En Aubrac, La Bête n'est jamais loin... Saint Chély, Prinsuéjols, Peyre...autant de villages qui ont vu ses attaques, entretenu sa légende d'effroi et de férocité.
La Bestia.
Celle qui a fait frémir d'angoisse tous les petits pâtres du Gévaudan et mis sens dessus - dessous tout le Gotha de la louvèterie du royaume! J'ai lu , d'Henri Pourrat, Histoire fidèle de la Bête, bien sûr, mais comme lecture à faire au coin du feu à mes petits-enfants, c'était un peu ambitieux...
Alors, quand j'ai vu, sous la plume amie de Rabanne, qu'il y avait un livre sur la Bête en littérature de jeunesse, qu'il était joliment troussé, bien présenté et se passait non sous la monarchie absolue de droit divin mais dans la France de Vichy, aux heures sombres de l'occupation nazie, j'ai sauté sur l'occasion de faire d'une pierre deux coups: un peu d'histoire et beaucoup de frissons! J'ai donc lu le retour de la Bête avant de réunir mon petit monde au coin du feu.. Bonne pioche!
La Bête a choisi de faire son retour en même temps que d'autres loups autrement plus féroces: les nazis ont franchi la ligne de démarcation, et se sont installés dans les petites villes de la zone ( autrefois ) libre. Oradour, Murat, Tulle s'en souviendront..
Quant à la Bête, cette fois , ce n'est ni la Lozère ni la Margeride, ni l'Aubrac qu'elle vient hanter par ce terrible hiver 1942, mais un petit village du Cantal.
Les enfants des fermes dispersées dans les collines enneigées vont à l'école à pied, tout tremblants que les propos terrifiants de l'ivrogne du village ne se vérifient et que ne surgisse tout à coup le mufle dentu et baveux du hideux prédateur dont on aurait repéré les traces dans la neige...
Mais le danger ne vient pas toujours d'où l'on croit. Et la Bête - la fausse? la vraie?- , est peut-être la seule façon de faire pièce à la bestialité cruelle des hommes.. Quatre petits cantalous dégourdis et courageux vont en faire l'expérience. Quatre petits Justes en puissance, le Chambon-sur-Lignon n'est pas si loin...
Astucieusement relié au temps présent -les petits gars hardis de 1942 sont devenus de sages grands-pères qui racontent leur enfance à leurs petits-enfants- le livre est pourvu de jolies illustrations en noir et blanc, et accompagné d'un "Pour en savoir plus" clair, simple, et documenté qui peut répondre aux questions des jeunes lecteurs.
À lire un soir d'hiver , quand la neige tombe à gros flocons , étouffant tous les bruits du dehors , que le poêle ronfle, que le feu crépite, et qu'on se serre frileusement tous ensemble dans le grand canapé rouge!
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Bien écrit, bien construit, illustrations qui renforcent ce roman fort et émouvant. Une petite fille est surprise que son grand-père reste bouche bée devant la bête du Gévaudan empaillée. Il va remonter loin dans ses souvenirs et lui conter comment ils se sont servis de cette bête qui faisait si peur pour faire face aux allemands qui ont séquestré leur instituteur et leur ami après s'être introduits dans la salle de classe. Un roman jeunesse pour aborder l'histoire de la France occupée et la persécution des juifs. Un mélange réussi légende-histoire où la question est Qui est la bête la plus effrayante ?
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Je n'avais jamais rien lu de Jean-Luc Marcastel, et ce roman est une vraie bonne surprise. Il se déroule en 14 chapitres numérotés et titrés, le premier et le dernier chapitres se situant de nos jours, au pavillon de paléontologie du Museum d'histoire naturelle de Paris que visitent un grand-père et sa petite-fille. Dans les douze autres chapitres, le grand-père raconte à la première personne une émouvante histoire arrivée dans son petit village du Cantal, en pays de Gévaudan, alors qu'il était enfant. Nous sommes en hiver, en 1942, juste après l'annexion de la zone libre par les Allemands. Comme dans plusieurs villages de cette région, un enfant juif est caché parmi les autres enfants, et les SS vont le découvrir en cherchant autre chose. Mais dans cette région d'Auvergne, quand on raconte une histoire, il est bien rare que la Bête n'y joue pas un rôle… Jean-Luc Marcastel présente des personnages attachants : Jacques, courageux, protecteur envers sa petite soeur comme envers son nouvel ami Maurice (Moshe) ; Gaston, un échalas bègue et généreux ; et Dédé, le gourmand plaisantin. L'auteur campe un village à la campagne en montrant ses habitants incontournables : le père Gustave, buveur et tireur déplorable, la Lulu, tenancière du bistrot, etc., et surtout monsieur Antoine, l'instituteur et maire de ce village si tranquille, relativement épargné par la guerre jusqu'à l'arrivée des SS. La légende est tenace : la Bête rôde toujours, des gens l'ont vue… L'auteur va filer la métaphore en assimilant les SS à des animaux féroces, au moins aussi féroces que la bête elle-même, même si…
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Au cours du récit, Jean-Luc Marcastel réussit avec des explications claires, didactiques sans être pesantes, à présenter des situations complexes et une époque troublée sans mièvrerie ni condescendance. Quelques mots d'occitan sont insérés en italique dans le texte et, quand le contexte ne les rend pas immédiatement compréhensibles, ce qui est rare, ils sont clarifiés dans une note de bas de page. Une dernière partie (hors chapitres) intitulée « Pour en savoir plus » présente brièvement l'histoire de la Bête et les différentes hypothèses retenues pour expliquer les massacres qui ont eu lieu dans la région entre 1764 et 1767, ainsi que le déroulement du début de la Deuxième Guerre mondiale : la drôle de guerre, la France occupée, la zone libre, les enfants cachés, les massacres perpétrés par les SS dans cette région. Les illustrations de Cécile et Lionel Marty rendent bien l'époque et savent traduire les émotions des enfants. La couverture me séduit : elle représente Jacques et Françoise, visiblement inquiets, dans la neige, une énorme trace de patte devant eux : le neige s'étend sur la quatrième de couverture pour former la silhouette de la Bête. Un roman jeunesse intelligent et particulièrement réussi.
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C'est incontestablement mon coup de coeur pour la sélection du prix des Incorruptibles, niveau CM2/6e !
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D’habitude très disert, l’auteur-conteur simplifie son texte afin de le concentrer sur l’action et ses angoisses – la Bête, la vraie, est impressionnante. Les illustrations bienveillantes et soignées sont à l’avenant de la générosité du récit. Dès 10-11 ans.
Lire la critique sur le site : Ricochet
- Tu les reverras. Un jour tu les reverras...
À cela, il m'avait répondu, avec un calme terrifiant :
-Là où on les envoie, personne ne revient.
Je ne savais pas ce qu'il voulait dire alors, car aucun d'entre nous n'imaginait, à ce moment, la capacité de l'humain à devenir inhumain et à faire de la mort une industrie bien réglée...
Ça, c'était l'insulte suprême. Traiter un copain de trouillassou, c'était mettre en doute ses qualités viriles, ce qui, à notre âge et à cette époque, ne pouvait se résoudre que par une bagarre en bonne et due forme, ou un défi à relever. Bref, comme je l'avais compris depuis longtemps, il n'y avait pas mieux pour forcer un copain à faire quelque chose qu'il n'avait pas envie de faire. Combien d'actes insensés, du plus bénin au plus grave, ont dû être commis autour du monde de cette manière ? (p. 80)
Notre plan, je m'en rend compte aujourd'hui, était plein de trous. Il fallait vraiment être des gosses pour croire qu'il marcherait. Mais parfois avec un petit coup de pouce du destin, même les choses plus improbables finissent par réussir...
A cet instant, dans ce mépris de la culture et de ce qu'elle avait de plus noble, je compris, toutes proportions gardées, que le règne des hommes en uniforme et de leur croix détestable, de tous leurs semblables, de toute époque, en tout lieu, c'était ça.
[…] le mal, le vrai mal, a ceci de terrible qu’il finit toujours pas contaminer même ceux qui le combattent. (p. 117)
Le Salon entre les Mondes 2022