Après avoir respirée l'atmosphère électrique de Libreville avec
Les voleurs de sexe de
Janis Otsiemi, je continue mon périple africain avec
Tram 83 de
Fiston Mwanza Mujila.
le
Tram 83, un bar–resto-lupanar-théâtre-scène :
« Imaginez l'atmosphère, les filles-sans-calbars, l'aide-serveuse, Lucien, l'éditeur, les rires des creuseurs alentour et les susurrements d'une rangée de canetons vers les toilettes mixtes, accrochés au rails de notre diva nationale... »
Vous ne suivez pas alors rendez-vous dans les entrailles de ferraille de la Ville-Pays, « dans la gare dont la construction métallique inachevée rappelait les folles années de Léopold II », où Requiem dit le Negus, ancien soldat converti en roi de l'arnaque et de la magouille, est venu accueillir Lucien, un ami d'enfance, étudiant en histoire et écrivain tout rail venu de l'Arrière-Pays…
Pour fêter les retrouvailles détour incontournable : « Première nuit au
Tram 83 : nuit de la débauche, nuit de la beuverie, nuit de la mendicité, nuit de l'éjaculation précoce, nuit de la syphilis et autres maladies sexuellement transmissibles, nuit de la prostitution, nuit de la débrouille, nuit de la danse et de la danse, nuit qui engendre des choses qui n'existent qu'entre un excès de bière et l'intention de vider sa poche qui exhale les minerais de sang, cette bouse juchée au rang des matières premières, au commencement était la pierre... » .
Ici , une atmosphère magnétique.
Le
Tram 83, coeur palpitant de cette cité minière, oeil du cyclone où artistes, ouvriers, intellectuels, prostituées (les canetons), rabatteurs (les biscottes) fusionnent.
Le
Tram 83 , véritable volcan, une fournaise où tous viennent assouvir leur ventre en étanchant leur soif et leur faim, de la bière pour les plus démunis (les creuseurs rentrant de la mine ou les étudiants faméliques), du vin rouge pour les autres, touristes, penseurs...
Le
Tram 83, lieu de débauche et de luxure où les hommes viennent pour apaiser leur bas-ventre et prendre du plaisir en forniquant pour jouir de la vie .
Un des protagonistes et un des piliers du bar, le directeur des Editions Trains de bonheur, Ferdinand Malingeau, l'infirme en s'adressant à Lucien représentant néophyte de la littérature de la Ville-Pays pour le conseiller : « On en a déjà assez de la misère, de la pauvreté, de la syphilis et de la violence dans la littérature africaine. Regarde autour de nous . Il y a de belles filles, de beaux hommes, de la bière-de-Brazza, de la bonne musique...Est-ce que tout cela ne t'inspire pas ? Je suis inquiet pour l'avenir de la littérature africaine en général. le personnage principal dans le roman africain est toujours célibataire, névrosé, pervers, dépressif, sans enfants, sans domicile et traîne toutes les dettes du monde. Ici, on vit, on baise, on est heureux...Il faut que ça baise aussi dans la littérature africaine ! »
Et la musique omniprésente, celle des sons et celle des mots bien sûr, de la salsa au rap en passant par le jazz...
De la musique non seulement pour chalouper mais aussi pour s'élever : « Le jazz est le seul levier dont se sert toute la racaille du
Tram 83 pour changer de classe sociale comme on changerait de métro. »
Comme le dit si bien
Fiston Mwanza Mujila.: « Ce qui importe, ce n'est pas seulement le sujet mais le rythme saccadé ou la polka des mots sur une feuille de papier. »
Le
Tram 83, titre inspiré par la ligne 83 du tramway bruxellois ne fonctionnant qu'à partir du soir comme les personnages du roman…
« Une littérature-locomotive » ou « littérature-tram » qui lâche des souffles de vie .
Pour rejoindre ces drilles, un conseil : monter dans cette locomotive d'or, sauter à son bord, elle vous donnera sa joie (petit clin d'oeil à
Claude Nougaro qui disait lui-même au sujet de l'écriture de ce texte qu'il l'avait écrit de façon éjaculatoire ...sorti du bras plus que du cerveau) .
Une atmosphère magnétique, métallique et volcanique avec ses pôles qui s'attirent (ou se repoussent), ses déjections, ses scories et ses coulées de mots...
«
Tram 83 est une tentative de liberté et d'indépendance quant à la langue et à la vision du monde. » dixit l'auteur.
Essai réussi pour ce premier roman.
Dans la préface
Alain Mabanckou rend hommage à l'auteur :
«
Tram 83 est un hymne à la liberté . C'est un roman de la magie de la parole menée par un écrivain qui nous montre grande qualité de conteur, d'observateur de la vie quotidienne et de philosophe de l'écriture. La ville congolaise de Lubumbashi est décrite avec ses personnages à la fois paumés, écrivains, rêveurs, soûlards et trafiquants de drogue dans les quartiers populaires où les plaisirs se monnaient. Ce réalisme de la décrépitude n'épargne aucun mal dont souffrent de nos jours les capitales africaines, la drogue ou l'alcool par exemple, des sujets qui montrent combien ton regard se pose sans tabous sur certaines dérives de notre continent, loin des images de carte postale destinées aux touristes et aux amateurs d'exotisme. »