L'entrée dans le récit est abrupte : le narrateur nous prend à froid, en exprimant avec force sa haine pour une mère "petite et grosse, bête et laide", qu'il rêve de tuer. Une mère qui bouleverse le projet qu'il devait concrétiser à la fin de sa scolarité dans un établissement spécialisé -un séjour à Amsterdam avec deux de ses camarades-, en l'emmenant passer les mois de juillet et août dans une maison du sud de la France. Ce seront ses dernières vacances, puisque, ainsi qu'elle le lui annonce, elle est malade, et sur le point de mourir.
C'est avec un recul de plusieurs années qu'il évoque cet été, comme on le comprend au fil du récit, écrit dans le cadre d'une psychothérapie. Devenu peintre, et célèbre, il reste hanté par le traumatisme d'une enfance marquée par la perte et la culpabilité, placée sous le signe de l'indifférence maternelle, qui avait fait de lui un garçon haineux, sujet à des crises de violence au cours desquelles il agressait les autres ou se blessait lui-même, entrant dans des rages folles au moindre grain de sable enrayant le fragile équilibre sur lequel reposait son esprit écorché et instable.
A la dureté avec laquelle il relate cet épisode, se mêle une dimension obscure, due à la construction chronologiquement fragmentée du texte, qui s'apparente ainsi à un puzzle dont les pièces se mettent peu à peu en place, autour de cet été qui en est le pilier, et qui marquera le héros à jamais.
Un été pour recoller avec la maladie une relation brisée par la mort d'une petite soeur, qui avait sonné le glas de la cohésion familiale, sa mère l'ayant alors repoussé comme un chien, le plongeant dans une souffrance destructrice...
Un été pour cohabiter avec une mère métamorphosée, fantasque, patiente, généreuse…
Un été pour se ré-apprivoiser et se re-connaître, se re-paître de la science maternelle des plantes, des insectes, des planètes...
Un été pour se réapproprier une intimité perdue, s'imprégner de la peau blanche de sa mère, de son odeur, et surtout de ses yeux, dont il avait oublié la beauté et l'insondable lumière...
Un été pour dé-haïr sa mère, redécouvrir son amour pour elle et surtout l'admettre, pour troquer sa méchanceté amère et acérée contre tendresse et apaisement...
Une mère qui s'étiole et en redevient belle, qui lutte pour ne pas flancher, pour vivre pleinement jusqu'au bout, et offrir à son fils, en guise de rattrapage et d'excuse, cette ultime parenthèse. Et elle y est parvenue. Car cet été constitue dorénavant, avec le recul des années, "la part la plus précieuse de son être", la lumière qui empêche le désespoir et la mésestime de soi d'être absolus. Grâce à lui, "les bons souvenirs occupent plus de place, quoique rares et pâles, que tous les fichiers purulents".
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L'été où maman a eu les yeux verts » est un texte bref et pourtant dense, porté par une narration énergique. C'est surtout un texte fort, à la fois violent et poétique, émaillé d'images âpres, percutantes, et pourtant bouleversantes, dont la spontanéité crue par moments vous écorche.
Une lecture dont on ne sort pas indemne...
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