Un des premiers livres d'
Anne-Marie Garat. On y trouve déjà ce qui fait la plume singulière de cette auteure: l'amour de la langue, la capacité d'analyser profondément les sentiments des individus.
Anne-Marie Garat excelle dans la sensualité: celle de la végétation, de la cuisine, ou des corps.
Le narrateur, Thomas, est un homme, mais ce n'est pas du tout le personnage principal. Comme les Monarques, ces papillons qu'il étudie, il a brusquement mué. Il est devenu grand et gros, tel une toupie; tout tourne autour de lui. Et autour de lui il n'y a que des femmes, de l'aïeule à l'enfant de cinq ans. Ces femmes, il ne les comprend pas vraiment, mais il essaie: "Les hommes ne sont pas des personnes complètes, il leur faut chercher leur supplément."
Ce sont donc des portraits de femmes et de leurs relations, bien avant que le terme de sororité ne devienne à la mode. Ces femmes qui sont dures à la peine, qui résistent aux deuils et aux maladies. Ces femmes qui sont essentiellement sédentaires, qui vivent dans deux maisons toutes proches l'une de l'autre, dont les enfants se déplacent de l'une à l'autre au rythme des saisons et des rites - le pique-nique, le bain à la rivière, la cueillette des pommes, l'observation des étoiles filantes...
Tous ceux qui ont été enfants à la campagne retrouveront instantanément leurs madeleines proustiennes. La sieste dans l'herbe, par les après-midi de grande chaleur. L'observation fascinée du vol des hirondelles, de la marche grouillante des fourmis. le tic-tac de la pendule. L'odeur de la confiture de fraises qui mijote doucement sur le fourneau. Tout cela contraste avec l'appartement inhospitalier que Thomas occupe à New-York, son garde armé, son ascenseur à verrouillage électronique, sa petite amie américaine formatée et prévisible.
Savoureuses aussi, les expressions légèrement surannées et pourtant sincères que pouvaient avoir nos grand-mères: un enfant, il faut que ça se "dépense", ou bien quand la fraîcheur du soir arrive, il faut rentrer, sous peine de prendre "un" froid.
Comme l'une d'elles le dit à la fin, sentant sa mort prochaine, je nous souhaite à tous de pouvoir dire: "Tout de même, j'ai bien aimé de vivre. C'était très intéressant". Et
Anne-Marie Garat y aura contribué...