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La Patrouille du temps (4 volume... tome 4 sur 4
EAN : 9782843440922
512 pages
Le Bélial' (18/06/2009)
3.95/5   53 notes
Résumé :
Voici venue l'heure des ultimes aventures de Manse Everard et ses collègues de la Patrouille du temps au service de l'Histoire... Des aventures qui conduiront nos héros depuis la préhistoire jusqu'à une étrange variante de notre XXe siècle, en passant par la Bactriane du IIIe siècle avant notre ère et le Moyen Âge italien. Car les Exaltationnistes menacent toujours, sans parler d'un danger plus grand encore qui pourrait bien annihiler jusqu'à la Patrouille elle-même... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
30 ans après l'avoir commencé, Poul Anderson boucle sa série "La Patrouille du temps" avec ce tome 4 intitulé "Le Bouclier du Temps" : c'est tout à son honneur, mais roman-mosaïque ou bon vieux fix-up ce recueil de nouvelles a pour fil rouge l'histoire d'amour entre l'expérimenté Manse Everard paysan du middle-west des années 1950 devenu plus homme de réflexion qu'homme d'action et l'inexpérimentée Wanda Tamberly californienne bon teint des années 1980 (est-on dans le domaine de l'autobiographie ou du fantasme ? ^^). Et force est de constater que j'ai galéré pour le terminer...


Dans un 1er temps, "Les femmes et les chevaux, le pouvoir et la guerre" est la suite et le remake "D'ivoire, de singe et de paons"… Les derniers Exaltationnistes menés par Raor le clone féminin Merau Varagan sont toujours en cavale dans l'espace temps à la recherche du moyen de semer le chaos, et suite à une découverte archéologique ils choisissent le royaume antique de Bactriane en 209 avant Jésus Christ comme nouveau champ de bataille… Nous dans le grand jeu entre patrouilleurs du temps et terroristes spatio-temporels (ce n'est pas un hasard si le récit se déroule là où se déroulait le Grand Jeu entre Britanniques et Russes au XIXe siècle), et les uns et les autres boulant débouler n'importe où et n'importe quand avant de repartir on ne sait où et on ne sait quand les uns et les autres doivent bien préparer le terrain : c'est ainsi qu'entre peplum et aventure orientale Manse Everard investigue dans l'Asie Centrale indo-grecque pour démasquer ses adversaires et leurs objectifs, et qu'il sympathise avec les locaux voués à être emportés dans la guerre qui se prépare entre Antiochos III et le tandem père-roi/ fils-prince formé par Euthydème et Démétrios… Car le chasseur devient le chassé quand il est repéré par ses adversaires, et il c'est seul qu'il doit les empêcher de faire d'Antiochos III un nouvel Alexandre le Grand !
Mêmes qualités et mêmes défauts que le récit d'origine : le récit est riches en descriptions et pauvre en action, du coup la longue phase de préparation est bien plus plaisante que la courte de phase de résolution. L'auteur est pris au piège de la mobilité spatio-temporel de ces personnages, du coup on dépasse pas le jeu du chat et de la souris. L'intérêt vient quand même du fait qu'on ne sait pas si les retours au présent où Manse dialogue avec Guion l'agent spécial des Danélien se passent avant, pendant ou après les passages en -209… Toujours pas fan des passages où en bon Gary Stu de Poul Anderson le héros se fait le défenseur du libertarisme voire du reaganisme avec russophobie et islamophobie : on dézingue les gouvernements, les fonctionnaires, les taxes et les guerres mais on se lamente que les policiers de temps manquent d'argent, de moyen et de personnel et on fait un plaidoyer pour la Guerre du Vietnam ; on critique le suprématisme culturel mais on explique que l'Occident set tout et que l'Orient n'est rien ; et quand on se moque des croyances païennes antiques non seulement on fait de la téléologie sinon de l'anachronisme mais en plus l'auteur chrétien nous fait le coup de l'hôpital qui se fout de la charité !


Dans un 2e temps, "Béringie" est un remake du "Chagrin d'Odin le Goth", puisque Wanda a été affectée comme naturaliste dans le Détroit de Bering en -13212 et que comme Celle-qui-connaît-l'étrange / Cheveu-de-Soleil elle a tellement sympathisé avec le peuple sédentaire Tulat qu'elle ne supporte pas de les voir maltraités et exploités par le peuple nomade Wanayimo étudié par par son collègue anthropologue originaire de l'époque victorienne… Au point qu'elle le roule dans la farine en provoquant elle-même leur départ de la région pour que ses protégés puisse survivre et prospérer en attendant la disparition de la Béringie à la fin de l'âge glaciaire et la montée des eaux !
Cela aurait pu et cela aurait dû être très bien, et un pamphlet anticolonialiste entre la passionnée Wanda Tamberly, américaine républicaine du XXe siècle, et le flegmatique Ralph Corwin, anglais royaliste du XIXe. Mais on est très éloigné de combats de Rahan pour la liberté, l'égalité et la fraternité car les USA font du colonialisme déguisé et du suprématisme à visage découvert depuis près de 2 siècles et qu'en nationaliste libertarien Poul Anderson ne veut pas le reconnaître : c'est tellement ambigu voire confus que je n'ai jamais su s'il on était dans le 1er ou 2e degré, dans le réquisitoire ou le plaidoyer ! Déjà en plaçant les Blancs avant les Amérindiens sur le continent américain on voit très bien où il veut en venir : les Visages Pâles n'auraient pas volé leurs terres aux Peaux-Rouges, ils n'auraient fait que les récupérer à ceux qui leur auraient volé des milliers d'années auparavant (c'est n'importe quoi, mais je comprends pourquoi les Américains soutiennent mordicus la colonisation des territoires occupés palestiniens par les Israéliens)… Il y auraient pu avoir un message dans l'inversion des situations avec des Blancs colonisés et exploités et des Amérindiens colonisateurs et exploiteurs, mais cela ressemble tellement à ces décennies de westerns WASP dans lesquels de braves sédentaires blancs et chrétiens, bref des civilisés, se faisaient attaquer par de vils nomades rouges et païens, bref des barbares, que je n'y ai cru que quelques pages avant de passer en mode rage (d'autant plus que c'est faussement atténué par le personnage de Loup-Rouge qui à chaque décision tranche pour les radicaux de son peuple au lieu des modérés du peuple d'en face)… On trouve normal que « les plus développés » donc les plus forts volent et violent, pillent et tuent, et « les moins développés » donc les plus faibles trouvent presque normal de se laisser faire. Poul Anderson reprend les thèses du darwinisme social ici appliquées aux civilisations humaines, et il reprend les bobards des bienfaits civilisateurs de la colonisation : les faibles sont exploités sans pitié mais, mais ce n'est pas grave puisque c'est pour qu'il apprennent les techniques de leurs colonisateurs plus avancées (qu'importe la douleur, qu'importe l'injustice et qu'importe si on enlève une adolescente avant de la violer, puis de l'abandonner à son triste sort un fois enceinte : après tout, ce n'est qu'une travailleuse immigrée qui n'a pas su supporter le déracinement culturel). L'auteur se plaint d'un monde pollué, mais soutient l'idéologie de la croissance infinie et du consumérisme à outrance, il se plaint que les peuples premiers ont pollué la nature immaculée mais n'est pas dérangé pat la civilisation moderne incarnée par les USA qui saccage le monde entier. Et c'est ça le pire, tout ce qui ne le dérange pas chez les WASP m'insupporte chez les autres, et tout ce qui m'insupporte chez les autres ne le dérange pas chez les WASP : j'appelle cela du racisme et du suprématisme ! Cerise sur le gâteau Wanda Tamberly qui remonte le temps pour bolosser un hippy pacifiste et cracher sur les sixties car ces traîtres à la patrie et à l'humanité auraient été responsables des boat people et des Khmers Rouges (bon, c'est un strong indepenant woman altermondialiste ou une working girl reaganienne ???) : Mr Poul Anderson c'est la Guerre du Vietnam et toutes ses horreurs qui en ont radicalisé les victimes au point d'en arriver à ces déferlements de haine incontrôlables, et si vous pensez que la violence est la solution à tous les maux du monde vous ne valez pas mieux que les gens que vous dénoncez ! Voilà, c'est dit et même écrit !!!


Dans un 3e temps, "Stupor Mundi" est le remake de "L'Autre Univers" puisque la trame espace-temps a été éradiquée et qu'on charge une nouvelle fois Manse Everard de la restaurer ! On découvre l'univers alpha dans lequel au XXe siècle un occident théocratique en retard sur l'Histoire et en crise est gravement menacé par la Russie autocratique et la Turquie islamique, puis après une restauration foirée de la continuité historique par la Team Everad l'univers beta dans lequel au XXe siècle un occident laïque est encore plus en retard, encore plus en crise et encore plus le point de disparaître que l'univers alpha. Manse Everard doit cogiter et enquêter dans la Sicile médiévale pour comprendre que le nexus n'est pas un événement mais une personne, et cette personne n'est pas un membre de la dynastie Hauteville ou de la dynastie Hohenstaufen, mais un dénommé Lorenzo de Conti promis par le chaos quantique à la grandeur et qui s'avère être la version italienne de Luis Ildefondso Castelar Moreno de Barracota (voir "La Rançon du temps") ! C'est dont tout naturellement que Wanda en bonne agente de l'empire terrien va devoir jouer de ses charmes, quitte à donner de sa personne, et que Manse en bon agent de l'empire terrien va devoir jouer au Gambit de Dieu, quitte à donner de sa personne…
On oppose l'autel et le trône, les guelfes et les gibelins, le temporel et le spirituel mais cela est fait sans action, sans émotion, on ne retrouve pas vraiment les belles descriptions de l'auteur, par contre on retrouve bien les idées de l'auteur qui passent du libertarisme au reaganisme : il ne faut pas faire d'ethnocentrisme mais tout ce qui n'est pas blanc et chrétien ne sert à rien, l'athéisme ne mène à rien, le catholicisme est rétrograde, le protestantisme est progressiste, le christianisme a révolutionné les sciences et libérer les femmes et tutti quanti (et je passe sur les remarques islamophobes à cause desquelles j'ai faillit laisser tomber le bouquin)… Poul Anderson vieillit, et pas en bien hein ! Mais je commence à bien connaître l'auteur donc c'est sur un plan purement littéraire qu'ici il m'a déçu, car l'ensemble s'avère assez linéaire et sans surprise alors qu'on aurait pu grandement et facilement fluidifier et dynamiser le récit avec un POV centré sur Keith Denison perdu et piégé dans l'univers alpha et un autre POV centré sur Wanda Tamberly perdue et piégée dans l'univers beta, au lieu d'assommer les lecteurs avec de longs et lourds passages explicatifs amené sans aucune subtilité. Dans l'épilogue un Danélien déguisé en moine prêche la bonne parole : hors de l'ultralibéralisme et de l'hypercapitalisme il n'y a point de Salut… THERE IS NO ALTERNATIVE, AMEN !


Poul Anderson est un auteur ambivalent voire dual d'où les incohérences et les contradictions permanentes coincés entre deux cultures et deux vision du monde (d'où sa double casquette auteur de SF / auteur de Fantasy aussi) : l'homme qui se balade avec ses gros sabots libertariens est aussi l'homme qui a su traiter des drames humains avec beaucoup de finesse et d'empathie… Pour moi Poul Anderson c'est un Robert Heinlein qui n'a pas su se libérer de ses origines (par ailleurs les deux auteurs étaient amis IRL) : alors que l'auteur du Bible Belt a rompu avec de dernier pour devenir humaniste quitte à partir en guerre contre le fondamentalisme, alors que Poul Anderson a toujours porté un regard bienveillant et nostalgique sur la Scandinavie rural et protestante de l'entre-deux-guerre et le middle-west rural et religieux de l'entre-deux-guerres. Je suis loin d'avoir tout lu de l'auteur dont je compte bien poursuivre l'exploration de la bibliographie, mais je note quand même que dans les années 1960 il faisait des efforts pour ménager la chèvre et le chou, et que quand il allait trop loin il rétropédalait pour rattraper le coup… mais que passé le reaganisme triomphant des années fric il ne fait plus beaucoup d'effort en flirtant avec l'idéologie et le prosélytisme quand il ne frôle pas le dérapage suprématiste !
Après avec "La Patrouille du temps", il a exploité toutes ses bonnes idées dès le départ en faisant converger drames intimes et destins collectifs. Son idée de la résilience du continuum espace-temps est séduisante puisqu'elle permet de passer outre l'effet papillon, mais avec sa vision linéaire du temps il se retrouve vite piégé par les règles du jeu qu'il a lui-même édicté : l'humanité doit passer par le judaïsme, le christianisme, la Réforme protestante, l'Angleterre capitaliste et les USA hypercapitalistes, donc cela limite vite les possibilités d'uchronie puisque tout le reste ne sert à rien dans la marche forcée vers sa manifeste destinée… Peu d'originalité (alors que les auteurs de "GURPS Alternate Earths" en ont à revendre alors qu'ils s'inspirent justement de "L'Autre Univers"), pas de conflits d'autorités au sein de la Patrouille du temps (on explore pas sa hiérarchie et son arborescence puisque les hommes sont quantités négligeables dans le chaos quantique qui ne peut déboucher que sur une seule voie), et pas de multivers moorcockien et de potentiels chocs de civilisations ou de potentielles guerres des mondes (alors que dans "La Brèche" des reporters temporels font une boulette le 6 juin 1944, avant que ne déboulent les méchas des Allemands du futur et les drones des Américains du futur venus chacuns défendre leur ligne temporelle !)… C'est dommage on aurait pu aller plus loin, et même beaucoup plus loin avec un Manse Everard découvrant que sa ligne temporelle n'est pas naturelle mais artificielle, et qu'il défend un monde qui aurait dû être meilleur sans les interventions des posthumains Danéliens : oh oui, aller dans cette voie aurait génial mais au final Poul Anderson ne veut absolument pas remettre en cause son TINA !
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Une chose est claire : les vicissitudes auxquelles cette année m'aura confronté auront été en bonne partie compensées par mes rencontres régulières avec Manse Everard et ses patrouilleurs. Je vais du coup être forcément un peu bavard, mais c'est ma façon de remercier l'auteur et les éditeurs pour le plaisir ressenti à la lecture de ce cycle.

Je l'ai déjà dit, Poul Anderson m'impressionne. Aujourd'hui c'est la cohérence et la stabilité que l'auteur est parvenu à intégrer à son cycle à travers les décennies que je trouve saisissantes. L'écriture des histoires de la Patrouille s'étale sur près de quarante ans, et Poul parvient à exploiter en 1990 des événements qu'il a posé sur papier en 1955 ou en 1983, comme si cela datait d'hier. On ne sent pas de changement de ton majeur, d'évolution d'orientation entrainée par l'évolution de l'auteur lui-même. le cycle a quelque chose d'intemporel, comme ses héros.

Présenté comme un roman, le Bouclier du Temps est plutôt un groupe de trois novellas cousues ensemble de manière très lâche par des scénettes censées faire croître l'inquiétude et l'angoisse en vue de l'irruption d'une rupture temporelle déflagratoire. Écrites tardivement, elles font écho de façon criante à leurs devancières des tomes précédents.

« Les femmes et les chevaux, le pouvoir et la guerre » nous replonge dans un contexte proche de celui « D'ivoire, de singe et de paons ». Manse Everard s'immisce dans le royaume gréco-bactrien né du côté de l'Afghanistan après le passage d'Alexandre, afin de déjouer les manigances des Exaltationnistes toujours aussi décidés à générer un chaos temporel propice à leur prise de pouvoir. Comme dans l'histoire à laquelle elle fait écho, les péripéties de Manse, bien qu'amusantes et parfois un peu faciles, ne font pas le poids devant le plaisir de la confrontation à un milieu exotique décrit avec brio, avec affection mais sans naïveté. On a à nouveau droit à un cours d'Histoire antique tel qu'on aurait aimé les recevoir au collège. Enfin, en disant « faciles » j'oublie un élément important : l'objectif de ce récit est peut-être de mettre l'accent sur la manipulation volontaire de l'Histoire orchestrée par la Patrouille – plutôt par les Danelliens – quand cela « se justifie ». L'Histoire telle qu'on la connaît n'est pas le récit intrinsèquement original que d'aucun essaierait de couvrir de palimpsestes, elle est elle-même un palimpseste, trafiquée pour atteindre son but : rendre inévitable l'apparition des Danelliens. Sous cet aspect, ce récit fait écho à « Échec aux Mongols ».

« Béringie » se place directement parmi les plus beaux récits du cycle. le décor est enthousiasmant : on remonte à une époque préhistorique où des tribus fréquentaient le pont terrestre qui reliait la Sibérie à l'Alaska, et où l'Amérique voyait arriver ses premiers habitants (selon la théorie la plus admise en 1990, des découvertes plus récentes ayant relancé le débat scientifique). C'est cette fois Wanda Tamberly qui, partie sur le terrain étudier les « Nous », les voit confrontés à une autre tribu venue de Sibérie : les Wanayimo, bien plus avancée techniquement. Comme disait La Fontaine, la raison du plus fort est toujours la meilleure, et les Nous vont perdre la liberté et devenir serfs, avec une menace permanente d'extermination pesant sur leur tête.
C'était sans compter sur l'empathie qui pilote Wanda, sur l'amour qu'elle finit par éprouver pour les Nous en tant qu'agent infiltrée. Wanda est un agent peu commun, encore moins contrôlable qu'Everard. C'est quelqu'un de passionné et d'intelligent. Bien qu'attachée aux Nous, elle finit par éprouver de la sympathie et de l'admiration pour les Wanayimo qui sont décrits eux aussi dans toute leur complexité.
L'émotion qui pousse à agir s'oppose au devoir qui pousse à ne pas intervenir. On retrouve le dilemme du scientifique de la Patrouille qui avait déjà été mis en musique dans « le chagrin d'Odin le Goth » et « Stella Maris ». Un récit qui prend aux tripes.

La dernière histoire, « Stupor Mundi », reprend l'idée de l'uchronie développée dans « L'autre univers ». Cette fois un changement majeur est intervenu dans l'Histoire ; à Wanda et Everard de réparer les pots cassés. Poul Anderson choisit pour ce récit une époque parmi mes préférées de l'Histoire : celle du royaume normand de Sicile, de l'époque étonnante magnifiquement écrite par Michel Subiela dans le Sang des Hauteville, un temps où des peuples qui s'affrontaient partout ailleurs – Normands, Siciliens, Arabes, Grecs, Juifs – sont parvenus à vivre peu ou prou ensemble. On évoque aussi l'époque ultérieure de l'étonnant empereur Frédéric II Hauhenstofen dont le surnom a donné le titre de la novella. L'espèce d'esprit de tolérance instauré par ces gens ne pouvait qu'insupporter les chefs catholiques, papes en tête, qui à la même époque écrasaient les cathares et partaient en croisade au Moyen-Orient.
Poul Anderson propose deux versions alternatives de l'Histoire, aux antipodes l'une de l'autre. Mais dans son esprit les deux mènent à des « dystopies », qui se traduisent par une Renaissance qui n'aura jamais lieu et un développement technologique absent. Et qui dit absence de technologie dit une humanité qui ne développera pas les moyens d'améliorer son sort, de lutter contre la famine et la maladie. Finalement, l'auteur nous dit que malgré ses horreurs, la version de l'Histoire que nous connaissons constitue la voie du moindre mal. C'est un sujet dont on pourrait débattre à l'envie. Tant qu'à écrire une histoire alternative, j'aurais personnellement imaginé une uchronie basée sur la victoire de Frédéric sur la papauté dans un sens bien plus utopique. D'autre part, on pourrait raisonnablement se demander si l'absence de technologie n'aurait pas été favorable à la vie sur Terre dans son ensemble, en évitant le dérèglement climatique et la pollution radioactive dont on ne sait pas quels effets ils auront sur le long terme.

Poul Anderson apporte une conclusion à son cycle dans sa dernière scénette, une réponse à l'inanité du rôle de la Patrouille que ressentent Wanda et Everard après les événements de Stupor Mundi. Si la patrouille est là pour maintenir à flot une version de l'Histoire destinée à amener l'avènement des Danelliens, elle assure en même temps une version de l'Histoire qui minimise les douleurs éprouvées par l'humanité à travers les âges. Les deux objectifs sont concomitants, une vision gagnant-gagnant. Ceci est un pur parti pris de l'auteur qui n'est pas plus qu'un autre capable de « mesurer la douleur de l'humanité », surtout qui ne propose que des univers uchroniques dont il définit unilatéralement le « niveau de douleur » comme supérieur à celui de la « vraie Histoire ». Qu'est-ce qui l'empêchait d'imaginer quelque chose d'utopique hormis que cela aurait brisé sa plaidoirie ?

On arrive au bout. J'ai un regret et un reproche. Mon regret, c'est que Poul Anderson n'ait pas exploité la possibilité d'une révolte d'Everard à l'idée que son travail consistait surtout à satisfaire l'émergence des Danelliens quels que soient les dommages collatéraux sur la race humaine – un renoncement au système gagnant-gagnant dont j'ai parlé plus haut –, révolte qui aurait pu mener à un conflit contre les Danelliens et à la disparition pure et simple de la Patrouille, l'Histoire reprenant en quelque sorte sa liberté.
Mon reproche, c'est la fâcheuse manie qu'avait l'auteur de prêter à ses héros les mêmes sentiments politiques que lui-même. On a bien compris qu'il était contre l'existence d'un gouvernement central puissant, liberticide selon lui ; ce penchant est à la base même de « Stupor Mundi ». Mais je trouve que cette figure imposée à ses personnages – qui sont par ailleurs magnifiques – nuit à leur cohérence.

C'est sur ce petit bémol relativement négligeable que je vous quitte. Désolé d'avoir été trop long. C'était ma façon de de pas quitter la Patrouille trop tôt je pense.
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Ha la la ! Poul Anderson nous propose une fin en apothéose pour ce dernier volume du cycle de la Patrouille du temps ! J'ai A-DO-RÉ !

Découpé en 6 parties, «Le bouclier du temps» se compose de 3 grandes nouvelles et de 3 petites. Les grandes font chacune le récit d'une mission :

-Les femmes et les chevaux, le pouvoir et la guerre
Dans cette nouvelle, Manse Everard va une nouvelle fois être confronté aux fameux Exaltationnistes qui cherchent à nouveau à infléchir le cours des évènements pour mettre le chaos. Et c'est en Bactriane, 200 ans av. J.C., qu'il va devoir déjouer leur plan pour maintenir et conserver notre version de l'Histoire...
Nouvelle intéressante car on y découvre une patrouille (et en particulier les daneliens) pas si intègre que cela, car capable d'agir illégalement pour son propre intérêt.

-Béringie
Ici, c'est la jeune patrouilleuse Wanda que l'on découvre dans sa première mission. Catapultée 13000 ans av. J.C. en Béringie, territoire situé entre l'Alaska et la Sibérie, elle doit y faire des observations sur la faune et la flore, mais aussi sur la prochaine arrivée d'une tribu paélo-indienne. Dès son arrivée, elle côtoie une autre tribu, les Tulat, d'origine caucasienne et appelée à disparaître, auprès de laquelle elle sympathise et s'attache beaucoup. Quand elle voit la tribu de chasseurs arriver et exploiter ses amis Tulat, il devient difficile pour elle de ne pas intervenir...
C'est un récit que j'ai beaucoup aimé, touchant et tragique. On a envie comme Wanda d'intervenir pour empêcher cette injustice de la domination d'un groupe sur un autre par la force. Elle doit faire l'amère expérience de l'équilibre nécessaire entre sa conscience et sa mission, agir au mieux sans interférer dans les évènements. Une Wanda pleine de surprise, à l'image de son mentor Everard.

-Stupor Mundi
Après des vacances bien méritées dans le pléistocène, Wanda et Manse découvrent, chacun de leur côté, que l'avenir a totalement changé et que la Patrouille n'existe plus dans le futur. Commence alors une course contre la montre pour trouver le point de divergence et rétablir l'Histoire connue...
Episode passionnant où l'on découvre deux autres futurs possibles, , de nombreux rebondissements accompagnés d'incessants voyages et où l'on voit aussi évoluer la relation entre nos deux patrouilleurs, le duo de choc.

Ces trois récits sont précédés chacun d'une courte nouvelle qui nous expose une discussion entre nos patrouilleurs et un mystérieux agent, Guion, un genre de superviseur de la patrouille qui s'intéresse de près à Everard et Wanda.
On s'interroge au début sur cet agencement du livre - et surtout sur cet étrange personnage qui pose beaucoup de questions sur les anciennes missions de notre patrouilleur, l'occasion de se remettre en mémoire celles lues dans les volumes précédents - mais tout prend son sens à l'issue de notre lecture...

On a donc là un tome extrêmement riche, et encore, je me mords les joues pour ne pas en dire davantage, mais je laisse aux lecteurs le plaisir de découvrir toutes les petites subtilités et autres remarques que l'auteur à disséminer tout au long de son récit.

Snifff... petit pincement au coeur car avec l'achèvement de la lecture du «Bouclier du temps» se termine cette magnifique aventure avec les patrouilleurs du temps dont notre préféré, Manse Everard.
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Toujours dans la suite des précédents tomes.. nous visitons le monde dans l'espace et le temps.

Manse Evrard nous emmènera dans la préhistoire.
Mais aussi dans le futur cette fois. La destinée de l'homme y est fortement en danger.
C'est aussi l'occasion pour ce dernier opus de retravailler des sujets déjà traités dans les tomes précédents.
Ce dernier épisode qui est sans doute le plus long , mais c'est aussi pour moi , le plus abouti.

Si il y a bien un personnage avec qui j'aurais aimé traverser le temps c'est bien manse Everard
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On retrouve dans ce quatrième et dernier tome de la Patrouille du Temps, Manse Everard notre patrouilleur non-attaché préféré, ainsi que Wanda Tamberly déjà rencontrée dans le livre précédent « La rançon du temps » ainsi que Keith Denison héros principal dans « Le grand Roi » (Cyrus le Perse).
C'est donc l'ultime volet de cette saga, grand classique de la Sf.
Manse Everard est un patrouilleur non-attaché qui est sur tous les fronts. Il est libre de ses mouvements et agit souvent seul. Les missions les plus périlleuses et délicates lui sont réservées. Dans ce tome-ci il en sera encore de même.
Wanda Tamberly, elle, est l'héroïne de la nouvelle « La Béringie » qui se passe en 13 312 avant Jésus-Christ, dans une histoire très poignante qui met encore en scène l'attachement que peuvent ressentir les patrouilleurs lors de leur mission vis à vis des populations qu'ils côtoient. Ils sont humains après tout. Mais à force des vortex et distorsions du temps se créent.

6 parties échelonnent le roman :

- L'Étranger est dans tes portes (rencontre entre Manse Everard et Guion sorte d'inspecteur interne à la Patrouille)
- Les femmes et les chevaux, le pouvoir et la guerre (rencontre d'un soldat russe et d'un inconnu avec un artefact inconnu) – Afghanistan
- Avant les dieux qui créèrent les dieux (lieu de repos pour les patrouilleurs en 31 275 389 avant J.C. au temps de la Terre de l'Oligocène : Deuxième période de l'ère tertiaire s'étendant sur une durée de vingt millions d'années entre l'éocène et le miocène )
- La Béringie – 13 212 avant J.C. Rencontre de Wanda Tamberly avec une population Les Nous (Tulat ) qui sont des cueilleurs/pêcheurs pacifiques auxquels elle s'attache. Arrivées et mouvements de population, cette fois-ci des chasseurs de mammouths, plus guerriers et belliqueux.
- Devinez un peu (à nouveau rencontre de Manse et Guion) on sent qu'il y a un lien avec les événements en cours.
- Stupor mundi : altération du cours de l'histoire, autre réalité qui se crée après 1138 et un événement majeur en Sicile. Et où on retrouve Keith Denison déjà rencontré dans le grand Roi.

L'écriture de Poul Anderson, raconte aussi bien L Histoire que la petite histoire de nos personnages. le point est accentué dans ce tome, sur les sentiments et réactions de nos patrouilleurs. Leurs doutes, leurs peurs, le temps qui pour eux défilent moins vite que pour ceux qu'ils aiment.
Dans les premières parties, la chasse aux derniers Exaltationnistes est palpitante et bien menée. Ensuite on assiste au mouvement de population à travers les continents, lors de la période glaciaire.
Puis on va tomber dans une altération majeure du temps, car la réalité connue va se retrouver totalement annihilée et remplacer pas une autre très particulière. Un gros travail attend Manse et Wanda. Ce dernier opus se termine en beauté avec une histoire qui nous mène au sein du gros problème de l'altération du temps à travers un personnage.

Toujours aussi bien écrit, un plaisir de lire les descriptions des différentes périodes où nous sommes véhiculés…. Les personnages sont attachants, bien que différents au fil des périodes vécues. Chaque époque a ses us et coutumes, les héros n'ont pas la même façon d'appréhender les événements mais ont tous la capacité et l'énergie à les résoudre.

Je termine les aventures de la patrouille du temps et je suis très contente d'avoir au cours de l'année, lu les quatre tomes qui la constituent. le challenge initié pour cette lecture m'y a bien incitée. J'avais lu le premier tome il y a plusieurs décennies et le fait d'avoir la totalité publiée est un grand plus pour vraiment apprécier les différentes histoires qui sont réunies dans cette quadrilogie.
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
"Elle doit rester ici, expliqua Lorenzo. L'enfant est malade." De toute évidence, il s'agissait de sa maitresse du moment, une jeune paysanne des environs, qui lui avait donné un rejeton. Everard hocha la tête mais se garda d'exprimer un quelconque espoir pour sa guérison. Celui-ci aurait été infondé. Pour investir son amour dans un enfant, un homme attendait d'ordinaire qu'il ait survécu à ses deux premières années.

(On est en 1138 apr. J.C. dans ce passage...)
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D'après les rapports de Corwin, la présence des Nous représentait une aubaine pour le Peuple des Nuages. S'ils ne les avaient pas pris sous leur coupe, ils auraient eu la vie plus difficile. Cependant, il n'avait pas prévu qu'ils agiraient de la sorte. Une telle situation était pour eux sans précédent. L'un des leurs, un génie, avait inventé une pratique - la taxation - qui procurait un immense bénéfice à ses semblables. Le genre humain ne cesserait par la suite de refaire la même découverte, dans les siècles des siècles, souvent sans même chercher à justifier son application.
(Dans "Béringie")
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Ouais, une réconciliation dans les règles, le prince qui épouse la princesse, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, et peu importent les meurtres, les exactions, les viols, les pillages, les incendies, la famine, la pestilence et la ruine, les captifs réduits en esclavage, les espoirs brisés et les familles anéanties. La routine, pour un gouvernement.
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L'annonce de la mort du roi n'avait guère assombri les esprits. Peut-être n'était-elle pas parvenue à tout un chacun. De toute façon, les souverains et leurs conflits vivaient dans un autre monde aux yeux de ces petites gens qui, le plus souvent, ne s'éloignaient jamais de plus d'un jour de marche de leur lieu de naissance. L'histoire n'était pour eux qu'une source de malheurs: guerre, pirates, épidémies, impôts, tributs, travaux forcés...
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Un homme émergea de l'unique entrée du temple. Il était vêtu d'une tunique blanche, élimée mais propre. Le dos vouté par les ans, la bouche édentée, les yeux plissés, il pouvait être âgé de soixante ans ou de quarante. Avant l'avènement de la médecine scientifique, seuls les représentants des classes supérieures atteignaient un âge mûr sans perdre la santé.
"Dire que les intellectuels du XXe siècle considèrent la technologie comme déshumanisante", songea Everard.
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http://www.librairiedialogues.fr/ Annaïs de la librairie Dialogues nous propose ses coups de c?ur du rayon Science-Fiction : Tau zero de Poul Anderson (Pocket), Omale de Laurent Genefort (Folio SF) et Le vivant de Anna Starobinets (Mirobole). Réalisation : Ronan Loup. Questions posées par : Marion le Goascoz.
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