Touchant et profond portrait d'une relation mère/fils,
le temps arrêté est un roman surprenant à mi-chemin entre l'hommage littéraire et l'explication de texte déguisée. Qu'on aime ou non
Proust, qu'on ait ou non lu "La recherche", sa "présence" n'est jamais gratuite (à part peut-être l'espace d'un chapitre, mais nous y reviendrons plus tard) et se justifie sans faire de l'ombre aux personnages de R.Apté. le lien entre ces deux protagonistes, on le devine très vite conflictuel, tendu. L'auteur a l'excellente idée de ne pas trop en dire, de resté flou même lorsqu'il donne des indices sur leur passé commun, pour que le lecteur puisse imaginer, y placer, ce qu'il souhaite et ainsi faciliter l'identification. Parce que la fin de cette mère malade est proche, on pourrait imaginer que leur différent ne trouvera jamais vraiment d'issue, mais c'est sans compter l'intervention de
Proust, par l'intermédiaire de la lecture de la recherche, qui vient faire tiers dans leur relation.
Ce tiers est sujet à confronter des regards, matière à crever des abcès. Après avoir repris son fils sur sa prononciation et ses défauts de lecture, sur sa forme à lui, on rentre progressivement dans la forme de "La recherche", et dans le fond, surtout. Dès lors, l'oeuvre de
Proust vient poser un éclairage nouveau sur ce duo mère/fils, sur leurs valeurs communes, les nuances ou même les différences qui vont les rapprocher, à la façon d'un filtre révélateur. A travers la lecture qui semble maintenir cette femme en vie, l'auteur aborde en filigrane le pouvoir presque magique de la littérature, voire ses vertus soignantes (à moins que ce ne soit le féru de bibliothérapie que je suis qui aime y voir cette interprétation). Qu'il s'agisse de
Proust ou d'un autre auteur, on peut tous se reconnaître à travers le propos du narrateur dans l'impact qu'une lecture a pu avoir dans notre vie.
Proust n'est pas qu'un élément de l'histoire ; il semble avoir aussi influencé l'écriture de
Richard Apté, qui lui emprunte son style minutieux pour capturer avec émotion et détails parfois des instants aussi courts qu'intenses : l'angoisse aseptisée des hôpitaux, un geste bref mais tendre de salut sur un pas de porte... Peut-être moins fortes, cependant, sont les évocations du passé, parfois trop concrètes pour émouvoir vraiment (là où un autre écrivain très Proustien,
André Aciman, excelle littéralement, par exemple). Au fil de son roman et avec celui de
Proust en miroir, R.Apté distille sa propre réflexion sur le temps qui passe et sur sa notion subjective, presque fantastique.
Il n'y a que lorsque "La recherche" prend trop le dessus sur l'histoire, lors d'un chapitre qui survient au deux tiers du livre, que le lecteur non proustien peut malheureusement perdre un peu le fil : le narrateur, dans la stricte analyse de texte, tourne en rond sur l'écriture de "La recherche du temps perdu", alors que la vraie richesse du roman dans le roman, c'est dans ce qu'elle apporte de plus-value à cette relation mère/fils! Malgré cette petite inégalité,
le temps arrêté reste un premier roman très marquant par son audace et l'émotion qu'il dégage. Les dernières lignes, comme une métaphore du titre, viennent boucler la boucle entamée au début de la lecture, faisant de ce temps un cercle sans fin...
En bref : Un roman touchant qui utilise à bon escient l'oeuvre de
Proust comme révélateur des aspérités d'une relation mère/fils forte en émotions.
le temps arrêté, à la fois réflexion sur le temps qui file et sur la force de la littérature, pourra plaire qu'on soit ou non un lecteur du grand Marcel...
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