Le roman d'
Emiliano Monge peut agacer, choquer, écoeurer, mais ne laisse en tous cas pas indifférent. Et si son sujet prête certes à des sentiments forts, c'est surtout la manière dont il le traite qui bouscule le lecteur.
Le ton est donné d'emblée. Cela commence dans le chaos, avec la capture nocturne, dans une clairière au coeur de la jungle, d'un groupe de migrants par des trafiquants d'êtres humains.
La trame globale du récit est minimaliste : séparés en deux convois, après avoir subi viols et tortures, les captifs qui n'ont pas été tués prennent des chemins différents pour être vendus à divers acheteurs. Mais elle est tissée de multiples intrigues secondaires, formant un enchevêtrement un peu foutraque.
Il y a l'histoire d'amour passionnel entre les amants Epitafio et Estela, chefs respectifs des convois, obsédés l'un par l'autre au point de cogiter à voix haute de longues heures durant sur les raisons qui pourraient expliquer qu'ils ne parviennent pas à se joindre par téléphone.
Il y a "les fils de la forêt", deux frères à peine adultes et pourtant déjà pères, rabatteurs pour le compte des trafiquants, que l'on suit sur un marché frontalier en quête de nouvelles proies à piéger en même temps qu'ils revendent les objets volés aux victimes qu'ils viennent de livrer à leurs tortionnaires.
Il y a cet autre duo qui serait cocasse s'il n'était pas si méchant, que forment El Topo et El Tampón, instruments d'une trahison visant Epitafio et Estela, orchestrée par le Père Nicho, sombre figure tutélaire à la tête d'un mystérieux et angoissant orphelinat dont semblent issus tous les bourreaux oeuvrant au sein de ce funeste ballet.
Et il y a les clandestins, innommés, masse anonyme réduite à sa condition d'exil que la terreur et la violence ont réduit à une insignifiance extrême. Des bribes de leurs témoignages a posteriori ponctuent le récit d'images de leur calvaire.
Et tout cela est porté par une narration en flux tendu, où s'entremêlent pensées, faits et paroles, nous plaçant dans une action ininterrompue, tout en nous imprégnant d'une dimension à la fois lancinante et tragique. On se croirait dans une épopée macabre et pourtant lyrique, une odyssée tragique et hallucinée, où la nature même joue son rôle, y ajoutant, par ses bruissements, ses grouillements, le poids de sa présence menaçante.
"
Les terres dévastées" est, vous l'aurez compris, un texte fort, sombre et désespéré, le récit d'un cauchemar auquel s'entrelace, comme une incongruité, une histoire d'amour aussi brutale que sincère dont le détail des dérisoires escarmouches empiètent sur l'évocation de l'enfer vécu par les victimes des deux tourtereaux.
Et si la volonté assumée de l'auteur de doter son texte d'un souffle quasi mythique peut parfois donner l'impression d'un style "fabriqué", il n'en reste pas moins qu'
Emiliano Monge nous livre là un titre original et puissant.
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