"J'aurais voulu être écrivain." Drôle de première phrase pour un Prix Nobel Littérature ! Mais soyez sans crainte, écrivain il est,
Orhan Pamuk et dans ce roman de parricide et filicide, il en raconte, en fait 3. Il y a "
Oedipe roi" de
Sophocle, revu et corrigé par
Sigmund Freud et lui ; la tragédie iranienne de Rostam et Sohrâb du "Livre des Rois" ou "Shâhnâmeh" par le poète persan, Ferdowsi, du XIe siècle et l'histoire stambouliote de Cem Çelik, du jeune comptable Enver et de la belle femme aux cheveux roux, Gülcihan, des créations du grand maître littéraire turc.
J'ai eu beau me creuser la tête pour vous présenter cet ouvrage sans en dire trop de l'histoire, mais cela me paraît virtuellement exclu. Il s'agit d'un roman riche où tous les fragments et épisodes sont superbement liés. Un récit à plusieurs strates et niveaux, qui constituent un édifice grandiose que l'on découvre au fur et à mesure.
Pour être tout à fait honnête, j'ai trouvé le début légèrement long. Les cours du maître puisatier Mahmut à son jeune apprenti, notre héros Cem Çelik, m'ont un peu ennuyé, n'ayant personnellement, bien entendu, aucune ambition dans cet art. Nous sommes en 1985 dans un bled appelé Öngöden (= prévoyance en Français), aujourd'hui incorporé dans l'énorme métropole d'Istanbul avec ses 15 millions d'habitants.
Le père de Cem, Akim Çelik, a été mis en taule (et torturé) par le régime pour ses idées gauchistes et sa pauvre mère, Asuman Hamm, commence à manquer de tout. Cem, qui a 17 ans et voudrait entreprendre des études universitaires, décide, en attendant, d'apprendre le dur métier de puisatier pour ne plus être à la charge de sa mère.
Se rendant le soir au centre du bourg d'Öngöden, il tombe sur la plus belle femme qu'il n'ait jamais vue : de grande taille, gracieuse, attirante et séduisante, à "la jolie bouche et au regard triste et mystérieux" et pour couronner le tout cette beauté rare a des superbes cheveux roux. Que Gülcihan ait à peu près le double de son âge (33 ans), n'empêche évidemment pas un coup de foudre faramineux. du coup Cem, en dépit du dur labeur avec pelle et seau, en perd le sommeil.
Gülcihan fait partie d'une troupe d'artistes qui veulent renouveler le théâtre populaire de rue et qui donnent, le soir, un spectacle basé sur d'anciens contes, tel celui de Rostam et Sohrâb, ou des histoires bibliques comme celle du patriarche Abraham et le sacrifice d'Isaac. Plus tard lorsque la troupe sera disloquée et dispersée, notre belle rousse survivra en faisant des doublures de séries télévisées américaines.
Chaque soir, après le boulot, Cem essaie de voir Gülcihan, le plus souvent, hélas, sans succès. Pourtant, un soir elle l'invite à leur spectacle et après le spectacle chez elle... où ils font l'amour.
Cet événement, ensemble avec un accident terrible dans le trou que Mahmut et Cem sont en train de creuser aura de sérieuses conséquences sur la suite de ce récit que je vous invite de découvrir.
Outre la narration principale,
Orhan Pamuk nous fait rencontrer divers personnages, comme l'auteur et cinéaste italien,
Pier Paolo Pasolini (1922-1975) et son film
Oedipe roi de 1969 et le peintre anglais, d'origine italienne,
Dante Gabriel Rossetti (1828-1882) et le tableau de sa maîtresse, Fanny Cornforth, ... aux cheveux roux.
Et bien sûr, très présente dans cette oeuvre, est la fascinante ville d'Istanbul sur laquelle
Orhan Pamuk a publié de mémorables livres, et où il lui est impossible de résider actuellement, vu son désaccord avec le gouvernement turc de Recep Tayyip Erdogan, entre autres pour la négation par ce génie du génocide arménien.
Pour résumer : un ouvrage riche et puissant qui m'a presque plu autant que son "
Neige" ("Kar") de 2002, qui figure sur ma liste des top best-sellers.
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PS : J'ai ajouté à la bibliothèque virtuelle de Babelio une photo d'
Orhan Pamuk avec une jeune beauté "aux cheveux roux". J'ignore si c'est sa fille, Rüya, qui a inspiré le titre de ce roman, mais il s'agit bel et bien de sa fille sur la photo, qui est née en 1991, et dont le prénom signifie "rêve" en Français.