Mon premier Brautigan. Conquis !
Tout y est savoureux, je n'ai pas lâché le livre des mains. Drôle au possible, les portraits des frères abrutis est un ravissement. L'érotisme contrasté bien mené. Les redondances apportent en hilarité, Brautigan s'amuse à insister sur des détails ridicules, les faire réapparaître, en connivence avec le lecteur, une vraie jubilation pour qui s'immerge dans son monde, décortique les phrases parfois destructurées et labyrinthiques.
On peut remettre en cause la traduction, j'y vois au contraire une belle recherche esthétique, beaucoup de créativité, une langue étonnante qui déplaira à certains mais comblera les chercheurs de forme. Brautigan se permet des tournures inédites, indélicates, bancales à souhait, alambiquées, bien loin du classicisme, pour le bonheur du lecteur qui aime être bousculé, chahuté au détour d'une formule. Une vraie poésie s'en dégage, tout comme une vérité de l'oralité.
De l'originalité, tout apparaît loufoque et dérisoire, une réussite. Et puis, chacun de nous devrait savoir ce que font les Logan Sisters ! Inutile de préciser que je me jette sur un autre de ses livres dès la fin de cette phrase.
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Ils restèrent au lit, l'un contre l'autre pelotonnés: à se sentir très tristes. Ils se sentaient toujours très tristes après avoir fait l'amour, mais comme de toute façon ils se sentaient presque toujours assez tristes, ils ne se sentirent pas trop dépaysés, sauf qu'ils avaient plutôt chaud et que c'était sans rien dessus qu'ils se touchaient et qu'à sa manière bien à elle, c'était quand même la passion qui leur avait traversé le corps: telle un vol d'oiseau étranges. Ou tel un seul oiseau noir. Et qui aurait volé tout seul.
Avoir les bras et les jambes écartés ne l’ennuyait pas trop : à condition qu’il ne serre pas trop, ce qui lui arrivait quand même quelquefois. Elle “préférait” avoir les mains attachées juste au-dessus de la tête ; mais… comme ça ne le branchait que très rarement… en fait, elle désirait seulement une chose : prendre congé, et pour longtemps, de tout ce servage et sadisme pour amateurs. Elle n’en tirait plus que de très légers emportements et priait le ciel qu’il se débarrassât de ses verrues ; ah ! si seulement il n’avait pas sexuellement changé ! ah ! si seulement ils pouvaient en revenir à la baise d’antan !
"(...) Alors, elle s'était assise par terre. À côté de lui. Et aussi précautionneusement qu'on peut le faire pour s'asseoir sur une toile d'araignée en ruine.
(...)"
Richard BRAUTIGAN, Willard et ses trophées de bowling, 1975, 10/18 (p. 20).
Il lui était impossible de la sentir et ça le rendait triste. Ce qui n’avait, en soi, rien de nouveau étant donné que depuis un certain temps, il n’y avait rien qui ne le rendît pas triste.
Pour une capote tout lui était dérobé de l’intime et de l’éternel de son vagin : adoncques, tel l’étoile perdue, il voulait, affamé, le ciel vespéral de son être profond.
Parce que doucement à son intérieur il était, mais ne pouvait la sentir. Et parce qu’elle lui était perdue, il songeait à l’Anthologie et de nouveau entendait ces mots antiques et qui disaient : « Peindre le lion en commençant par les griffes. »
Dès que les verrues firent leur vaginale apparition chez Constance, Bob s'empressa d'en vérifier l'existence chez lui : pour découvrir que non, il n'avait pas de verrues sur la queue.
C'est en effet lors des rapports que s'attrape le virus qui fait proliférer le papillome verruqueux : ceci étant dit, seul un petit nombre de gens entrant en contact avec le dit virus s'en trouve contaminé. Ce qui explique que certaines personnes se trimballent avec le virus - mais pas les verrues - alors que d'autres en entrant en contact avec lui (le virus) ne les chopent pas (les verrues).
Le choix de Mathias Malzieu : « C'est tout ce que j'ai à déclarer » de Richard Brautigan