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EAN : 9782882504975
240 pages
Noir sur blanc (01/11/2018)
4.62/5   12 notes
Résumé :
Vivait à Sochy – l’Oradour-sur-Glane polonais – une fllette prénommée Renia, avec son papa, sa maman, son frère et sa sœur. Lorsque les Allemands sont arrivés, ils ont incendié le village et tué ses parents, avec deux cents autres civils, dont des vieillards et des nourrissons. Elle a tout vu. Des années plus tard, Renia donne naissance à une petite flle, mais ellemême est restée une enfant. La petite flle s’appelle Anna Janko. Elle est aujourd’hui poétesse, romanci... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique


Je tiens tout d'abord à remercier Denis Guastella des Éditions Noir sur Blanc, ainsi que Babelio, pour l'aimable envoi de cet ouvrage.

Le titre en Français de l'original polonais est une traduction fidèle : "mała" petite et "zagłada" extermination. Un titre qui fait froncer les sourcils, car une extermination ne constitue jamais une "petite" affaire ! Tout est relatif bien sûr. Avant d'entamer proprement la lecture, j'ai tout de même jeté un coup d'oeil sur la bibliographie en fin de volume et j'ai été rassuré, d'y découvrir, à côté d'auteurs polonais inconnus chez nous, des noms familiers comme Svetlana Alexievitch, Timothy Snyder, Daniel Jonah Goldhagen et Christopher Hale.

À l'aube du 1er juin 1943, les troupes allemandes envahissent le paisible petit village de Sochy en Pologne de l'Est, à 80 km au sud de Lublin et 230 km au sud-est de Varsovie. Un village rural, qui en 2017, ne compte même pas 400 habitants.

La mère de l'auteure, Teresa, surnommée Renia, a 9 ans et flanquée de son petit frère, Jaś, 5 ans, voit la peste brune tuer sa mère Józia et son père Wladek Ferenc, l'épicier du bled. La bambine Kropka de 3 ans, que sa mère portait dans ses bras, a la vie sauvée parce qu'un Boche, un peu moins cruel que les autres, a détourné le fusil de son compagnon, qui s'apprêtait à achever la môme. Suit une scène épouvantable où l'on voit la pauvre Renia tenant à chaque main frère et soeur quitter le hameau en passant devant le corps inerte de leur père, 33 ans.

Aujourd'hui on peut visiter le cimetière de Sochy où les quelque 200 victimes de ce jour fatidique ont été enterrées.
Anna Janko donne une description précise de ce qui est arrivé aux voisins des Ferenc, parmi lesquels beaucoup de leur famille, presque maison par maison des 88 qu'en comptait Sochy à l'époque.

Maintenant, je comprends un peu mieux le titre de l'ouvrage "Une si petite extermination". Les troupes nazies se sont, en fait, "contentées" d'une simple opération militaire : évacuer le village pour faire de la place aux futurs émigrés Chleuhs. Sans qu'il y ait eu des viols ou tortures et en un temps-record, après quoi ils ont mis le feu aux petites maisons au toit de chaume, trop minables pour "das Herrenvolk" ou la race supérieure !

L'auteure, Anna Janko, ensemble avec sa mère Renia et des témoignages recueillis lors d'une visite à cet endroit d'horreur en 1998, reconstruit quasiment comme dans un scénario de film ces abominables événements, qui remontent à trois quarts de siècle. Son récit est très émouvant, écrit dans un style sans fioritures, ce qui produit un effet d'effroi sur le lecteur. J'ai mis la couverture de l'édition originale sur Babelio, qui nous montre une photo de Renia et Jaś, prise à peine 3 mois après la "pacification" de Sochy et qui illustre avec d'autres photos cet ouvrage.
En post-scriptum, l'auteure fait un inventaire du massacre.

Anna Janko est née en Silésie en 1957 et est l'auteure de nombreuses oeuvres, parmi lesquelles il convient de citer "La fille aux allumettes" et "La passion selon sainte Hanka", romans parus chez les Éditions Noir sur Blanc.
Elle a écrit également beaucoup de poèmes et de critiques littéraires. Elle est, en outre, active sur la radio polonaise.

La montre que l'on voit sur la couverture de la version française de l'ouvrage, traduit par Agnès Wisniewski, constitue le seul objet qui leur reste de leurs aïeux. "Symbole du temps qui leur a été ravi...." (page 209).

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Il est rare de lire un livre qui porte une charge de souffrance et d'horreur aussi puissante. Il n'a jamais été question que j'abandonne sa lecture, par respect envers l'auteure, mais m'accrocher n'a vraiment pas été facile. Pourtant, l'auteure n'a pas vécu elle-même l'horreur qu'elle raconte dans les détails : c'est sa mère qui y a été confrontée, à l'âge de neuf ans. C'est sa mère qui, petite fille, a assisté au massacre de son village, de ses parents, sous ses yeux, et en a réchappé avec ses jeunes frère et soeur, mais dans quelles conditions... Cet indicible auquel a été confrontée sa mère a tellement marqué l'enfance de sa fille que cette dernière a éprouvé le besoin de la décrire tout au long de très longues pages qui n'épargnent aucun détail sordide, que lui ont relatés les survivants qu'elle a sollicités.

Les scènes qu'elle rapporte ont abîmé sa mère, l'ont abîmée elle aussi, et abîment toute personne qui lit ces pages. Pourtant, je ne regrette pas de les avoir lues. Elles témoignent d'une sidération, d'une paralysie, qui ont figé la pensée de nombreuses personnes et ont produit une sorte d'arrêt du cours du temps dans leur psychisme. Mais elles témoignent aussi d'un effort de recherche des mots qui pourraient permettre de surmonter quand même. Dire l'indicible, c'est exactement le paradoxe, l'impossible autour duquel le livre tourne ; si les pages reviennent encore et toujours sur le même massacre, sur la même date du 1er juin 1943 à Sochy, l'Oradour-sur-Glane polonais, c'est parce qu'au fur et à mesure que les mots sont couchés sur le papier, l'auteure arrive à en trouver d'autres qui donnent lentement son sens à son entreprise.

Alors quels sont ces mots ? Pourquoi a-t-elle écrit cela ? Pour qui ?

Pour elle, d'abord. Parce que son enfance a été envahie par l'histoire de sa mère, sans que celle-ci ne la lui raconte... justement parce qu'elle ne la lui racontait pas, mais redevenait trop souvent une petite fille de neuf ans terrorisée.

Pour sa mère, donc. Pour lui dire qu'elle pouvait lâcher prise maintenant que ses souvenirs étaient consignés dans un livre et ne disparaîtraient pas avec elle. de nombreux passages sont écrits à la deuxième personne car ils s'adressent directement à cette mère.

Pour ses descendants, aussi. Parce que ses enfants ne veulent pas de cette histoire, dit-elle : elle les encombre. Mais nous savons bien qu'en matière de traumatismes, c'est la double peine qui prévaut : une génération est traumatisée et n'a pas de mots pour le dire, la génération suivante grandit sans mots mais en sachant qu'il y a eu un traumatisme, et la troisième génération grandit à la fois sans mots et sans certitude, mais sur un arrière-plan de souffrance sans nom, si bien qu'elle peut sombrer dans les dépressions ou les folies les plus incompréhensibles (en apparence). Alors cette génération doit savoir...

Et enfin, pour nous tous. Pourtant, si j'ai accepté la lecture de ce livre dans le cadre d'une masse critique individuelle de Babelio (que je remercie au passage, ainsi que les éditions Noir sur blanc), c'était parce que je pensais que ce serait cet impact sur la troisième génération que le livre explorerait, et non pas la brutalité sans filtre du traumatisme originel. Mais je ne regrette rien. Oui, il faut que de tels livres existent et que nous y soyons confrontés, car sinon, il est simple d'oublier que l'im-pensable et l'in-nommable peuvent pourtant exister et dévaster des vies à l'infini. Je n'ose rien écrire de plus. Il y a des mots qui brûlent... ne passez pas votre chemin. Lisez-les dans ce livre.
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Moi aussi, je dois « aller dans un centre commercial pour m'acheter une couverture légère, douillette, oui, il me la faut cette couverture, mes pieds sont glacés lorsque je lis toutes ces choses sur mon canapé. Et peut être aussi un pull. J'ai étrangement froid quand je fais toutes ces lectures… »

Une si petite extermination.
Une si dévastatrice commotion pour Ania (Anna Janko) après le calvaire de Renia, sa mère pour qui la vie a marqué le pas à ses 9 ans.
Sinistres et sanglants « pas de l'oie » martelés dans les basses-cours des fermes polonaises du village de Sochy en 1942.
Tant de souffrances, de supplices, de calvaires endurés par les polonais écrasés par l'Allemagne nazi d'un côté et la Russie de Staline de l'autre. C'est à peine concevable.

Pas de fioriture. Juste du vécu avec les mots appropriés. Juste les faits du mal qui rongent les têtes et les coeurs et qui enlèvent les enluminures aux belles phrases.
Un récit sans concession. Émouvant, touchant, glaçant.
Les formules tellement fortes aspirent votre réflexion, ainsi s'efface l'environnement où ne subsiste alors qu'un halo cotonneux autour de votre tête pleine d'horreur.

Ania écrit un livre d'archives pétri d'inhumanité à la rédaction en noir et blanc, comme à la télé dans les documentaires chiffonnés de cadavres et de décombres. La couleur revient par flash quand le présent d'Ania vient adoucir à peine ce récit vraiment sombre.

« …Puisque j'ai décidé d'enfiler les mots pour les faire passer par les sépultures de mes ancêtres, je le dois et je ne fais plus ma délicate…Il est important pour toi au moment où tu commences à oublier, mais aussi pour mes enfants au cas où ils me poseraient des questions. »

Ce livre est un exutoire, un passage obligé dans la reconstruction d'Ania pour s'éloigner de cette mère dont elle a été la mère, la soeur, si peu la fille.
Pour accepter sa condition, pour ne plus vivre dans ce passé dévastateur.
C'est un livre d'horreur à digérer pour avancer, intime, profond.
Pour endiguer la barbarie, pour essayer de comprendre, Ania nous entraîne dans une approche psychologique de la peur, de la mort. Ils parlent de « vide », de l'addiction de donner la mort…Plus que le franc-parler, le franc-écrit laisse pantois, démuni devant tant de haine.

Ce recueil est un cercueil universel. Ania nous rappelle que la machine à exterminer n'a épargné aucun pays, aucune ethnie. D'Hiroshima à l'Arménie, des cambodgiens aux hutus, en passant par la minuscule Sochy où la cruauté a figé à jamais la vie de Renia.
« Ainsi ton histoire, maman, s'est faufilée dans la doublure de ma vie depuis le tout début et je l'ai toujours ressentie comme un petit couteau piquant dans ma poche intérieure. »

Un livre qu'elle n'aurait jamais du avoir à écrire mais qui lui a été impossible de ne pas rédiger. « Dans un certain sens, les allemands sont les coauteurs de mon destin, ils ont donné une direction et une forme à ma vie en arrachant mes ancêtres à leur orbite. »

Parce qu'il faut que vous sachiez, impensable de passer à côté.
Une si petite extermination, une si forte détermination.

(Merci infiniment aux éditions « Noir sur Blanc » et à Babelio de cet envoi)
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Un livre à lire,... dont le titre dit tout, et plus encore avec son titre français qu'avec son litre original polonais «Mała Zagłada», textuellement Petit holocauste, qui n'a pas la même connotation qu'en français.
On connait Auschwitz, Oradour, Lidice, mais Sochy, en Pologne, près de Lublin, avec seulement 88 maisons au toit de chaume, incendiées le 1er juin 1943 à 5 heures du matin tandis qu'on massacrait la population, qui en a entendu parler? Outre les Juifs et les Tsiganes, la Pologne a aussi trinqué, dépecée par les deux moustachus qui concluent le pacte germano-soviétique pour se la partager. le 11 juillet, un mois après Sochy, ce fut le massacre de Volnhynie, puis celui de Wywloczka, autre village de ces Polonais, ces «sous-hommes». Auparavant, du côté allemand, il y avait eu l'opération Tannenberg (plus de 20.000 morts) et du côté soviétique du butin, les massacres de Katyń et quelques autres (22.000 exécutés et 60.000 déportés). Alors, c'est vrai, à côté, c'est une très petite extermination.
Les documents attestent que dès les années 1930, «bolcheviks et hitlériens ne cessent d'améliorer leurs techniques de mise à mort. On se rend visite, on partage les résultats de ces expériences... Les Russes vendent ainsi aux Allemands leur trouvaille d'asphyxie par les gaz d'échappement, procédé qui sera perfectionné par les seconds. Les rencontres entre le NKVD et la Gestapo ressemblent à nos conférences d'aujourd'hui...» (p. 177).
Le livre est écrit par Ania Janko, née en 1957. Elle aligne des faits, précis, froids, journalistiques, effrayants, avec des photos. le livre s'adresse à sa mère, Renia, qui avait 9 ans en 1943, a survécu dans trois orphelinats successifs, et a «transmis». Elle habitait la maison 57. le livre commence ainsi:
«Réfléchis, maman, ce que tu as connu n'est pas le pire. Juste un carnage et un incendie. Ni sévices, ni cruauté, ni maltraitance. Pas même un viol. Ils avançaient et tuaient dans la foulée. N'importe comment. S'ils rataient leur cible, ils tiraient à nouveau... ton père n'a souffert qu'un instant et ta mère pas du tout. Un quart de seconde et pfft, elle n'était plus de ce monde. Tes parents n'ont même pas vu brûler votre nouvelle maison... Une chance».
Le livre témoigne. Il est plein des prénoms et des noms d'adultes et d'enfants, ceux des maisons N° 1 à 88,... évoqués une par une, sauvées de l'oubli. Exemple: «Maison N° 88 appartenant à la famille Skóra Mikhailowski. Entièrement détruite par le feu. le père, la mère et les trois enfants sont tués. Seul le petit Lencio survit». le bilan des autres maisons figurent de même, avec les noms. L'auteure en avait déjà rendu compte dans un autre livre, «La Destruction des petits».
Avant l'auteure, Bronka, sa cousine, avait mis des numéros sur toutes les maisons incendiées pour les décrire une à une dans un poème sur Sochy. Bronka avait 9 ans. En 2018, elle en a 88.
Ceux qui n'étaient pas sortis ont été brûlés dans leur maison. Il y eut le procès de Nuremberg, et quelques procès locaux, mais les bourreaux de Sochy n'ont jamais été punis. Ce n'étaient pas des nazis mais des «Allemands ordinaires, trop vieux... heureux d'être à Zamosc plutôt qu'à Stalingrad. Lorsqu'ils ne tuent pas, ils mènent une vie normale. Ils vont au cinéma, au café, ils écrivent des lettres à leur famille».
Il y avait même quelques bons Allemands, auxquels le souvenir se raccroche, comme cet Allemand anonyme qui n'a pas pu tuer un enfant. Ou cet autre qui avait dit à au père de l'auteure de fuir.
Il fallait expulser 200.000 Polonais aptes au travail forcé, de la région de Zamosc, pour y implanter des Allemands. Pour ceux qui n'étaient pas aptes ou qui n'avaient pas les yeux bleus (passeport pour l'adoption), c'était le terminus. Ceux aux cheveux clairs, les Nordiques, on les privera de leur identité en les germanisant s'ils survivent au transport.
«Les nouveaux propriétaires prenaient possession des maisons laissées béantes... Ils nourrissaient les animaux des autres et se couchaient dans les lits auxquels on avait arraché les autres pendant la nuit».
L'auteure témoigne, mais n'oublie pas les autres génocides: l'URSS, les Anglais, les Etats-Unis, l'Australie, les Hutus, les Turcs en Arménie, la Chine de Mao, le Cambodge «démocratique» de Pol Pot où périt 1/5ème de la population, les quatre soeurs de Freud qui ont péri dans les camps. Sochy à côté,... «une si petite extermination». L'auteure fait un rapprochement et se rappelle un souvenir d'enfance où il fallait exterminer les taupes.
Le seul objet familial qui ait échappé au massacre et à l'incendie, c'est une montre, qui figure en couverture du livre comme un effrayant symbole du temps. Il lui a fallu des années pour retourner à Sochy et pour témoigner. le village existe à nouveau. Cela fait penser à «Regain» de Giono mais dans un tout autre contexte.
Quelques autres citations:
«L'Allemand tire dans la tête de papa, puis dans celle d'Antoni ainsi que dans celle de Janina toujours allongée, tous les enfants voient que la balle ressort par l'oeil».
«Le sort des enfants de Sochy n'était pas fixé d'avance. Ceux qui périrent, ce fut par hasard ou selon le bon plaisir d'un soldat ou d'un policier allemand».
«Ils ont chargé les enfants dans un train et les cheminots s'en défaisaient comme cela venait».
«Les garçons de la Hitlerjugend, eux au moins, s'étaient exercés sur des chiens».
«En plus, c'était une erreur géographique, c'était un autre Oradour qui était visé, Oradour-sur-Vayres, situé à proximité... Ils ont massacré 642 personnes et réduit en cendres leurs demeures, tout ça parce qu'ils ne savaient pas lire une carte».
«Je ne vois en toi [la mère de l'auteure] que la fillette dont on a tué les parents, l'un après l'autre, devant ses yeux. Et qui a pris son petit frère et sa petite soeur par la main».
«Dans les magasins d'Auschwitz, il y avait... entre autres 115.063 vêtements d'enfants... inventoriés avant d'être expédiés par train, en Allemagne, un pays dans le besoin. Les poussettes pour enfants sont parties aussi. Vides».
Un jour de novembre 1943, on «avait fusillé 18.400 personnes, des Juifs... Ils tuaient par couches. Il parait que c'est plus rapide ainsi».
«On lui fera une injection de phénol dans le coeur... C'est le SS Hans Nierzwicki qui la tuera... Un médecin allemand aurait jeté son enfant devant elle dans un four en marche... Pour ressentir quelque chose et ne pas s'arrêter à un nombre, il faudrait aussi connaitre leurs prénoms et les entendre appeler Maman, juste avant l'injection».
«Le commandant du camp s'appelait Artur Schütz. C'était un ancien boxeur. Il tuait les enfants d'un seul coup de poing».
«On lui a pendu son père (nous l'avons pendu, nous Polonais). Ils ont dû (nous avons dû) s'y reprendre (nous y reprendre) par trois fois, car la chute du corps n'était pas assez brutale».
«Du balcon de sa villa, Amon s'exerçait à tuer d'un seul coup les mères tenant des enfants dans les bras. Il fallait que la même balle touche la mère et l'enfant. Affaire d'adresse».
«Nous avons été vendus aux Soviétiques, à Yalta, par les Alliés».
«J'ai décidé d'enfiler les mots pour les faire passer par les sépultures de mes ancêtres».
Merci de l'envoi de ce livre par Babélio et par les éditions Noir sur Blanc, maison helvético-polonaise qui traduit notamment des textes polonais en français et dont le but est de "faire connaître au public francophone la production intellectuelle de l'autre Europe". J'espère que ce témoignage sera largement diffusé, car il n'y a pas, et il n'y aura jamais de "petite extermination".
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Je tiens à remercier Denis Guastella des éditions Noir sur Blanc et Babelio pour cette opération "Masse Critique exceptionnelle".
" Une si petite extermination " est un titre bien paradoxal tant le récit d' Anna Janko y est emplit d'horreurs et de souffrances ! Publié en cette année 2018, l'auteure a réalisé un travail de reconstitution mémorielle, en devenant la narratrice du film de la vie de sa mère, Rénia, alors âgée de neuf ans...
Anna Janko (1957) est écrivaine, poétesse, chroniqueuse et critique littéraire. Finaliste de nombreux prix littéraires, dont le prix Niké et le prix Angelus, pour ses deux précédents romans (La Fille aux allumettes et La Passion selon sainte Hanka), elle collabore à plusieurs journaux et émissions de radio en Pologne.
p. 15 : " Je me souviens de ce jour ; tes cauchemars ont coulé dans mes veines alors que j'étais lovée dans ton ventre, reliée à toi par le cordon ombilical. Ils hantaient constamment ton sommeil, seul moyen pour toi d'évacuer ce trop-plein d'horreurs : le sang répandu, le crépitement des flammes, les cris humains absorbés par les yeux et les oreilles de la petite fille de neuf ans que tu étais et qui prenait part à l'apocalypse. "
Car oui, il s'agit bien d'apocalypse ! En ce 1er juin 1943, à Sochy en Pologne,  les Allemands  ont incendié le village, tuant deux cents personnes, dont les parents de Rénia, sous ses yeux. Elle se souvient encore des paroles de sa propre mère juste avant le drame...
p. 25 : " Réveille-toi, Rénia, habille les enfants. Il faut sortir, les Allemands sont dans le village. Ils brûlent les maisons, ils attrapent les gens. "
De ce traumatisme de la barbarie nazie, naîtra un malaise permanent chez Renia, transmis inconsciemment à sa fille - la narratrice - Anna, comme pour tant d'autres victimes...
Les photographies personnelles qui ponctuent le récit sont autant de visages sur des noms, une manière pour le lecteur de s'imprégner émotionnellement.
p. 52 : " Tous ces prénoms sont de vrais prénoms. Tous ces enfants sont de vrais enfants. "
Et même lorsque la narratrice tente, non pas d'excuser, mais d'expliquer que ces hommes n'ont fait que se soumettre à des ordres, il n'en reste pas moins que des faits. Inqualifiables.
p. 54 : " Lorsque l'auteur du crime s'en va, libre, le cycle ne se referme pas et la victime ne se libère pas de la souffrance. Voilà comment fonctionne le mécanisme selon les psychologues. "
En effet, les documents attestent que dès les années 1930, bolcheviks et hitlériens ne cessent d'améliorer leurs techniques de mise à mort. Aussi terrifiantes qu'inhumaines, la liste des atrocités commises est inimaginable. Déjà insoutenable pour le lecteur.
p. 45 : " Hitler avait ordonné aux soldats de bannir la pitié de leurs coeurs et d'agir avec brutalité. "
Un passif héréditaire lourd de souffrances et dont Anna Janko tente de soulager sa propre mère. En mettant des mots sur ces douloureux souvenirs, elle s'imprègne de son histoire personnelle.
p. 168 : " Ainsi ton histoire, maman, s'est faufilée dans la doublure de ma vie depuis le tout début et je l'ai toujours ressentie comme un petit couteau piquant dans ma poche intérieure. "
Aussi poétique soit l'écriture, la lecture de ce récit n'en reste pas moins difficile.
p. 86 : " Une berceuse ne chante pas à rebours. "
Je ne pense pas que je serais allée de moi-même vers ce livre s'il ne m'avait pas été proposé via l'opération "masse critique" de Babelio. Aujourd'hui, même si ce récit m'a profondément marqué, je ne le regrette pas, loin de là. Il m'a fallu du temps pour le lire, et pour digérer chaque mot, chaque phrase. Ce témoignage est puissant, et il est de notre devoir non seulement de le lire, mais aussi de le transmettre à notre tour... peut-être pour que plus jamais un autre enfant ne soit témoin de telles horreurs.
Lien : https://missbook85.wordpress..
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Au premier souffle, l'enfant libère un cri qui ne signifie pas la joie, mais qui pleure une perte ; c'est un appel en arrière, une nostalgie, une peur. Puis, peu à peu, tout se met en place chez la plupart des gens. Certains, toutefois, demeurent avec ce vide non cicatrisé et souffrent de nausée existentielle : en cherchant à échapper à ce néant, à cette peur qu'ils ne comprennent pas, ils se font du mal de différentes façons. Toutes sortes d'addictions leur permette d'éprouver du plaisir à la place de ce vide qui s'autodigère. Pourvu que le plaisir dure toujours et encore, parce que la peur revient avec une force décuplée lorsque les intervalles sont trop longs. Donner la mort rassasie l'homme mais excite aussi sa faim de tuer, c'est le cercle vicieux de toutes les addictions.
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Les regards fixés sur les photographies sont toujours contemporains. Même si la personne est morte depuis longtemps, elle continue à nous regarder encore et encore, c'est bouleversant. Elle regarde comme si elle nous demandait : suis-je morte? Elle te le demande, oui elle te le demande à toi qui regarde la photo... Elle n'arrête pas, même si tu lui as répondu cent fois, car les morts ne font pas confiance aux vivants.
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Sur la boucle des ceinturons des SS, on lit : "Mon honneur s'appelle fidélité." Rien à ajouter, rien à enlever. Mais elles s'ouvrent sans cesse ces boucles, car elles ont été mal conçues (par Hugo Boss, paraît-il...). Ainsi, en pleine action, au moment où, par exemple on s'apprête à tuer une femme enceinte et où les mouvements se font plus violents... inopinément la question de l'honneur se pose. Plus d'une fois, un gars en uniforme se trouve dans l'embarras ou pique une colère. Un réel problème pour eux : l'affaire de ces funestes ceinturons fut plusieurs fois soulevée lors des discussions sur les changements à introduire dans l'équipement des unités de Waffen-SS.
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Je sais que si le destin m’avait placée dans la rue d’une ville occupée, s’il m’avait sommée de regarder des gendarmes en armes brutaliser un homme, juif ou polonais, peu importe, je ne serais pas intervenue pour lui venir en aide. J’en suis sûre et certaine. Je serais rentrée chez moi, j’aurais pleuré et attaché mes enfants aux pieds de la table pour les empêcher de sortir.
Il est difficile, très difficile, de s’opposer.
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Les gens ont davantage besoin de mythe que de vérité, car celle-ci est souvent complexe, différente, contradictoire selon qu'on la voit de l'intérieur ou de l'extérieur. Le mythe donne aux générations suivantes ce dont elles ont besoin : un récit lumineux où le bien triomphe du mal. Alors que les derniers témoins s'en vont gentiment, il ne reste plus que le mythe, conforme au besoin profond de l'homme. Les documents, eux, reposent dans les archives, disparaissent ou s'oxydent. Ou bien tout simplement, on n'y croit pas.
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