Areski semblait tout excité. Il disait que la terre, parce qu'elle avait bougé, n'était plus la terre comme d'habitude. "Et moi, monsieur Michel, je suis peut-être Areski, mais pas le même."
- Et moi ? avait demandé mon père.
- Toi, monsieur Michel, tu es toujours monsieur Michel. Mais peut-être qu'on est maintenant tous les deux comme deux frères. Deux frères qui marchent ensemble dans la nuit pour retrouver l'eau de la montagne sous la lune.
- Comment, Areski, tu veux qu'on soit frères ? Toi en arabe, tu dis 'le lune', 'la soleil' et moi je dis 'la lune', 'le soleil' !
- d'accord, monsieur Michel, mais c'est comme au marché quand on fait l'échange. Les poivrons, les tomates changent de noms mais ils restent pareils. Et moi, ce soir, je suis ton frère parce que la terre a bougé.
La mère, en lui, chantait toujours, elle lui redonnait le goût des sources, le nourrissait. Elle était encore cette terre engloutie qu'il avait vue se mélanger aux bouillons gloutons du sillage du paquebot qui l'avait conduit en France.
Du bastingage, appuyé à la main courante, l'enfant vit se perdre Alger, la ville blanche et les cubes peints à la chaux de la Casbah qui recouvrent les collines. Tout s'effaçait et pourtant en lui, il le savait déjà, tout s'inscrivait, se gravait, comme par enchantement.
La Bibliothèque francophone de Paris 8 vous propose une rencontre avec Leïla Sebbar, rencontre littéraire organisée par Ferroudja Allouache et Kamila Bouchemal ainsi que les étudiant.e.s de Master Création critique/Écritures du monde.
Retrouvez cette ressource et sa documentation sur Octaviana (la bibliothèque numérique de l'université Paris 8) : https://octaviana.fr/document/VUN0036_19