Inch Allah ! Voilà Ali. J'en suis baba. Je l'ai trouvé ! En chair et os, si je puis dire. Dans L'inspecteur Ali, souviens-toi (*), ami lecteur, il était le héro d'un roman dans le roman. Une espèce de faire-valoir car le véritable héro du véritable roman n'était autre que l'auteur. Je me rappelle fort bien, l'un des auteurs nous en promettait pure merveille dans Ali coït au Koweït : cela ne s'invente pas. Comme je n'ai trouvé nulle part, j'ai de suite pensé qu'il était une fiction, un mythe. Alors là, l'Ali,^^ dans l'Homme qui venait du passé, c'est bien lui. Il a vieilli ! Il est plus mûr, son ironie est plus sombre, ses réflexions parfois désabusées.
Et cette fois c'est un vrai policier : il y a des morts ! Mais c'est beaucoup plus simple car, somme toute, il suffit juste pour l'inspecteur (en chef !) d'officiellement enterrer le meurtre d'Oussama Ben Laden. Sous le manteau,^^ cependant ...
"- ... Vous plaisantez ?
- Tout à fait. Ma façon de plaisanter est de dire la vérité. Et je plaisante tout le temps. Cela me permet de m'instruire. Fractures ?" p.38 Bien oui, il va y avoir de la casse : l'humour est une arme redoutable. Rares sont ceux qui le manient avec la dextérité de l'inspecteur Ali, mais faut-il encore qu'en face quelqu'un sache parfaitement le décoder. Et ce n'est pas chose facile, pour le lecteur non plus, car l'humour de Driss Chraïbi a la douceur du sucre impalpable, c'est dire combien il est fin. L'humour c'est de l'intelligence au carré.
L'ironie a un rôle très important : elle sert à entourer la trop dure vérité d'un voile impudique. Elle permet de dire ce qui devrait rester caché. Connais-tu la lumière noire qui fait apparaître les pluches autrement invisibles ? Eh bien l'humour noir, c'est pareil. L'humour, l'inspecteur Ali s'en sert comme d'une grenade à fragmentation (**), pour déstabiliser son interlocuteur. Connais-tu Prigogine ? Quand je te dis que je suis ébahi devant l'inspecteur Ali. Il a compris, lui aussi, que derrière l'ordre apparent se cache le chaos, mais ce chaos lui-même renferme un certain ordre. Alors suis-moi très attentivement et fais bien attention de ne pas te perdre dans la médina. L'humour de Driss Chraïbi consiste souvent à parler de l'ordre caché dans le chaos comme s'il parlait de l'ordre apparent. Et à faire comme si il ne le faisait pas. "Il donna vie à la loi du marché qui veut que la drogue soit une monnaie forte dans un monde de concurrence et de libre-échange." p101
Et tout soudain, comme un violent atemi asséné au coin d'un bois, tu te prends une phrase hyper-sérieuse du type "L'univers a été créé par Dieu, selon des lois que l'homme suit plus ou moins. La religion a été créée par l'homme, selon des lois que Dieu doit suivre. Il ne faut pas confondre l'Islam et le Coran, n'est-ce pas ? L'inspecteur Ali l'approuva avec émotion." p.111 et il te faut bien réfléchir aussi. Ou alors, ce qui te montre l'étendue du talent, carrément décoller dans la poésie philosophique : "Et aussitôt, ce fut comme si le temps chevauchait le temps, faisait vivre intensément le passé dans le présent." p.100
Deux cent pages de très grande intelligence, beaucoup d'ouverture, de sensibilité et de finesse. Un véritable bijou, un collier de perles. Faites-vous le offrir Mesdames, empruntez-le, au besoin volez-le ! Dans son dernier livre l'auteur a pris ses responsabilités en défendant avec cran des positions très fermes et très personnelles. Il faut saluer son grand courage. On pourrait s'inquiéter pour lui, dans le climat actuel, mais ce n'est pas la peine. Il est déjà mort. Un premier avril, quand je vous disais son grand sens de l'humour et de l'ironie. "Les voies du passé sont aussi insondables que celles de la Providence chrétienne ou du Nasdaq." p.128 La grande littérature c'est celle qui parvient a exprimer l'indicible, si je l'ai lu quelque part, j'ai oublié où ce qui me permet de croire que c'est de moi ;). En tout cas ce qui suit l'est : même s'il est déjà trépassé, Driss Chraïbi ne sera jamais dépassé. Ce livre est en quelque sorte son testament, ce qui le rend plus précieux encore, d'où mon conseil, Mesdames.
"Pour bien préciser les faits, je vais mettre en majuscule la lettre "i" et souligner le point qui se trouve dessus." p.133 L'humour de Driss Chraïbi ce n'est rien d'autre que de l'amour. Et même s'il se cache, moi je me lève, j'applaudis et je crie pour l'inspecteur Ali, BIS !^^
(*) http://www.babelio.com/livres/Chraibi-Linspecteur-Ali/83523/critiques/946876
(**) Ouiiii comme Krout dans Certes Terces reste secret !
http://www.babelio.com/forum/viewtopic.php?p=177441#177441
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Roman policier au style confus
Il me semble sentir la non maîtrise totale de la langue française par cet auteur marocain.
A moins que ce qui me paraît confus soit le reflet de la culture arabe et de sa façon d'appréhender la vie.
Je n'ai pas pu finir ce livre ; ses allusions fréquentes à l'actualité politico-religieuse me font horreur.
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Fais nous entendre la voix de la vie. La chanson de l'arbre, par exemple, du regretté Omar Naqishbendi. Tu connais ? [...]
Le luth, il le fit glisser sur ses genoux en un geste très lent, comme s'il se fût agi d'un enfant endormi. Les cordes, il les effleura du bout des doigts pour les réveiller. Puis il leur fit donner de la voix, à plein. Et voici : le passé rejoint le présent, l'instrument devient aussi vivant que l'arbre plein de sève qui lui a jadis offert son bois. Quatre cordes en boyau de chat, tendues à rompre. Placée au centre, la cinquième est en crin de cheval tressé : le bourdon. Naissant à partir de ce bourdon et y revenant à intervalles régulier, à la fois pour y mourir et pour en renaître, monte langue de la vie, musicale charnellement ; monte, scande et bat selon l'alternance du jour et de la nuit, selon le déroulement des saisons, le flux et le reflux de tous les océans du monde, le déferlement des vents issus des quatre horizons du ciel, la fulgurance des étoiles filantes par les soirs d'été ; danse le mélodie de l'arbre du Destin ...
Etendu sur le dos entre deux massifs de fleurs, l'inspecteur Ali contemplait les étoiles ... ces fleurs du ciel que l'homme essayait vainement de reproduire dans ses jardins. Elles étaient amicales et chaudes. Chacune d'elles à la fois un point obscur et un point lumineux du cœur humain, sans commencement sans durée sans fin. De l'une à l'autre, le temps remontait vers le passé et revenait pour aller à la recherche de l'avenir. Elles étaient si lointaines, si proches. Ali n'avait que huit ans lorsque son père s'était rompu le cou [...] Huit ans, l'inspecteur les avait encore à l'âge adulte, ici et maintenant. Prosaïque , le téléphone portable des temps présents se mit soudain à vibrer. C'était le ministre. Ali retrouva aussitôt sa réalité de flic et la vacuité des mots.
- Xactement. Tu ne comprends pas. Tu n'as jamais rien compris à la boulitique ou la filousophie. C'est pour ça que tu est resté un sans-grade durant toute ta vie. [...]
Un fonctionnaire dans ta position, avec ou sans diplôme, aurait gravi les échelons quatre à quatre en délogeant les collègues à coups d'intrigues et à coups de pied. Et, arrivé tout en haut, il aurait tiré l'échelle pour empêcher quiconque de monter. L'arabitude a du bon.
Il avait les larmes aux yeux, le foie gorgé d'émotion. Et, sans transition aucune, il posa une petite question : Et le nouveau, comment est-il ?
Nous ne sommes plus à l'époque d'Omar qui était en même temps calife et marchand de vin. Nous avons évolué. Quand on devient adulte, on oublie souvent d'être soi-même, reniant du même coup nos rêves d'enfants et les idéaux de notre adolescence. Et on est plus du tout soi-même dès que l'on dispose d'une parcelle de pouvoir. La religion nous tient lieu d'humanité, avec ses interdits, ses gardes-fous et ses tabous.
Il marqua une légère pause, puis ajouta :
- ”L’univers à été créé par Dieu, selon des lois que l'homme suit plus ou moins. La religion a été créée par l”homme, selon des lois que Dieu doit suivre. Il ne faut pas confondre l’Islam avec le Coran, n’est-ce pas ?
Driss Chraïbi au micro de José Pivin (1959 / France Culture). Production : José Pivin. Photographie : Driss Chraïbi © Stéphan Chraibi. Présentation des Nuits de France Culture : « Comment raconter son enfance au Maroc ? Driss Chraïbi, écrivain marocain de langue française, racontait au micro de José Pivin une partie de son enfance dans l'émission “Tous les plaisirs du jour sont dans la matinée”. Cet entretien a été diffusé pour la première fois le 14 novembre 1959 sur France II Régionale. L'entretien était illustré par des lectures d'extraits des œuvres de Driss Chraïbi. » Des extraits des romans de Driss Chraïbi, “L'Âne”, “Les Boucs”, “De tous les horizons” sont interprétés par Roger Coggio, François Darbon, Yves Péneau et Suzanne Michel.
Driss Chraïbi (en arabe : إدريس الشرايبي), né le 15 juillet 1926 à El Jadida, au Maroc, et mort le 1er avril 2007 à Crest, dans le département de Drôme, en France, est un écrivain marocain de langue française. Il a également participé à des émissions radiophoniques pour France Culture pour qui il a dirigé l'émission “Les Dramatiques” pendant 30 ans.
Connu pour son roman “Le Passé simple”, Driss Chraïbi aborde des thèmes variés dans son œuvre : colonialisme, racisme, condition de la femme, société de consommation, islam, Al-Andalus, Tiers monde, etc.
Il se fait connaître par ses deux premiers romans, “Le Passé simple” (1954) et “Les Boucs” (1955) d'une violence rare, et qui engendrent une grande polémique au Maroc, en lutte pour son indépendance.
“Le Passé simple” décrit la révolte d'un jeune homme entre la grande bourgeoisie marocaine et ses abus de pouvoir incarnés par son père, « le Seigneur », et la suprématie française dans un Maroc colonisé qui essentialise et restreint l'homme à ses origines. Le récit est organisé à la manière d'une réaction chimique. À travers la bataille introspective de ce roman par le protagoniste nommé Driss, le lecteur assiste à une critique vive du décalage entre l'islam idéal révélé dans le Coran et la pratique hypocrite de l'islam par la classe bourgeoise d'un Maroc des années 1950, de la condition de la femme musulmane en la personne de sa mère et de l'échec inévitable de l'intégration des Marocains dans la société française. Ce dernier point sera renforcé en 1979 dans la suite de ce livre, “Succession ouverte”, où le même protagoniste, rendu malade par la caste que représentent son statut et son identité d'immigré, se voit obligé de retourner à sa terre natale pour enterrer « le Seigneur », feu son père. C'est une critique plus douce, presque mélancolique, que propose cette fois Chraïbi, mettant en relief la nouvelle réalité française du protagoniste et la reconquête d'un Maroc quitté il y a si longtemps. “Succession ouverte” pose la question qui hantera l'écrivain jusqu'à ses derniers jours : « Cet homme était mes tenants et mes aboutissants. Aurons-nous un jour un autre avenir que notre passé ? » Question qu'il étend ensuite à l'ensemble du monde musulman.
Dans “Les Boucs”, l'auteur critique le rapport de la France avec ses immigrés, travailleurs exploités qu'il qualifie de « promus au sacrifice ». C'est le premier livre qui évoque dans un langage haché, cru, poignant, le sort fait par le pays des Lumières aux Nord-Africains.
Suivent deux romans épuisés aujourd'hui : “L'Âne”, dans le contexte des indépendances africaines, prédit avant tout le monde leur échec et les dictatures, « ce socialisme de flics ». “La Foule”, également épuisé, est une critique voilée du Général de Gaulle. Le héros est un imbécile qui arrive au pouvoir suprême, car, à son grand étonnement, la foule l'acclame dès qu'il ouvre la bouche.
Une page se tourne avec la mort de son père, Haj Fatmi Chraïbi, en 1957. L'écrivain, en exil en France, dépasse la révolte contre son père et établit un nouveau dialogue avec lui par-delà la tombe et l'océan dans “Succession ouverte”.
“La Civilisation, ma Mère!...” (1972) tente d'apporter une réponse aux interrogations de l'écrivain marocain. Le fils aide sa mère à se libérer du carcan de la société patriarcale et à trouver sa propre voie. C'est l'une des premières fois que la question de la femme est évoquée dans la littérature marocaine.
Sources : France Culture et Wikipedia
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