Bernard Amy a réuni dans ce livre neuf petits textes d'auteurs variés sur l'alpinisme. le premier et le dernier sont de lui-même, sa source d'inspiration étant le livre de
René Daumal, "
Le Mont Analogue. Roman d'aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques"... tout un programme !
J'aime bien cette idée de rassembler des textes en apparence très différents, mais qui, quand on les lit attentivement ont bien plus de points commun que ce que l'on pourrait croire. Entre autres, une grande originalité.
Ces récits sont en effet tout sauf classiques et sont liés par de l'excentricité, de la poésie, de la philosophie, le tout dans des dosages différents selon leur auteur, et par-dessus tout, la passion de la montagne.
Le récit le plus singulier est sans conteste celui d'
Henri Michaux, "Le dépouillement par l'espace". Récit assez hallucinant, son auteur étant, au sens propre, halluciné ! Il explique avoir consommé une substance peut-être pas tout à fait légale, puis être allé "à bonne altitude" pour en observer les effets. Il n'a pas été déçu du résultat, mais surtout, a parfaitement réussi à rendre compte de son "trip". Il nous emporte dans son voyage et fait formidablement bien partager son ressenti.
Un petit extrait pour vous mettre l'eau à la bouche : "Le statique, le fini, le solide avaient fait leur temps. Il n'en restait rien, ou comme rien. Dépouillé, je filais, projeté ; dépouillé de possessions et d'attributs, dépouillé même de tout recours à la terre, délogé de toute localisation, dépouillement invraisemblable qui semblait presque absolu, tant j'étais incapable de trouver quelque chose qu'il ne m'eût pas ôté."
Étrange et bien agréable sensation que de suivre l'auteur dans son aventure, sans prendre aucun risque, bien douillettement installée avec mon livre. J'ai adoré cette nouvelle dans laquelle
Henri Michaux invente des mots pour retranscrire ce qu'il perçoit. L'extraordinaire "L'espace m'espacifiait" m'a fait particulièrement rêver.
Haroun Tazieff a dit que pour être écrivain, "il faut d'abord avoir quelque chose à dire" et par son texte "Tourmente",
Samivel prouve qu'il en est un, et un grand. Outre sa poésie coutumière, on y trouve une tempête animée, douée de vie rageuse, et deux hommes face à elle. Deux hommes qui vont unir leurs forces pour lutter jusqu'au bout. On suit leur magnifique combat tout au long d'un récit prenant et émouvant.
Samivel décrit l'instinct de survie, "un instinct puissant, protecteur vigilant de l'espèce" grâce à qui les deux grimpeurs sortiront vivants de leur aventure : "Désormais, ce fut ce pilote qui guida la fragile machine d'os et de chair à travers les embûches du vide, choisit les prises avec une admirable pertinence, aperçut enfin l'anneau."
Voilà.
Chaque texte a son thème, son style, sa personnalité. J'ai plus accroché avec certains, moins avec d'autres : c'est le lot de toute anthologie, mais j'ai vraiment aimé l'ensemble.
Attention, si cette lecture vous tente : le premier texte de
Bernard Amy m'a semblé assez obscur, et j'ai eu la désagréable impression de ne pas tout comprendre, de passer à côté, car je n'ai pas lu le livre de
René Daumal. Les évocations fréquentes de "l'esprit du Mont Analogue" m'ont donc un peu frustrée, mais ce n'est pas la faute de l'auteur : mea culpa, mea maxima culpa ! Je vais m'empresser de combler cette lacune, et j'espère ainsi mieux apprécier le dernier texte, que j'avoue avoir laissé de côté afin de ne pas gâcher ma lecture. Mais peut-être certains lecteurs trouveront-ils de l'intérêt dans ces deux récits de
Bernard Amy même sans avoir lu
René Daumal.
En tout cas, "
Souvenirs d'un voyage au Mont Analogue" est un livre fort intéressant, qui plaira à tous les passionnés de montagne.
Je remercie chaleureusement Babelio pour son opération Masse critique et les éditions Tensing (quel nom !) pour ce voyage vivifiant.
Je conclus enfin en reprenant les mots de
Pierre Dalloz, auteur d'un des textes : "Qui une fois a connu l'altitude en reste hanté." Tous les amateurs d'alpinisme approuveront, j'en suis certaine !