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EAN : 9782810703357
260 pages
Presses universitaires du Midi (19/02/2015)
4.67/5   3 notes
Résumé :
Le Sahara central constitue par la qualité et l'abondance de son art rupestre un véritable conservatoire à ciel ouvert où sont rassemblés d'extraordinaires témoignages de la vie des bergers néolithiques. Comment comprendre et interpréter cet art des rochers ? Pourquoi des images ? Pourquoi les représentations du Bovidien (VIe-IIIe millénaire avant notre ère), qui éclairent la vie quotidienne des populations du Néolithique saharien de leur réalisme surprenant, succèd... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Pour étudier les images que nous a léguées L Histoire, "la bonne méthode - au moins dans un premier stade de l'analyse - serait de procéder comme le font les préhistoriens (qui ne disposent d'aucun texte mais qui doivent analyser les peintures pariétales)" écrivait Michel Pastoureau dans "Bleu : histoire d'une couleur". Il préconisait d'extraire directement des images "du sens, des logiques, des systèmes, en étudiant, par exemple, les fréquences et les raretés, les dispositions et les distributions, les rapports entre le haut et le bas, la gauche et la droite" ; il proposait donc de recourir à "l'analyse interne" de l'image. Dans les faits, les choses ne sont malheureusement pas tout à fait aussi simples pour les préhistoriens et, en l'absence de données archéologiques suffisantes pour donner un sens à l'art rupestre, on fait appel au comparatisme ethnographique : on se sert alors de ce que l'on connaît sur les cultures (croyances, récits, rituels, etc.) de certains peuples ou groupes actuels pour les appliquer aux peuples de la Préhistoire. Or, André Leroi-Gourhan avait, déjà dans les années soixante, mis en garde contre les dérives potentielles du comparatisme ethnographique : il est facile de tirer des conclusions hâtives à partir d'une telle démarche et d'associer des éléments de culture de deux ou plusieurs groupes qui n'ont peut-être, en réalité, pas grand-chose à voir les uns avec les autres. Toujours est-il que, au moins du côté des archéologues français, on s'est souvent montré, depuis Leroi-Gourhan, très prudent, voire muet, pour ce qui est de l'interprétation de l'art rupestre. Pour autant, certains chercheurs se sont tout de même lancés dans le décryptage des peintures, gravures ou sculptures du Paléolithique ou du Néolithique. Trois voies ont été essentiellement suivies : celle de représentations de la vie quotidienne, celle de la magie de la chasse et celle du chamanisme.

Sans réfuter ces interprétations, mais les jugeant insuffisantes, Michel Barbaza en propose une quatrième concernant l'art rupestre du Sahara, à la suite de travaux déjà engagés par d'autres archéologues, notamment Jean-Loïc le Quellec et Alfred Muzzolini. L'art des Têtes Rondes (qui, sans entrer dans des questions épineuses de datations, a probablement atteint son apogée vers -5000) et l'art des Bovidiens, qui ont vécu après eux dans les mêmes espaces, constituent le sujet d'étude de Michel Barbaza. le corpus, loin de se vouloir exhaustif, se limite essentiellement à des sites du Hoggar, du Tassili-n'Ajjer et de la chaîne de la Tefedest (en Algérie), que l'auteur juge pertinents pour son propos. le but avoué de l'ouvrage n'est pas d'affirmer une théorie qui se voudrait définitive, mais d'ouvrir la voie à d'autres recherches, en partant d'un postulat de base jusque là encore peu utilisé : l'art des Têtes Rondes et celui des Bovidiens renvoient tous deux à un récit mythologique, et donc à un mythe aujourd'hui perdu, mais il est possible, en appliquant la méthode de l'analyse interne, de retrouver tout ou partie de ce discours et de ce mythe. Michel Barbaza se propose donc, à travers une démarche multidisciplinaire et fondée sur le structuralisme, de poser les bases d'une anthropologie de l'art rupestre saharien.

Je n'entrerai pas plus avant dans les détails du cadre théorique de cet essai, d'abord ardu. Il ne s'agit pas du tout d'un ouvrage destiné au grand public (si vous souhaitez vous initier à l'art rupestre, ne commencez surtout pas par ce livre). S'il n'est pas nécessaire de connaître tous les archéologues auxquels l'auteur fait référence, il est néanmoins utile de savoir où l'on met les pieds, sous peine d'être complètement perdu, notamment lorsque l'on a affaire à des expressions concernant les datations comme "6000 cal BC". Ce n'est pourtant pas ce qui rend la lecture difficile (il est tout de même aisé de se renseigner sur les systèmes de datation en archéologie). Michel Barbaza, dans les parties théorique, manie les concepts comme d'autres mangent des bonbons. Autant dire qu'il est entendu que les lecteurs se doivent de connaître Lévi-Strauss, Descola, Saussure, René Girard, et bien d'autres. "Les trois bergers" s'adresse donc au mieux à un public averti, plutôt érudit, à des étudiants passionnés, et, évidemment, à des professionnels. Pour autant, je n'affirmerai pas qu'il doit être réservé aux seuls passionnés d'archéologie, car son approche pluridisciplinaire peut le rendre intéressant, pour peu qu'on aime s'en mettre plein les neurones, aux yeux d'un public également curieux d'anthropologie, naturellement, mais aussi d'autres sciences humaines, d'histoire de l'art ou, pourquoi pas, de linguistique (discipline à l'origine du structuralisme).

Mais, et fort heureusement, cet ouvrage ne se contente pas d'énoncer des théories et de jongler avec des concepts. le recours à l'analyse interne étant très vite annoncé comme méthode, une grande partie du texte s'attache justement à l'analyse proprement dite des images - celles-ci consistant en des photographies, mais aussi en des relevés, davantage lisibles. Cette analyse, souvent assez développée, se révèle toujours claire et précise, même lorsqu'elle est succincte. de plus, on a choisi de faire varier la couleur de la police selon que le texte s'appliquait au cadre théorique ou à l'analyse des images, ce qui facilite la compréhension globale de l'ouvrage. C'est sans doute ce qui risque de passionner le plus les lecteurs, d'autant qu'on peut ne pas souscrire à la thèse de Michel Barbaza sur l'art et les mythes des têtes Rondes et des Bovidiens, mais en revanche profiter du corpus ici présenté et de l'étude structurale qui lui est appliquée. Dommage seulement que l'éditeur ne se soit pas donné la peine de préciser, à la suite des références des images (par exemple : fig.82), les numéros des pages sur lesquelles elles apparaissent : ça oblige régulièrement le lecteur à chercher à quelle page se trouve la fig.82, puis la fig.85, etc., etc. Pas très pratique...

Pour terminer, j'ai trouvé deux défauts notables à ce livre. D'une part, le style parfois franchement lourd, avec des phrases à rallonge et des répétitions qui rendent alors la lecture franchement pénible. D'autre part, le recours à l'histoire de l'art dans certains chapitres, qui m'a paru assez peu pertinent. Un ensemble de paragraphes, notamment, porte sur la transition Moyen-âge/Renaissance. Les allers-retours entre Néolithique, Moyen-âge/Renaissance, puis Paléolithique, rendent le propos assez confus. Ces références ne me paraissent d'ailleurs pas du tout nécessaires pour étayer l'argumentation de l'auteur. Cependant, ce livre présente une grande qualité : celle de ne jamais imposer une voix unique, mais d'interroger constamment le lecteur, de lui proposer des pistes et de préparer l'avenir. L'archéologie du Sahara en a bien besoin, puisqu'on a tendance à la délaisser depuis de nombreuses de années.



Masse Critique générale
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A une époque reculée où des voies d'eau parcouraient encore le Sahara, une civilisation de pasteurs nomades mit en images sur des parois rocheuses ce qui peut se lire comme des narrations de faits et gestes de la vie courante. Cette belle et très complexe étude sur l'art rupestre saharien en recherche le sens et tente de nous renvoyer directement à l'univers mental de ces lointains artistes. Elle ne recense pas tous les sites mais n'en montre pas moins de très nombreux parmi les plus intéressants et les plus représentatifs. Conduite par Michel Barbaza, archéologue et professeur à l'université de Toulouse-Jean Jaurès, elle s'adresse à un public averti et suppose de se sentir à l'aise avec quelques concepts théoriques issus du structuralisme - c'est l'aspect un peu rêche de la lecture -, mais elle reste cependant très abordable pour quiconque voudrait aller au-delà des interprétations magico-religieuses ou chamaniques données de ces représentations au XXe siècle ("Les Chamanes de la préhistoire", Jean Clottes, 1996 ; "L'Art rupestre en Afrique du Sud : Mystérieuses images du Drakensberg", David Lewis-Williams, 2003). Cette étude rend possible diverses lectures, dont l'une plus artistique, détachée de son cadre théorique ; une manière de se laisser prendre d'abord par les images : "L'appel du Hoggar" (Frison-Roche, 1936, cité dans la bibliographie très conséquente en fin d'ouvrage).

Ces remarques préliminaires étant faites, l'interprétation mythologique du discours sous-jacent aux images de l'art rupestre saharien proposée par Michel Barbaza a de quoi séduire et vraiment dépayser. Par sa méthodologie l'auteur ouvre de vastes perspectives dans le domaine de la recherche sur l'art rupestre saharien et africain (existe-t-il un fonds mythologique commun à l'échelle de l'Afrique, la question est posée) qui élargit passablement les vues sur l'art en général. Sa pensée décloisonnante paraît salutaire dans un domaine où les regards sont restés rivés à des horizons trop étroits pendant longtemps dans ce domaine. La découverte de Chauvet a contribué à faire tomber un certain nombre de poncifs. Tout le monde admet maintenant que la notion de "progrès" en art est inopérante (remise en cause de la chronologie évolutive de Leroi-Gourhan, qui par ailleurs a été un des premiers à prôner la pluridisciplinarité dans ses recherches).

L'ambition archéologique de Michel Barbaza largement exposée dans la première partie n'est autre que d'inscrire son travail dans la construction d'une anthropologie de l'art rupestre naissante, étendue à l'ensemble des massifs centraux sahariens et de faire converger les connaissances et les moyens de diverses disciplines partenaires à cet effet. L'anthropologie sociale et culturelle, l'archéologie préhistorique, dont il est spécialiste, et l'histoire de l'art. Son postulat de départ est très précis : "Les peintures et gravures rupestres sont des témoignages volontaires faits pour signifier." L'art rupestre est le media qui sert à véhiculer, par des moyens graphiques, une expression mythologique issue probablement d'un mythe originel, dont le sens reste à dévoiler, ce qu'il fait dans la dernière partie du livre.

Le Sahara recèle des vestiges d'art rupestre en abondance, connus depuis longtemps (Henri Lhote, Henri Breuil). C'est un véritable conservatoire à ciel ouvert. Sans entrer dans le détail des discussions fort complexes de datations qui l'entoure, cet art se développe tout au long du néolithique et durant la protohistoire pour atteindre sa pleine expression au VIe - Ve millénaires av. J.-C. ; il concerne les massifs centraux du Hoggar et ses satellites, région carrefour et zone refuge riche en abris naturels où une societé de pasteurs a pu s'épanouir dans "un contexte écolo-mutant", celui de l'Holocène, où la question de la domestication des animaux sauvages et l'aridification galopante sont devenues cruciales. Les travaux récents de Jean-Loïc Le Quellec, Slimane Hachi et de quelques prédécesseurs font autorité dans ce domaine (Alfred Muzzolini, Fabrizio Mori, Michel Tauveron).

Aller crapahuter dans le Hoggar pouvant s'avérer périlleux pour le moment, quiconque voudrait se délecter de ces visions extraordinaires d'hommes et de troupeaux en marche ou au campement, auxquels se mêlent parfois des animaux sauvages, devrait ouvrir ce livre. Car au-delà du texte très riche, existe en parallèle un surprenant et tout à fait passionnant récit en images, celui des fresques rupestres sahariennes, restituées sous forme de photos, de relevés au trait, de descriptions et de croquis abondants accompagnées de l'analyse et des commentaires de l'auteur. Il en repére les dispositions internes et l'ordonancement et en recherche la structure mythologique oubliée dont il tente de décrypter le sens et dont les développements trouvent leurs appuis dans l'oeuvre de Claude Lévi-Strauss abondamment citée (Tristes Tropiques, 1955 ; "Anthropologie structurale", 1958 , 1973) ; La Pensée sauvage 1962 ; Mythologiques 1971 ; Le Regard éloigné, 1983), mais aussi chez Marcel Griaule ou Pierre Clastres. L'ethnologue et préhistorien André Leroi-Gourhan ("Préhistoire de l'art occidental") avait déjà utilisé un cadre structuraliste pour développer sa propre hypothèse interprétative en 1965.

Ayant défini l'espace de son étude (massifs centraux sahariens/Hoggar et périphériques), examiné quelques modèles de sociétés pastorales récentes pour ce qu'elles auraient de pertinent à révéler (matriarcat, relation à l'animal, rite sacrificiel etc.), toujours à l'aulne d'un "comparatisme ethnographique raisonné", et déterminé une méthodologie, l'auteur dévoile un extraordinaire patrimoine dont l'art peut se décomposer en quelques grands cycles picturaux. C'est du moins une des hypothèse développée : un art archaïque et monumental, exubérant et fantastique appelé "Têtes rondes" correspondant à la phase de domestication des animaux sauvages, visible dans les abris du Tassili-n-Ajjer, auquel succéderait "le Bovidien" à l'ère d'un pastoralisme nomade installé, plus narratif et plus réaliste, introduisant une forme de perspective, et enfin le "Caballin" puis le "Camelin" quand l'aridification totale du Sahara a mis fin à l'activité pastorale bovidienne.

Dans cette chronologie, quelques grands panneaux vont servir de modèle archétypal à sa démonstration, comme celui de Timidouine 12 et 12 bis (Hoggar, Algérie) ou d'Iheren (Tassili-n-Ajjer, Algérie). Mais d'autres oeuvres lui fournissent de manière plus fragmentaire les thèmes principaux ou subsidiaires des récits en images susceptibles de fonder une mythologie probablement en consonance avec les contraintes environnementales et socio-économiques du moment. La paroi ornée est une référence mémorielle, pour le groupe, dont l'enjeu est le maintien de son équilibre et de son harmonie. Ainsi, la fréquence des représentations de trois personnages accompagnés de leurs brebis (référence au titre "Les trois bergers") en groupe isolé, dans des contextes différents, a permis leur identification dans le Tassili-n-Ajjer comme unité mythologique ("mythème"), participant à véhiculer le mythe. A chaque fois, c'est l'analyse de la paroi ornée qui guide l'interprétation devant mener à l'essence du mythe. Le fil narratif peut cependant changer, au gré de thèmes divers (le troupeau, l'échange, la collecte, la danse, la chasse etc.), le sens profond de l'image n'en reste pas moins à rechercher au-delà de la réalité montrée, grâce au cadre structuraliste, c'est l'objet de la deuxième et de la troisième partie du travail.

Le processus de fabrication des images qui est au coeur de l'étude et en constitue un morceau passionnant, conduit à dégager des structures qui sont au fondement de toute pensée créatrice et permettent des parallèles audacieux avec des périodes beaucoup plus proches de nous (fin du Moyen-Age et Renaissance). Conscient des limites de tout comparatisme abusif mais rompant avec la frilosité habituellement de mise, Michel Barbaza convoque, par exemple, un retable gothique, une fresque de Giotto ou une annonciation du Greco, non pour relever de quelconques analogies stylistiques, mais pour montrer comment se dégage, à une époque donnée, un socle de compréhension représentatif d'une pensée collective. De même faut-il remonter de la paroi à la pensée collective qui a pu susciter les images rupestres pour en comprendre la portée. La méthode et les visions qu'elle suscite sont extrêmement stimulantes pour l'esprit. On renoue ici avec certaines des vues d'Henri Focillon, d'Ernst Hans Gombrich ou d'Erwin Panofsky ("La perspective comme forme symbolique et autres essais"), mais on découvre aussi les travaux plus récents de Philippe Descola ("La Fabrique des images. Visions du Monde et formes de la réprésentations") ou Jean-Dominique Lajoux.

Les lectures trop univoques issues de l'ethnographie, les analyses esthétiques, chrono-stylistiques ou formelles ont limité la portée de cet art le réduisant à sa vision purement documentaire de simple chronique du quotidien et occulté, pour l'auteur, l'essentiel : les symboles et le sens profond caché que l'image est chargée de produire dans une societé sans écriture. Si cet aspect des choses n'a jamais été nié par le milieu scientifique, il n'a en revanche jamais vraiment été étudié. Michel Barbaza a pris le risque de s'y aventurer dans une logique pluridisciplinaire et sans jamais pratiquer l'exclusive : s'il se démarque des interprétations en vigueur au XXe siècle, il estime que des rituels magico-religieux ou chamaniques peuvent s'agréger au processus mythologique recherché. Son interprétation n'est pas une vaine recherche, comme le penseront certains, mais l'amorce d'un travail gigantesque qui reste à accomplir, une belle pierre occitane à l'édification d'une anthropologie de l'art rupestre que l'auteur appelle de ses voeux.

Une lecture au long cours comme je les aime, bien qu'un peu conceptuelle, mais de quoi tout simplement s'instruire et rêver, c'est la promesse du titre alors que le sommaire ne le laisse pas forcément présager. Superbe travail enchâssé dans une reliure éditeur de qualité, Merci à Babelio et aux Presses universitaires du midi pour cet envoi.
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Les trois bergers : du conte perdu au mythe retrouvé, pour une anthropologie de l'art rupestre saharien est un bel ouvrage dans tous les sens du terme, dont l'objectif annoncé est d'étudier l'art rupestre saharien néolithique dans une optique multidisciplinaire.
Les méthode de l'archéologie, l'ethnologie, l'ethnographie, l'histoire de l'Art et de l'étude mythologique y sont donc tour à tour et parfois simultanément mises à contribution dans l'analyse de nombreux relevés pariétaux des massif centraux sahariens, mêlant les analyses archéologiques très formelles et richement illustrées à des considérations et des thèses plus globales sur les problématiques dans lesquelles s'inscrivaient très probablement les peuplades pastorales à l'origine de cet art, sur leurs rapports avec leur environnement, les membres de leur groupe social, leur troupeaux, qui tiennent une importance primordiale dans les représentations, mais aussi de ce que l'on sait de l'évolution historique du peuplement de cette région du monde...

Cette multiplicité des outils d'analyse et des approches conjugué à l'étude détaillée de très nombreux relevés permet un ouvrage très riche et très érudit, qui explore la majorité des dimensions que peut avoir cet art rupestre tout en restant toutefois très pédagogique et relativement accessible au lecteur néophyte dont je confesse être un exemplaire.

L'analyse stylistique des langages picturaux et la variété de ces dernier est un premier point d'intéret : les compositions, les couleurs, la représentation de l'espace, le passage de scènes très réalistes à d'autres où la représentation et la gestion de la perspective et de la profondeur de champs changent l'optique et ancrent peut-être les oeuvres dans un dialogue avec le surnaturel... Il y a beaucoup à voir et à admirer, ainsi qu'à interpréter.
Mais l'un des aspects le plus passionnants de l'ouvrage est à mon sens la reconstruction du motif : l'auteur part de la thèse largement accréditée en archéologie que les peintures rupestres traduisent en images des récits mythologiques dont on ne sait plus rien, puisque cet art est très souvent la seule trace de ces civilisations qui nous soit parvenu... Mais il ne s'arrête pas là, et l'approche anthropologique permet de faire émerger couche par couche des éléments de sens et d'interprétation, ainsi que des éléments graphiques ou stylistiques récurrents, des thèmes qui de par leur répétition et des similarité de postures, ou d'agencement semblent clairement s'inscrire dans cette "matière mythologique" saharienne, l'exemple plus plus important étant les trois figures humaines récurrentes accompagnées de troupeaux - les fameux trois bergers qui donnent son titre à l'ouvrage -, présentant des variations de contextes et des fragments de récits, qui permettent de distinguer des acteurs ou des moments clés du ou des mythes, mais également plusieurs thèmes de ces derniers...

Mon bagage d'histoire de l'art comme d'Histoire tout court ne couvraient guère le néolitique, encore moins saharien, et l'ouvrage de Michel Barbaza a su me surprendre et m'intéresser par son approche du sujet, la richesse des illustrations (Les trois Bergers est par ailleurs un bel objet d'éditions, ce qui ne gâche rien), celle des analyses, et l'ampleur toujours étayée de son propos...
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Si de nombreux travaux, dont certains remarquables, ont eu la clairvoyance d'attribuer à l'art préhistorique une dimension mythologique, il ne s'en trouve guère qui aient fait l'objet d'une approche structuraliste analogue à celle dont ont bénéficié des mythes de diverses origines, rapportés par la littérature orale ou écrite. Soucieux de prudente et louable réserve, cet état d'esprit ne peut cependant guère supporter davantage qu'une analyse effleurant l'étude du cadre de production et identifiant des mythes connus derrière certaines compositions. Dans d'autres cas, pour des périodes souvent plus anciennes pour lesquelles tout discours direct a disparu, seule la valeur documentaire des détails de la vie quotidienne et matérielle des populations est retenue. Cette attitude est peut-être la seule raisonnable ; elle s'inscrit dans la longue patience de l'archéologue retenu par le caractère "archéographique" des données auxquelles il est confronté. Des choix plus risqués mais aussi plus prospectifs peuvent néanmoins être avancés.

"Pour une approche structuraliste de l'art saharien", p.102
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Représentations "Têtes Rondes" et bovidiennes renvoient, toutes deux, à un imaginaire collectif structuré autour de mythes graphiquement synthétisés et mis en scène sous des formes expressives et significatives pour leurs créateurs et, vraisemblablement aussi, pour ceux qui les regardaient. Chacune des deux formes relève cependant d'environnements mentaux très sensiblement différents : parfois inquiétants, mystérieux, ésotériques pour les premières, avec leurs créatures fantastiques et leurs représentations anthropomorphiques disproportionnées ; à dimension totalement humaine pour les secondes, y compris dans le traitement de l'espace, parfois au point de paraître relever de la narration banale, quotidienne et domestique, décourageant devant tant d'évidences ethnographiques une approche anthropologique des mythes dont les panneaux bovidiens sont l'expression graphique.

" La perspective et la psychologie de l'art", p.88
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L'art des "Têtes Rondes" a toutes les chances de conserver une très large part de mystère, car il inscrit beaucoup de ses préoccupations dans le registre du surnaturel et de l'absolu ; il illustre ainsi peut-être une part des relations entretenues par des populations en évolution socio-économique rapide avec le ciel météorologique et avec les cieux. Par contre, celui des Bovidiens, volontiers plus réaliste et narratif, peut laisser percevoir au travers de ses véritables mises en scène que les hommes ont su organiser, sur les parois proches de leurs lieux de parcours et de séjour, des détails de la vie quotidienne et, plus encore, à partir des constantes de l'organisation de leurs œuvres, une part importante, peut-être fondamentale, de leurs préoccupations.

"Pour une approche pluridisciplinaire de l'art préhistorique saharien", p.77
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Les études d'anthropologie structurale ont démontré que l'emprunt de structures mythologiques par un groupe à un autre groupe voisin pouvait se produire quelle sur soit la nature de leurs relations, à la condition que l'emprunt soit permis et suscité par le contexte récepteur. Cet emprunt est néanmoins toujours sélectif ; il est orienté de telle sorte qu'il permette d'orienter et d'illustrer, serait-ce au prix de modifications et d'inversions sémantiques, un aspect essentiel de la construction mentale de l'emprunteur. L'emprunt ne fait que donner un nouveau visage à une structure laissée intacte.

"Pour une approche pluridisciplinaire de l'art préhistorique saharien", p.71
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Quoi donc entre la période des "Têtes Rondes" et le Bovidien ? Et d'abord, quels rapports de dépendance les deux ensembles peuvent-ils entretenir entre l'hypothèse d'un fort écart chronologique et celle d'une succession sans discontinuité autre que formelle entre les deux ? Enfin, quels changements pour quelles conséquences dont l'essence a été saisie, telle que nous la percevons, par l'art des mythes ?

" La perspective et la psychologie de l'art", p.88
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