Il faut l'épreuve de la vie, en effet, pour que la délivrance soit plus qu'un rêve.Et même dans la vie, même dans la vie de Mozart, il faut il bien se résigner à penser que ces moments de libération, de vraie joie dont la fin de Cosi fan tutte est exemple, ne sont, en un sens, que rêves, puisqu'ils sont nés dans une oeuvre, et ne dureront dans la pplus noble existence que troublés par l'ineffaçable mélancolie.- Mais un rêve de cette sorte, un rêve comme Mozart en renflamme la magnifique lumière, est-ce si peu, après tout ? N'est-ce pas suffisant pour nous préserver de la solitude, du nihilisme ?Une dernière remarque : le ciel du soir, avec ses grands nuages pourpres, à la fois irréels et suprêmement réels, disais-je des quatre protagonistes à la fin de Cosi fan tutte.Mais qu'est-ce qui aura été davantage ce ciel, avec des nuées superbes, étincelantes dans leur couleur à la Tiépolo, et de la foudre parfois, mais aussi des zones de calme, que cette Europe de 1791, qui voit finir un monde, mais riche encore de tous ses biens ? (...) C'est comme si nous n'étions pas capables, en Occident, de ce qui est pourtant notre grand possible, la fin de Cosi fan tutte.c'est comme si nous avions toujours à vivre le vertige de Don juan, et devions donc toujours à la fois désirer et redouter la venue, désastreuse, du Convive de pierre.
Les derniers livres d'Yves Bonnefoy (1923-2016) expriment son désir de transmettre le legs de la poésie par-delà la mort. « Lègue-nous de ne pas mourir désespéré », lit-on dans L'heure présente (2011). Quant à L'Écharpe rouge (2016), c'est un « livre de famille » testamentaire en même temps que l'histoire d'une vocation : « Il se trouve que j'étais apte à me vouer à l'emploi disons poétique de la parole… »
La Pléiade fut pour Bonnefoy l'occasion de porter sur son oeuvre un regard ordonnateur. Il choisit le titre du volume, Oeuvres poétiques, sans céder sur son désir de faire figurer au sommaire quelques textes brefs que l'on qualifierait spontanément d'essais. Tous les livres ou recueils poétiques, vers, prose, ou vers et prose, sont présents. Bonnefoy ne se reniait pas ; il a souhaité donner dans les appendices quelques textes rares. Il a voulu aussi que soit présente son oeuvre de traducteur, de Shakespeare à Yeats, de Pétrarque à Leopardi. Enfin il a ouvert à ses éditeurs les portes de son atelier.
« Le souvenir est une voix brisée,
On l'entend mal, même si on se penche.
Et pourtant on écoute, et si longtemps
Que parfois la vie passe. Et que la mort
Déjà dit non à toute métaphore. »
L'heure présente, Yves Bonnefoy
À lire – Yves Bonnefoy, Oeuvres poétiques – Coll. La Pléiade, Gallimard 13 avril 2023.
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