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EAN : 9782818019894
256 pages
P.O.L. (28/11/2014)
3.21/5   7 notes
Résumé :
Hymne à la liberté et plaidoyer pour la poésie, Le Levant raconte l'aventure de Manoïl, jeune homme sensible et courageux, tourmenté par les malheurs de son peuple, qui sonne la révolte et s'en va renverser le tyran phanariote, cruel et corrompu ; au cours de son périple - sur les mers, sous terre, dans les airs - il est accompagné de sa sœur, la pulpeuse Zénaïde, et de son soupirant français Laguedoc Brillant, du pirate grec Yaourta et de son fils Zotalis, néo-tzig... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Le soleil se lève à l'Est comme un deus ex machina
pour combattre la tyrannie et installer au pouvoir la poésie


Bouche-à-bouche avec un fantôme

Peut-on ressusciter l'épopée et ses contraintes formalisantes, ce genre littéraire si désuet, abandonné dans le brouillard des temps ? Et, mieux encore, le faire lire aujourd'hui ?
Oui, quand on sait le transfigurer pour l'apporter au lecteur du XXI-ème siècle sur un plateau plus moderne, le réinventer avec humour de toutes pièces. Oui, quand on a dans le sang le feu de la littérature et l'on s'appelle Mircea Cărtărescu.

Le plus connu, traduit et primé des écrivains roumains n'a cure des modes et des plans de carrière et n'en fait qu'à son instinct, joliment habillé dans le costume toute époque du savoir-faire rhétorique (qu'il enseigne dans diverses universités européennes). L'envergure de son oeuvre, son engagement, les risques qu'il prend, en couvrant avec panache moult thèmes, espaces et types d'écriture, font de Cărtărescu un auteur majeur de notre époque, l'écrivain européen le plus nobélisable. Plus nobélisable que le dernier Nobel même, Modiano étant confiné dans l'autofiction, avec ses éternels ingrédients — absence, nostalgie, recherche identitaire, Paris sous l'occupation — au point de paraître écrire le même livre depuis 40 ans. Aussi ce prix tant convoité tombera-t-il inévitablement un jour dans l'escarcelle de l'écrivain roumain : il faut bien rendre à César ce qui lui appartient.

Tout l'univers sur la nappe cirée de la cuisine

«Le Levant» est un globe de cristal aux mille reflets. L'auteur - aède - narrateur jongle avec le temps, les codes et les chefs-d'oeuvre de la littérature ; il ne se prend jamais trop au sérieux, son coeur balance entre lyrisme, prose et machinerie théâtrale, il parodie à tous vents écrivains roumains de premier rang, poèmes héroïques, scènes dramatiques, fables, contes et envolées lyriques. En se moquant souvent de soi-même et de la genèse de son récit dans une série de mises en abîme savoureuses, il interpelle le lecteur-lectrice, le prend à témoin, crée des connivences, lui fait des clins d'oeil. J'en veux pour preuve le début du «quatrième chant» :
«Lectrice bien-aimée, qui, pour mieux les voir, tiens ces pages dans le châssis d'une fenêtre aux vitraux colorés entre ses verges de plomb, je pense souvent à toi, dans la sombre tristesse qui est la mienne. À tes longs cils timorés penchés sur ces lettres, à ta main gauche aux lourdes bagues translucides, posée sur un genou, et à l'index de ta main droite, qui suit ces lignes. Des volutes de ses boucles, ta scintillante chevelure entoure ton sein... Tu ne cherches pas dans les feuilles des livres quelque philosophagie stérile, ni la politique hargneuse qui enchaîne les exaltés et les téméraires dans d'obscures prisons, mais l'amour éternel, qui ne meurt pas plus que les roses glissées entre les pages. Et tu as raison, belle enfant, car il n'est pas une ligne de tous les écrits du monde qui ne soit mélodrame. Nous tous, nous sommes mélodramatiques, qui grattons et fouillons sous le ricanement de la raison. le cerveau, cet archange, tout comme la sphère d'humus sur laquelle nous vivons, ne contient qu'une mince pellicule de pensée, le reste n'est que boue, passion impétueuse, haine féroce, amour, cieux aux soleils de sang et continents d'effroi. C'est là que le triste poète porte ses pas, sa plume — en guise d'épée — à la main, tandis que le dernier crépuscule s'éteint. C'est là seulement que l'inspiration fait son nid. C'est là que moi aussi, ma maîtresse, je me nourris.
Tu es impatiente, je le vois bien, de savoir qui est l'officier apparu par surprise sous la table. Ses traits virils ont conquis ton coeur et mouillé d'une larme tes yeux d'agate claire. Douce vierge, je ne te mentirai pas d'une once de cumin : ce fier personnage est né d'un coup de poing donné dans la table. Je n'avais jusqu'alors jamais ouï dire qu'il vécût en Orient un certain Languedoc Brillant, ce zouave, car je ne suis point omniscient. Et si je ne t'ai rien dit dans le troisième chant, c'est que moi-même, le poète, je n'étais pas prêt à comprendre sa présence. Maintenant, encerclé par ton cil, je ne puis plus reculer.»
Cet extrait en dit long sur l'art de Cărtărescu de mélanger, dans un creuset bien littéraire, points de vues, sujets, humour et mélodrame, rapports intimes avec son histoire et ses lecteurs. L'alchimie va par ailleurs plus loin, transgressant tous les niveaux : Cărtărescu interpelle non seulement son lecteur-lectrice (en le suppliant de ne retenir du livre que ce qu'il lui convient), mais aussi la Muse, le critique potentiel et, bonus ultime, il s'interpelle soi-même, tantôt avec amusement, tantôt avec apitoiement, en se réglant des comptes poétiques. Comme un marionnettiste obsédé par son métier, il tire les ficelles de ses personnages, il nous explique comment il procède et il tire ses propres ficelles devant nos yeux ébaubis. Il remet ainsi à sa place l'acte de la création : sur la table de la cuisine. Là, où il a réellement imaginé son livre, sur une nappe cirée.

De Bernard Pivot à «The Grand Budapest Hotel» en passant par Puck

«Le Levant» est une expérience lexicale étonnante. L'incipit — la première douzaine de pages — peut déstabiliser le lecteur pressé qui a vaguement l'impression de se retrouver dans une dictée à pièges de Bernard Pivot car le nombre de mots rares et anciens aux couleurs orientales (surtout turques, grecques et roumaines), ranimés par le téméraire traducteur Nicolas Cavaillès, est légion : «caïque, pallikares, fanaux, mahmudyes, ikosare, chalvar, beyzade, effendi, voïvode, hésychaste, galbeni, sila, kandjar...»

Une fois passée, apprivoisée cette barrière linguistique, le lecteur aura des réjouissances garanties : dépaysement, phrasé au loukoum, farfadets, charme baudelairien, nervalien, byronien de l'Orient, aventures qui ont la folie joyeuse et picaresque de «The Grand Budapest Hotel» (de Wes Anderson) et des personnages tellement pittoresques qu'on les perçoit comme des pastiches en train de refaire le monde : dans l'histoire en douze Chants, comme dans toute épopée qui se respecte, on sonne la révolte d'un peuple contre un tyran. Seulement ici, c'est un tocsin ludique qu'on entend et l'on a envie de danser une «hora» ou un sirtaki sur l'air de patriotisme romantique que le genre impose. La révolution de Manoïl, Zénaïde, Languedoc Brillant, Yaourta, Zotalis et l'Anthropophage est une rébellion culturelle, un questionnement sur la création, un intense désir de liberté, c'est l'histoire du monde dans la lampe d'un génie, réveillé pour cause de tyrannie. Cette révolution de velours (car prise à son énième degré de crédibilité), est une déclaration d'amour à la poésie, un chant habité, hanté par le seul moteur artistique qui ne cale jamais, celui de la passion : «Le savoir tout entier n'est que fausseté, si le coeur reste de pierre», dit l'Anthropophage, tout en invoquant Diderot et D'Alembert, dans une expression qui aurait fait florès au siècle des lumières ; une mise en abîme d'une mise en abîme est un double miroir de sourires.

Baklava pour les lectrices et le lecteur patient

Une fois passée, apprivoisée la barrière linguistique des mots rares et anciens, le lecteur pourrait croire suivre un chemin narratif habituel. Il n'en sera rien : comme dans les contes d'antan, Cărtărescu jette un peigne dans ses pages et une forêt de références culturelles (historiques, littéraires, balkaniques...) pousse sur la route du lecteur comme autant de regards d'intelligence, d'ironies inattendues, de digressions ou d'aveux auctoriels, rendant le voyage protéiforme, haut en couleurs, épices, poncifs et anachronismes.

Le lecteur très pressé aura, hélas, décroché, dépassé par les événements, paumé entre les mots inconnus, les intermezzos lyriques et les morceaux de prose dont l'intrigue n'est qu'un prétexte transparent, comme à l'Opéra, pour faire entendre un refrain doux ou un rire sarcastique, un cymbalum ou une cythère, ou faire voir — en direct — la naissance d'un roman de l'humeur fantaisiste de son géniteur. Déjà qu'il était désemparé par la présentation — «plaidoyer pour la poésie», «épopée roumaine», «voyage au coeur de la création, une oeuvre ouverte portée par une métatextualité», «sous l'égide des plus grands poètes roumains, deux siècles de littérature – romantique, symboliste, décadente, expérimentale» (4ème de couverture), le lecteur très pressé aura l'impression d'être dans les tenailles invisibles d'une «private joke».
Nul besoin de connaître les dessous de l'histoire et de la littérature roumaines pour passer un moment de lecture hautement agréable. le lecteur qui entretient une liaison d'amour avec les livres, sera, tout comme la lectrice convoquée plus haut, choyé, récompensé, gratifié, il n'aura pas fait du gymkhana pour rien, les lignes d'horizon et les plaisirs sucrés sont au rendez-vous. Dans «Le Levant», les délices ne manquent pas : si le sirop coule dans l'écriture, si les traits sont bien cuits, si le parfum des fleurs d'oranger est enivrant, c'est pour que le baklava reste bien collé au palais de l'imaginaire.

L'invraisemblable, ce roi de rechange

«Le Levant» a entièrement été écrit en vers, dans une langue vieillotte avec des archaïsmes et des prosodies anciennes, l'année qui a précédé la chute du dictateur Ceauşescu. Aussi la révolution de Manoïl, Zénaïde, Languedoc Brillant, Yaourta et Zotalis prend-elle une autre dimension. On peut toujours essayer de reconstituer l'arsenal d'astuces des écrivains à ce moment-là pour contourner les fourches caudines de la censure, exorciser la peur et faire publier des ouvrages minés, plus subversifs qu'ils n'en avaient l'air, on sera toujours en deçà de la réalité.
Quand la réalité est hideuse comme une dictature, on ne respecte que les lois libres de la fiction. Il y a de quoi se réfugier sur un nuage ou vivre dans l'invraisemblable.


Cărtărescu et le chat de Cheshire

Des années plus tard, Cărtărescu s'est repenché sur «Le Levant», l'a complètement réécrit, pour le rendre plus accessible et traduisible. Et Nicolas Cavaillès a réussi cette mission impossible, en redonnant vie, dans un français exquis et multicolore, à une armada de mots balkaniques, en reconstituant avec une minutie étonnante un Orient couché sur le flanc, un Orient proche et lettré qui s'avère être notre tasse de thé aux croissants de lune.

Démiurge facétieux, l'écrivain Mircea Cărtărescu s'est approprié la dimension du Levant pour en faire un pays peuplé de personnages fantasques, d'élans épiques, de vers, de typologies orientales et de mots imprégnés d'odeurs, de sons et de narratologie. Un pays qui ressemble à la Roumanie mais va au-delà de la carte : il n'y a pas de frontières pour l'imagination. Un pays où les Mille et Une Nuits côtoient la Commedia dell'Arte, les encyclopédistes — deux siècles de littérature roumaine, le merveilleux — le fantastique. Un pays où les surprises surgissent à chaque page comme des lutins : héros livresques, auteurs anciens et contemporains, même l'oeil du narrateur fait une apparition «pour ramener sa fraise» — comme le chat de Cheshire, il apparaît çà et là pour nous éberluer de sa rhétorique débridée. Un pays où le soleil se lève — quand plus personne ne l'attend — pour combattre la tyrannie et installer au pouvoir le rêve.

Radu Bata

Le Levant - Mircea Cărtărescu (P.O.L.)
(parution : décembre 2014, 19,9 euros, 256 pages)
Lien : https://www.actualitte.com/a..
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Je salue la naissance de cette nouvelle traduction du roumain et j'aimerais bien vous citer ce passage :
"Doamne, să avem iertare,
Da la noi un oarecare
Născocitor nu să știe
În nice-o academie.
Acilea toți naintează
Dupe ani, nu dupe vază,
Doxă ai ori doxă n-ai,
Ești doftor la treij-de ai,
La patruzeci învățat,
La cincizeci om luminat,
Iar d-agiungi la șaptezeci
La nemuritori tu treci."
... mais il me faudra attendre les soldes.
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Il est vrai que cela a l'air attirant à première vue. Selon mes faibles moyens dans la langue originale, j'ai plutôt apprécié les longs vers de Cartarescu et, entre autres, ses rimes riches. Maintenant, cela ne semble pas d'accès facile et le texte date d'il y a presque trente ans. Quelque part, on peut envisager d'attendre les soldes...
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Citations et extraits (52) Voir plus Ajouter une citation
Borges, ange aux ailes d’ivoire dont la mère fut un miroir et le père un labyrinthe – Borges parle d’un poète qui rêva de saisir dans ses vers la Sphère tout entière et l’horizon de ce monde sans fin, et qui décrivit dans son poème chaque morceau de terre, avec l’herbe et les arbres qui y avaient poussé, avec ses maisons, ses jardins et ses champs labourés, tout comme René Thom rêva de décrire avec exhaustivité, par des lignes droites, courbes et dentelées, les réalités inscrites dans les pierres précieuses du monde.
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Lectrice bien-aimée, qui, pour mieux les voir, tiens ces pages dans le châssis d’une fenêtre aux vitraux colorés entre ses verges de plomb, je pense souvent à toi, dans la sombre tristesse qui est la mienne. À tes longs cils timorés penchés sur ces lettres, à ta main gauche aux lourdes bagues translucides, posée sur un genou, et à l’index de ta main droite, qui suit ces lignes. Des volutes de ses boucles, ta scintillante chevelure entoure ton sein... Tu ne cherches pas dans les feuilles des livres quelque philosophagie stérile, ni la politique hargneuse qui enchaîne les exaltés et les téméraires dans d’obscures prisons, mais l’amour éternel, qui ne meurt pas plus que les roses glissées entre les pages. Et tu as raison, belle enfant, car il n’est pas une ligne de tous les écrits du monde qui ne soit mélodrame. Nous tous, nous sommes mélodramatiques, qui grattons et fouillons sous le ricanement de la raison. Le cerveau, cet archange, tout comme la sphère d’humus sur laquelle nous vivons, ne contient qu’une mince pellicule de pensée, le reste n’est que boue, passion impétueuse, haine féroce, amour, cieux aux soleils de sang et continents d’effroi. C’est là que le triste poète porte ses pas, sa plume — en guise d’épée — à la main, tandis que le dernier crépuscule s’éteint. C’est là seulement que l’inspiration fait son nid. C’est là que moi aussi, ma maîtresse, je me nourris.
Tu es impatiente, je le vois bien, de savoir qui est l’officier apparu par surprise sous la table. Ses traits virils ont conquis ton cœur et mouillé d’une larme tes yeux d’agate claire. Douce vierge, je ne te mentirai pas d’une once de cumin : ce fier personnage est né d’un coup de poing donné dans la table. Je n’avais jusqu’alors jamais ouï dire qu’il vécût en Orient un certain Languedoc Brillant, ce zouave, car je ne suis point omniscient. Et si je ne t’ai rien dit dans le troisième chant, c’est que moi-même, le poète, je n’étais pas prêt à comprendre sa présence. Maintenant, encerclé par ton cil, je ne puis plus reculer.
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Fin du huitième chant:
Ouf, encore un chant de terminé. Je suis terriblement fatigué. Finira-t-elle jamais, cette année, pour que je puisse voir tout cela achevé? Ma maquette de petit navire frêle tiendra-t-elle, fignolée à la pincette, dans sa bouteille en verre gris? À quoi bon? Deux ans de ma vie pour ce jouet… Parfois tout cela me semble inutile, parfois mon livre me manque, et je me prends à relire au hasard quelques passages… Je ne sais pas, je ne sais quoi dire. Nous sommes le 1er avril 1988. Dehors, guère de soleil. Je tape sur ma machine à écrire, dans la cuisine.
Tous les feux de la cuisinière à gaz sont allumés et vifs –en guise de chauffage.
(p. 155)
[Uf, s-a dus și cîntul ista. Ostenit sunt peste poate.
O să treacă oare anul pîn-o să le văd pe toate
Isprăvite ? În o sticlă fumurie-o sta macheta
Dă corăbioară sveltă, migălită cu penseta?
La ce bun? Doi ani dîn viață pentru astă jucărea...
Uneori îmi pare vană, alteori mi-e dor de ea
Și cetesc la întîmplare...Nu știu, nu știu ce să spui.
E întîi april dîn anul '88. Prea soare nu-i.
În bucătărie țăcăn la mașina mea de scris...

Arde tare aragazul, nici un ochi nu e închis.]
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« Manoïl, dis-moi d’où vient ton peuple, et quelles figures vertueuses et courageuses en sont sorties », demanda plus tard Yaourta.
Le Roumain leva ses yeux rêveurs, noirs et sages :
« Aux pieds des Carpates s’étend un vaste champ. Les fameux Daces vivaient là, autrefois, heureux bergers jouant de la flûte à leurs troupeaux. Crois-moi, sur toute l’étendue de ce pays, il est resté de nombreuses traces de ces hommes-là. Ils avaient pour roi le brave et avisé Décébal. Ils étaient pauvres et fiers, et savaient se contenter d’un dîner de chevrette et de polenta. (J’ai ici volontairement recours à un anachronisme, destiné à confondre de honte les lecteurs endormis, car, comme il est dit dans les almanachs, le maïs a été introduit en Europe bien des siècles plus tard.) Mais au sud, les Romains, un peuple en pleine expansion sur toute la terre, avaient atteint le grand Danube. Leur empereur, capitaine et maître de milliers de légions, s’appelait Trajan. En 101, ils passèrent le Danube sur un pont de navires et luttèrent férocement avec le fameux Décébal. Les Romains vainquirent les Daces aux souliers de paysans et aux bonnets de laine de brebis. Une nouvelle guerre éclata en l’an 105. Mais figure-toi que le sournois empereur n’eut pas le courage de passer les rives glacées du large Danube, il préféra envoyer en éclaireur le célèbre Apollodore, auquel il ordonna gravement, en tapant du pied sur le plancher : “Apollodore, construis-moi un pont assez solide pour que toute mon armée atteigne l’inconséquente Dacie, qui ose froncer les sourcils devant moi. Prends les jours et les mois qui te seront nécessaires, je te laisse dès maintenant travailler en paix.” Mais tout ce que le pauvre Apollodore construisit durant chaque journée s’écroula pendant la nuit suivante, jusqu’à ce que le malheureux en vînt à enterrer dans le pilier du pont sa propre épouse et bien-aimée : quand les Romains passèrent ce pont, ils entendirent la pierre se lamenter. Voilà une légende digne de Victor Hugo, en vérité !
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Platon parle d’un ciel qui n’appartient pas à ce monde, où est née l’idée de fenêtre, la seule qui soit réelle. Ce que le menuisier compose dans le bois et qu’il nomme fenêtre n’en est que le reflet, et l’écrivain qui écrit « fenêtre » reflète un reflet. Montagnes de verre, rois de ficelle, vies de vent, mers de scintillement. Et quand bien même tout cela serait réel, ce ne serait pas éternel. Une fleur peut durer des milliers d’années, mais si un jour elle fane, il en sera comme si elle n’avait jamais été, comme le rêve d’un rêve.
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Nicolas Cavaillès lit Mircea Cărtărescu.
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