Ce livre n'est pas vraiment un roman, mais un « récit - document » décrivant les évènements survenus pendant et juste après le grand séisme, dit « du Kantô », du premier septembre 1923, qui frappa et détruisit Tokyo et Yokohama.
Akira Yoshimura (auteur par ailleurs de l'excellent recueil « la fille suppliciée sur une étagère ») réussit ici à mettre en lumière avec justesse et de façon subtilement romancée les différentes facettes de cette catastrophe naturelle et humaine.
Le récit est encadré par le destin de deux sismologues, Ômori Fusakichi et Imamura Akitsune. À une époque où la sismologie consiste surtout à enregistrer les mouvements du sol et à dresser des statistiques sur les séismes du passé, Imamura croit à la survenue d'un séisme majeur à Tokyo, et s'en alarme, car la ville, tout entière à sa modernisation, n'a guère retenu les leçons de l'ancienne Edo en matière de lutte contre les incendies : les constructions en bois sont trop rapprochées, les zones pare-feu manquent et le réseau d'adduction d'eau ne résistera pas à un séisme, laissant les pompiers démunis. L'éminent sismologue Ômori, lui, est bien plus réservé, ne tenant pas à paniquer la population.
Puis le premier septembre, juste avant midi, pendant quelques minutes, après quelques soubresauts, le sol se met à ondoyer violemment pendant quelques minutes, et Tokyo, Yokohama et de nombreuses villes côtières de la même région s'effondrent. Des trains sont ensevelis dans des tunnels ou précipités dans l'océan depuis des falaises. Les survivants sortent des bâtiments en ruines ou endommagés, et envahissent les rues. Ils ne savent pas que le pire reste à venir.
A.
Yoshimura maitrise parfaitement son récit : bien qu'il fournisse quelques tableaux de données, il fait la part belle aux témoignages provenant de toutes les couches de la population, à des endroits divers. Les récits des écoliers, étudiants en pleine séance de cinéma, ouvriers des usines sont parfaitement retranscrits et donnent au récit toute son intensité dramatique. C'est alors, juste après le séisme, qui survient la seconde catastrophe : des centaines de foyers d'incendie se déclenchent et convergent pour former d'immenses fronts et des tornades de feu qui feront des dizaines de milliers de victimes, davantage que le séisme lui-même.
A.
Yoshimura décrit parfaitement les réactions de la population, sa résistance, et balaie tout le spectre des émotions humaines, des policiers héroïques organisant les secours aux turpitudes de la kanpetai, la « gendarmerie militaire » aux accents de police politique, qui en profite pour liquider les opposants ayant échappé au séisme.
Nous suivons aussi comment se déclenchent et prolifèrent les rumeurs sur les exactions imaginaires des Coréens, et comment, en réaction, se mettent en place des milices aux actions qui, hélas, n'auront rien de virtuelles. Nous réfléchissons, avec les responsables, à la meilleure façon de rétablir l'évacuation des eaux usées, le logement d'urgence des habitants, de réaliser la « récolte » des cadavres et leur destruction…
Chacun des chapitres du livre aborde spécifiquement un aspect du séisme, et si l'ordre chronologique est respecté, chacun constitue toutefois un récit indépendant, l'ensemble se rapprochant un peu d'une sorte de recueil de nouvelles pour la forme. J'ai personnellement été impressionné par les deux chapitres sur l'assassinat d'Ôsugi Sakae, qui m'ont inspiré une nouvelle.
A.
Yoshimura construit ainsi dans cet ouvrage un panorama complet du séisme qui à la force d'un grand roman, sans en être vraiment un. Un livre qui éveillera l'intérêt des non spécialistes, qui éclaire un évènement important de l'histoire japonaise marquant aujourd'hui encore les esprits des Tokyoïtes.
Paru chez
Actes Sud en 2010, cet livre a été publié au Japon en 1973, soit 50 ans exactement après la catastrophe.
Yoshimura a pu rencontrer et interroger, à l'époque, les témoins oculaires de ce séisme. Son récit n'en a que plus de prix.
La couverture choisie est assez allégorique (faut-il voir, dans cette belle corsetée regardant une mer agitée survolée d'oiseaux noirs, la personnalisation de Tokyo attendant que l'onde ne surgisse de la mer ? Mystère !) et la traduction de
Sophie Refle excellente (il apparait toutefois qu'au début de l'ouvrage, elle avait pris le parti de noter les chiffres en toutes lettres, ce qui a été fort heureusement vite abandonné devant l'abondance de ces derniers, le texte de A.
Yoshimura étant à la fois très lisible et très précis).
Une lecture agréable et informative qui va bien au-delà de la description d'un séisme meurtrier, mais plonge dans les ressorts de la société japonaise de l'époque, de ses côtés sombres, de ses non-dits, mais aussi de sa résistance obstinée à l'adversité des êtres et de la nature.