La méfiance et le scepticisme à l’égard des théories et des explications scientifiques en général constituent certainement l’une des constantes les plus caractéristiques de la philosophie de Wittgenstein. On peut le voir s’exprimer sans ambages à propos de la psychanalyse ou du darwinisme, par exemple. Aux yeux de Wittgenstein (qui se présentait à une certaine époque comme un « disciple de Freud ») la théorie freudienne n’est pas seulement suspecte en tant que théorie, mais également à cause de l’utilisation néfaste qui peut en être faite. Après avoir reconnu ce qu’il appelle « Freud’s extraordinary scientific achievement », il ajoute : « Seulement les réalisations scientifiques extraordinaires ont tendance, de nos jours, à être utilisées pour la destruction des êtres humains (j’entends, de leurs corps, de leurs âmes, ou de leur intelligence.) Gardez donc bien toute votre tête. » Quant à la théorie darwinienne, elle lui suggérait (en 1938) les réflexions suivantes :
« Cf. l’affaire Darwin : un cercle d’admirateurs qui disaient : ‘’Bien sûr’’, et un autre cercle [d’ennemis] qui disaient : ‘’Bien sûr que non.’’ Pour quelle raison, grands dieux, un homme irait-il approuver d’un ‘’Bien sûr’’ une telle idée (il s’agissait de l’idée selon laquelle les organismes monocellulaires deviennent de plus en plus compliqués jusqu’à former des mammifères, des hommes, etc.) Quelqu’un a-t-il jamais vu ce processus dévolution en œuvre ? Non. Quelqu’un l’a-t-il vu survenir actuellement ? Non. La preuve par l’élevage sélectionné n’est qu’une goutte d’eau dans la mer. Mais il y a eu des milliers de livres qui ont décrit cette solution comme la solution évidente. Les gens avaient une certitude, sur des bases qui étaient extrêmement fragiles. N’aurait-il pu y avoir une attitude qui aurait consisté à dire : ‘’Je ne sais pas. C’est une hypothèse intéressante, qui peut fort bien se confirmer en fin de compte’’ ? Cet exemple montre comment vous pouvez vous laisser persuader d’une chose donnée. En fin de compte, vous oubliez complètement toute idée de vérification, vous êtes tout simplement sûr qu’il doit en avoir été ainsi. » (pp. 25-26)
Parmi les élèves de Wittgenstein, beaucoup ont évoqué les efforts répétés qu'il faisait pour les persuader d'abandonner la carrière philosophique et de choisir plutôt quelque métier « décent ». Dans les lettres écrites à Malcolm au moment où celui-ci faisait ses débuts dans l'enseignement universitaire, Wittgenstein insiste à maintes reprises, avec une solennité de vieux prédicateur, sur les risques de perdition intellectuelle et morale inhérents au métier de professeur de philosophie, un métier qu'il est, selon lui, extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de pratiquer « honnêtement », où la mystification et le mensonge pourraient bien être précisément ce que l'on attend de celui qui l'exerce, où la tentation de se duper soi-même et de duper autrui est permanente et irrésistible. Wittgenstein aurait sans doute été tenté de dire des philosophes professionnels ce que Karl Kraus a dit des journalistes : ils « écrivent parce qu'ils n'ont rien à dire, et ils ont quelque chose à dire parce qu'ils écrivent . » (p. 73)
Les tentatives faites par Wittgenstein à différents moments de son existence pour changer de vie, par exemple l'expérience malheureuse d'instituteur de campagne en Autriche entre 1920 et 1926, le travail comme jardinier au monastère de Hùtteldorf, puis comme architecte, l'existence recluse en Norvège et, après l'abandon de sa chaire de Cambridge, à Galway parmi les pêcheurs d'Irlande, constituent en un certain sens autant d'essais épisodiques et infructueux pour se rapprocher de la solution du « problème de la vie », dont le Tractatus dit qu'elle ne peut consister que dans la disparition de ce problème ; et elles montrent bien à quel point cette solution, telle que la conçoit Wittgenstein, peut être à la fois évidente et compliquée. (p. 82)
Jean-Claude Monod vous présente son ouvrage "La raison et la colère : un hommage philosophico-politique à Jacques Bouveresse" aux éditions du Seuil.
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