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EAN : 9782070324569
256 pages
Gallimard (02/02/1988)
3.83/5   3 notes
Résumé :
"Je publie des poèmes depuis quarante ans. Ils correspondent à un besoin que, loin des métaphysiques, je dois qualifier de corporel. Les sens, les nerfs et l'illusion de me libérer de ma peau y participent. Je les nourris de concepts ou d'images, d'idées transmissibles ou de rapports qui demeurent, même pour moi, des énigmes. S'ils suivent un élan, ils naissent aussi d'une volonté à combattre la volonté : on aime s'investir d'un pouvoir extérieur à soi. Je discerne ... >Voir plus
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
Le mois de mai

Le printemps est joli, je vous assure :
on dirait un baiser.
Le renouveau de la nature,
puis-je le mépriser
quand l'hirondelle étroite me demande
s'il faut percer l'azur
et, volant par-dessus la lande,
atterrir sur mon mur ?
Le cœur est jeune aussi, je vous parie,
sans en être certain;
même les pierres se marient
dans le petit matin.
A mon réveil, je découvre un poème
qui semble réussi :
d'emblée, je l'adopte et je l'aime,
au prix de quels soucis ?
Je voudrais tant oublier la souffrance
et me dire conquis
par l'univers, que je dispense
de me démontrer qui
pourrait le déranger. La joie soulève
l'océan agité ;
le mois de mai n'est pas un rêve
et je dois le chanter.
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Alain Bosquet
Ça va, planète ?
Mais tu rétrécis, comme sous l'oranger la vieille orange.
Je n'aime pas les mondes réussis ; le mien a sa vertu : il me dérange.

L'oiseau de paradis, je l'ai plumé.

Je me survis, déplorable merveille.

Consommateur, tu seras consommé

au cours du grand festin chez les corneilles.

J'ai lu
Karl
Marx, le
Talmud, le
Coran.
Insatisfait, je rédige ma
Bible pour moi tout seul et me porte garant de mon déclin : j'incarne l'impossible.

Me contenter de la peau et de l'œil ?
J'ai déposé mon cerveau à la banque, n'en ayant plus besoin : je suis au seuil de mon inanité.
Ce qui me manque,

c'est le sens du réel.
Un angélus,

une musique, un vallon, un village ?

Nous revenons à l'ère de l'anus.

La chair s'affole et nous prend en otage.

Comme un smoking, l'idéal s'est usé, l'amour étant affaire de chemises.
Souris, mon âme : on va téléviser ton profil incongru !
Je dépayse,

par quelques fables, mes contemporains.

De
Gaulle, connais pas !
Va-t'en, jeune homme !

Hitler, qui c'est ?
On m'enlève les reins.

Le « on », le « je », le « moi » : faites la somme,

rien qui convienne à la moindre fourmi.
Ovaire congelé, sperme à distance : l'être humain se soumet au compromis entre sa mort et son inexistence.

Mon cœur se plaint de moi sur les écrans, puis il appelle à l'aide la police.
Calculs de la chimie, si je m'éprends, c'est grâce à elle, ô muqueuses factices !

Moi, je refusé de me ressembler.
Une interview de
Dieu en trois séquences, pour dix mille dollars : j'ose en parler, étant son biographe qui dépense

fortune après fortune en sa faveur.
L'époque est à l'absurde; il vente, il neige, selon ce que choisit l'ordinateur.
La dignité commence au sacrilège.

Nous aurons vingt poumons, dans le futur, deux cents genoux, un arbre de paupières.
Je me cramponne à mon siècle trop mûr, trop jeune, ô préhistoire, avant-première

d'un film où l'homme sera spectateur, vedette, synopsis et pellicule.
Respire, ô mer, emporte les rêveurs et transforme en corail mes crépuscules !

Être ou non-être, ainsi va le neutron.
Le monument aux morts oublie sa guerre.
Pour
Jésus-Christ,
Bouddha est un larron.
Si je crois que ma fable dégénère,

je la repeuple : un choix de pangolins assis sur la montagne, une orchidée qui s'exprime en tremblant, des mots félins qui savent rebondir sur une idée.

À aucun prix je ne dois m'émouvoir : mon seul honneur est de me mettre en cause, de la vertèbre au verbe et du miroir jusqu'au vertige.
Est-ce toi qui disposes

de mon squelette, ô dieu du gel,
Hasard, ou toi, déesse athée,
Désinvolture?
La vérité s'éclipse devant l'art et le rêve insensé, les seuls qui durent.

À quoi travaille un poète impuissant ?
Il dit ce qui n'est pas, petite histoire où rajeunissent l'âme avec le sang; c'est sa façon de rester dérisoire.

Je n'ai pas de profil ni de couleurs, puisque le paroxysme est à la mode, et je deviens limace dans ma peur.
Au fond de moi, je subis mon exode ;

mon intestin peut-il me digérer ?
Sortons, sortons !
L'azur est au beau fixe.
Le chirurgien viendra nous réparer. Ô palme douce, ô le gazon prolixe,

une colombe efface mes affronts.
Identité, fruit de l'informatique, tu es perdue : nous ne te défendrons ni par l'instinct ni par les lois iniques.

Papa, maman, allons au lit d'abord, sans décider de quel sexe nous sommes.
Incestueux, la vertu et le tort ont copule comme la femme et l'homme.

Lois du vagin, et les dieux sont poilus !
C'est sous la peau que notre peau se glisse.
Mon livre est mort chez les livres trop lus.
Proverbe ou chair, je vantais l'orifice

sans contempler ces beaux navires blancs qui vont avec lenteur parmi les cygnes.
Où est ma capitale ?
Un vieux biplan survole ma maison, comme on souligne

un passage râpeux dans un récit.
Pas de logique !
On vit par les syncopes, penché sur le néant, fourbu, assis, malin.
Même un moineau est interlope.

Ma seule hygiène : enfin me trépaner !
De mes abus je fais mes pénuries.
Je divorce de moi, simultané, ombre d'une ombre épaisse, et je parie

contre moi-même, comme au casino pour mieux se respecter on veut sa perte.
Le givre, une colline, ces canaux : j'ignore la nature; elle est offerte

à mon poème et à n'importe qui...
Discours du vent, festival des mollusques : ce que j'obtiens, je ne l'ai pas acquis. Étranger, je salue ta rage brusque,

ta fièvre molle et ton dénigrement.
Je n'ai jamais l'âge de mes artères.
Je vais élire un arbre au
Parlement : ô député, soyons plus délétères !

La tache aussi change de léopard, comme le léopard change de taches.
Cosmos au doigt, je refuse ma part de pauvre éternité car je me cache,

en torturant l'azur. Ô quelle paix, sous l'eau si paresseuse des fontaines!
Mon élégie, si je développais ce timide bonheur?
Chanson malsaine-La foule veut qu'on mange le dompteur et n'accepterait pas d'autre régime.
Je m'y résous, poète, pour l'honneur de la révolte pure et de mes rimes.

Chaque poème est le plus court chemin de mon fantôme à vous autres, fantômes !
Je ressuscite ; on me greffe une main au bas du front, pour que j'écrive un tome

à la gloire du siècle, sans effort, comme un roman de cape et d'aventures.
Amis, j'éduquerai votre remords ; je couperai vos doutes sur mesure.

Je ne définis rien : je suis présent dans ce cirque d'amour et de nausée.
Je me protège, ô tumulte écrasant !
Je suis l'ambassadeur de la rosée.

Mai 1983.
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Je suis le fils d'une consonne et d'un proverbe.
Un peu de chair qui chante avant de se faner.
Assis parmi les mots, comme un cromlech imberbe.
Je trouve en eux ma foi ; je pourrais me damner

Pour les plus pervertis.
Cher mot de « coloquinte »,
Tu es l'œuf et la cloche et la cinquième toux
Du jardin trop mouillé.
Ma paupière est empreinte
De ta brune fureur, mot d' « ecchymose » : tout.

Dans mon esprit, veut te céder ; tu es méduse,

Tu es forêt féline où glousse le ruisseau.

«
Gypaète », mot fou, tu cries, tes plumes s'usent

Contre mon foie ; tu m'as mordu, tu prends d'assaut

Le nuage sacré ; quel fakir, quel ermite
Remplaces-tu dans les mosquées de la terreur ?
Mot d' « amadou », furtif comme un prêtre, j'imite
Tes carnavals qui récompensent les menteurs

Pour leur plus beau mensonge.
Aucun mot ne me

[sauve.
Si je dis « équateur », c'est la corde où je pends.
Si je dis « aloès », soudain les pierres fauves
Dévorent la montagne, avec des cris de paons.

Mais combien je les aime ! « Œillet » veut dire

[« plage ».

«
Grain » signifie « miroir ». «
Moleskine » et

[« citron »,

Mots si câlins qui m'ont réduit en esclavage !

Je n'ai pas d'autres dieux ; quand ils me jugeront,

Coupable prosateur, je serai la matière
Dont naissent les refrains.
Je m'appelle « cristal », «
Amarante », « coursive », et la voyelle est fière
De boire la rosée dans mon nom végétal.

Mon pseudonyme, « tamanoir » !
L'on dit « cimaise »
En me voyant rêver.
L'on pense « bigarreau »
Dès que mon œil s'égare; et l'ouragan s'apaise
De conjuguer le verbe « étourdir ».
Cérébraux,

Mes vocables !
Gâchée, ma syllabe à rétines !
Je prononce « cravache » : elle est un léopard.
Je répète -« banquise » : elle devient comptine.
Les mots, ces comploteurs, me tiennent à l'écart

De tous leurs guets-apens.
J'annonce « mandra-

[gore » :
C'est un kilo de clous.
Je chante « autodafé » :
Serait-ce une barrique où le vin s'évapore ? «
Pivert », tu n'es qu'un mot; tu devrais m'étouffer.

«
Guillotine », pourquoi n'as-tu pas de pétales
Puisque tu pousses dans la plaine ?

Tapageur,
Mon beau « volcan » : voici trois siècles qu'il avale
Sa propre tête en feu.
Je vis de mes terreurs.

Les moindres mots voudraient signifier autre chose. «
Ivoire » égale « ébène » ; et « colombe »,

[« chardon ».
Ils m'ont désincarné.
Mes verbes s'interposent
Entre moi-même et moi.
Je demande pardon

À ceux qui m'ont connu.
Me voici le suffixe
D'un nom dénaturé.
Qu'on me dise : «
Chacal ! »
Pour insulter ma race. Ô bipède prolixe,
Je meurs de m'exprimer.
La parole est un mal.
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Vous mourrez quatre fois.
D'abord vos cartilages
Et vos chairs pourriront : n'importe quand, ce soir
Ou dimanche à midi.
Vos rimes — c'est dommage —
Alerteront le monde inconséquent : devoir,

Sanglots, fidélité ?
Partis les trouble-fête
Qui n'auront rien troublé...
Une seconde mort
Viendra bientôt, l'oubli de la race discrète À qui vous léguerez le pauvre désaccord

De deux néants : cet astre mou qui se barbouille
D'espoirs nauséabonds, ce moi pulvérisé.
Vous serez le silence et deviendrez la rouille
Que l'on gratte à la grille d'un parc.
Vous gisez

Dans vous-mêmes déjà.
Vous serez anonymes
Comme l'indifférence — oh ! pas même avortés
Par la rage ou la peur !
Votre mépris supprime.
Trente siècles trop tôt, votre postérité.

Le langage à son tour souffrira, c'est justice.
Jusqu'à perdre ses mots : des reptiles ingrats.
Sons nerveux, rythmes purs, images bienfaitrices,
Pas de médicaments !
Verbe à verbe il mourra

D'une mort — la troisième — où, chimères démentes
Les syllabes feront éclater votre azur.
Obsèques de votre alphabet !
Qui réinvente
L'amour de dire et de nommer ?
Sonnets futurs

Pour continents défunts.
Ils devront disparaître.
L'espace, la planète... À qui le passeport
Pour l'absurde ou le vide ou le rien ?
Pas de traîtres...
Dernière mort dans l'ignorance de la mort.

L'univers va bâiller.
Qui discute ou raisonne ?
Vous ne les verrez pas, les hommes transparents.
Vous vivez le fortuit ; vous êtes sa maldonne.
Vous ne cueillerez pas les lunes qui, par rangs

De cinq, de six, font les pastèques dans l'espace.
Vous ne connaîtrez pas ce poids sans pesanteur.
Où le navire plane; où l'orme se délasse.
Racines sur l'épaule; où le caillou moqueur

Aura les gestes du goujon.
Qui vous oppresse ?
Vous ne serez plus là pour vivre l'irréel :
Soupir de la montagne aux muqueuses d'ânesse, île qui joue de la guitare au moindre appel.

Vous allez vous dissoudre.
Une fillette assise
Parmi ses propres yeux — dix mille : une forêt ! —
Leur dira : «
Devenez des lézards : c'est de mise À votre âge. »
L'exil, le cosmos, quel attrait

De l'invisible !
Univers glauque...
On vous rejette
Comme pépins de poire. Égoïste aujourd'hui-Soleil sans indulgence : il vous rend vos squelettes,
Vos muscles, vos poumons.
Vous n'avez pas séduit

Vos suzerains.
Voyez, vous êtes ordinaires
Comme un dindon malade ou comme, le mardi,
Un jeu de cartes sans joueurs.
Pourquoi parfaire
Un miracle, un salut ?
Vous n'avez rien prédit.
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On devient ce miroir, cette aube qui se lèche,

Ce livre pour absents, ce rire d'okapi

Dans une basilique.
On invente, on empêche

Le réel, ce microbe — est-ce audace ou dépit ? —

De ronger l'irréel.
On se pense, on ressasse,
On jalouse l'abîme, on se moque de soi.
On vénère le jour où l'on sera limace
Ou perce-neige.
Honneur à tout ce qui déçoit !

La chose la plus digne est de se croire indigne,
On ne sait point de qui.
Vivre, c'est être abstrait
Comme pain pour le blé, comme vin pour la vigne.
Vivre, c'est être veule en brûlant ses portraits.

Royaume disparate...
Il faudrait qu'on s'agite?
On est à l'aise entre les draps de son destin :
Taille bourgeoise, esprit qui connaît ses limites,
Orgueil de poisson rouge, étoiles qu'on atteint

Sans les chercher car elles vivent sous l'armoire.
La peur est confortable.
On pourra s'installer
Parmi l'indifférence et le manque de gloire.
On ne complote rien.
Les sentiments volés,

On les adopte : ils deviendront comme ces vases
Où se balance une araignée sans lendemain.
Assouvis les orgueils, replètes les extases !
C'est un luxe, de fuir le bric-à-brac humain.

Aimable sécheresse.
Au fond de quelle pipe
A-t-on caché son âme?
Est-il vrai qu'on recoud
La comète usagée ?
D'un rictus on dissipe
Le rêve sidéral qu'on porte autour du cou.

On embrasse dix fois la pierre : elle ronronne
Comme ce clavecin mal réparé.
On ment,
Pour rester à l'affût de soi-même, épigone
Heureux de s'imiter.
On est son seul amant.

Au fond de soi l'on flâne, un sycomore en laisse.
On voudrait éviter ce bibelot : le cœur.
Mais on s'émeut comme un touriste qui caresse,
Lassé de sa gondole, un objet sans valeur.

On lit une tulipe, on traduit l'oiseau-mouche
Pour que les sens ne cessent plus de s'étonner;
Cette luxure est toujours brève : sur la couche
Viennent mourir les météores trépanés.

On dure par caprice, épouvante, inertie

Ou certitude molle ?
Encore interpréter

Tant de gestes bavards !
Fins du monde adoucies.

Si l'on pouvait finir dans la sérénité!
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