Si comme moi vous n'avez jamais gardé les cochons avec
la sociologie, les références qui se chevauchent dans ce livre, s'empoignant les unes les autres par les cheveux, ne vous aideront guère à mettre en ordre vos idées, quand bien même l'auteur s'évertue à de louables efforts pour distinguer les différents courants sociologiques dont il s'est nourri. Son objectif est le suivant : étudier la raison des croyances humaines. Il semblerait que l'information suivante puisse être essentielle à ceux qui réussiraient à en comprendre la valeur (ce n'est pas mon cas) : Boudon déplore qu'on ne voie pas assez les principes sociologiques imposés par Weber et
Durkheim dans l'analyse des phénomènes politiques, moraux et religieux d'aujourd'hui. C'est notamment à partir de Weber que Boudon développe sa théorie de
la rationalité ordinaire, dont je ne me souviens plus aujourd'hui, comme je ne me souviens plus non plus, d'ailleurs, de l'ensemble de cet essai (deux ans que je l'ai lu, deux ans que j'ai écrit ce résumé à l'arrache, en ayant sans doute hâte d'aller faire autre chose, n'importe quoi d'autre).
Dans l'ensemble, l'objectif de Boudon s'aligne avec le paradigme de notre époque : il s'agit d'établir une sociologie scientifique. La vraie science de chez la vraie science. Celle qui fait bander. le complexe de non-scientificité attristerait-il les pratiquants de
la sociologie en mal de reconnaissance ? Science molle, qu'on leur dit. Ils veulent devenir durs. L'avènement d'une sociologie qui se prétendrait scientifique pense devoir atteindre sa plus parfaite gloire en remontant aux raisons des croyances les plus irrationnelles – c'est-à-dire aux croyances qui ne sont pas les siennes.
La sociologie veut rigoler des autres sans se foutre d'elle-même. Elle pense pouvoir y aller de sa petite scientificité comme d'une appellation d'origine contrôlée dans le champ des denrées alimentaires : personne ne sait ce que ça veut dire, mais ça rassure au moment de s'y enfourner dans les tripes. Ainsi, la digestion se fait plus paisiblement, c'est-à-dire dans l'ignorance de ses fins dernières. Cherchant donc à se définir dans l'exclusion méprisante, Boudon rejette loin de lui toutes les méthodes qu'il juge non-scientifiques : vulgates marxiste, psychanalytique et structuraliste, entre autres, et notamment parce qu'elles stipulent que le comportement humain est soumis à des forces impersonnelles agissant à l'insu de l'individu. Comment ? L'homme ne saurait donc jamais parfaitement ce qu'il dit, ni ce qu'il fait ? Boudon n'y croit pas, pourtant c'est ce qu'il fait.
Boudon dit que toute action a une cause vers laquelle on peut remonter, et même si celle-ci n'est pas parfaitement consciente à l'individu qui l'a commise, un autre individu, bien informé (le sociologue scientifique) pourra la lui indiquer. Boudon plonge sans le voir dans le grand fantasme de l'ère de la scientificité : le culte de la transparence (qui faisait bien marrer
Philippe Muray) et son corollaire, l'horreur de l'incontrôlable.
Ainsi qu'
Erich Fromm étudia dans «
La Peur de la liberté » le caractère de Luther pour expliquer comment, dans son combat contre les doutes qui l'assaillaient sans cesse, il finit par déclarer la doctrine de la prédestination pour mettre fin à la lutte, il serait intéressant de savoir quelles raisons « occultes » (dirait Boudon pour les discréditer) ont poussé l'auteur de ce livre à déclarer comme scientifiques les méthodes qui sont les siennes à l'exclusion de toutes les autres. Mais enfin, il y a peut-être d'autres choses plus intéressantes à faire aujourd'hui.