Quand la nuit tombe, le complexe industriel du Tokai, entre Nagano et Nagoya, dévoile ses lumières et son étonnante architecture de tuyaux, et cela fascine Takaomi. A tel point qu'il aimerait le faire découvrir à son amie du lycée, Ao. Les deux sont très proches depuis longtemps, manifestement ils s'aiment d'amour (mais on est au Japon, l'expression n'est pas aussi directe !). Takaomi vit avec sa mère et sa jeune soeur Miku. La vie est assez dure, sa mère est une jolie femme qui s'efforce de travailler dans les usines de la zone pour subvenir aux besoins de ses enfants. Ao évolue dans une famille japonaise modèle, le père est directeur d'une de ces usines et sa mère élève les deux enfants, Ao et son frère Rikuto.
Après quelques difficultés de calage d'agendas, le jour finalement convenu de l'escapade des deux amoureux arrive, le 31 août…Ao s'apprête à partir, lorsque sonne à la porte du domicile familial, deux policiers qui interpellent son père, avec une sentence stupéfiante : « Nous avons un mandat d'arrêt contre vous, pour viol sur personne majeure ».
Il se trouve que le père d'Ao, qui a rencontré au cours d'une soirée d'affaires la mère de Takaomi, a flashé sur elle, et va profiter de sa situation, et de l'ambiance alcoolisée pour soi-disant la raccompagner, mais en fait pour abuser d'elle.
Les deux familles sont abîmées : la mère de Takaomi doit suivre un traitement psychologique et médicamenteux, les parents d'Ao divorcent, sa mère décide de trouver refuge chez son frère et sa belle-soeur avec lesquels elle ne s'entend pourtant pas bien.
Pour les deux lycéens, la situation est terriblement compliquée à gérer. Takaomi tente de ne pas changer d'attitude, mais Ao se sent coupable de ce qu'a fait subir son père à la mère et à la famille de son chéri. Et puis il y a le regard des autres, impitoyable, car bien évidemment tout se sait vite, et se répand à toute vitesse avec les réseaux sociaux. Entre bla-bla, moqueries et attitudes déplacées de certains de leurs camarades, ils tentent bien de recoller les morceaux de leur relation, leurs sentiments personnels demeurant intacts. Mais du jour au lendemain, Ao déménage sans laisser d'adresse.
Huit années plus tard, le temps a passé, tant bien que mal les protagonistes ont essayé d'oublier, de se reconstruire. Takaomi, qui maîtrise bien l'anglais, est en cdi dans une société de Tôkyô. Il tombe nez à nez avec Ao, qui y est fraîchement recrutée intérimaire et ne tarde pas, elle aussi, à montrer ses capacités en anglais. L'anonymat va leur permettre de se reparler, mais il ne dure jamais longtemps, ce qui mettra une nouvelle fois en péril leur retrouvailles…Mais peut-on briser complètement des liens si puissants au fond de ces deux coeurs ?
Ce manga est un vrai coup de coeur, il y a tout : l'amour platonique durable, le crime qui brise victime et bourreau et ses dommages collatéraux sur les familles, la force et la résilience pour se reconstruire malgré tout, d'évoluer, de réussir à s'élever, envers et contre tout et tous. C'est intelligent, et émouvant du fait même que ce n'est pas larmoyant et gnangnan, le récit est sobre, parfois brutal, tant il prend en considération avec réalisme le regard de la société, souvent encore plus dur lorsqu'il s'agit de jeunes entre eux (le harcèlement scolaire n'est jamais loin…). le lecteur aime ces deux jeunes, pétris du sens des responsabilités et de valeurs nobles, et qui s'aiment d'un amour authentique. La psyché des deux protagonistes et leurs évolutions respectives est remarquablement traduite : Takaomi apparaît plus solide, plus stable, il a fallu se démener depuis toujours pour ne pas être un fardeau pour sa mère, et son attitude vis-à-vis d'Ao ne change pas, toujours plein de gentillesse, d'indulgence et de protecteur. Il progresse dans la vie. Ao souffre d'auto-endosser la culpabilité de son père. Elle qui venait d'un milieu aisé galère davantage, est dans une situation socio-professionnelle plus précaire, se partageant entre cet intérim et un boulot d'hôtesse de bar. Mais elle est courageuse, travailleuse, indépendante, et l'on sent qu'elle va s'en sortir, habitée par la force que son Takaomi lui donne.
C'est aussi une dénonciation sur les abus liés à la position hiérarchique dans l'entreprise, le chef qui dérape et viole son employée, avec des moyens trop bien connus, drogue et/ou alcool.
Rie Aruga montre qu'il y avait un léger terrain favorable chez le père d'Ao, parfois ambigu à la maison dans son discours sur les femmes, et chez sa victime, qui dans sa situation sociale précaire était fragilisée par un penchant pour l'alcool qui réconforte. Bref, il faut surveiller plus attentivement les signaux faibles, qui peuvent un jour dans un contexte particulier se décompenser.
Rie Aruga, qui a publié cette histoire au Japon en 2022 met du sens dans ses dialogues, on sent une authentique écrivain, alors qu'elle avoue être largement assistée pour le dessin, par plusieurs personnes, dûment citées par ses soins.
Un manga intelligent, à lire de toute urgence !