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EAN : 9782710307044
128 pages
La Table ronde (14/11/1995)
3.8/5   10 notes
Résumé :
Unique tragédie de Savinien de Cyrano de Bergerac qui relaie les pensées libertaires de l'écrivain et dénonce la noirceur et les manipulations d'un monde politique qui instrumentalise la religion. La pièce ayant fait scandale par son athéisme et son épicurisme, est précédée d'un essai sur la pensée politique de l'auteur et sa place au sein des libertins érudits de la première moitié du XVIIe siècle en France.

La Mort d'Agrippine, la seule tragédie que... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Il s'agit de la seule tragédie écrite par Cyrano de Bergerac, elle a été jouée au théâtre, en 1653 ou 1654, la création semble avoir eu lieu au prestigieux Hôtel de Bourgogne. Très vite enlevée de l'affiche, elle sera publiée dans la foulée, cette édition sera vite épuisée, grâce à la réputation sulfureuse de la pièce.

En apparence, Cyrano de Bergerac respecte le cadre d'une tragédie classique, à sujet romain. Nous sommes sous le règne de Tibère. Agrippine, la petite fille d'Auguste, et veuve de Germanicus, pense que son mari a été empoisonné sur l'ordre de Tibère, et entend tirer vengeance. Elle complote avec Sejanus, le favori de Tibère, à qui elle promet de l'épouser après la mort de l'empereur. Mais Sejanus est aimé par Livilla, soeur de Germanicus et bru de Tibère. Cette dernière finira pas dénoncer le complot qui se trame contre la vie de Tibère, pour punir la trahison de Sejanus qui lui préfère Agrippine. Elle se tuera, et l'empereur fera tuer Séjanus et Agrippine.

La pièce, avec ses personnages de furieux, prêts à tout pour se venger, à anéantir leurs ennemis, et surtout y laisser leur propre vie, se rapproche d'une esthétique baroque de l'excès. Comme la langue de Cyrano, avec ses tournures complexes. Cela semble par certains aspects un retour en arrière nous sommes dans un théâtre moins policé, moins normé, celui de Tristan l'Hermite, de Rotrou, de Théophile de Viau. Les personnages sont dans le mensonge, dans la manipulation permanente, ils jouent sans arrêt, font semblant, ils s'égarent dans un labyrinthe de faux semblants et duperies, qui en deviennent une fin en soi.

Mais ce qui différencie cette pièce des autres, c'est la philosophie libertine et épicurienne qu'elle exprime d'une façon très directe, ce qui a provoqué son retrait rapide de la scène. C'est le personnage de Sejanus qui exprime cette philosophie de la façon la plus marquée.

Libertine s'entend au sens de libre pensée, dégagée des dogmes en particulier religieux. Certaines répliques de Sejanus laissent penser qu'il est athée. En accord avec la pensée épicurienne, Sejanus exprime l'absence de la crainte de la mort et des dieux. Il dit très clairement l'usage politique de l'invention des dieux, qui permet de faire peur et de manipuler la foule. Aucun regret, aucune mort édifiante. Les personnages se consument par leurs excès, sans remords, sans mauvaise conscience et sans aucune envie de vouloir faire autrement.

De même, Sejanus ne considère pas que Tibère, de par sa naissance, de par son origine royale, et donc quelque part divine, lui est supérieur. Il veut devenir empereur, et considère qu'il en a aussi le droit que celui qui occupe le trône. Comme Tibère est le personnage le plus faible, le plus minable de la pièce, Cyrano semble quelque part lui donner raison ; cela semble une contestation de la légitimité du pouvoir royal. Nous sommes loin des hommages et flatteries outrés d'un Racine dans Alexandre le Grand.

Pièces atypique, très singulière, Agrippine mériterait d'être plus connue. La mise en scène proposée par Daniel Mesguich au festival d'Avignon cette année, pourra peut-être enfin lui permettre d'être plus lue et jouée.
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Pour découvrir Cyrano de Bergerac l'auteur, j'ai suivi les conseils de 5Arabella qui me recommandait la Mort d'Agripinne. J'ai y trouvé une tragédie pleine de bruits et de fureur, de mensonges, de trahisons, de haines et de vengeance. Quasiment tous les personnages conspirent contre l'Empereur Tibère et veulent le tuer pour se venger et s'emparer eux-mêmes du pouvoir, et, pour cela, sont prêts à se servir les uns des autres par la dissimulation et la manipulation. Les personnages principaux feintent, s'échangent des voeux d'amour et des promesses de mariage, se complimentent en face à face, et, dans leurs monologues ou dans leurs échanges avec leurs proches, ils avouent avoir menti et se servir de l'autre. J'ai ainsi douté : Agripinne aime-t'elle Séjanus ? Elle le lui dit, mais affirme ensuite à son amie ne vouloir que se servir de lui pour assassiner Tibère, responsable selon elle de la mort de son mari, un des héros de Rome, Germanicus. Elle promet la fidélité à son époux mort, tout en désirant - avec la connotation physique du mot - semble-t-il accueillir Séjanus dans sa couche. Mais, surtout, elle veut qu'il l'aide à devenir impératrice. Elle souhaite le pouvoir pour elle-même, elle le revendique, en mettant en avant ses qualités : elle commande aux armées par le pouvoir du nom de son mari, elle a donné un héritier mâle à Germanicus - son fils, elle est d'aussi bonne lignée que Tibère puisqu'elle descend elle-aussi d'Auguste. C'est donc un personnage fascinant, prêt à tout. J'ai beaucoup aimé son dialogue central avec Tibère, d'un rythme très rapide grâce à la succession de répliques d'un seul vers qui montrent toute la tension et la violence des sentiments entre eux : ils se détestent, ils veulent la mort l'un de l'autre, mais en apparence ils se complimentent et se font des cadeaux.
La grandeur d'Agripinne vient aussi de ses faiblesses, de ses failles : ce n'est pas un personnage uniquement de monstre féminin comme Médée ou Rodogune par exemple chez Corneille. Ainsi, elle fait des cauchemars, rêvant du retour accusateur de Germanicus qui lui demande de hâter sa vengeance.
Tibère, lui, est moins marquant - moins présent, moins intelligent aussi semble-t-il puisqu'il ne déjoue pas seul les complots, il a besoin d'une dénonciation. Non, c'est Séjanus l'autre figure marquante de la pièce. D'abord, selon moi, parce qu'il représente une volonté d'ascension sociale : lui n'est pas fils, neveu, gendre, époux... d'Empereur, il ne descend pas d'Auguste. Mais il veut conquérir le pouvoir suprême ; après tout, il est homme lui aussi, Tibère n'a rien de plus que lui. Et c'est sa deuxième caractéristique : il ne croit pas au surnaturel et aux interventions divines. Il ne veut donc pas respecter l'Empereur parce qu'il serait le représentant des dieux. Il n'interprète pas les oracles et les présages - la scène est d'ailleurs presque drôle avec notre regard contemporain beaucoup moins religieux : pour Séjanus, ce n'est pas dans la météo ou dans les entrailles des animaux sacrifiés qu'on peut connaître ou non la réussite d'un projet... Séjanus rejette donc l'influence des dieux sur la vie des hommes, et par là-même, il rejette l'influence de l'Empereur sur ses sujets. Il rejette donc toute forme d'autorité supérieure, et meurt en homme libre, fidèle à ses convictions.
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La mort d'Agrippine est une tragédie en alexandrins racontant la tentative de vengeance d'Agrippine l'Aînée à l'encontre des responsables de la mort de son mari Germanicus (c'est la version de Tacite de l'empoisonnement du général romain qui est exploitée par Cyrano de Bergerac) parmi lesquels l'Empereur Tibère et Séjan (Séjanus dans la pièce), le préfet du prétoire, à qui elle promet sa main et le trône en échange de son aide.
L'intérêt de la pièce est multiple. Tout d'abord, la versification est de grande qualité, sauf étonnamment quelques vers ici ou là qui m'ont paru vraiment très pauvres et très plats. Dans la mise en scène en revanche, j'ai trouvé que l'auteur abusait des conciliabules entre ses personnages centraux et leurs confidents, ce qui nuit au rythme et au développement du drame.
Un autre intérêt néanmoins est la complexité des relations entre les personnages : Séjanus est à la fois l'objet et une des cibles de la vengeance d'Agrippine ; Livilla, a promis les mêmes choses d'Agrippine à Séjanus mais supporte mal sa rivale ; enfin Agrippine, prête à tout, pour honorer sa parole de venger Germanicus, tente de manipuler les une et les autres. Là, il y une petite faiblesse car, à aucun moment, Tibère (qui n'est pas un tendre) ne songe à s'en prendre à Caligula, le fils d'Agrippine, qui deviendra empereur (et réhabilitera sa mère).
Troisième point intéressant : la liberté des sujets abordés par Cyrano de Bergerac. Séjanus est ouvertement athée (c'est un peu lui le vrai anti-héros de la pièce) et nie toute vie après la mort. Tibère, malgré sa grandeur, est un puissant vraiment détestable et l'auteur n'est donc pas en train de flagorner auprès du monarque en place sur le thème "dur mais juste". le libertinage, parfois évoqué pour cette pièce, passe au second plan. Livilla est peut-être concernée mais Agrippine est fidèle à son défunt époux et ne propose une union à Séjanus que pour arriver à ses fins.
Dans sa détermination, dans sa noblesse qui s'abaisse pour vaincre, dans son sacrifice, j'ai trouvé qu'Agrippine avait beaucoup de points communs avec l'Andromaque de Racine. Cette pièce étant une de mes préférées, la ressemblance entre les deux veuves est donc mon quatrième motif d'intérêt pour la pièce.
Pour les amateurs de théâtre classique sur les sujets antiques, cette pièce est à lire absolument.
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
LIVILLA.
Tu te trompes encor, nous partirons ensemble !
La Parque au lieu de rompre allongera nos fers ;
Je t'accompagnerai jusques dans les Enfers ;
C'est dans cette demeure à la pitié cachée
Que mon Ombre sans cesse à ton Ombre attachée,
De son vol éternel fatiguera tes yeux,
Et se rencontrera pour ta peine en tous lieux ;
Nous partirons ensemble, et d'une égale course
Mon sang avec le tien ne fera qu'une source
Dont les ruisseaux de feu, par un reflux commun
Pêle-mêle assemblés et confondus en un,
Se joindront chez les morts d'une ardeur si commune,
Que la Parque y prendra nos deux âmes pour une.
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TÉRENTIUS.
Respecte et crains des Dieux l'effroyable tonnerre !
SÉJANUS.
Il ne tombe jamais en hiver sur la terre :
J'ai six mois pour le moins à me moquer des Dieux,
Ensuite je ferai ma paix avec les Cieux.
TÉRENTIUS.
Ces Dieux renverseront tout ce que tu proposes.
SÉJANUS.
Un peu d'encens brûlé rajuste bien des choses.
TÉRENTIUS.
Qui les craint, ne craint rien.
SÉJANUS.
Ces enfants de l'effroi,
Ces beaux riens qu'on adore, et sans savoir pourquoi,
Ces altérés du sang des bêtes qu'on assomme,
Ces Dieux que l'homme a faits, et qui n'ont point fait l'homme,
Des plus fermes États ce fantasque soutien,
Va, va, Térentius, qui les craint, ne craint rien.
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Agrippine:
Une brûlante fièvre allume ses entrailles ;
Il contemple vivant ses propres funérailles.
Ses artères enflés d'un sang noir et pourri,
Regorgent du poison dont son coeur est nourri :
À qui le considère, il semble que ses veines
D'une liqueur de feu sont les chaudes fontaines,
Des serpents enlacés qui rampent sur son corps
Ou des chemins voûtés qui mènent chez les morts ;
La Terre en trembla même, afin que l'on pût dire
Que sa fièvre causait des frissons à l'Empire.
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Mais as-tu de la mort contemplé le visage ?
Conçois-tu bien l'horreur de cet affreux passage ?
Connais-tu le désordre où tombent leurs accords,
Quand l'âme se déprend des attaches du corps ?
L'image du tombeau qui nous tient compagnie,
Qui trouble de nos sens la paisible harmonie,
Et ces derniers sanglots dont avec tant de bruit
La Nature épouvante une âme qui s'enfuit ?
Voilà de ton destin le terme épouvantable.
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SÉJANUS.
Mon sang n'est point royal, mais l'héritier d'un Roi
Porte-t-il un visage autrement fait que moi ?
Encor qu'un toit de chaume eût couvert ma naissance
Et qu'un palais de marbre eût logé son enfance,
Qu'il fût né d'un grand Roi, moi d'un simple pasteur,
Son sang auprès du mien est-il d'autre couleur ?
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Videos de Savinien de Cyrano de Bergerac (16) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Savinien de Cyrano de Bergerac
"En jouant, en écrivant Molière & Cie" paru aux Editions du Seuil
« le quatre centième anniversaire de la naissance de Molière a donné lieu à quantité de publications, de représentations, de manifestations diverses pendant un an. J'ai rédigé des préfaces et des notes personnelles, répondu à des journalistes, joué Orgon dans Tartuffe et repris deux mises en scène des Fourberies de Scapin et du Bourgeois gentilhomme. J'appartiens à la Comédie-Française dont Molière est le saint patron, l'emblème et l'apanage. Ma fréquentation de l'oeuvre s'est finalement à peine intensifiée cette année-là en regard des années précédentes, mais la publicité générale que produit une commémoration m'a fait réfléchir, a suscité des questions dont ce livre est le résultat, la collection, le prolongement. Il est fait aussi et surtout du goût, de l'appétit, du besoin presque buccal que j'ai de Molière. » Denis Podalydès
Denis Podalydès est sociétaire de la Comédie- Française depuis 2000. Il a mis en scène une quinzaine de pièces, parmi lesquelles "Cyrano de Bergerac" (cinq Molières en 2007, dont celui de metteur en scène). Également acteur au cinéma, il lit et enregistre régulièrement des oeuvres littéraires : Proust, Céline, Diderot, Jack London (Grand Prix du livre audio La Plume de Paon pour "Martin Eden" en 2020). Il est l'auteur de "Scènes de la vie d'acteur" (Seuil, 2006), "Voix off" (Mercure de France, Prix Femina essai 2008), "La Peur Matamore" (Seuil/Archimbaud, 2010) et de l'Album Shakespeare (La Pléiade, 2016).
Rencontre animée par Simon Daireaux
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