23 avril
Nous marchons dans le mouillé, la page du carnet est tachée de gouttes d'eau, il bruine, nous marchons dans les odeurs de mouillé. Mauvaise humeur. Doutes. Au moment de la touche finale, on retient le pinceau au-dessus de la toile, le tableau va-t-il prendre ? Je vais faire un tour relève-t-il d'une discipline ou de l'abrutissement ? Du borné de l'insecte qui se cogne encore et encore contre la vitre de la fenêtre fermée, ignorant que la porte est ouverte à côté ? Il n'y a pas de progression, pas d'avancée, pas de plus ou moins, pas de mieux, il faut être happé ou rien (consentir, bien que doué de malice, à l'idiotie). Et ma mauvaise humeur me met l'hameçon dans la bouche (la douleur en moins), dents, langue, mots se cognant à ce méchant bout de fer. Un simple crochet peut boucher l'horizon (déjà très obtus aujourd'hui il est vrai).
En anglais pourtant, hameçon qui se dit hook, dans l'expression qui signifie par tous les moyens, by hook or by crook, ouvre tous les possibles.
27 avril
Boutons d'or pour saluer le cagnard. Cagnard, cogner. Ça cogne en effet. Les chiens, pas fous, se couchent à l'ombre d'épais buissons. Bientôt on ne pourra plus s'allonger au milieu du champ, dans le plein de l'après-midi. J'attrapais une insolation, enfant, pour avoir pique-niquer au Grand pré avec d'autres filles du village. Je me souviens surtout de m'être évanouie le soir en rentrant chez moi, et ce n'est pas un mauvais souvenir. Le soleil définitivement lié à l’évanouissement, à la disparition. Les filles en avaient profité pour me signifier que si j'avais attrapé une insolation, c'est que je n'étais pas d'ici, pas assez aguerrie comme, selon elles, je venais du Nord (ainsi, pour moi, le Nord fut longtemps la Savoie où je suis née, où j'ai vécu les trois première semaines de ma vie qui ont suffi à me rendre inapte au soleil). L'été, les trois lettres de la plénitude, sont pour toujours à gagner.
31 mars
Une fois n'est pas coutume, je vais faire un tour très tôt ce matin (les chiens sont incrédules, mais ils finissent par ouvrir le chemin comme à leur habitude). Il fait froid, il y a même par endroits une pellicule de gelée blanche, le soleil n'a pas encore franchi la montagne, du coup on pense fort à la mer de l'autre côté, elle nous manque. On se croirait dans le hangar du métallier, tout est découpé avec précision, la montagne est bleuie comme le fer chauffé par le chalumeau, mais on n'a pas plus chaud pour autant, on a plutôt en tête la froidure du fer qui risque alors de nous coller aux mains, le fer nous brûlerait de froid. On pense plus fort à la mer, à la lumière retenue dans ses draps, on a encore sommeil.
1er mars
Dans le soleil tremblant du matin, des éclats de couleurs nouvelle, celle de la chair des arbres à l'endroit où les arbres ont cassé sous le poids de la neige, le brillant de l'aubier (on entend d'ailleurs dans le lointain le bruit aigre des tronçonneuses qui tranchent les arbres tombés), si bien que la blessure est aussi ce qui ravive le paysage.
Les merles sont revenus et leur chant très beau. Dans le soleil tremblant du matin, les oiseaux sont nombreux, mais ce qui me plaît le plus de revoir enfin, c'est le bousier noir qui pousse sur le chemin une boule plus grosse que lui. Si les merles sont revenus, les travaux et les jours aussi.
Petite conversation avec Maryline Desbiolles