Été 1944, sous l'occupation allemande, Jules et Jeanne sont deux adolescents éperdument amoureux l'un de l'autre. Un événement tragique va les séparer. Amnésique, Jeanne sera internée en hôpital psychiatrique. Après une dizaine d'années d'errance, Jules retrouvera Jeanne. Pendant 45 ans, chaque jour, il la séduira et chaque jour, elle l'oubliera. Chaque jour, il devra la reconquérir et chaque jour, ils s'aimeront.
Malgré cette dernière idée, que je trouve personnellement d'un romantisme fou, je réalise qu'il ne faut pas se méprendre car l'Utopie des Fous n'est pas une romance sucrée à la fin joyeuse, au contraire.
Jeanne trouvera refuge dans l'oubli. L'incandescent Jules devenu Marius, portera toute sa vie le poids d'une responsabilité trop lourde pour lui. La responsabilité d'un acte qui entre autre, a fait d'eux ce qu'ils sont devenus. le lecteur n'apprendra qu'à la toute fin du roman ce qu'il s'est passé ce jour d'août 1944.
La fin donc, éprouvante, et cette question concernant Jules, autour du jugement voire de la condamnation qui m'a un peu perturbée. J'ai beaucoup apprécié le point de vue plutôt neutre qui laisse au lecteur son libre arbitre et le mène à la réflexion. Nous, qui n'avons connu que la paix, qu'aurions-nous fait et que ferions-nous maintenant ? Et dans le cas de Jules, qu'est-ce que cela aurait vraiment changé au fond ? Et d'imaginer demander à cet enfant de 16 ans à peine comment il a pu faire une chose pareille, alors que la vraie question serait plutôt : mais comment a-t-on pu leur faire une chose pareille ? Comment en est-on arrivé à arracher à ces enfants leur innocence de la manière la plus brutale ? Et plus largement, au regard du contexte, comment en arrive-t-on là ? C'est troublant et nécessaire, pour hier comme pour aujourd'hui.
J'ai beaucoup apprécié la construction, voire la déconstruction du récit, le contraste entre lumière et noirceur, des moments de pur lyrisme, d'autres d'extrême violence qui mettent en relief l'atmosphère pesante de ce mois d'août 1944. L'écriture est sensible, juste et très humaine. de nombreuses questions se posent dès le début et les fréquents sauts dans le temps permettent de dérouler subtilement l'intrigue mais sans absolument aucun temps mort. Et parce que je connais très bien le lieu du drame (bien réel) qui a inspiré une partie de cette histoire, j'ai pris mon temps... Pour repousser l'échéance du drame, pas nécessairement pour moi, mais pour Jeanne et Jules. Puis-je être objective en associant des lieux, une histoire que je connais à ce qui n'est pourtant qu'une fiction ? Oui, je l'espère, mais ce qui est sûr c'est que cela a créé un lien très particulier avec les deux personnages principaux auxquels je me suis beaucoup attachée.
En dehors du contexte historique très lourd et violent, l'histoire qui se déroule sur une cinquantaine d'années permet également une réflexion au travers des divers personnages, sur la nature humaine, sur le temps, ces situations qui nous voient déchirés entre désir, raison et instinct. Les choix qui peuvent conditionner non seulement une vie, mais les dommages collatéraux qu'il peuvent entraîner, le poids de la culpabilité et l'amertume de ne plus pouvoir revenir en arrière, la condition des femmes,... Chaque protagoniste apporte une profondeur au récit et pose discrètement ses propres questions existentielles ou contextuelles. Jules et Jeanne, deux enfants amoureux au milieu du chaos qui se heurtent à ce que l'Homme peut faire de pire. Angèle, infirmière passée à côté de sa vie par totale abnégation. Une directrice d'hôpital psychiatrique en surrégime qui dresse un bilan amer de sa vie. Des SS nostalgiques qui ont le mal du pays entre deux séances de tortures. Des jeunes hommes à peine majeurs au service de la haine et de la barbarie du IIIè Reich. Des gens supposément du bon côté, prêts à commettre des exactions sur d'anciens camarades supposés du mauvais côté parce que pétris de convictions et de préjugés qui attisent une haine si facile à nourrir, comme leurs ennemis ont attisé la leur. Des enfants confrontés à des absurdités d'adultes. Et Line et Richard, qui n'avaient rien d'autre à faire que s'aimer... Mais qui a mieux à faire que cela ?
Quel refuge lorsque le corps et l'esprit disjonctent, qu'on se sent poussé dans ses derniers retranchements ? Que reste-t-il pour survivre et tenter de se tenir debout ? Jusqu'où pourrions-nous aller ?
Qui sont les fous ?
Et si la seule folie de Jeanne et Jules était de vouloir s'aimer dans un monde de cinglés ?
La folie comme refuge, l'asile psychiatrique sorte de monde parallèle où ils pourraient figer l'existence à un instant où l'avenir semblait encore leur ouvrir les bras, avant le point de non retour. Un amour adolescent et candide qui s'éternise 45 ans loin de l'absurdité d'un monde trop compliqué, d'une réalité inacceptable et d'un passé inavouable. Comme lorsqu'ils n'étaient que deux enfants s'aimant à l'abri d'un saule et qu'ils rêvaient leur vie future.
« Les nazis étaient humains. Et ce qu'il y avait d'humain en eux, c'était leur inhumanité. Tant qu'on ne reconnaîtra pas que l'inhumanité est chose humaine, on restera dans le mensonge pieux » écrivait Romain Gary dans Les Cerfs-Volants, autre histoire d'amour contrariée sur fond de Seconde Guerre Mondiale.
Des actes monstrueux oui, mais les monstres, eux, n'existent pas. Des Hommes, des contextes, des circonstances, des choix... Seulement des êtres humains et leur propre complexité.
L'Utopie des Fous est une histoire belle, tragique et intense. J'ai vraiment passé un très agréable moment de lecture, j'ai eu un peu de mal à me résoudre à abandonner Jules et Jeanne. Un second roman très réussi, un auteur talentueux et intéressant, de belles promesses pour la suite.
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