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Aaah ! Je viens de prendre ma dose annuelle d'Évanégyre. Bon sang que ça fait du bien C'est de la bonne came, cette année encore. Pourtant rentrer dans ce pavé que constitue le premier tome d'une grosse trilogie ne s'est pas fait si facilement. L'action se passe bien après que l'empire d'Asreth se soit effondré. Une civilisation de type médiévale réussit à bourgeonner dans ce paysage parcouru d'énergie « magique » incontrôlée. le principe de l'éternel recommencement est à l'oeuvre, selon la même idée qui guidait le cycle de Corlay de Richard Cowper ou Un Cantique pour Leibowitz de Walter M. Miller. Dans ce décor, le royaume de Rhovelle est soumis à des déchirements politiques internes au moment même où une menace monstrueuse et létale montre le bout de son nez au-delà des montagnes (pour comprendre les origines de ce bazar, il est utile d'avoir lu La Route de la Conquête, même si ce n'est pas indispensable). Un royaume déchiré politiquement gouverné par un Conseil, une menace monstrueuse qui vient du nord derrière un mur de montagne, ça commence à ressembler à quelque chose de connu. Et alors ? Ce n'est pas une honte. C'est Robert Silverberg qui disait que l'être humain n'est pas fait pour inventer quelque chose ab initio (cf ; Bifrost n°49). Même inconsciemment, un auteur est obligé de s'inspirer de ce qu'il a vu, lu et entendu dans sa vie. L'important, c'est la variation qu'il va proposer par rapport au thème principal. Et justement la partie construction du royaume n'apporte pas de note vraiment originale. Je me suis demandé pourquoi Rhovelle disposait d'un ost alors qu'elle n'a aucun ennemi extérieur à affronter. Les menaces « magiques » internes au royaume ne sont pas du genre à clamer leur défi sur un champ de bataille. L'Église est construite pour être détestée par le lecteur (cela s'explique au vu du contexte). Les conflits de la cour n'ont pas une origine digne d'une tragédie mais semblent plutôt naître de petites mesquineries, de petits riens. J'ai trouvé ces passages de la cour longs et manquant de fougue, surtout ceux consacrés à Juhel. Par contraste, j'ai éprouvé beaucoup de plaisir sur les chapitres consacrés à notre Messagère du Ciel. Mériane établit une relation avec son Dieu très jouissive pour un lecteur qui n'est pas dévot. Il n'est pas question de soumission totale, de transe illuminée devant la Lumière du Créateur. Au contraire c'est comme si Savonarole venait hanter l'esprit de Descartes ; cela donne lieu à des débats à l'ironie prononcée extrêmement réjouissants. Mériane établit le même genre de rapports amour/haine avec Léopol le soldat de Dieu. Là aussi les échanges valent un bon match Borg-Mc Enroe. Autre duo explosif : Chunsène, la soeur en esprit d'Arya Stark, et la « parfaite » Néhyr. Lionel Davoust est un dialoguiste en or. Les dieux qui mènent le jeu m'intriguent beaucoup ; je n'arrête pas de conjecturer à leur sujet. Il faut dire qu'ils représentent un violent changement de paradigme par rapport aux récits consacrés à l'empire d'Asreth. En ce temps-là, la vision dominante du monde était scientifique ; on analysait, reproduisait, modélisait, maîtrisait. Les dieux étaient confinés. Ils n'étaient pas nécessaires à la compréhension du monde par l'empire. Ici ce sont les principaux joueurs. Pas seulement par l'intermédiaire de leurs hérauts : ils s'expriment directement, prétendent avoir toujours existé, avoir décidé de la fin de l'empire. Eh bien j'ai des doutes. Je me demande vraiment si ces « dieux » n'ont pas été en quelque sorte conçus par les déflagrations dignes d'une guerre atomique qui ont provoqué la fin d'Asreth, si ce ne sont pas eux les « dupes ». L'alternative m'obligerait à admettre que la créatrice « divine » de l'empire était une sorte d'ange déchu du panthéon d'Évanégyre. Et je digèrerais mal cette information, car une des forces de cet univers est, à mon avis, la vision très occidentale moderne que porte l'homme d'Asreth sur son monde. Lorsqu'on approche de la fin, on se rend compte à quel point Lionel Davoust est un écrivain architecte ; c'est-à-dire qu'il maîtrise son récit de bout en bout, que la conséquence de chaque acte était prévue, qu'à aucun moment son histoire ne lui a échappé pour prendre son propre envol. Tellement d'éléments se mettent alors en place. de nombreux passages qui m'avaient semblé ennuyeux et sans réelle conséquence prennent du sens. C'est un gène qu'il partage avec Asimov. Mais l'auteur est-il vraiment architecte ? Je l'imagine en fait plutôt comme possédant les conditions aux limites de son récit ‒ d'où il part et où il doit arriver ‒ mais sans avoir l'idée précise du chemin qu'il va lui falloir tailler à coup de serpe dans la jungle inconnue pour relier ses balises. Un peu comme un scientifique qui écrit un article : ceux-ci semblent toujours prétendre que l'auteur a suivi un chemin logique et déterministe, avançant pas à pas inéluctablement grâce à la raison, alors qu'en fait il a passé son temps à affronter la désillusion, à pleurnicher à genoux qu'il n'y arriverait jamais. La présentation n'est pas la vérité, mais elle fait de l'effet sur le lecteur. Enfin, est-il nécessaire d'ajouter que Lionel Davoust est un maître de la description des batailles ? Son roman La Volonté du Dragon (toujours dans Évanégyre) suffisait à le prouver. On retrouve ici la même efficacité, la même maîtrise de la tactique qui n'oublie pas d'osciller entre défaite totale et victoire définitive en multipliant les points de vue. Même si je continue à penser qu'on aurait gagné à faire un peu plus court, j'applaudis la qualité du récit que j'ai lu, digne de l'univers que Lionel Davoust ne cesse de développer par petite touche, comme un peintre impressionniste. La suite ne tardera pas et c'est tant mieux. J'espère que les prophéties seront mises en défaut et que l'on aura droit à une palanquée de surprises. Car sur Évanégyre, même les dieux peuvent être surpris. + Lire la suite |