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G. Jean-Aubry (Traducteur)
EAN : 9782070410897
431 pages
Gallimard (23/09/1999)
4.1/5   40 notes
Résumé :

"Je sens ici, à un point intolérable, cette quête incessante de l'autre. L'amour, la folie d'une passion sont dans cette brûlure. C'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de femmes dans les romans de Conrad. Pourtant cet amour est partout. C'est lui qui élève, qui fait affronter le monde, qui nie la destruction. Le désir est la violence à l'état le plus pur, ivresse aveugle, injustice parfois, qui lie la passion ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
En sortant de la lecture de Un paria des îles, j'avais cette impression gluante de la peau qui colle comme au sortir d'une étuve suffocante. le style de Conrad étouffe et lessive l'esprit comme un serpent constricteur : il ne lâche pas sa proie ; il ne laisse pas respirer. En plus de tout dire, de tout déballer, il nous noie sous la saturation de la description du malheur et crée une distorsion irritante.

L'atmosphère de ce roman est pestilentielle. C'est son deuxième roman et le deuxième de sa trilogie malaise écrite à rebours. Il relate ce qui précède La folie Almayer et fait suite à La rescousse. Il n'atteint pas ici l'équilibre de Au coeur des ténèbres et ressemble plus à Lord Jim qui est lui aussi un amas de strates saturées.

J'ai retrouvé l'abondance des adjectifs introduisant des effets de dissonance caractéristiques de Joseph Conrad. Il fait partie des écrivains qui ont le mieux su décrire la folie. Il fait plus que la dépeindre : il l'induit dans l'esprit du lecteur et l'y enveloppe tout entier jusqu'à ce qu'il ne puisse plus respirer autre chose. On ne sort pas indemne d'une telle lecture. À quoi bon ces réitérations dissonantes sinon pour faire vaciller les repères de la réalité ?

Conrad, c'est l'inquiétude, l'angoisse, le culte du malsain qui se limite à la surface des choses, saoule d'apparences et joue sans cesse sur ce contraste qu'il décline inlassablement entre lumière et ténèbres. C'est cette dualité que renferme l'écrasante majorité des images qu'il utilise. Il manque de subtilité et rabâche les obsessions de ses propres angoisses existentielles. Son livre est trop homogène pour que sa densité paraisse une richesse. Conrad enterre l'esprit du lecteur sous une montagne uniforme de mottes compactes et s'étonnait de ne pas connaître la moitié du succès de Kipling !

Il a vécu toute sa vie à travers les filtres de la faute, du péché, de la solitude, de l'incompréhension. Ses protagonistes sont voués à la damnation. C'était bien un catholique. Toute la vision de Conrad est en ombres chinoises. Dans l'esprit du lecteur, il n'allume pas un feu, il y souffle une fumée épaisse.
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Conrad, dans ce second roman publié en 1896, reprend les personnages et le lieux de la Folie Almayer qu'il avait situé sur les bords d'une rivière orientale du côté de Bornéo.

Cette nouvelle intrigue se déroule quelques années plus tôt. Il y met en scène la déchéance progressive de Willems, son personnage principal. Ce dernier ayant commis des malversations au sein de la maison Hudig et Cie, est protégé par le capitaine Lingard qui l'éloigne et le débarque dans l'un de ses comptoirs à Sambir, ville qui s'ouvre sur les bords d'un fleuve dont le nom n'est jamais cité. Almayer y gère les affaires de Lingard, mais ayant été quelques années plus tôt sous les ordres Willems, une antipathie vive oppose très rapidement les deux hommes. Elle conduira alors Willems à trahir les intérêts même de son protecteur. Cette trahison sera l'une des conséquences désastrueuses de sa rencontre avec une très belle indigène vivant de l'autre côté du fleuve qui le subjuguera dès le premier regard. La passion et le désir qu'il éprouvera pour elle le conduira à tous les renoncements oscillant constamment entre remord existentiel et désir d'autant plus coupable qu'il est marié à Joanna dont il a un jeune fils Louis.

Les turpitudes de Willems seront d'autant plus exacerbées que l'isolement auquel il est contraint blessent son orgueil démesuré. La moiteur et la chaleur émolliente des tropiques semblent dans le même temps faire perdre à lui comme à Almayer toute dignité et toute retenue laissant libre cours à leurs passions les plus viles. Comme Conrad le reconnait dans sa note introductive de 1919, il s'agit du plus tropical de ses récits orientaux. On y retrouve également sa critique du colonialisme dont "Au coeur des ténèbres" sera l'oeuvre la plus emblématique, elle aussi se déroulant sur les bords d'un fleuve.

A travers ce roman et au delà d'une structure narrative qui signera l'ensemble de ses oeuvres, Conrad s'affirme dans ce qui fera plus tard sa marque : des personnages au destin à la puissance évocatrice confrontés à leurs dilemmes et leurs misères intérieures et auxquels il ne peuvent échapper.

Enfin, la mer est également. Cette mer dont Conrad reconnaitra que la Folie Almayer n'avait rien à voir aussi bien par la pensée que l'émotion et que cette part de lui-même s'en trouvait grandement ébranlée.
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"Un soupir sous l'azur embrasé, un frisson de la mer endormie, un souffle frais comme si l'on eût soudain ouvert une porte sur les étendues glacées de l'univers, et dans un remuement de feuilles, dans une inclinaison de branches, dans le tremblement de rameaux élancés, la brise marine frappa le rivage, remonta impétueusement le fleuve, s'engouffra dans ses larges lignes droites, et poursuivit son voyage dans le doux frémissement de l'onde assombrie, le murmure des branches, le bruissement des feuilles des forêts réveillées."

Avec son deuxième roman, An Outcast of the Islands, publié en 1896, Conrad retourne sur les lieux de son crime originel. Le lecteur y retrouve donc le village de Sambir, élevé sur les rives de la Pantaï et dans lequel grouillent, telles des bactéries pyogènes dans la cavité d'un abcès, quelques blanches épaves humaines parmi d'ombrageux indigènes. Conrad ne cesse de gratter ce microcosme phlegmoneux, dérisoire miroir tendu à notre triste humanité. Moiteur, chaleur et putréfaction...

On y éprouve une âpre jouissance à se colleter corps à corps avec sa cohorte de tristes héros ou laissés-pour-compte parmi lesquels le Capitaine Lingard, Almayer, Babalatchi ou Abdullah (cf. La folie Almayer). Dans cette insigne préquelle, on suit la lente dérive de Willems, échoué dans ce coin de jungle paumé.

Dans le premier chapitre, Conrad nous dresse le portrait sans concession de cet imbécile flamboyant, baudruche gonflée de sa propre outrecuidance, ne doutant de rien ni de personne. Un détournement d'argent va entraîner sa débâcle : sans travail, ni famille (sa femme le désavoue crûment), il trouve refuge, grâce à Tom Lingard, son mentor, à Sambir, le temps de se faire oublier.

Sa passion érotique pour la sauvageonne Aïssa va précipiter sa dégringolade. L'amour dévorateur qui unit Willems à sa farouche amante commence par l'un des coups de foudre les plus radicaux qu'il m'ait été donné de lire. "Une ombre passa sur le visage de Willems. Il mit sa main sur ses lèvres comme pour retenir les mots qui voulaient s'en échapper dans l'élan d'une impulsive nécessité, aboutissement d'une pensée obsédante qui se précipite du coeur au cerveau et qui exige d'être exprimée en dépit du doute, du danger, de la peur, de la destruction elle-même. "Vous êtes belle", murmura-t-il." Malaise en Malaisie...

Dans cette éprouvante radiographie d'une déchéance, le style de Conrad s'enflamme souvent et sublime d'une palette chatoyante l'enfer vert de Bornéo.

Metteur en scène attentif aux attitudes de chacun de ses personnages, Conrad les dessine dans l'espace, soucieux du moindre geste de la main ou du bras et ses silhouettes s'incarnent dans une réalité soudain tangible. Plus faible dans ses dialogues qui frôlent l'artificialité, il tient en haleine le lecteur éreinté par une construction habile qui mêle flashbacks et ruminations intérieures, portraits au fusain et panoramas à l'aquarelle. Ses fulgurances nous accompagnent longtemps et sa modernité nous harponne définitivement (l'ultime chapitre est faulknérien).

Vivats passionnés pour ce très beau livre.
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Un Paria des îles fut écrit après "La Folie Almayer", le premier roman de Joseph Conrad. Il reprend les mêmes lieux et on y retrouve quelques personnages (Almayer, Lingard, Babalatchi), mais dans un temps antérieur. Dans un univers sauvage et reculé, entouré par les lourdes eaux d'un fleuve, le lointain horizon de la mer et la majesté de la forêt tropicale, des êtres s'épient, s'aiment et se haïssent, des communautés tentent de cohabiter, des intrigues se nouent.
Le style très emphatique de Conrad donne une belle ampleur aux descriptions des paysages, aux sentiments et aux émotions des personnages.
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C'est chaud, c'est moite, on sent l'atmosphère et le climat pesants.
Chez Conrad tout est travaillé tant les personnages que les décors. Avec une langue simple on peut avoir une très belle écriture claire précise et juste.
Conrad est vraiment un très grand auteur!
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Ainsi qu'une femme magnifique et dénuée de scrupules, la mer autrefois resplendissante dans ses sourires, irrésistible dans sa colère, capricieuse, captivante, illogique, irresponsable, objet d'amour, objet de crainte. Elle vous tenait sous le charme, vous donnait la joie, vous engourdissait doucement jusqu'à vous faire éprouver une foi sans borne ; puis, dans un coup de colère sans motif, elle vous tuait. Mais sa cruauté était rachetée par le charme de son insondable mystère, par l'immensité de ses promesses, par le suprême ensorcellement de ses faveurs possibles.
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Ecoutez, poursuivi Almayer, en parlant très fort et en martelant la table, je voudrais savoir. Vous qui dites avoir lu tous les livres, dites moi donc seulement...pourquoi sont permises des choses aussi abominables. Me voilà ici ! Moi qui n'ai fait de mal à personne, qui ai mené une vie honnête...et une canaille pareille naît à Rotterdam ou dans un coin de ce genre quelque part à l'autre bout du monde, il vient jusqu'ici, vole son employeur, abandonne sa femme, et nous ruine, moi et ma Nina - il m'a ruiné, vous dis-je - et se fait abattre en fin de compte par une pauvre malheureuse sauvagesse, qui, en fait ne sait absolument rien sur lui. Qu'est-ce que cela signifie ? Où est votre Providence ? Où y a-t-il dans tout cela un avantage quelconque pour qui que ce soit ? Le monde est une escroquerie ! Une escroquerie !Pourquoi dois-je en être victime ? Qu'est-ce que j'ai fait pour qu'on me traite ainsi ?
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Au détour suivant du sentier, il entrevit encore fugitivement devant lui une étoffe de couleur et les cheveux noirs d'une femme. Il précipita sa marche et découvrit dans sa totalité l'objet de sa poursuite. La femme, qui portait deux seaux de bambou pleins d'eau, entendit ses pas, s'arrêta et, posant à terre les seaux de bambou, se retourna à demi vers lui. Willems, lui aussi, demeura immobile un instant, puis continua d'avancer d'un pas ferme, tandis que la femme s'écartait pour le laisser passer. Les yeux fixes, il regardait droit devant lui ; pourtant, presque sans s'en rendre compte, il saisit les moindres détails de la haute et gracieuse silhouette. À son approche, la femme rejeta légèrement la tête en arrière et, d'un geste dégagé de son bras ferme et rond, elle ramassa vivement sa longue chevelure noire et, la ramenant par-dessus son épaule, s'en couvrit le bas du visage.
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La mer, peut-être à cause de son sel, durcit, chez ceux qui la servent, la carapace de l'âme, mais préserve la douceur de sa pulpe. La mer millénaire ; la mer de jadis, dont les serviteurs étaient des esclaves fervents et voyageaient de la jeunesse à la vieillesse ou rencontraient tombe soudaine, sans qu'il leur fut besoin d'ouvrir le livre de la vie car ils pouvaient contempler l'image de l'éternité sur cet élément qui donne la vie et dispense la mort.
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De petits groupes s'accroupirent autour des modestes feux et le murmure sourd et monotone de la conversation emplit l'enclos; conversation de barbares, persistante, régulière, se répétant sans cesse dans les discours de ces hommes, fils des forêts et des mers, capables de parler presque tout le jour et pendant toute la nuit; qui jamais n'épuisent un sujet, jamais ne semblent pouvoir en finir de triturer un problème; pour qui cette conversation, c'est la poésie, la peinture et la musique, tout l'art, toute l'histoire; leur seul talent, leur seule supériorité, leur seul divertissement. Conversation des feux de campement, qui parle de bravoure et de ruse, d'événements étranges et de contrées lointaines, des nouvelles d'hier et des nouvelles de demain. Conversation sur les vivants et les morts - sur ceux qui se sont battus et ceux qui se sont aimés.
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Un navire de croisière qui s'échoue. le commandant qui prend la fuite. Une trentaine de passagers qui perd la vie. Ca c'est passé il y a quelques années, vous vous en souvenez. Pour un marin, déserter le bord c'est le déshonneur suprême. Et pour un romancier, c'est l'occasion de sonder les abysses de l'âme humaine.
« Lord Jim » de Joseph Conrad, un classique à lire chez Folio.
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