Les frères Holt My brother's keeper
Marcia Davenport
roman
traduit de l'anglais par
F. de Bardy
1954, 1992 pour la version française
Le Promeneur, 519p
C'est l'histoire d'une maison. Une maison bourgeoise hantée par des fantômes vivants, et encombrée d'objets qui ne voulaient pas rester des objets. Une maison qui sent aussi la pourriture. Plus les frères, « nés pour un destin sans espoir » se retranchent dans cette maison, plus ils y entassent de choses hétéroclites, en syllogomanes qu'ils sont devenus. Un jour, Randall s'est fait cette réflexion : « Je ne sais rien, et moins que tout pourquoi nous sommes ce que nous sommes ». Un autre jour, il fait la lecture d'un fait divers à son frère. L'article informe qu'un homme a été retrouvé mort chez lui dans le plus grand dénuement, à côté de monceaux d'argent et de nombreuses tours fabriquées avec des bâtons de sucette. Les frères trouvent cette histoire incroyable sans se rendre compte qu'ils sont comme cet homme-là.
Marcia Davenport, elle aussi, raconte un fait divers fameux dont les journaux internationaux se sont faits l'écho. C'est ce livre.
La maison se situe dans le quartier Chelsea de New York, qui tend à la fin du XIX° à devenir populaire et populeux, et même mal famé. Il aurait fallu la quitter. La propriétaire en était une vieille femme tyrannique et cruelle, qui voulait tout régenter, choses et gens, voire son propre fils. le jour où ce dernier, dont elle a fait en sorte qu'il n'ait aucune fortune personnelle, se dresse contre sa perverse autorité, il meurt, laissant sous sa coupe sa femme et ses deux fils. Sa femme sombre petit à petit dans la folie.
La vieille dame meurt. Elle a fait un testament odieux, ne laissant à ses petits-fils qu'une maison qu'ils ne peuvent vendre, et de l'argent dont ils disposeront à leurs 40 ans. Est-ce par vengeance contre l'aîné de ses petits-fils qui lui a dit ce qu'elle était, ou parce que c'est sa nature ? Leur mère malade se retire dans sa chambre qu'elle encombre de plein de choses, et qui se trouve dans un désordre toujours plus grand.
Les petits-fils sont Seymour, viril, passionné de mécanique, amoureux des bateaux, et Randall, trop tendre, que sa mère dès son jeune âge a mis au piano. Mais il n'est pas un virtuose, il ne peut être concertiste. C'est ce qu'il apprend après deux ans d'études musicales à Vienne. Randall est un être faible, qui ne connaît rien aux choses de la vie, et qu'une diva, dont « les formes opulentes » sont « agitées comme de la gélatine » aimant le sexe, dépucelle, pui suit une scène d'adultère décrite de façon absolument ridicule . Randall doit quitter Vienne.
Il revient à New York, sur décision de son frère, parce que celui-ci sait toujours ce qu'il faut faire, dans la maison familiale qui entre en décrépitude. La mère meurt. Sa chambre reste en l'état. Les garçons se promettent de quitter la maison bientôt, inutile donc de l'entretenir, Seymour bricole dans la cave où il entasse tout ce qui pourrait être utile à ses futurs travaux et range, après l'avoir fait démonter et remonter entièrement, la luxueuse voiture qu'il s'est offerte. Randall se réfugie parfois dans l'ancienne nursery, où il dépose ses papiers importants, un journal intime qu'il griffonne sur les marges des partitions, et accumule des pianos. Seymour jouit de la vie avant de devenir complètement aveugle, et Randall poursuit une médiocre carrière musicale. Il rencontre une jeune cantatrice italienne, Renata, qu'il aime passionnément et d'un amour pur, mais elle, refuse un tel amour, lui préférant le plaisir et la frivolité, alors qu'elle a été élevée dans une stricte et superstitieuse éducation chrétienne. Alors que les deux frères détestent toute surveillance et ont appris à ne pas se surveiller l'un l'autre, même si Seymour pose beaucoup de questions sur l'amie de Randall et vient dénicher le couple dans son lieu de retraite, Randall se tient sur la réserve vis-à-vis de son frère, sentant confusément des menaces qui deviennent réalité. Renata est enceinte, mais duquel des deux frères, celui qui la considérait comme une putain, ou l'autre qui l'a violée quand il a découvert qu'elle était avec son frère ? Seymour, cynique, ne veut entendre parler d'elle, et Randall dans son désespoir arrive à lui dire des paroles ignobles. Elle laisse le bébé devant leur porte. C'est un garçon, particulièrement intelligent, et les deux frères l'aiment éperdument, mais Seymour qui physiquement ressemble à sa grand-mère, se montre dangereux pour l'enfant, tant il a une idée précise de ce qui est bon pour lui.
Randall le conduit en Italie, parce que pourquoi vivait-il, si ce n'était pour agir selon sa nature?- là où sa mère a vécu enfant, et contre toute attente, y retrouve une Renata complètement changée et qui ne chante plus. Tous trois vivent une existence paisible près du lac de Côme pendant trois ans, mais Seymour, après une mauvaise chute, est paralysé, et Randall rentre en Amérique s'occuper de son frère, en laissant pour toujours les deux amours de sa vie.
Commence alors la déchéance des frères Holt qui se coupent du monde, simultanément au délabrement progressif de la demeure. Randall est au service de son frère qui, obsessionnellement, demande à Randall de calfeutrer la maison, de sorte que personne n'y entre.
C'est une histoire de châtiment et d'expiation, pour des êtres rattrapés par leurs démons et leurs sottes croyances. le titre anglais, qui fait référence à la question de Caïn, pose la question de la liberté individuelle et celle du devoir mutuel. Randall, qui aurait dû se détacher de son frère, mais l'aurait-il pu lui qui se tournait vers lui à chaque problème, lui demeure soumis, les deux frères auraient dû quitter la maison qui les retenait, Renata aurait dû accepter la proposition de mariage si elle n'avait été aussi honnête et imprégnée de principes rigides. L'enfant au moins est soustrait à la puissance des destins et donne une magnifique leçon d'amour et de désintéressement à la fin du livre.
C'est un livre noir, dans lequel le lecteur se sent mal à l'aise, et aurait aimé poursuivre le rêve de la maison rose. le livre, de facture classique avec un prologue qui ouvre sur une mort, une disparition, eun mystère, et une fin qui ne termine rien -le lecteur reste avec ses interrogations- se lit bien malgré quelques longueurs et un vif sentiment d'étouffement. Gérard Collard, un libraire loufoque et un chroniqueur littéraire aux T-shirts remarqués, sur le conseil de qui j'ai lu ce livre, parle d'un roman-culte. Je n'irai pas jusque-là.