc dans le village et menacent donc l'ordre établi. En termes modernes, on dirait que les cadeaux électoraux, les fausses promesses et la propagande ont séduit les citoyens... Et le premier ravage de ce nouveau système, c'est la perte des filles, séduites puis abandonnées enceintes par les soldats du prince et le prince lui-même.
André Léo expose alors ses idées de façon très pédagogique, par l'intermédiaire de l'apologue ou de la fable. Ce sont des idées sociales - asile pour les personnes âgées, orphelinat pour les enfants abandonnés, des idées politiques et économiques socialistes, marxistes : impôt sur le revenu pour taxer les plus riches, pacifisme, liberté d'expression, importance de l'instruction publique pour former des esprits critiques, libres, qui sachent raisonner. J'ai particulièrement aimé ces lignes sur l'éducation.
Certaines allusions à l'histoire récente du XIX ème siècle sont assez transparentes, tout comme d'autres résonnent curieusement avec notre présent : l'inflation des matières premières, es scandales financiers de boursicoteurs, les guerres menées dans l'intérêt personnel d'un dirigeant dont les peuples sont les principales victimes...
Heureusement, c'est grâce à l'intervention des femmes et de l'instituteur que la liberté revient dans le village.
Si le style peut sembler naïf et les idées exposées de façon bien appuyées, cela correspond au genre du conte. Et ces idées se révèlent très modernes, notamment par leur féminisme. Une intéressante découverte.