AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782020006385
156 pages
Seuil (01/04/1975)
3.67/5   9 notes
Résumé :
Les structures aliénantes de la famille se trouvent reproduites en tous lieux : usine, syndicat, école, université, parti, armée, hôpital... A leur tour, ces structures sociales poursuivent l'œuvre entreprise par la famille qui, à travers la socialisation initiale de l'esprit, sécrète la «normalité» et les bases du conformisme.

Dans ces réflexions en liberté sur l'amour, le mariage, la mort, la folie, la révolution, David Cooper, pionnier de l'anti-ps... >Voir plus
Que lire après Mort de la familleVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Dans les pages de Mort de la famille, David Cooper évoque cette anecdote éloquente :


« Heidi, quatre ans, après que je lui eus appris à parler aux arbres, à leur serrer convenablement la main, à écouter leurs différentes réponses, à dire bonjour aux uns et à sortir les autres de leur mutisme : « Je crois que tu es tout simplement cinglé. » »


Or, pour David Cooper, il n'existe pas de plus sincère et de plus délicat compliment que celui-ci. Que l'on lise bien, en particulier, les chapitres « Révolution de l'amour et de la folie » et « Mort et révolution » pour qu'on comprenne la joie qui a pu être la sienne à l'idée d'avoir réussi, au moins aux yeux de cette petite Heidi, à s'éjecter hors de ses gonds. La folie est une fuite salvatrice qui effraie le carcan sécuritaire que la société a essayé de mettre en place autour des individus vidés de leur substance. La folie est le stade transcendé de la névrose, l'état d'un être dominé par « sa peur de la peur des autres face à la puérilité ». La folie est l'autre mot désignant la liberté. Mais quel rapport avec la famille ? …


A l'opposé de cet élan émancipateur permis par la folie se trouve l'état eknoïde « normal du citoyen conditionné et toujours obéissant ». Normal selon les termes définis, mais en réalité plus malsain et perturbé que l'état de l'homme qui cherche à se trouver pour mieux retrouver les autres et se permettre l'amour. L'état eknoïde est entretenu par des institutions telles que l'école, l'hôpital, l'institution psychiatrique, l'état, les syndicats ou l'armée, tous fondés sur le modèle de la famille. Et pas n'importe quelle famille… Les foudres de David Cooper s'abattent en premier lieu sur la famille telle que l'exigent les sociétés « fondées sur l'exploitation », c'est-à-dire les « société esclavagiste, société féodale, société capitaliste depuis son stade le plus primitif au siècle dernier jusqu'aux sociétés néo-colonialistes de l'actuel premier monde ». Définies selon le sacro-saint modèle parents/enfants, éventuellement élargi par l'adjonction d'autres micro-structures formant, dans leurs liens de parenté, la communauté des oncles/tantes et des enfants/petits-enfants, les possibilités libres d'extension sont réduites et le lien social se résume au lien biologique. le lien social, d'ailleurs, est ténu, entravé par des manifestations d'affection conventionnelles. Si la famille permet un apprentissage, c'est bien celui de la retenue, de la frustration et de la honte, débouchant sur l'impossibilité chronique de communiquer avec autrui.


« On peut se souvenir du jeune homme dont parle Grace Stuart et qui, voyant son père dans son cercueil, se pencha sur lui, l'embrassa sur le front et lui dit : « Père, je n'ai jamais osé faire cela de ton vivant. » Peut-être que si nous sentions à quel point sont morts les hommes vivants, le désespoir que nous en ressentirions nous inciterait à prendre plus de risques. »


La famille est une prison dorée autogérée. Chacun des membres qui compose une de ces cellules rêverait –dans son inconscient ou non- de s'en échapper pour expérimenter ses potentialités personnelles, mais aucun ne le peut, surveillé et cadenassé par les autres membres tout aussi frustrés que lui qui constituent sa famille.


Le regard affuté, David Cooper étend son analyse aux institutions familiales que sont en particulier l'état et l'institution psychiatrique, ce dernier modèle le concernant particulièrement dans sa tentative d'élaborer une thérapeutique antipsychiatrique, pour ne pas dire une thérapie antithérapeutique étant donné que « le vrai problème qui se pose au thérapeute, c'est d'être un thérapeute », ou plutôt, de n'être qu'un thérapeute, et de ne pas être lui-même avant toute chose. Si les institutions psychiatriques recréent un schéma de cellule familiale, cadenassée cette fois-ci à coups d'antipsychotiques et d'antidépresseurs, c'est parce que ses médecins ne se sont pas débarrassées du carcan de leur éducation et que, n'ayant pu se trouver eux-mêmes, ils empêchent aux plus habiles –ceux qui ont essayé de fuir par la folie- de se trouver à leur tour. On comprend peu à peu que le modèle familial est le modèle de la jalousie. A cause de cette jalousie, le monde est « une gigantesque usine de bacon » : « nous, nous finissons par nous rouler dans des flaques de boue assez profondes pour nous ensevelir, ou nous nous laissons frire sous la voûte d'un crématoire et transformer en bacon trop croustillant ; nous gardons au chaud, par la même occasion, les pieds pannés de notre parentèle ».


Oui, David Cooper est un drôle d'homme. Il s'efforce d'utiliser le langage de manière rationnelle alors qu'il l'avait fortement dénigré comme voie royale pour accéder à son moi profond et à celui des autres dans son grand ouvrage Psychiatrie et anti-psychiatrie. On sent ici qu'il se démène souvent pour ne pas céder à l'emportement mais certaines de ses diatribes sont des envolées magistrales vers les territoires de l'organique. Aurions-nous vraiment oublié « la cascade de sang dans l'aorte abdominale de notre mère, son mouvement régulier, discipliné, biologique, répétant comme un écho timide le battement du coeur plus lointain, et ses borborygmes calmes et nerveux mais bien plus spontanés », « l'incroyable orchestration de sa respiration, le crissement de ses muscles qui se tendent et se détendent ? Ses mains qui sentent nos mouvements ? le docteur et la sage-femme qui nous palpent avec compétence mais sans attention ? Les produits pharmaceutiques pour nous garder et ceux pour se débarrasser de nous ? Les fantasmes développés par notre mère à cause de ceux que d'autres –très loin dans l'histoire- ont développés à son endroit ? L'enroulement de nos nerfs et la connaissance de la possibilité génétique de leur imperfection ? La détermination irréversible de notre sexe qui nous met au défi de pouvoir de temps à autre en changer par la suite ? Notre arrivée dans la lumière crue de la clinique entre des mains pleines de devoir, mais vides de plaisir ? le bruit des instruments chromés ? Les doigts importuns ou impératifs de la sage-femme qui nous incitent à attendre ou à rebrousser chemin ? » C'est peut-être parce que nous avons oublié cette composante organique, inéluctable de nous-mêmes, que nous n'assumons pas l'éjection de nos « saines merdes », à l'image de ce chancelier de l'état politique :


« Ce qu'il ignore, lorsqu'il expose la gestion financière de l'économie nationale, c'est la primauté totale, et dont il n'a aucune expérience, de la tension des muscles de son trou du cul. Il a oublié son corps ou l'a égaré dans le corpus politique. Chacune des paroles qu'il profère sur la balance des paiements passe par ses lèvres anales et non par ses lèvres buccales ; les mots se glissent à travers des hémorroïdes, sang stagnant, douloureux, thrombosé, caché dans les replis d'une stéatopygie politique monstrueuse. »


Comme un apôtre des temps modernes venu prêcher la parole de l'Amour sur Terre, David Cooper nous enjoint à nous détacher des prisons du lien social non désiré, à retrouver notre solitude, à reprendre goût à notre corps et à notre personnalité, pour ensuite nous tourner sans frustration ni rancoeur vers les autres afin de les accueillir sainement, de les aimer sans jalousie ni domination et de mourir apaisés.


Utopique, cette mort de la famille ne l'est que parce qu'il est impossible d'obtenir un consensus réunissant unanimement tous les hommes pour cette mise à mort. Réaliste, elle éclaire toutefois les relations humaines et dévoile la tristesse qui se faufile insidieusement sous les machinations perverses et autodestructrices d'une humanité frustrée. Même si les mots ne sont pas le moyen de communication le plus efficace pour toucher autrui, David Cooper ressent si pleinement ce qu'il écrit que cette mort de la famille ne peut vraisemblablement pas laisser insensible.
Lien : http://colimasson.over-blog...
Commenter  J’apprécie          200

Citations et extraits (52) Voir plus Ajouter une citation
Comment avons-nous pu oublier et maintenant comment nous rappeler la cascade de sang dans l’aorte abdominale de notre mère, son mouvement régulier, discipliné, biologique, répétant comme un écho timide le battement du cœur plus lointain, et ses borborygmes calmes et nerveux mais bien plus spontanés ? Comment avons-nous pu oublier et comment retrouver l’incroyable orchestration de sa respiration, le crissement de ses muscles qui se tendent et se détendent ? Ses mains qui sentent nos mouvements ? Le docteur et la sage-femme qui nous palpent avec compétence mais sans attention ? Les produits pharmaceutiques pour nous garder et ceux pour se débarrasser de nous ? Les fantasmes développés par notre mère à cause de ceux que d’autres –très loin dans l’histoire- ont développés à son endroit ? L’enroulement de nos nerfs et la connaissance de la possibilité génétique de leur imperfection ? La détermination irréversible de notre sexe qui nous met au défi de pouvoir de temps à autre en changer par la suite ? Notre arrivée dans la lumière crue de la clinique entre des mains pleines de devoir, mais vides de plaisir ? Le bruit des instruments chromés ? Les doigts importuns ou impératifs de la sage-femme qui nous incitent à attendre ou à rebrousser chemin ? C’est au moment où « ils » sont prêts qu’ils décrètent que nous sommes empressés de naître. Puis, dans une sorte d’orgasme, nous arrivons et sommes déposés dans une écuelle, prêts à être consommés : ultime infanticide commis par un monde d’êtres sans chair, squelettiques.
Commenter  J’apprécie          130
La famille interdit à ses membres de se toucher, de se sentir, de se goûter. Les enfants peuvent s’ébattre avec leurs parents, mais une stricte ligne de démarcation est dessinée autour de leurs zones érogènes. Ainsi, les garçons âgés ne peuvent embrasser leur mère que d’une façon très mesurée, oblique et guindée. Les étreintes et les attouchements entre sexes opposés deviennent vite, dans l’esprit de la famille, une dangereuse sexualité. […] En famille, la tendresse peut être ressentie –certes- mais en aucun cas exprimée, à moins d’être formalisée jusqu’à perdre pratiquement toute réalité. On peut se souvenir du jeune homme dont parle Grace Stuart et qui, voyant son père dans son cercueil, se pencha sur lui, l’embrassa sur le front et lui dit : « Père, je n’ai jamais osé faire cela de ton vivant. » Peut-être que si nous sentions à quel point sont morts les hommes vivants, le désespoir que nous en ressentirions nous inciterait à prendre plus de risques.
Commenter  J’apprécie          190
Je crois qu’il serait fécond, à ce stade, de faire la différence entre les relations amoureuses et les relations d’amour. Dans les premières, chaque personne permet à l’autre de s’aimer assez pour favoriser le développement de leur commune relation. Il s’agit de savoir comment ne pas empêcher l’autre d’être aimable et gentil envers lui-même. Ces expressions sont banales au point de confiner à l’attendrissement idiot, mais il se peut que nous ayons à respecter en nous-mêmes et dans les autres un besoin d’attendrissement idiot. Mon expérience m’a enseigné qu’on ne peut rien faire de bon dans un groupe si l’on n’a pas au préalable le pouvoir de catalyser la gentillesse et l’amabilité réciproques. Cette catalyse exige toujours du temps et des efforts. Mais il se peut que, pour aimer, nous ayons à expulser dans l’effort le désenchantement de l’amour.
Commenter  J’apprécie          130
Un moine tibétain, au cours d’une longue retraite méditative, commença à avoir des hallucinations : il voyait une araignée. Chaque jour, elle apparaissait et grandissait. Elle finit par atteindre la taille de l’homme et par le terrifier. A ce moment, le moine demanda conseil à son guru qui lui répondit : « La prochaine fois que l’araignée viendra, trace une croix sur son ventre puis, après mûre réflexion, prends un couteau et enfonce-le au milieu de la croix. » Le lendemain, le moine vit l’araignée, traça la croix puis réfléchit. Comme il s’apprêtait à enfoncer le couteau, il baissa les yeux et vit avec stupeur que la croix était tracée sur son propre nombril. Il est évident que distinguer entre ses ennemis intérieurs et extérieurs est littéralement une question de vie ou de mort.
Commenter  J’apprécie          130
Dans l’unité dont j’avais parlé, j’avais suggéré –pour économiser l’argent du ministère de la Santé publique- d’employer un ou deux hommes ou une ou deux femmes expérimentés (c’était une unité pour hommes seuls) qui seraient les prostitués du temple et initieraient sexuellement les jeunes gens. […] La technique est au centre de la sexualité, mais la sexualité est l’objet des pires craintes du service psychiatrique qui a besoin de ses fous pour ne pas perdre sa déraisonnable raison d’être. Et les cliniques de consultation se multiplient, ainsi que les tranquillisants et les voyants électroniques qui, dans l’intérêt d’un idéal familial lointain et insensé, contrôlent et détruisent toute possibilité extatique d’expérience et toute tentative de libération sexuelle.
Commenter  J’apprécie          130

Dans la catégorie : FamilleVoir plus
>Culture et normes de comportement>Mariage et famille>Famille (32)
autres livres classés : psychiatrieVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (42) Voir plus



Quiz Voir plus

Freud et les autres...

Combien y a-t-il de leçons sur la psychanalyse selon Freud ?

3
4
5
6

10 questions
436 lecteurs ont répondu
Thèmes : psychologie , psychanalyse , sciences humainesCréer un quiz sur ce livre

{* *}