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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
rien de bien nouveau dans cet essai. Je pense que la plupart d'entre nous se sont déjà posé la question.
Des faits déjà connus, comme l'expérience de Milgram, le film "Lacombe Lucien", des portraits de résistants et de Justes.
Quant à la partie "uchronie", en se basant sur la vie de son père et la personnalité de l'auteur, c'est assez perturbant, et je ne suis pas convaincue. Cela reste un exercice de style intellectuel.
Sinon, vraiment intéressant pour ce qu'il aborde également d'autres génocides et pose la même question.
Bref, je ne regrette pas de l'avoir lu, il force à se poser au moins la question et a essayer d'y répondre en prenant les mêmes bases. Bref un essai qui laisse des traces dans l'esprit.
Lien : http://mazel-pandore.blogspo..
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La question taraude tous ceux qui s'intéressent à la Deuxième Guerre mondiale et à L Histoire en général. Et moi dans tout ça? Généralement, on refuse d'y répondre, arguant du fait que les époques sont trop différentes, que le hasard joue un rôle trop important, que l'histoire-fiction n'est qu'un jeu bourré d'incertitudes. Pierre Bayard s'y essaie néanmoins, mais il le fait avec prudence, en s'appuyant sur des expériences psychologiques et des exemples historiques qui montrent à quel point entrer dans la résistance est difficile, à quel point cela implique une révolution intérieure ou une force en soi qui ne se manifeste qu'en des circonstances exceptionnelles. Ceux qui refusent les ordres, au nom de quoi le font-ils? Au nom d'un ordre supérieur s'impose à eux, comme cet ambassadeur portugais qui distribue des visa à tour de bras malgré Salazar ou ces Justes qui sauvent des gens parce qu'ils ne peuvent faire autrement. On leur demande de l'aide. Ils doivent donc aider. Ce n'est pas plus compliqué que cela. Pourtant, beaucoup refusent cette aide. Pierre Bayard se situe, en s'imaginant à la place de son père né en 1922, du côté des inactifs, de ceux qui voudraient bien faire quelque chose mais qui attendent le déclic. La majorité est dans ce camp-là, celui des immobiles, freinés par la peur, l'image de soi face à la société, la paresse.

Et moi? La question, bien sûr, est encore plus problématique. Je suis suisse, donc plus ou moins en dehors du (ou plutôt encerclé par le) conflit. Si j'avais été à la place de mon grand-père, né en lui aussi en 1922, qu'aurais-je fait? Comme lui, j'aurais fait la mob, caché dans les Alpes, persuadé que si Hitler venait, il serait accueilli de pied ferme. Mon autre grand-père s'était trouvé à la frontière, au Tessin. Il me semble l'avoir entendu raconter que des Juifs fuyaient l'Italie fasciste et tentaient de passer en Suisse. Je ne sais pas ce que grand-papa a fait à ce moment-là et je ne le saurai jamais. Et moi?
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Mystères de la liberté intérieure.
Aurais-je été résistant ou bourreau? C'est le genre de titre racoleur qui me fait fuir! pour deux raisons. D'abord, quelle que soit la réponse, elle n'a aucune valeur puisque seule l'expérience peut la valider (ou non) et que celle-ci est impossible vu que nous situons l'hypothèse dans le passé. Ensuite, l'option choisie nous apparaît seulement comme une mise en scène, une représentation du caractère que l'auteur veut donner de lui-même et le recours à la guerre comme un moyen de séduire le lecteur. Mais alors pourquoi avoir lu ce livre dans son intégralité? Malgré une quatrième de couverture peu engageante, il y avait aussi le nom de l'auteur: Pierre Bayard dont je connaissais déjà un certain nombre de livres et qui m'avait habitué à un certain décalage entre les intitulés et le contenu de ses ouvrages. Et c'est encore ici effectivement le cas: ce qui compte, ce n'est pas la réponse mais le chemin qui est censé y mener.
Pierre Bayard nous parle en fait de la liberté humaine et surtout de la façon dont on l'exerce et la manifeste dans la pratique. La Seconde guerre mondiale n'est là qu'à titre d'exemple concret qui organise la fiction du livre et de la vie imaginée par l'auteur s'il était né, comme son père en 1922. En bon psychanalyste, il nous montre que cette liberté est contrainte et limitée par les autres (soumission à l'autorité, conformisme de groupe) autant que par soi-même (conflits intérieurs: éthiques, religieux, philosophiques, …). Mais surtout il constate que, la plupart du temps, cette liberté ne nous pousse pas à nous engager dans des actions protectrices des victimes (comme les Justes) voire dans des actions de rébellion (comme les Héros). Ce qui conduit Bayard à s'interroger sur les “bifurcations” de notre vie et les “points de bascule” qui, grâce à un saut dans l'inconnu, permettent à certains individus privilégiés de mettre concrètement en accord leurs convictions profondes avec leurs actes.
Le but de l'essai de Bayard apparaît bien comme une tentative de”penser ce que je suis en profondeur” (p.15). Vu sous cet angle, le livre prend toute sa dimension psychologique et son intérêt devient patent. de plus, la démarche de l'auteur s'avère accessible et originale associant de façon vivante et documentée une recherche théorique et une fiction personnelle. Encore un livre de Pierre Bayard que je recommande chaudement!!
NB: 3 livres à ajouter à ma PAL:
Milena de Margarete Buber-Neumann.
Un Si Fragile Vernis d'humanité de Michel Terestchenko.
Des Hommes ordinaires de Chritopher Browning.
ainsi qu'un film à revoir: Lacombe Lucien de Louis Malle
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Pierre Bayard tente de cerner ce qui fait les héros. Ou les bourreaux, à l'instar de l'horrible 101ème bataillon allemand de l'Ordnungspolizei qui interroge les férocités potentielles d'hommes ordinaires. À cette fin, il imagine être à la place de son père dans les circonstances qui ont précédé la seconde guerre et, s'appuyant ce qu'il présume connaître d'eux deux, dans l'ignorance de sa propre personnalité potentielle – ce que les freudiens appellent l'inconscient – il essaie d'en déduire un comportement plausible face au régime de Vichy et à l'occupation allemande, qui serait soit la résignation soit une bifurcation vers la résistance ou l'étranger pour mener la lutte. On comprend immédiatement les réserves qu'il convient d'appliquer à ce schéma, bien que l'expérience de pensée tienne la route et que les déductions émises par l'auteur me paraissent résister solidement aux objections formulées à l'encontre de la méthode. L'essai est clair, méthodique et documenté.

Il s'agit du travail d'un psychanalyste et par conséquent il peut s'avérer ennuyeux d'être confronté aux sempiternelles notions d'inconscient, de cette force nucléique sacrée, coeur mystérieux et insondable de l'être humain qui, au bout d'un parcours conduit de manière rationnelle, demeure intact à la fin de la démonstration. Tout cela pour en arriver là, diront certains. Et quand l'auteur, au terme de la préface, prévient : "...il n'est pas impossible de considérer que ce livre, consacré à essayer de capter la force qui se trouve en chacun et ne se développe que chez quelques-uns, est un livre sur Dieu.", d'aucuns diront qu'avec Dieu, on explique tout et on n'explique rien. Ceci dit, il serait dommage de manquer la très bonne enquête de Pierre Bayard, qui certes, n'a pas omis, sagement, d'assurer ses arrières en indiquant le ciel.

"Aurai-je été résistant ou bourreau ?" parcourt, dans le cadre historique étroit de la Seconde Guerre mondiale (plus brièvement au Cambodge et en Bosnie en troisième partie), une série d'individus qui ont fait preuve de comportements résistants hors du commun. Parmi eux, André et Martha Trocmé (les Justes)[1], Hans et Sophie Scholl (La Rose Blanche)[2], Sousa Mendes[3], Milena Jesenska[4]. Il ressort que, chez la plupart de ces gens, l'engagement ne fut pas le résultat d'un choix conscient, sinon considéré a posteriori.
[...]
En conclusion, des mots de François Azouvi (Philosophie Magazine) : "La fécondité de l'hypothèse d'une dialectique entre personnalité potentielle et personnalité réelle, entre identité-ipse et identité-idem, et le recours à la narration pour figurer cette dialectique, ne peuvent pas dissimuler ce qu'a d'impalpable le moment où tout bascule. Pierre Bayard le sait comme quiconque."

Article complet sur le site (v ci-dessous)
Lien : https://christianwery.blogsp..
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A la question posée par cet essai mené avec brio, pour sûr, toi comme moi aurions été du bon côté, lecteur : tes bons sentiments, mon sens aigu de la justice nous auraient conduits, toi comme moi, vers des attitudes Justes ou Héroïques.

Mais à bien y réfléchir, qu'en est-il de mon sens de la hiérarchie et de l'obéissance inculqué très tôt par un père qui dominait par la force... qu'en aurait-il été de mon incapacité à supporter la douleur physique... et aurais-je été si téméraire si cette témérité avait mis en danger ne serait-ce qu'un cheveu de ma fille... n'aurais-je pas accepté un peu de réconfort allemand si ça avait été la seule chaleur humaine qui se serait offerte à moi et qu'en plus elle m'avait apporté quelques avantages supplémentaires à partager avec une soeur, un grand-père ou une amie...

Juge pas trop vite, lecteur, les jugements hâtifs, semble-t-il, ne font que cacher l'évidence que qui que tu sois, t'aurais toi aussi pu effectuer cette "bifurcation" qui a fait que tant d'hommes et de femmes ont, sinon collaboré, au moins fait le dos rond.

Conflit éthique oblige, lecteur, reconnais, au moins en ton fort intérieur, que les doubles qui sommeillent en toi échapperaient certainement à celui ou celle que tu as la chance d'être aujourd'hui alors que tu es né en temps de paix, rien n'est plus sûr.

Je n'absous rien, lecteur, et l'auteur non plus d'ailleurs, il pose juste le nez dans le caca de sa conscience, et je ne t'apprends rien : ça pue pas mal, en fait, le caca...
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Et pour d'autres lectures qui sentent plus ou moins bon, rendez-vous aussi sur Instagram :
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Plus encore que les générations suivantes, j'imagine que tous ceux qui ont vu le jour au lendemain de la seconde guerre mondiale se sont à un moment donné posé cette question : Aurais-je été résistant ou bourreau ? Pierre Bayard, bien que né en 1954 et donc baby-boomer tardif, ne fait pas exception à la règle. Mais il est allé plus loin et s'est transposé en esprit dans le passé. Potentiellement né en 1922, comme son père, il imagine alors quel aurait été son destin tout en respectant certaines règles scientifiques, comportementales, circonstancielles ou familiales.

Comme toujours avec les essais de Pierre Bayard, ce livre ne se cantonne pas, si je puis dire, à revisiter l'histoire d'un individu mais va bien au-delà et propose même plusieurs niveaux de lecture. Dans un premier temps, on peut y voir un livre sur la résistance - durant la seconde Guerre Mondiale mais pas uniquement. le psychanalyste s'interroge sur les modalités de l'engagement, sur la tendance à la soumission et la capacité de désobéissance. Logiquement, il revient longuement sur l'expérience de Milgam, durant laquelle un psychologue évaluait en 1963 le degré d'obéissance d'un sujet devant une autorité qu'il jugeait légitime. Où se situe le point de bascule qui permet aux uns de s'insurger quand les autres collaborent ? Pourquoi certains seulement passent-ils à l'acte ? Et pourquoi d'ailleurs certains seulement répondent-ils à l'appel de la désobéissance ? Cela aurait-il à voir avec une forme de foi ? Dieu a-t-il quelque chose à voir dans tout cela ? Vaste question. Dans cet essai, comme on peut le constater, l'auteur s'interroge autant sur l'aptitude des citoyens à se soumettre que sur l'existence de Dieu !

Mais n'oublions pas que Pierre Bayard est également professeur de littérature à Paris VIII. Il y a donc une autre manière d'envisager ce brillant et passionnant essai : on peut y voir une réflexion sur la lecture. En effet, les exemples de romans mettant en scène des personnages confrontés à des choix étant nombreux, l'auteur fait un détour par la fiction pour inviter le lecteur non pas à juger du comportement des protagonistes mais à se mettre à leur place. C'est sans doute cet exercice, avec lequel il est particulièrement à l'aise, qui lui inspirera quelques années plus tard son essai sur Geneviève Dixmer.

Touchez mon blog, Monseigneur...
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La réponse à la question du titre : ni l'un ni l'autre –, si elle correspond à un réalisme statistique prudent et sage, n'est hélas ni glorieuse pour l'auteur (mais on l'eût condamné pour orgueil dans les cas contraires...), ni fondée sur un travail de fiction littéraire touffu, que promettait pourtant le Prologue, en introduisant les concepts de « personnage-délégué » et de « personnalité potentielle ».
À la place, nous avons lu une casuistique symétrique de conditions nécessaires (trois et trois) pour qu'un sujet, confronté à une situation de conflit éthique (un cas particulier du conflit psychique freudien) d'envergure, ici la loyauté au gouvernement de Vichy ou bien à la Résistance – avec quelques brèves incursions dans trois autres contextes plus récents : les massacres cambodgiens, la guerre en Bosnie et le génocide rwandais, « bascule » vers le « devenir-résistant » ou le « devenir-bourreau ». Chaque cas est étoffé par des exemples historiques – expériences ou figures – réels, la minuscule part de fiction se limitant à indiquer en quoi le « personnage-délégué », le narrateur de ces petites parenthèses romanesques, ne répondait pas à la condition nécessaire requise ou éventuellement quel ajustement fictionnel l'aurait mené à y accéder... Il reste entendu qu'aucune des conditions nécessaires ne s'avère suffisante, et que cette dernière relève du mystère voire de la métaphysique.
Les conditions nécessaires à une « bifurcation » vers le passage à action, sont : le désaccord idéologique, l'indignation, l'empathie envers les victimes ; celles qui conduisent à l'abstention de l'action : la peur, les cadres de pensée, le défaut de créativité. le « point de bascule » peut avoir provenir « de soi-même », « des autres », « de Dieu » ou plutôt de la foi en Dieu.
Les cas utilisés pour illustrer les chapitres :
- pour le concept de « personnalité potentielle », le film de Louis Malle, « Lacombe Lucien » ;
- pour le « conflit éthique », l'expérience sur l'obéissance de Milgram à l'université de Yale ;
- pour la « bifurcation », le livre de Christopher Browning, Des Hommes ordinaires, sur le massacre des Juifs de Josefow en Pologne par le 101e bataillons de réserve de la police allemande ;
- pour le « désaccord idéologique », l'autobiographie de Daniel Cordier, le disciple de Maurras devenu assistant de Jean Moulin ;
- pour « l'indignation », La Promesse de l'aube de Romain Gary [Pierre Bayard étant par ailleurs l'auteur d'une monographie sur Gary, cette figure historique est étudiée dans le détail] ;
- pour « l'empathie », le récit du village du Chambon-sur-Lignon, dans les Cévennes, où furent hébergés de très nombreux enfants juifs, en particulier grâce à l'action du pasteur André Trocmé et de sa femme Martha ;
- pour « la peur », le récit de la Rose blanche, en particulier par le livre d'Inge Scholl sur ses frères Hans et Sophie ;
- pour les « cadres de pensée », le récit de l'acte de désobéissance du consul portugais à Bordeaux Aristides de Sousa Mendes, sur la concession de visas aux réfugiés ;
- pour la « créativité », la figure de Milena Jesenska, non comme muse de Kafka, mais par le témoignage qu'offre d'elle Margarete Buber-Neumann dans son ouvrage éponyme, relatif à leur amitié au camp de Ravensbrück ;
- pour la bascule opérée par « soi-même », le témoignage de Vann Nath dans le film du cinéaste cambodgien Rithy Panh : « S-21, la machine de mort khmère rouge » ;
- pour la bascule opérée par « les autres », le témoignage du général Jovan Divjak dans son autobiographie : Sarajevo, mon amour ;
- pour la bascule opérée par « Dieu », le documentaire de Marie-Violaine Brincard sur cinq Justes rwandais intitulé : « Au nom du père, de tous, du ciel » (2010).

Ces références et l'usage qui en est fait sont d'un grand intérêt ; une autre réf. citée transversalement et fréquemment est : Michel Terestchenko, Un si fragile vernis d'humanité. Banalité du mal, banalité du bien, La Découverte, 2005. [Pour mémoire, j'ajouterai aussi l'ouvrage collectif : Jacques Sémelin (et al. - dir.), La Résistance aux génocides. de la pluralité des actes de sauvetage, Presses de la Fond. Nat. Sc. Po., 2008].
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N°668– Août 2013.
AURAIS-JE ETE RESISTANT OU BOURREAU ? – Pierre Bayard - Les Éditions de Minuit.

Pour les gens de ma génération qui n'ont pas fait la guerre mais qui en ont entendu parler [beaucoup par ceux qui l'ont connue de loin, peu par ceux qui ont été d'authentiques héros], je me suis souvent demandé quel aurait été mon comportement pendant cette période troublée. Sauf bouleversement dans ma vie, je n'aurais certes pas été un délateur mais sûrement pas non plus un résistant héroïque, tout juste un tiède, comme la plupart des Français de l'époque. Mais le destin nous joue parfois de ces tours ! Je me suis dit que ce livre pouvait peut-être m'aider à clarifier mon propre questionnement.
L'auteur, né en 1954, tente de répondre à cette question en remontant le temps et en imaginant fictivement qu'il se trouve dans la situation de son père à la même époque parce qu'il a avec lui une similitude culturelle, des aspirations et un parcours communs. Il imagine donc une uchronie et se demande quelle aurait été son action dans ce contexte historique. Il a donc, fictivement, 18 ans en 1940, et élève d'hypokhâgne fuyant Paris se retrouve dans le sud de la France. Pour l'aider dans sa démarche d'analyse et de création, il convoque Louis Malle et Patrick Modiano pour le film « Lacombe Lucien », Daniel Cordier pour son engagement de Résistant, Stanley Milgram pour son expérience, Romain Gary pour ses romans et bien d'autres figures qui ont brillé par leur exemple...
C'est un texte dense, documenté, logique aussi dans son raisonnement, écrit par un universitaire et un psychanalyste qu'est Pierre Bayard et qui alterne entre fiction et démonstration. L'auteur y démonte les mécanismes qui amènent chaque homme face à une crise, soit à l'ignorer par peur, soit à s'engager pour y faire échec, soit à aider ceux qui en pâtissent. Il dissèque la « personnalité potentielle » que nous portons tous en nous et qui nous révèle, dans un tel contexte exceptionnel, tels que nous sommes réellement,même si l'image que nous donnons de nous-mêmes est peu flatteuse, fait la part du hasard, prend en compte les contraintes intérieures qui poussent les êtres à agir ou au contraire à s'abstenir, depuis les désaccords idéologiques et politiques jusqu'à l'indignation et l'empathie en passant par la soumission à l'autorité, le devoir d'obéissance aux ordres ou au contraire le devoir moral de refuser de les exécuter, le risque encouru par ceux qui osent sortir du rang et, au nom de leur conscience, de se singulariser. Il remet en cause au passage bien des idées reçues sur l'engagement personnel et sur les actions qui en découlent, détaille la nature de l'intervention du « bourreau » dans la « solution finale », le génocide rwandais ou la dictature sanguinaire de Pol Pot, analyse finement ce qu'il appelle « la personnalité altruiste ».
Quand il choisit de revenir à la fiction et de se mettre en situation de choisir entre De Gaulle et Pétain, il note son dégoût du régime de Vichy, son indignation face à ses agissements, sa sympathie pour les juifs mais aussi son incapacité à agir dans l'instant par peur de la dénonciation, de la torture et de la mort. Il est en effet peu indulgent avec lui, estimant que s'il avait vécu à cette époque, il aurait tenté de survivre dans la tourmente politique du régime de Vichy et aurait poursuivi ses études pour assurer son avenir en refusant l'action de résistance. Il se trouve quand même des excuses que le lecteur voudra bien admettre au nom de la peur ressentie. Les élèves de l'École Normale avaient pour ordre à l'époque de se tenir en dehors de toute action politique, même si en tant qu'institution, cet établissement ne partageait pas les idées du Maréchal. S'ils le faisaient c'était l'exclusion c'est à dire pour lui l'anéantissement d'années d'effort, l'effondrement d'un rêve familial, l'impossibilité d'entrer dans la Fonction Publique et donc de gagner sa vie, de fonder une famille comme il le souhaitait. Tout cela allait à l'encontre de l'exemple donné par de Sousa Mendes, ce consul du Portugal qui, en dépit d'une interdiction formelle de son pays, délivra, en juin 1940, plus de 30 000 visas à des juifs leur permettant ainsi de sauver leur vie, c'est à dire qu'il accepta délibérément de sortir du cadre existant pour n'agir que selon sa conscience. C'est, au sens de l'auteur, faire prévaloir la liberté simplement parce qu'on accepte de s'abstraire des contraintes mentales imposées, c'est aussi une manière de créativité puisqu'on invente ainsi une forme d'action qui est sans modèle préétabli. Ce n'est plus seulement un acte de résistance, c'est l'exploration d'une voie nouvelle qui met en évidence le concept de liberté, une véritable réinvention de soi. En ce qui le concerne, il avoue qu'il n'a pas ce courage et voit ici la raison de son défaut d'action. Il avoue quand même, malgré tout ce qu'il a dit auparavant et qui est de nature philosophique et altruiste que pour nombre de jeunes leur entrée personnelle en Résistance n'a pas été motivée par les rafles de juifs mais par l'institution du STO en février 1943 ! Pour lui c'est une véritable bifurcation qui le détermine grâce à des certificats médicaux à se faire affecter à la bibliothèque de l'École et attendre ainsi la Libération. Il parvient quand même à se dire que c'est là une forme de désobéissance et qu'il peut ainsi aider ceux qui ont fait le choix de la Résistance alors que son père n'a pu échapper au travail obligatoire en Allemagne.
Parmi tous ceux qu'il énumère et qui sont entrés en résistance, beaucoup sont croyants et s'estiment inspirés par Dieu. L'auteur qui, à l'inverse de son père, avoue être agnostique, ne peut justifier sa forme d'engagement, si faible soit-elle, par sa foi. Pour autant il admet que la démarche de ceux qui se sont engagés à résister, est de l'ordre du mystère et qu'il y a en nous un autre « moi ».

C'est donc un livre passionnant, agréable à lire, une fiction croisée avec un témoignage authentique qui donne l'occasion d'une réflexion sur l'éthique, d'un questionnement intime et peut-être d'une remise en cause personnelle.

© Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com







































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L'auteur tente de se mettre dans la peau d'un jeune homme qui aurait eu l'âge de son père en 1940 et d'imaginer la trajectoire qu'il aurait choisie, quels événements fortuits ou déclics auraient pu orienter son choix. Pour illustrer son propos, il s'appuie sur des exemples (film, expériences, témoignages, résistants, prisonniers) dans différentes guerres ou régimes sanguinaires,, des hommes ou des femmes qui ont été capables de surmonter la peur, la terreur, et qui, en raison peut-être de leur groupe social, d'une rencontre déterminante, d'une éthique, de leur foi, de leur capacité d'empathie, ont réussi à passer à l'acte, à s'engager activement. Une belle réflexion qui incite à faire sa propre introspection, à réfléchir à nos choix.
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Dans cet essai, on trouve une réflexion sur les bifurcations de la vie conduisant à (ne pas) s'engager dans l'action pour devenir un Juste ou un héros, dans des circonstances extrêmes.

L'auteur s'appuie sur quelques grands exemples empruntés à l'expérience des hommes et racontés ou rapportés dans des témoignages, des autobiographies, des essais ou des comptes rendus d'expérience.

Dans de courts chapitres très abordables, on croise ainsi, dans l'ordre, Lacombe Lucien (Malle et Modiano), Stanley Milgram puis Christopher Browning, Daniel Cordier, Romain Gary, André et Martha Trocmé, Hans et Sophie Scholl, Sousa Mendes, Milena Jesenska (et Kafka), Vann Nath, Jevan Divjak et cinq Justes rwandais.

Plus original, Pierre Bayard examine aussi les conditions dans lesquelles (ne) se serait (pas) révélée sa propre "personnalité potentielle" confrontée, une génération avant la sienne, aux tragiques événements des années 40.

On trouve enfin, devant Hannah Arendt effacée, des références assez fréquentes à quelques chercheurs et intellectuels qui se sont déjà saisis de ces questions : entre autres,
- Bayard lui-même à propos de l'image de soi déterminante dans l'engagement de R. Gary (Il était deux fois Romain Gary, 1990) ;
- Tzvetan Todorov pour sa distinction entre le Juste et le héros ou sa réflexion sur la responsabilité (Face à l'extrême, 2003) ;
- Samuel et Pearl Oliver, dans un titre programmatique : The altruitic Personality - Rescuers of Jews in Nazi Europa, 1988 ;
- Stéphane Israël à propos de l'évolution de l'ENS pendant la guerre : Les Normaliens dans la tourmente (1939-1945), 2005 ;
- José-Alain Fralon étudiant le Juste de Bordeaux (1988).

Et, plus largement sans doute :
- Harold Walzer qui propose notamment les notions de "cadre de référence" et de "marges de manoeuvre" : les Exécuteurs. Des hommes normaux aux meurtriers de masse, 2007 ;
- Michel Terestchenko dans Un si fragile vernis d'humanité. Banalité du mal, banalité du bien, 2005, pour la "présence à soi" plus substantielle qu'un "moi" relationnel fondant "cette identité d'emprunt, cette identité vide, qu'est l'image sociale de soi" (op.cit. page 290) : on a envie de poursuivre là sa lecture.

Aurais-je été résistant ou bourreau ? Un livre intéressant - une belle collection de notices commentées - qui ne parvient cependant pas toujours à dépasser les généralités échangées dans la conversation de personnes qui "posséd[ent] l'intelligence" (page 171).
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