Ce siècle appelle au secours

Gilbert Cesbron, c'est, bien sûr, pas loin d'une vingtaine de romans dont certains sont incontournables (« Chiens perdus sans collier », « Les Saints vont en enfer », « Notre prison est un royaume ») mais ce que l'on sait moins, c'est qu'il est un essayiste de grand talent. Dans une douzaine de recueils, il nous livre sa méditation sur ce que lui inspire son époque : avec une grande sensibilité et un humanisme profond (qu'il puise en grande partie dans sa religion, un catholicisme pratiquant), il porte un regard à la fois inquiet et confiant sur les dérives de « son siècle ».
« Ce siècle appelle au secours » est divisée en quatre parties distinctes :
« Des enfants de lumière » dresse le portrait de plusieurs personnages qu'a croisés l'auteur : illustres ou inconnus, ce sont des êtres qui d'une façon ou d'une autre « influent » sur la vie des gens, peut-être pas de façon physique ou matérielle, mais moralement, sentimentalement, intellectuellement ou spirituellement (ou tout à la fois).
« le calepin de l'Anglais » est le pendant des « Carnets du major Thompson » de Daninos, plus profonds, sans doute, moins humoristiques, moins caricaturaux, mais tout aussi féroces : « La moitié des Français font la tête parce qu'ils voudraient être des fonctionnaires et ne le sont pas. Et l'autre moitié parce qu'ils voudraient l'être et qu'ils le sont ». « En France, la presse tire moins d'importance de ceux qui la lisent que de ceux dont elle parle ». « Quelques peuples aiment les Français pour leurs qualités ; mais ceux qui les adorent, c'est pour leurs défauts »
« Mon musée » est un florilège de choses vues : des choses de tous les jours (Deux gros souliers, un rouet, un fauteuil tendu de velours bleu, une tasse à café, une paire de gants blancs, un bouquet de fleurs séchées, un anneau d'argent, une veste rouge), dont chacune a une histoire, évoque un souvenir, a une signification pour l'auteur et peut-être le lecteur.
Enfin « Qui se souvient de Babylone ? » qui est le véritable « essai » de ce recueil, et qui à lui seul fait autant de pages que les trois autres parties réunies, se présente comme un constat, lucide, inquiet, mais aussi plein d'espérance, sur l'état de notre pays pendant et après les années noires de la 2ème guerre mondiale : « Les évènements que relate cette chronique ont pris place vers le milieu du XXème siècle, dans un pays qui pouvait alors passer pour l'un des plus importants de l'Europe… » L'essai s'articule en trois assertions : « On ne sait pas où on va » (l'inquiétude) ; « ça ne peut pas aller plus mal » (le fond du trou) ; « on finit toujours par en sortir (l'espérance et la résilience). A noter l'exergue : « Je dédie fraternellement ce texte à ceux qui, de toutes leurs forces, par tendresse pour leur pays et par amour de la paix veulent l'Europe » (et je rappelle que ce texte date de 1955).
Ce recueil montre bien toutes les facettes de Gilbert Cesbron : « homme de bonne volonté », qui met au-dessus de tout la relation des humains entre eux, qui sait aller au plus près des pauvres et des humbles, qui sait aussi trouver les points faibles, ou les points chaleureux des mieux nantis, et qui met en avant ces vertus (pas seulement chrétiennes) que sont la charité, la compassion et la tolérance (qui nous font tant défaut aujourd'hui).
C'est ma dix-neuvième chronique concernant Gibert Cesbron, ce ne sera pas encore la dernière, et j'ai toujours la même admiration pour cet auteur, sa pensée autant que son style qui l'une et l'autre parlent au coeur, et pour l'homme qui présente une force d'empathie peu commune.