Ainsi, au moment où il apparaît pour la première fois, en pleine guerre, dans Le Soir dit « volé», journal collaborationniste belge mis au service de la propagande allemande, Haddock matérialiserait de façon significative le racisme d’Hergé. Nous aurions donc affaire à deux racistes : l’un, Céline, déclaré et revendiqué en tant que tel, au moins jusqu’en 1944, plus discret après cette date, de nos jours encore honni pour cette raison même ; l’autre, Hergé, beaucoup plus circonspect, mais qui, lorsqu’il se laisse aller, se révélerait sous le masque et par le biais commode de l’intempérance verbale du capitaine Haddock.
Je me suis alors interrogé sur les liens susceptibles d’avoir rapproché le fulminant Louis-Ferdinand Céline, le bouillant capitaine et Georges Remi, dit Hergé, qui affirmait à Numa Sadoul :
« Tintin (et tous les autres) c’est moi, exactement comme Flaubert disait : “Madame Bovary c’est moi” ! Ce sont mes yeux, mes sens, mes poumons, mes tripes. »
Ma théorie est en effet la suivante : dans un premier temps, Hergé prend chez Céline des mots, des expressions et surtout les formes dont il a besoin, qui l’intéressent ou qui l’intriguent, pour habiller le discours de Haddock. Puis, rapidement, en véritable créateur, il s’affranchit de son modèle pour inventer ses propres formules. Barthes n’affirme-t-il pas : « L’écrivain choisit quand même de combiner. Il combine les citations dont il enlève les guillemets. » On observera par exemple que, dans les albums suivants, Haddock, pour ses débordements, emprunte de plus en plus au vocabulaire technique.
Un spectacle prodigieux, drôle et grinçant. Denis Lavant... habité!