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EAN : 9791032929049
L'Observatoire (03/01/2024)
3.8/5   157 notes
Résumé :
C'est une bourgade entre mer et champs, avec son église, ses fermes, ses habitants rugueux et taciturnes. Avec ses cauchemars aussi, car ce qu'on a fait au cheval des jumeaux Bellay, aucun animal n'en serait capable. Julia, vétérinaire, et Stéphane, maréchale-ferrante, ex-citadines fraîchement arrivées dans la région, en sont persuadées : seul un homme a pu commettre pareille atrocité.
Au fil des jours, de nouvelles carcasses sont retrouvées, et les villageo... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (60) Voir plus Ajouter une critique
3,8

sur 157 notes
Cela démarre fort, très fort, avec un saisissant incipit qui voit pleuvoir des grenouilles et des crapauds sous les yeux sidérés des habitants d'un village du Cotentin, plaie biblique qui semble annonciatrice d'une apocalypse à venir, très terre à terre, elle, en l'occurence des animaux retrouvés mutilés.

La formidable réussite de ce roman passe par la scénographie d'une ambiance magnétique qui scotche complètement le lecteur à un récit ancré au plus profond de lieu qu'on croirait sorti d'un conte : des dunes, de la brume, de la pluie, un ciel menaçant, une mer houleuse, mais aussi une Lande des Morts, un ruisseau aux rats ou encore une fontaine aux fées. Mais ici, rien de bucolique ou de charmant, tout est rugueux, tendu et oppressant.

« Cette terre normande est parcourue d'ondes étranges, d'énergies contradictoires qui fragilisent les nouveaux arrivants, les secouent, font vaciller leur rationalité. Depuis leur arrivée au village, les deux anciennes citadines ont du mal à comprendre comment des gens aussi ancrés dans la terre peuvent être autant attachés à tous ces contes et légendes fantasmagoriques. Cela doit avoir quelque chose à faire avec la mort. Les superstitions entourant les fantômes sont bien plus commodes à se représenter que la réalité de la finitude et de sa pourriture. »

Adeline Fleury assume totalement le recours au réalisme magique, créant un récit à la fois très humain dans ce qu'il dit des violences tues dans des secrets quasi ancestraux, et terriblement irrationnel. L'enquête pour découvrir qui a mutilé les animaux se mâtine de légendes normandes, convoquant le Varou, les goubelins, les enfants-fées, enchaînant les événements étranges. Et jusqu'au bout, on ne sait si l'autrice va choisir une résolution réaliste ou ouvrir sur une perspective fantastique.

La porosité entre la réalité et les légendes réveille des peurs presque enfantines, on sent comme des présences invisibles flottées entre les pages. D'autant que la langue déployée est d'une grande richesse, gorgée d'adjectifs, en symbiose absolue avec ce qui est raconté, prenant parfois son temps à se déployer dans un lyrisme organique et sensoriel, pour ensuite s'accélérer dans une nervosité de thriller.

La construction est travaillée de telle façon à nourrir l'intérêt et la surprise du lecteur. Chaque fin de chapitre appelle le début du suivant avec subtilité et addiction, chaque personnage introduit est utile pour enrichir un fil narratif très polar, véritables catalyseurs de l'intrigue. Et ils sont tous formidables, ils ont des corps, des émotions, des secrets, des blessures, on les voit, on les entend, qu'on les comprenne ou pas, tant ils sont incarnés au possible.

A commencer par la Grande Stéphane. Personnage génial de femme puissante et faillible, cette citadine a fuit ses démons en se disant qu'elle s'épanouirait dans ce village normand où elle est installée en tant que maréchale-ferrante. Mais son métier, identifiée comme masculin, ainsi que son physique imposant, détonnent et la rendent forcément suspecte dans cette communauté rurale déjà fracturé entre les agriculteurs là depuis toujours et « ceux des lotissements », les habitants récents.

« Une chose est certaine, ce bout du terre entre campagne rude et mer menaçante appartient à un seul petit groupe, dont elle ne fera jamais partie. Ce cap des tempêtes et ces champs humides, venteux et boueux ne se laissent pas apprivoiser facilement. Les nouveaux venus devront toujours, éternellement, impérativement, sans échappatoire, payer une taxe à ceux qui y sont nés, n'en sont jamais partis et n'en partiront jamais. Ceux-là appartiennent à ce territoire jamais il ne se posent la question « quel est mon pays », les âmes et les corps chevillés aux sols acides et marécageux près du val et aux roches de granit et de grès près des falaises. Ceux des villes peineront à comprendre, ils auront beau s'enticher de cette campagne, la terre leur balancera son hostilité et sa sauvagerie à la gueule. La beauté tyrannique et implacable des paysages les accablera. La mélancolie les gagnera peu à peu, puis le désespoir. »

Un roman à l'aura puissante, porté par une histoire et une écriture charismatiques, jusqu'au somptueux épilogue.




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Ce conte gothique nous plonge dans une ambiance ensorcelante teintée de réalisme magique, dans un enchainement haletant de thriller campagnard, rythmé par la monstruosité des hommes. Atmosphère Atmosphère…

Adeline Fleury campe son histoire sur un territoire situé entre campagne rude et mer menaçante du côté de la Normandie. A priori une bourgade comme il en existe tant entre mer et champs, avec ses fermes, son église, son bar, ses habitants taiseux et rugueux. Mais c'est ici un territoire qui ancre solidement les âmes et les corps aux sols acides et marécageux près du val et aux roches de granit près des falaises. Un territoire hostile et sauvage qui mord et rejette celles et ceux qui viennent d'ailleurs, les citadins notamment, qui menacent ceux qui vivent dans ses lisières, celles et ceux du lotissement. Entre cap et des tempêtes et champs boueux et marécageux, un territoire qui ne s'apprivoise pas facilement.

« Ici, les vagues et les landes rivalisent pour faire sentir aux hommes qu'ils sont attachés à quelque chose de lourd ».

De sa plume envoutante, l'auteure saupoudre sur ce territoire rude superstitions fantasmagoriques et légendes, peuplées de monstres, de varous, d'enfants-fées, d'un géant et de goubelins aussi effrayants que les mouches, araignées, orvets, crabes, serpents et asticots qui débordent de toute part et dégagent, des tas de fumier, des marécages, des maisons abandonnés mais aussi des cauchemars, les relents pestilentiels, âcres et puissants de cette campagne mystérieuse.
Ces éléments combinées, entrelacés, produisent une ambiance gothique, des ondes étranges, des énergies contradictoires faisant vaciller toute rationalité alors qu'en même temps nous sommes dans ce qu'il y a de plus humain, dans les bassesses et lâchetés humaines les plus inavouables. Car ne nous méprenons pas, ce sont les hommes qui produisent les monstres, ceux-là même qu'ils tentent ensuite de combattre, eux qui produisent des solitudes et des drames dont les conséquences retombent sur des générations et des générations d'habitants à l'origine des légendes et des croyances irrationnelles.
Ce balancement perpétuel du récit entre réalisme magique et psychologie humaine rend la lecture addictive et étrange, ne sachant jamais vers quoi nous amène l'auteure, coincés que nous sommes entre curiosité, cauchemar et légendes…Seule certitude plane l'ombre glaciale de la vengeance…


L'histoire débute de façon très impressionnante au sein du lotissement qui jouxte le village. Tel un message biblique de mauvais augure, il y pleut des crapauds. Une des plaies d'Egypte dans l'Exode. Notons au passage que la façon froide, mécanique, presque cynique, de décrire le lotissement juste avant le drame, sorte de lisière qui n'est ni la campagne ni la ville, comme avait également superbement décrit Olivier Adam dans Les lisières, ce déterminisme social, m'a tout de suite plu tant je suis fascinée par ces entre-deux, par ces gens ni paysans, ni citadins, « on ne sait pas trop ce qu'ils sont d'ailleurs », sans vraiment d'identité, ils semblent se ressembler tous avec leurs maisons identiques à un étage à la façade beige et au portail bordeaux, aux portes de garage bordeaux assorties car le bordeaux ça fait noble, c'est élégant…

« Ceux du lotissement ont un quotidien réglé comme du papier à musique. Ils vivent à la campagne sans en profiter, enfermés dans leur maison témoin, leur voiture témoin et leur sexualité témoin, celle du samedi soir conjugal ».

Cette pluie de crapauds laissant les routes et les chemins visqueux et gluants est prémonitoire d'un drame à venir. Et en effet, au sein du village, il se passe également des choses étranges. Un cheval des jumeaux Bellay a été blessé de façon sauvage et Julia, jeune vétérinaire, certifie qu'aucun animal n'a pu infliger les blessures constatées. le bélier noir de Sylvie a été tué de façon mystérieuse. Une vache venant de vêler a vu son pis sectionné. Les villageois affirment que le Varou est revenu pour s'abreuver du sang des bêtes. Les atrocités se multiplient et le petit Levavasseur, surnommé l'enfant-fée, si curieux avec sa tête disproportionnée, son visage précocement ridé, et son regard bleu acier, disparaît après avoir été vu préalablement sur toutes les scènes où les agressions ont été commises. La grande Stéphane, Guillaume, journaliste, et une vieille femme, une rebouteuse, s'allient pour enquêter.


J'ai beaucoup aimé la plume de l'auteure qui s'adapte à merveille à son récit, offrant par moment des plans fixes quasi cinématographiques d'une beauté noire à couper le souffle, dans lesquels le temps est suspendu, puis accélérant aussitôt quelques lignes plus loin pour mener à bien le thriller.
« le vent a chassé les nuages gris et pesants, le soleil assèche peu à peu les terres et le bitume. le clocher en bâtière de l'église se révèle en haut de la côte. Les femmes se terrent dans leurs demeures, Battut en distingue certaines tirant discrètement les rideaux sur leur passage. Seule Lili erre au milieu de la place. Elle traîne derrière elle un cabas duquel dépassent des pieds de poupées, une petite chaussure tombée sur les pavés ».

Le roman est un décliné de noir, de sépia, de gris avec son ciel poisseux et bas, sa lande sombre, son océan d'un bleu foncé froid, ses marécages marronnasses d'où débordent des orvets noirs, son crachin qui décolore le village dans toutes les nuances de gris. Les éléments tels qu'ils sont décrits, que ce soit la lune, les marécages, les dunes, l'océan, la maison abandonnée donnent l'impression de lire un conte.
« La lune est énorme. Elle habille de blanc les marécages brumeux. Elle les enveloppe d'un voile laiteux. Pas un animal ne bouge, aucun souffle de vent ne meut les végétaux, tout semble se figer sur le passage du géant. Il a terminé sa course. Il est immobile. Sa rage aussi. Elle est bloquée dans sa large poitrine. Intacte et cruelle. Comme un poignard fiché là depuis toujours. Une éternité déjà ».
Notons également des chapitres bien travaillés, chaque fin de chapitre est bien aboutie et comporte du suspense de façon à avoir envie de continuer avec le chapitre suivant. Quelques passages en italiques donnent une dimension fantastique au récit et interpellent grandement le lecteur. Et soulignons surtout des personnages croqués avec délicatesse et justesse, deux personnages m'ont particulièrement marquée, celui de la Vieille et de la grande Stéphane, deux femmes puissantes aux antipodes des archétypes féminins habituels qui fait de ce roman un livre résolument féministe.


Le ciel en sa fureur est un roman particulièrement envoutant par son côté conte, ensorcelant par son ambiance magnétique et gothique, haletant par sa facette thriller, angoissant par sa noirceur, mais dans lequel le réalisme magique apporte des touches de poésie lumineuses très émouvantes. Un livre percutant doté d'une étrange aura ! A découvrir ! Merci à Marie-Laure (@Kirzy) dont la magnifique critique enthousiaste m'a, comme si souvent, convaincue de me le procurer immédiatement !


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La Normandie merveilleuse et irrationnelle.

Une pluie de batraciens. C'est ainsi que le ciel furieux déverse son hostilité sur une bourgade sans âge du Cotentin.
Un village entre mer tempétueuse et terres rugueuses à la beauté tyrannique,
bercé par les superstitions et les légendes ancestrales.

Julia, vétérinaire, et Stéphane, maréchale-ferrante ont quitté la ville pour venir s'installer dans cet endroit parsemé de maisons graniteuses aux façades aussi grises que le ciel. Entre deux averses, elles découvrent des habitants au caractère rude et tourmenté peu enclins à accepter la différence.
Moutons noirs, femmes qui s'embrassent furtivement, enfants qui ne ressemblent pas aux autres attisent la peur et la méfiance.
Ici tout se passe sous le manteau. Une rebouteuse, un peu sorcière, surnommée "la vieille" soigne tout le monde et réalise parfois des miracles qui échappent à toute logique.
A coup de contes et légendes on justifie les comportements irrationnels, les lourds secrets et on masque subtilement son incapacité à affronter certaines réalités.
Quand des carcasses d'animaux eviscerés sont retrouvées, les villageois effrayés pensent que le Varou assoiffé de vengeance est revenu. L'enfant-fée que l'on a surpris à plusieurs reprises auprès de ces dépouilles ne rassure personne..

Le ciel en sa fureur est un roman inclassable. L'écriture rythmée par une poésie à la fois féérique et angoissante donne à ce texte une personnalité incroyable. On navigue, sous le vent et la bruine, entre le thriller, le roman fantastique, le roman social et la littérature blanche. C'est à la fois déboussolant et étourdissant mais si on accepte de se laisser guider par cette part d'irrationnalité qui ne cherche qu'à s'exprimer alors tout devient beaucoup plus lumineux.
Ensorcelant !


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J'ai beaucoup aimé ce roman d'Adeline Fleury « le ciel en sa fureur ». Peut-être pourra-t-on me taxer, un peu, de chauvinisme, l'histoire se passe dans le département de la Manche, mon département de naissance. Toutefois cela me permet de mieux juger la performance de l'autrice, pour décrire les paysages d'une beauté sauvage du Cotentin et dépeindre le monde rural dans toute sa rusticité.

Ce livre n'est pas à mettre dans les mains d'esprits cartésiens, rationnels ou par trop citadins qui le trouveront au mieux farfelu au pire complétement débile. Bienvenue, dans le monde des contes et légendes, dans ce petit village entre mer et marais où règne une atmosphère glauque d'apocalypse. Je vous laisse juge : « L'enfant du pavillon numéro 13 se retourne, elle pousse un hurlement assourdissant. Des coassements gras lui répondent, recouvrant dans un vacarme plaintif tous les autres bruits de la nature. de gros crapauds bondissent des bosquets, des centaines de batraciens affolés et baveux, ils chargent les enfants qui hurlent de peur et se réfugient chez eux, les crapauds s'écrasent contre les portes et les baies vitrées. Des petites grenouilles brunes tombent du ciel. Ceux du lotissement ferment leurs volets bordeaux, ceux du lotissement sont terrorisés. le corps de l'enfant du pavillon 13 gît au milieu des feuillages, secoué de spasmes, couvert d'un liquide visqueux. L'assaut des crapauds ne dure qu'une dizaine de minutes, mais semble une éternité à ceux du lotissement. La mère épouvantée de la fille du pavillon numéro 13 n'arrive pas à déverrouiller la porte d'entrée, des morceaux de crapauds bloquent la clenche. Les pluies de crapauds annoncent l'apocalypse. Certains ont lu ça dans la bible. » Suivront d'autres signes tout aussi inquiétants, la naissance d'un veau albinos, un cheval retrouvé éventré, jusqu'au cadavre de la « Ferluche » un jeune homme simplet du village, retrouvé sous un tas de fumier.

Tout oppose les deux mondes qui cohabitent, ceux des citadins du lotissement, « nouveaux ruraux », à la petite vie bien proprette et aseptisée et le monde rural, bien moins ragoutant, mais beaucoup plus proche de la nature, qui voit dans les manifestations célestes des signes divins, combat entre le bien et le mal à l'image des gobelins (goubelins dans sa version normande) qui sont des elfes, esprits de la nature qui se métamorphosent en animaux familiers, ils sont facétieux mais plutôt bienveillants tant qu'ils sont choyés. Dans le cas contraire, le diable en fait ses marionnettes.

Au milieu de ces extrêmes Julia, la nouvelle vétérinaire, qui a appris le métier de son prédécesseur local le « Vieux » que les rhumatismes contraignent à l'inactivité, mari de la « Vieille » la rebouteuse, la magnétiseuse, la guérisseuse qui par simples appositions des mains soulage bien des maux et Stéphane, la maréchale-ferrante, qui a fui la ville après le décès brutal de son amour, Victoire, et proche désormais de Julia. Ces deux femmes aidées du « Potelé », Guillaume, un journaliste venu de Cherbourg, natif du village, vont essayer de trouver la clé de tous ces mystères.

Les soupçons se dirigent bien vite sur un enfant blond, le fils des Levavasseur de la ferme à vaches, petit corps et grosse tête aux traits vieillis attirant et repoussant à la fois, que l'on retrouve toujours sur les lieux des exactions. La « Vieille » jure que c'est un enfant-fée, comme son p'tit Jojo, son fils, qui a disparu il y a quinze ans. Toutefois, l'autrice nous sème le doute, quel est donc ce Géant, ce colosse qui semble commander aux animaux, pour l'instant guetteur mais en qui l'on sent monter la violence.

Vraiment, un excellent moment de lecture que ce « thriller à la normande » doublé d'un roman d'atmosphère, merveilleusement alimenté par une écriture à la sauvagerie poétique d'Adeline Fleury. Ces contes et légendes font l'histoire de nos terroirs, notre richesse collective et rien que pour cela ne méritent pas d'être galvaudés. Ah ! j'oubliais, je ne crois pas à grand-chose, mais papa a été victime de graves brûlures sur les bras et le corps et il n'a trouvé le soulagement qu'après avoir eu recours à une magnétiseuse. Croira qui voudra !

Remerciements à Lecteurs.com et aux Editions De l'Observatoire pour cette belle découverte.
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Genre: Pluie de crapauds

Je sors le parapluie, je ne sais pas trop ce qu'il va pleuvoir : des enclumes, des pommiers, des invectives, des centrales nucléaires, des catamarans, du beurre salé ou des agneaux de pré-salé ? Les sardines sont déjà prises par Murakami.
Je précise que je ne hais point le Cotentin et les cotentinois(es), que je suis un fan absolu des critiques de Marie-Laure (@Kirzy), de Chrystèle (@HordeDucontrevent), de Télérama et du Monde de livres mais que je dois être honnête avec moi-même :
Je suis passé totalement à coté de ce livre. Je ne l'ai pas juste frôlé, je suis passé à des années-lumières.
J'adore le réalisme-magique (j'ai été biberonné aux meilleurs sud-américains et japonais du genre), je ne refuse pas une goutte de calvados, j'ai des souvenirs émus (et mouillés…) du Nez de Jobourg etc.
Force est de constater que dés l'incipit, j'ai su que j'allais m'empoisser dans ce récit gothico-biblique subtilement ancré dans les contes et légendes locales.
Ma déception a été à la hauteur de mon intérêt pour la chose. En 1977, Jeanne Favret-Saada publiait son fameux: « Les Mots, la morts, les Sorts » où l'ethnologue décrivait les pratiques de sorcellerie et les croyances dans le bocage mayennais et j'avais adoré son implication, sa conclusion maligne : on y croit ou on reste ethnologue. Il n'y a pas d'alternative.
Adeline Fleury a l'adjectif qui va bien et la plume funky. Je dois lui reconnaitre une parfaite maitrise des tempos (tempi) avec ses fougueuses accélérations et ses ralentissements qui frisent l'enlisement (boueux).
Ce qui m'a posé problème c'est justement le parti-pris de l'auteure de laisser au lecteur le choix d'une double lecture : ici le réalisme magique serait compatible avec la magie du Réel. Mais le Réél de le Ciel en sa Fureur n'est que tragédie absolue. Tout n'est que violence, vengeance et cruauté, une micro-version normande de Crime et Châtiment. Les fluides funestes se répandent sur une humanité désolée.
L'histoire de ce village perdu entre dunes, mer houleuse et sombre, falaises menaçantes, ruisseau aux rats et forêts occultes se dilue dans une sorte d'anti-banalité du Mal. Il y sera question de secrets rapidement éventés, d'organismes mutilés (vache, cheval, mouton…) et donc de la vengeance d'un certain géant que tente d'humaniser un enfant-fée.
On fera donc connaissance avec le Varou, les Gobelins et les fêtets.
On écrasera lombrics, asticots, grenouilles, anguilles, orvets et serpents de toute sorte.
On pataugera dans la boue, le fumier, les marécages.
Les personnages sont tous moins attachants les uns que les autres ( à part l'immense maréchale-ferrante qui distille ici ou là un brin d'amour et d'amitié), les enfants du lotissement sont odieux.
Tout n'est que sauvagerie, rugosité, âpreté.
L'épilogue est particulièrement visqueux mais on en a bien assez dit :
Je croyais être passé à coté mais c'est faux : ce récit m'a englouti, corps et âme.
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Citations et extraits (28) Voir plus Ajouter une citation
Une chose est certaine, ce bout de terre entre campagne rude et mer menaçante appartient à un seul petit groupe, dont elle ne fera jamais partie. Ce cap des tempêtes et des champs humides venteux et boueux ne se laissent pas apprivoiser facilement. Les nouveaux venus devront toujours, éternellement, impérativement, sans échappatoire, payer une taxe à ceux qui y sont nés, n'en sont jamais partis et n'en partiront jamais. Ceux-là appartiennent à ce territoire, jamais ils ne se posent la question "quel est mon pays"?, les âmes et les corps chevillés aux sols acides et marécageux près du val et aux roches de granit et de grès près des falaises. Ceux des villes peineront à comprendre, la terre leur balancera son hostilité et sa sauvagerie à la gueule. La beauté tyrannique et implacable des paysages les accablera. La mélancolie les gagnera peu à peu, puis le désespoir.
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Pour la première fois, la fillette du pavillon numéro 13 se sent belle et légère. Elle fait tout ça pour lui. Ça en vaut la peine puisqu'il lui envoie un bouquet de papillons noirs. Elle ne s'était pas trompée, ce garçon est magique. Le vol des papillons accélère, elle court à perdre haleine pour les suivre, au bout du champ elle débouche sur un sentier qui longe un ruisseau. Elle n'était jamais venue jusqu'ici, elle se laisse gagner par le pouvoir de la campagne, le ruissellement du cours d'eau, les senteurs des herbes encore gorgées de rosée. Tout est plus intense ici qu'au lotissement. Le garçon blond lui ouvrait un nouveau champ des possibles, quelque chose d'insoupçonné. Les papillons s'arrêtent au bout du chemin, le garçon s'y tient, il esquisse un sourire, c'est la première fois qu'elle le voit sourire, il a l'air d'un ange, elle sait qu'il faut se méfier des anges, que leur colère peut être effroyable, mais la fillette du pavillon numéro 13 n'hésite pas un seul instant lorsque le garçon magique lui tend la main. Sans un mot, elle le suit le long du ruisseau aux Rats.
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La Vieille porte le monde dans les yeux, les catastrophes, les grandes découvertes, les guerres, les passions dévorantes. La succession des saisons, les migrations des oiseaux, l'éclosion des fleurs, la crue des rivières, les tempêtes et les grandes marées d'équinoxe. Cette femme-là n'est pas simplement humaine, elle est animale, végétale, minérale, elle est la vie.
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Le silence dans le bourg est lourd, les habitants ruminent leurs secrets indicibles derrière l'humidité des murs. Quelques herbes folles soulèvent les pavés de la place du village marquée du sceau de la honte et de la désolation. La porte en bois de l'église grince, le prêtre est à genoux devant l'autel. Les mains jointes sur son front, les yeux clos, il prie. Il prie pour que le village s'en sorte, pour que la haine et le dégoût ne l'accablent pas, pour que la mort ne frappe pas à nouveau. Pour que tout redevienne comme avant, avant quoi il ne sait pas. Il a les mains moites malgré le froid. Il prie pour le retour des temps sereins où rien ne portait à conséquence.
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De gros crapauds bondissent des bosquets, des centaines de batraciens affolés et baveux, ils chargent les enfants qui hurlent de peur et se réfugient chez eux, les crapauds s’écrasent contre les portes et les baies vitrées. Des petites grenouilles brunes tombent du ciel. Ceux du lotissement ferment leurs volets bordeaux, ceux du lotissement sont terrorisés. Le corps de l’enfant du pavillon numéro 13 gît au milieu des feuillages, secoué de spasmes, couvert d’un liquide visqueux. L’assaut des crapauds ne dure qu’une dizaine de minutes, peut-être même pas plus de cinq minutes, mais semble une éternité à ceux du lotissement. La mère épouvantée de la fille du pavillon numéro 13 n’arrive pas à déverrouiller la porte de l’entrée, des morceaux de crapauds bloquent la clenche.
Les pluies de crapauds annoncent l’apocalypse. Certains ont lu ça dans la Bible. La pluie de grenouilles figure en second sur la liste des dix plaies d’Égypte qui, selon l’Exode, ont été infligées par Dieu à l’Égypte pour libérer son peuple prisonnier. Les gendarmes et pompiers ne tardent pas à arriver à la zone pavillonnaire, ils ne viennent jamais ici car d’habitude il ne s’y passe rien.
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Visionnez mon entretien avec Adeline Fleury pour son roman Le ciel en sa fureur paru aux Editions de L'Observatoire. Mon coup de coeur littéraire depuis la rentrée.
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